|
|
Le Bolchévik nº 194 |
Décembre 2010 |
|
|
Forgeons un parti ouvrier révolutionnaire internationaliste !
Honduras : Les masses en lutte font face à la répression militaire
Nous publions ci-dessous un article traduit de Workers Vanguard, n° 964 (10 septembre), le journal de notre section américaine.
* * *
Depuis le renversement par l’armée en juin 2009 du président Manuel Zelaya, dit « Mel », un populiste bourgeois, de vives luttes sociales secouent le Honduras, une néocolonie américaine réduite à la misère. Au Premier Mai, environ 50 000 personnes ont défilé dans les rues de la capitale Tegucigalpa, et dans tout le pays des milliers de personnes ont manifesté le 28 juin, jour anniversaire du coup d’Etat. Le syndicat des enseignants, fort de 65 000 membres, est en grève depuis le 9 août contre la confiscation par le gouvernement de plus de 150 millions de dollars du fonds de retraite géré par les syndicats, et contre le plan de privatisation des instituts de formation des enseignants.
En solidarité avec les enseignants, les fédérations syndicales appellent à des grèves le 7 septembre et le 12 octobre dans la perspective d’une grève générale, et elles réclament une augmentation du salaire minimum ainsi que l’arrêt de la privatisation des services publics. Les paysans ont aussi manifesté pour réclamer des crédits bon marché et pour défendre un décret de réforme agraire promulgué sous Zelaya. Ces courageuses manifestations d’opposition populaire au régime issu du coup d’Etat ont lieu malgré la répression brutale de l’armée, de la police et de mystérieux escadrons de la mort. Des dizaines d’opposants ont été assassinés depuis le coup d’Etat, et des milliers de personnes ont été arrêtées, kidnappées, torturées, violées ou passées à tabac.
Les élections de novembre 2009, boycottées par une grande partie des électeurs, ont mis en place comme nouveau président le candidat du Parti national, Porfirio Lobo. Il remplaçait Roberto Micheletti, figure de proue du coup d’Etat et membre du Parti libéral, en tant que visage civil du gouvernement soutenu par l’armée. Après son investiture en janvier 2010, Lobo a amnistié les acteurs du coup d’Etat et chassé du pays Zelaya ; ce dernier, qui avait réussi à rentrer au Honduras et avait trouvé asile à l’ambassade du Brésil, a dû s’exiler en République dominicaine. Le gouvernement Obama a salué ces tentatives de « réconciliation nationale » et a pesé de tout son poids pour obtenir la reconnaissance internationale du gouvernement Lobo. Pendant ce temps, comme l’attestent de nombreux groupes de défense des droits de l’homme, le « nouveau » régime hondurien a immédiatement intensifié la répression, ciblant en particulier les syndicalistes, les journalistes et leurs familles, ainsi que les dirigeants et les sympathisants du Front national de résistance populaire (FNRP), un mouvement populiste bourgeois de masse pro-Zelaya qui s’était constitué immédiatement après le coup d’Etat.
Le coup d’Etat de l’armée hondurienne de juin 2009 a été perpétré à l’instigation de l’impérialisme US et/ou de ses laquais honduriens. La présidence de Zelaya avait pris un caractère de plus en plus populiste après avoir été confrontée à une agitation sociale marquée par des grèves, des occupations de terres et des manifestations. Pour désamorcer l’agitation sociale, Zelaya avait mis en uvre plusieurs réformes positives ; en 2008 il avait fait alliance avec Hugo Chávez, le président populiste du Venezuela. Ces initiatives avaient provoqué une polarisation de plus en plus marquée au sein de la bourgeoisie entre d’un côté les partisans de Zelaya, de l’autre les oligarques partisans d’une ligne plus dure, l’armée hondurienne et les impérialistes américains. Le patronat local avait été particulièrement irrité quand, en décembre 2008, Zelaya avait annoncé une augmentation de 60 % du salaire minimum. Un référendum non contraignant sur la convocation d’une assemblée constituante, que Zelaya avait prévu d’organiser le 28 juin 2009, est devenu le prétexte pour le coup d’Etat militaire et l’état de siège.
