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Le Bolchévik nº 187 |
Mars 2009 |
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Bain de sang sioniste à Gaza Défense du peuple palestinien ! Israël, hors des territoires occupés ! Pour une fédération socialiste du Proche-Orient ! (traduction en arabe) Nous reproduisons ci-après, revue et abrégée pour publication, la présentation de notre camarade Henri Robur lors du meeting de la LTF à Paris le 7 février.
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Probablement plus de 1 500 Palestiniens ont été massacrés par l’armée israélienne dans la bande de Gaza depuis le début de son opération « plomb durci », le 27 décembre. Le gouvernement israélien a délibérément planifié un abominable carnage de civils dans ce territoire qui n’est rien d’autre qu’un camp de concentration géant. Malgré le blocus de l’information imposé par la machine de guerre sioniste, le monde horrifié a pu voir les images des bombardements massifs de quartiers surpeuplés, l’utilisation d’armes particulièrement atroces comme les bombes au phosphore blanc, qui continue à brûler à l’intérieur même des plaies, les rues jonchées de bras, de jambes et de têtes arrachées par les bombes et les obus. Aujourd’hui règne un cessez-le-feu précaire. Mais une nouvelle offensive militaire israélienne à Gaza n’est pas du tout exclue, notamment après les élections israéliennes d’hier. Celles-ci ont en effet été marquées par une forte poussée des partis les plus à droite, le Likoud de Benyamin Nétanyahou et Israël Beitenou d’Avigdor Lieberman. Ces fanatiques avaient reproché au gouvernement sortant d’avoir arrêté la guerre avant d’avoir eu le temps de « finir le travail » à Gaza. Et ils sont aujourd’hui bien placés pour constituer le noyau du prochain gouvernement.
Fin janvier, des journalistes et des représentants d’organisations humanitaires ont pu pénétrer dans les ruines de Gaza. Ils sont revenus avec des témoignages accablants sur les crimes de guerre israéliens. Un habitant du hameau d’Ezbet Abed Rabbo a ainsi raconté à l’envoyé spécial de l’Humanité l’arrivée des chars, le 7 janvier. Des haut-parleurs ont ordonné aux gens de sortir de leur maison. Ce père de famille, Khaled, décrit l’horreur : « J’étais avec ma femme, nos trois filles et ma mère. J’avais un drapeau blanc. Sur le char, il y avait deux soldats. L’un mangeait des chips, l’autre du chocolat. On est resté comme ça pendant plus de cinq minutes, alignés [
]. Soudain un soldat est sorti du char. Il était roux et portait les papillotes des religieux. Il a tiré sur ma petite fille de deux ans, Amal. Ses intestins sont sortis de son ventre. Puis il a visé en rafale celle de sept ans, Sohad. Ma femme s’est évanouie. Il a tiré sur ma mère. » Une ambulance se trouvait à proximité. Les soldats ont fait descendre le chauffeur, ont écrasé le véhicule avec un char, et ont ensuite tué un Palestinien qui voulait aider Khaled à emmener ses enfants blessées à l’hôpital. Deux de ses filles sont mortes. La troisième a survécu, mais est restée paralysée des quatre membres (l’Humanité, 26 janvier). Et cette atrocité n’est évidemment pas un cas isolé.
Nous avons dès le 1er janvier produit un tract appelant à la défense du peuple palestinien (sans donner le moindre soutien politique aux islamistes réactionnaires du Hamas), au retrait d’Israël des territoires occupés, et à une fédération socialiste du Proche-Orient (voir page 29, et la traduction arabe page 32). Nous en avons diffusé des milliers d’exemplaires, notamment sur les manifestations de protestation contre le bain de sang sioniste, qui ont eu lieu à Paris en janvier.
Si le gouvernement israélien a pu ainsi, une fois encore, massacrer des Palestiniens en toute impunité, c’est parce qu’il savait qu’il pouvait compter sur le soutien et la protection des puissances impérialistes. D’abord, bien sûr, les Etats-Unis. L’administration Bush, comme on pouvait s’y attendre, a apporté son soutien total à l’attaque contre Gaza. Mais quasiment tous les politiciens du Parti démocrate, à commencer par Barack Obama, se sont également alignés derrière la guerre menée par l’Etat sioniste. Les impérialistes français et européens ont, eux aussi, réaffirmé dès le début de l’offensive leur soutien à Israël. Et une fois de plus, la complicité des régimes bourgeois arabes pro-américains avec les massacreurs de Palestiniens est apparue dans toute son obscénité, notamment dans le cas de l’Egypte qui a totalement bouclé sa frontière avec Gaza.
La gauche française soutient
l’impérialisme français au Proche-Orient
Quant à la gauche réformiste française, derrière les appels à la « solidarité avec la résistance du peuple palestinien » (Rouge, 8 janvier), sa position réelle consiste à demander aux impérialistes français et européens d’intervenir, diplomatiquement et militairement, pour défendre les Palestiniens et « sanctionner » Israël. Ainsi, l’appel à la manifestation du 24 janvier, signé entre autres par le PCF et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), réclamait « la suspension de tout accord d’association entre l’UE et Israël », « des sanctions immédiates contre Israël » et « la protection de la population de Gaza et de tout le peuple palestinien » (l’Humanité, 24 janvier). Dans la même veine, Olivier Besancenot, le porte-parole de la LCR, avait déclaré le 10 janvier que les manifestations devaient être « un moyen de pression pour faire appliquer les résolutions de l’ONU » (l’Humanité, 12 janvier).
Pour ces réformistes, l’Etat capitaliste français pourrait, sous la pression « populaire » ou (mieux encore), avec l’arrivée aux affaires d’un gouvernement « 100 % à gauche », changer de politique et se mettre à jouer un rôle « progressiste » au Proche-Orient (et ailleurs). Mais l’impérialisme, comme nous l’a enseigné Lénine, n’est pas une « mauvaise politique » ; c’est au contraire l’expression des intérêts fondamentaux de la classe dirigeante capitaliste. Prétendre et chercher à faire croire le contraire, c’est aider cette classe dirigeante à tromper les travailleurs, et tous ceux qui cherchent comment en finir avec ce système d’exploitation et d’oppression.
Ce faisant, ces sociaux-chauvins contribuent activement à saper et à saboter toute mobilisation contre les manigances diplomatiques et militaires sordides de la bourgeoisie française quand ils ne les encouragent pas ouvertement. Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, a « interpellé » le Premier ministre Fillon à l’Assemblée nationale : « La France et ses partenaires européens sont-ils prêts à saisir l’Assemblée générale de l’ONU pour qu’une force de protection internationale assure la sécurité de tous dans la région ? [
] Une force qui ouvrirait la possibilité d’une relance d’un processus de paix digne de ce nom » (l’Humanité, 7 janvier). Deux semaines plus tard, on pouvait lire dans l’Humanité (20 janvier) que Sarkozy avait proposé « d’utiliser les unités navales de la FINUL [forces de l’ONU au Sud-Liban, y compris un fort contingent militaire français] pour sécuriser l’environnement maritime de Gaza ». En clair : Sarkozy offrait d’expédier une frégate de la marine française qui croise actuellement au large des côtes libanaises pour empêcher la « contrebande d’armes » vers la bande de Gaza. On se demande si Buffet va accompagner Sarkozy lors de sa prochaine visite officielle dans la région, comme au Liban en juin 2008 !
Et justement, c’est au Liban qu’en 1982 déjà, le gouvernement français « de gauche » dirigé par le président François Mitterrand, élu avec le soutien électoral quasi-unanime de la gauche et