Il ne s’agissait pas juste d’une querelle interne à la bourgeoisie dans laquelle la classe ouvrière n’avait pas à choisir son camp. Il fallait que le prolétariat s’oppose au coup d’Etat et défende les réformes gagnées sous Zelaya. Le coup d’Etat menaçait la capacité de la classe ouvrière à s’organiser en défense de ses propres intérêts, et constituait une attaque contre tous les opprimés. Sans donner le moindre soutien politique au gouvernement bourgeois populiste de Zelaya, les marxistes avaient le devoir de défendre militairement Zelaya et ses partisans contre le coup d’Etat, et de se placer du côté des masses dans les rues, tout en luttant pour que le prolétariat apparaisse sous son propre drapeau.
Pour les marxistes, c’est un devoir élémentaire de défendre les droits démocratiques bourgeois et les autres acquis des ouvriers et des opprimés lorsque ceux-ci sont attaqués. En 2005 au Mexique, le gouvernement de droite du Parti d’action nationale (PAN) de Vicente Fox avait tenté d’interdire à Andrés Manuel López Obrador, le candidat du Parti de la révolution démocratique (PRD), d’être candidat à l’élection présidentielle. Même s’il s’agissait d’une mesure juridique, et non d’un coup d’Etat militaire comme au Honduras, nos camarades du Grupo Espartaquista de México se sont opposés à cette attaque :
« Cette attaque aurait représenté une menace contre le mince voile “démocratique” qui couvre le capitalisme mexicain instable, et aurait renforcé la tyrannie d’Etat. Nous, les spartacistes, nous sommes opposés aux attaques du PAN contre les droits démocratiques élémentaires de la population tout entière : fondamentalement, le droit des gens de voter pour qui ils veulent. [
] Nous avons adopté cette position sans donner aucun soutien politique au PRD et en expliquant clairement la nature bourgeoise et donc intrinsèquement anti-ouvrière du PRD. »
« Mexique : López Obrador, les droits démocratiques et les tâches de la classe ouvrière », Workers Vanguard n° 853 et 855, 2 et 30 septembre 2005
Défendre les militants syndicaux honduriens et autres victimes d’une répression violente est dans l’intérêt direct du prolétariat international. Les travailleurs et les militants de gauche aux Etats-Unis ont un devoir particulier de défendre les masses honduriennes. Depuis la proclamation de la Doctrine Monroe, la classe dirigeante US considère l’Amérique centrale et les Caraïbes comme son pré carré. Malgré quelques divergences politiques, les administrations de George W. Bush et de Barack Obama ont toutes deux contribué à planter le décor pour le renversement de Zelaya. La Maison Blanche d’Obama a par la suite appuyé le gouvernement issu du coup d’Etat, et a apporté un soutien appuyé au régime de Lobo qui lui a succédé. La Spartacist League/U.S. se bat pour mobiliser contre l’impérialisme US une opposition aux deux partis capitalistes, les démocrates et les républicains, basée sur le prolétariat.
L’Amérique centrale et la révolution permanente
Le Honduras est l’un des pays les plus pauvres de l’hémisphère occidental. Il est situé dans l’isthme de l’Amérique centrale qui est divisé en petits Etats marginalisés, sous la botte de l’impérialisme US. Longtemps encore après la Deuxième Guerre mondiale, le Honduras était la « république bananière » par excellence, dominée par les sociétés United Fruit et Standard Fruit. Mais aujourd’hui l’économie n’est plus complètement dépendante des traditionnelles cultures d’exportation. Il existe aussi un secteur d’industries légères de type maquiladora, qui emploie plus de 100 000 ouvriers. Pour préserver son pouvoir, la minuscule et faible bourgeoisie hondurienne s’appuie sur son corps d’officiers bonapartistes et surtout sur le soutien des impérialistes américains.
Le rôle que joue la bourgeoisie hondurienne pour le compte de l’impérialisme US dans la région est apparu très clairement dans les années 1980, lorsque les forces armées américaines ont utilisé le Honduras surnommé le « porte-avions insubmersible » de Washington comme base stratégique d’opérations contre le Nicaragua sandiniste et les guérillas de gauche au Salvador et au Guatemala. Les sales guerres de l’impérialisme US en Amérique centrale faisaient partie intégrante de sa campagne pour la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique, un Etat ouvrier dégénéré, et pour renverser les acquis de la Révolution cubaine ; derrière les insurgés de gauche, c’étaient Cuba et l’URSS qui étaient visés.
Le Honduras servait de base arrière aux contre-révolutionnaires contras qui cherchaient à renverser dans le sang le gouvernement nationaliste de gauche sandiniste au Nicaragua. L’insurrection de 1979 menée par les sandinistes, qui renversa la dictature honnie de Somoza, avait démantelé l’appareil de répression capitaliste, avec la fuite en exil de la Garde nationale (accompagnée par une partie de la bourgeoisie). Nous avons lutté pour la défense de la révolution nicaraguayenne, en appelant les travailleurs à la parachever en expropriant ce qui restait de la bourgeoisie et à étendre la révolution socialiste dans toute l’Amérique centrale. Après dix ans d’attaques des assassins contras et un blocus de famine imposé par les Etats-Unis, la stratégie sans issue des sandinistes, qui consistait à négocier avec les impérialistes et à permettre aux capitalistes locaux de garder le contrôle de l’économie, a démoralisé les masses nicaraguayennes épuisées. En 1990, un régime bourgeois soutenu par les Etats-Unis a été élu, marquant la reconsolidation d’un Etat capitaliste.
Les Etats-Unis ont aussi fait appel à l’armée hondurienne pour écraser au Salvador le Front Farabundo Martí pour la libération nationale (FMLN) une guérilla de gauche populaire qui combattait la junte militaire meurtrière soutenue par les Etats-Unis. Nous avons appelé à la victoire militaire des militants de gauche salvadoriens et à une révolution ouvrière, en expliquant que la défense de Cuba et de l’URSS commençait au Salvador. Mais la direction front-populiste du FMLN a fait obstacle à une victoire militaire des insurgés. Partisan d’une alliance de collaboration de classes avec une aile « progressiste » de la bourgeoisie salvadorienne, le FMLN était à la recherche d’une « solution négociée » avec le régime des escadrons de la mort. En 1992, les forces de gauche ont finalement signé un accord traître sous la houlette des Etats-Unis, ce qui était une capitulation ignominieuse devant le « nouvel ordre mondial » postsoviétique. Aujourd’hui, les dirigeants sandinistes et ceux du FMLN jouent ouvertement le rôle de politiciens bourgeois à la tête de leur gouvernement capitaliste respectif.
Au cours des dix dernières années, dans une grande partie de l’Amérique latine, l’hostilité populaire à l’encontre des gouvernements pro-impérialistes « néolibéraux » a été canalisée en soutien à une nouvelle génération de populistes bourgeois, de Hugo Chávez au Venezuela à Zelaya au Honduras en passant par Evo Morales en Bolivie. Il ne s’agit cependant pas d’un tournant « anticapitaliste ». Tout en se présentant comme les défenseurs des masses opprimées et exploitées, ces régimes cherchent à canaliser et à endiguer le mécontentement dans un cadre capitaliste, ce qui signifie nécessairement la subordination envers le système capitaliste mondial. Léon Trotsky, qui avait été au côté de Lénine le dirigeant de la Révolution d’octobre 1917, écrivait dans « Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste » (1940) :
« Du fait que dans les pays arriérés le rôle principal n’est pas joué par le capitalisme national mais par le capitalisme étranger, la bourgeoisie nationale occupe une situation sociale inférieure à ce qu’elle devrait être par rapport au développement de l’industrie.
« Dans la mesure où le capital étranger n’importe pas de travailleurs mais prolétarise la population indigène, le prolétariat national joue rapidement le rôle le plus important dans la vie du pays. Dans ces conditions, le gouvernement national, dans la mesure où il essaie de résister au capital étranger, est contraint de s’appuyer plus ou moins sur le prolétariat.
« D’autre part, les gouvernements de ces pays qui considèrent comme inévitable et comme plus profitable pour eux-mêmes de marcher la main dans la main avec le capital étranger, détruisent les organisations ouvrières et instaurent un régime plus ou moins totalitaire.
« Ainsi, la faiblesse de la bourgeoisie nationale, le manque de traditions du gouvernement démocratique, la pression de l’impérialisme étranger et le développement relativement rapide du prolétariat ôtent toute base à un régime démocratique stable. »
La clé de la révolution socialiste au Honduras et dans le reste de l’Amérique centrale et latine, c’est que le prolétariat s’affirme comme force dirigeante à la tête de tous les exploités et opprimés, en opposition politique à toutes les ailes de la bourgeoisie, qu’elles soient « néolibérale » ou populiste. L’exemple de la Révolution russe de 1917, qui a brillamment confirmé la théorie de la révolution permanente de Trotsky, montre la voie à suivre.
Lorsqu’elle a conquis le pouvoir sous la direction des bolchéviks de Lénine, la classe ouvrière a pris en charge les tâches démocratiques historiques qui étaient auparavant associées aux révolutions bourgeoises du XVIIe et du XVIIIe siècle, et elle a entrepris la reconstruction socialiste de la société. Le gouvernement des ouvriers et paysans soviétiques a aboli la propriété privée de la terre en appelant les paysans pauvres à mener à son terme la révolution agraire contre les seigneurs féodaux, et il a libéré le pays du joug impérialiste. L’Etat ouvrier a exproprié la classe capitaliste et a pris le contrôle des moyens de production et du système bancaire, ce qui a conduit finalement à une économie collectivisée avec une planification centralisée. Les bolchéviks, sous Lénine et Trotsky, savaient que pour parvenir au socialisme une société d’abondance matérielle sans classes , il fallait étendre la révolution prolétarienne dans toute l’Europe et aux autres pays industriels avancés.
Il est impossible de se libérer de la domination impérialiste, ni de soulager réellement la misère désespérée des masses, sans un gouvernement ouvrier et paysan c’est-à-dire la dictature du prolétariat soutenue par les paysans. Particulièrement dans un minuscule pays néocolonial comme le Honduras, un tel régime aurait à se battre pour étendre immédiatement la révolution socialiste à l’Amérique centrale et au Mexique, avec son puissant prolétariat. Cette perspective doit inclure la lutte pour la révolution prolétarienne dans le bastion impérialiste que sont les Etats-Unis qui, sous un gouvernement ouvrier, devront mettre à disposition d’énormes ressources économiques et technologiques pour éliminer la pauvreté et permettre un bond qualitatif du développement dans toutes les Amériques. Ce qui est nécessaire, de façon urgente, c’est de construire des partis léninistes, sections d’une Quatrième Internationale reforgée, dans le but de conduire la classe ouvrière à la victoire par des révolutions socialistes dans le monde entier.
Sous la coupe de l’impérialisme US
Manuel Zelaya est un riche propriétaire terrien qui avait été élu président en 2005 en tant que politicien bourgeois classique du Parti libéral, qui historiquement se partageait le pouvoir avec le Parti national. Pendant les six premiers mois de son mandat, Zelaya a été confronté à davantage d’agitation sociale qu’il n’y en avait eu au cours des dix années précédentes. En réaction, il a accepté des augmentations de salaire et une hausse des subventions de l’Etat aux pauvres, qui au Honduras constituent les deux tiers de la population. Zelaya a aussi cherché à réduire le prix de l’essence et le coût élevé de l’énergie au Honduras en procédant à des appels d’offres internationaux pour l’approvisionnement en carburants. Même si c’était très loin de constituer des mesures radicales, cela a provoqué la colère des monopoles honduriens et multinationaux du pétrole.
Confronté à des campagnes orchestrées par les compagnies pétrolières, aux stations d’essence indépendantes qui menaçaient de fermer et aux chauffeurs de bus qui prévoyaient de se mettre en grève, Zelaya a autorisé à la fin de l’été 2007 les importations directes de carburant et a promis de construire des dépôts de carburants publics. En janvier 2008, il a rejoint PetroCaribe, l’alliance pétrolière de Hugo Chávez, ce qui lui a permis d’obtenir du carburant meilleur marché. En août de la même année, en plein effondrement de l’économie mondiale et tandis que le prix du pétrole était au plus haut, Zelaya a adhéré à l’ALBA (Alternative bolivarienne des Amériques), l’alliance politique et commerciale de Chávez. En retour, le Venezuela a proposé d’acheter 100 millions de dollars de bons du Trésor honduriens, le produit de cette vente devant être consacré à construire des logements pour les pauvres. Chávez a aussi proposé un crédit de 30 millions de dollars pour l’agriculture et de quatre millions de dollars pour des ampoules basse consommation ; de son côté, Cuba a planifié d’envoyer davantage de médecins et d’instituteurs.
Les milieux d’affaires honduriens se sont opposés à l’ALBA sur la base que celle-ci nuirait à la « libre entreprise » et interférerait avec l’Accord de libre-échange d’Amérique centrale (ALEAC), qui est l’équivalent pour l’Amérique centrale et la République dominicaine de l’ALENA, l’accord de pillage du Mexique au nom du « libre-échangisme ». L’ancien président conservateur Ricardo Maduro se faisait menaçant : « Ne mordez pas la main qui vous nourrit. » De fait, l’alliance avec Chávez n’a pas fait plaisir aux représentants de l’impérialisme US. D’après un article du 20 avril mis en ligne sur le site web du Congrès nord-américain sur l’Amérique latine, l’ambassadeur américain de l’époque, Charles Ford, avait déclaré à la télévision hondurienne qu’une grande partie des transferts d’argent effectués par les immigrés honduriens aux Etats-Unis provenait du trafic de drogue ! Etant donné que les transferts d’argent représentent 20 % du PNB du Honduras, cette accusation calomnieuse était une menace à peine voilée de bloquer l’aide et de multiplier les expulsions de Honduriens.
Zelaya voulait avoir son mot à dire sur comment et où l’armée américaine opérait au Honduras. En 2006, il a rencontré Bush pour discuter de son plan pour convertir en aéroport civil une partie de la base aérienne militaire de Soto Cano, qui abrite 550 soldats américains de la « Joint Task Force Bravo ». En même temps on annonçait qu’une nouvelle base militaire serait construite et mise « à la disposition » des forces US dans la région de Mosquitia, dans l’Est du Honduras. En 2009, Zelaya a adhéré à l’« Initiative de Mérida », un plan censé être destiné à combattre le trafic de drogue en Amérique centrale et au Mexique.
Aux Etats-Unis, la « guerre contre la drogue » est un prétexte pour la répression gouvernementale, en particulier contre les Noirs ainsi que les Américains d’origine mexicaine et les immigrés latino-américains. En Amérique latine, elle sert de prétexte pour étendre la domination impérialiste et soutenir des régimes pro-américains ; par exemple, l’armée US est présente de longue date en Colombie, pays frontalier du Venezuela de Chávez. Sous l’étiquette de la « guerre contre la drogue », le Costa Rica a récemment autorisé l’entrée sur son territoire de 46 navires de guerre et 7 000 marines américains. En juin dernier, de nombreuses personnes ont été tuées en Jamaïque alors que les Etats-Unis exigeaient du gouvernement qu’il les aide à traquer Christopher Coke, présenté comme un chef de gang. Nous disons : A bas la « guerre contre la drogue » ! Toutes les troupes et bases US hors d’Amérique latine et des Caraïbes !
Le renforcement militaire des Etats-Unis dans la région prend aussi pour cible l’Etat ouvrier bureaucratiquement déformé cubain. L’élimination de la domination de classe capitaliste à Cuba en 1960-1961 a amené d’immenses acquis pour les travailleurs, malgré la présence au pouvoir d’une caste bureaucratique nationaliste dirigée par Fidel Castro. Nous sommes pour la défense militaire inconditionnelle de Cuba contre l’impérialisme US et la contre-révolution intérieure, et nous appelons au retrait des Américains de Guantánamo. En même temps, nous luttons pour une révolution politique contre la bureaucratie castriste, qui s’oppose à la perspective de la révolution prolétarienne dans les Amériques, à laquelle elle préfère la recherche d’alliances avec des régimes bourgeois « amis ».
L’impérialisme US et le coup d’Etat au Honduras
La polarisation dans la bourgeoisie hondurienne a atteint son point culminant en mars 2009, lorsque Zelaya, peu après avoir décrété l’augmentation du salaire minimum, annonça qu’un vote aurait lieu pour mesurer le soutien populaire à un référendum pour une assemblée constituante lors des élections de novembre. Ce scrutin, qui n’avait pas de caractère contraignant, fut déclaré illégal par les tribunaux, et le Congrès, sous la direction de Roberto Micheletti, adopta une loi pour empêcher le référendum. Entre-temps, Zelaya avait demandé à l’armée d’assurer la sécurité et la logistique du scrutin (conformément à la Constitution, ce qui en soi est révélateur du bonapartisme militaire institutionnel au Honduras).
Le 24 juin, après que le chef de l’armée, le général Romeo Vásquez, eut refusé d’obtempérer, il fut limogé par Zelaya. Le lendemain, la Cour suprême décidait que Vásquez serait rétabli dans ses fonctions. Le même jour, Zelaya, à la tête de plusieurs centaines de ses partisans, se rendit dans une base militaire proche de Tegucigalpa pour récupérer des piles de bulletins vierges que ses opposants avaient l’intention de détruire. Des rumeurs de coup d’Etat circulaient, tandis que l’armée déployait des troupes dans la capitale. Aux premières heures du 28 juin, l’armée kidnappait Zelaya, encore en pyjama, et l’expédiait par avion vers le Costa Rica depuis la base de Soto Cano. Ce jour-là, des manifestants bravèrent l’état de siège pour protester devant le palais présidentiel. De grandes manifestations et des grèves suivirent immédiatement.
Dans les semaines précédant le coup d’Etat, l’ambassadeur américain Hugo Llorens et le secrétaire d’Etat adjoint Thomas Shannon Jr. avaient rencontré les opposants politiques et militaires à Zelaya, soi-disant pour leur conseiller de rester dans les limites constitutionnelles. (Llorens a une certaine expérience des coups d’Etat il était le principal conseiller à la sécurité nationale de Bush sur le Venezuela pendant le coup d’Etat raté de 2002 contre Chávez, qui avait été soutenu par les Etats-Unis.) Le New York Times du 30 juin citait un responsable américain qui déclarait sous le couvert de l’anonymat : « On discutait de comment on pourrait retirer le président de son poste, comment il pourrait être arrêté, sous quelle autorité on pourrait le faire. » L’article continuait : « Mais le responsable explique que les spéculations s’étaient concentrées sur les manuvres légales pour retirer le président, non sur un coup d’Etat. »
Si certains néoconservateurs républicains ont ouvertement soutenu le coup d’Etat, les démocrates ont principalement adopté une posture plus critique, mais avec le même but : parvenir à la stabilité sociale au Honduras pour mieux perpétuer une exploitation impérialiste sans entrave. La réaction immédiate de la Maison Blanche d’Obama a été une neutralité ostensible, en appelant « tous les acteurs politiques et sociaux au Honduras à respecter les normes démocratiques ». Le lendemain, les pressions diplomatiques en provenance de l’Amérique latine et d’ailleurs conduisaient Obama à changer de son de cloche : « Nous pensons que le coup d’Etat n’était pas légal et que le président Zelaya reste le président du Honduras. » La secrétaire d’Etat Hillary Clinton a atténué ces propos en refusant de répondre « oui », lors d’une conférence de presse, quand on lui a demandé si « restaurer l’ordre constitutionnel » signifiait rétablir Zelaya à la présidence. Zelaya a de façon répétée appelé l’administration Obama à faire exactement cela, sans succès.
Plusieurs acteurs-clés du coup d’Etat au Honduras et leurs conseillers ont des liens de longue date avec le gouvernement américain et ses guerres sanglantes en Amérique centrale. Le général Vásquez a été à deux reprises élève à l’« Ecole des Amériques » de l’armée de terre américaine, tristement célèbre pour former des officiers à la torture et autres sinistres techniques de contre-insurrection. Billy Joya, un des principaux conseillers de Micheletti, a commandé le Bataillon 3-16 de l’armée hondurienne, entraîné par des conseillers américains et qui dans les années 1980 a été responsable du kidnapping, de la torture et du meurtre de centaines de militants de gauche présumés. Parmi les personnalités américaines qui ont alimenté la campagne contre Zelaya figurait le sinistre Otto Reich, qui a longtemps dirigé la section Amérique latine du département d’Etat, et qui dans les années 1980 était le bras droit de l’ambassadeur John Negroponte, qu’il aidait à organiser les escadrons de la mort et les opérations contras depuis l’ambassade américaine à Tegucigalpa. (Reich a aussi été directement impliqué dans le coup d’Etat anti-Chávez avorté de 2002.)
Après le coup d’Etat au Honduras, l’administration Obama a orchestré le « dialogue » entre les deux parties, discutant du retour de Zelaya à des conditions acceptables pour le régime issu dudit coup d’Etat. Fin octobre 2009, Zelaya et Micheletti signaient l’« accord de Tegucigalpa-San José », aux termes duquel Zelaya acceptait d’abandonner sa proposition d’assemblée constituante en échange de l’autorisation de passer ses dernières semaines de mandat dans un gouvernement d’« unité nationale » qui amnistierait les auteurs du coup d’Etat. Cependant, le régime issu du coup d’Etat n’a pas pu se résoudre au retour de Zelaya et a temporisé jusqu’aux élections de novembre 2009. Largement boycottées, ces élections ont été saluées par les Etats-Unis et sont devenues la base pour pousser à nouveau à la reconnaissance diplomatique du régime hondurien.
Le mouvement d’opposition du FNRP
Les syndicats jouent un rôle marquant dans les manifestations depuis le coup d’Etat, faisant ainsi entrevoir la puissance potentielle du prolétariat hondurien. Cependant la classe ouvrière ne s’est pas manifestée en son propre nom. L’opposition au coup d’Etat s’est regroupée politiquement autour du nationalisme populiste pro-Zelaya de ce qu’on appelle aujourd’hui le « Front national de résistance populaire ». La direction du FNRP inclut des dirigeants syndicaux, des personnalités de la gauche réformiste, des féministes et des militants des droits des Noirs et des peuples indigènes. Mais, comme l’indique un communiqué du FNRP du 12 juillet, la première place y est réservée à Manuel Zelaya, dans la mesure où le Front « reconnaît son rôle dirigeant et le place à la tête de ce projet ». Des dissidents pro-Zelaya du Parti libéral se considèrent aussi comme faisant partie du FNRP.
Le manifeste du FNRP, publié un an après le coup d’Etat, décrit la résistance comme une « combinaison de forces révolutionnaires ». Le cur de la politique du FNRP, c’est le populisme bourgeois l’opposition au néolibéralisme en faveur du mythe d’un capitalisme national « progressiste ». Son programme économique, c’est d’avoir une économie « mixte » qui annulerait « les concessions illégales accordées sous le modèle néolibéral et dans des secteurs stratégiques de la vie économique du pays ». La réalisation de ce modèle populiste doit être obtenue par la lutte « patriotique, pacifique, démocratique » pour une assemblée constituante qui entreprendra la « refondation » du pays.
Les marxistes ne donnent aucun soutien politique à des formations politiques bourgeoises comme le mouvement de résistance du FNRP, qui subordonne les intérêts de classe distincts du prolétariat hondurien à ceux de la bourgeoisie « progressiste ». Ce qu’il faut, c’est un parti ouvrier révolutionnaire, forgé dans la lutte pour l’indépendance politique du prolétariat vis-à-vis de toutes les formations et partis bourgeois. En rompant avec la collaboration de classes nationaliste du FNRP, le prolétariat hondurien doit se faire le champion des revendications et des aspirations des paysans et des autres couches opprimées pour les droits démocratiques, la révolution agraire et la libération du joug impérialiste. Ces revendications ne peuvent être réalisées que par une révolution socialiste qui s’étende à toutes les Amériques.
La collaboration de classes, au nom de la « lutte démocratique » et de la « libération nationale », a une histoire longue et désastreuse en Amérique latine et ailleurs. Comme nous l’écrivions dans la « Déclaration de principes et quelques éléments de programme » de la LCI (Spartacist édition française n° 32, printemps 1998) :
« Le “front unique anti-impérialiste” est la forme particulière que prend le plus souvent la collaboration de classes dans les pays coloniaux et ex-coloniaux, depuis la liquidation du Parti communiste chinois dans le Guomindang de Chiang Kai-shek dans les années 1920 jusqu’aux décennies de prostration de la “gauche” sud-africaine devant le Congrès national africain (ANC) dont les dirigeants sont devenus les hommes de paille du néo-apartheid capitaliste, soutenu par l’impérialisme. Aujourd’hui, en Amérique latine, c’est essentiellement le nationalisme “anti-Yankee” qui sert à fourvoyer les ouvriers combatifs et les paysans insurgés et les pousse à placer leurs espoirs dans les bourgeois “radicaux”. La voie vers la libération, c’est le programme de la Révolution permanente de Trotsky et non les chimères reposant sur la bourgeoisie de son propre pays opprimé, bourgeoisie arriérée et dépendante de l’impérialisme. »
A l’inverse, différents groupes réformistes de gauche avancent un programme qui reste entièrement dans le cadre du capitalisme. Le lendemain de l’expulsion de Zelaya, le Parti pour le socialisme et la libération (PSL) cherchait à faire pression sur le gouvernement Obama pour qu’il agisse contre le coup d’Etat, en proclamant dans un éditorial que « l’indignation mondiale contre le coup d’Etat pourrait changer les calculs de Washington ». Renforçant la subordination politique du prolétariat à son ennemi de classe bourgeois, le PSL et la plus grande partie de la gauche internationale se contentent d’applaudir le FNRP et d’appeler à ce que Zelaya soit rétabli dans ses fonctions.
Affublant le populisme nationaliste de d’un habillage « trotskyste », la Ligue des travailleurs pour le socialisme (LTS) mexicaine et son organisation internationale, la Fraction trotskyste (FT), se réclament parfois de la perspective de la révolution permanente. Mais ils déforment l’essence même de la révolution permanente, qui part du principe que le prolétariat doit diriger tous les opprimés dans la lutte révolutionnaire, indépendamment de la bourgeoisie nationale et en opposition à elle. Au lieu de cela, ils se plaignent que les populistes bourgeois sont incapables de mener suffisamment la lutte « anti-impérialiste » contre les Etats-Unis.
Lors d’une réunion internationale de la FT en août dernier, l’un de ses porte-parole a évoqué la « nécessité de construire une alternative politique révolutionnaire » aux « stratégies » des populistes bourgeois, alternative basée sur « l’organisation indépendante des travailleurs » (La Verdad Obrera, 26 août). En même temps, l’orateur s’est plaint que non seulement le Brésil de Lula et l’Argentine de Kirchner, mais « aussi les gouvernements amis de Zelaya, comme Chávez au Venezuela et Correa en Equateur, n’ont rien fait d’autre que des déclarations refusant d’encourager un mouvement de masse en Amérique latine pour mettre en échec les auteurs du coup d’Etat ! »
Cela s’appelle blanchir ces régimes bourgeois. Chávez, Lula et consorts vivent dans la crainte mortelle que le prolétariat émerge en tant que force indépendante contre l’oppression et l’impérialisme, parce que cela remettrait en cause leur propre domination de classe. Les populistes cherchent à manuvrer entre les différentes puissances impérialistes, ce que Chávez peut se permettre plus facilement grâce aux revenus pétroliers du Venezuela. Mais quels que soient leurs discours et leur politique, en tant qu’administrateurs de l’esclavage salarié capitaliste, ils sont en fin de compte incapables de rompre avec l’impérialisme ils ne peuvent que renégocier les termes de leur propre subordination.
Les partisans de Zelaya rassemblés dans le FNRP disent que Zelaya a « évolué ». Mais il était et demeure un politicien bourgeois tout autant que les politiciens néolibéraux, il est l’ennemi de la victoire des travailleurs et des pauvres urbains et ruraux. Et si on laisse de côté la participation personnelle de Zelaya, le programme nationaliste bourgeois du FNRP est à l’opposé de l’indépendance de classe des travailleurs. Dans toute l’Amérique latine, ce qu’il faut, ce sont des partis trotskystes construits dans la lutte politique contre les illusions dans le populisme et le nationalisme qui sont largement répandues. La lutte pour une fédération socialiste de l’Amérique centrale est étroitement liée à celle des travailleurs du Mexique, des Caraïbes, de l’Amérique du Sud et du Nord. Aux Etats-Unis, la clé pour construire un parti ouvrier révolutionnaire c’est de rompre les chaînes forgées par la bureaucratie syndicale pro-impérialiste qui lient la classe ouvrière et les minorités aux partis du capital, et en particulier au Parti démocrate. Pour la révolution ouvrière dans toutes les Amériques !
|
|
|
|
|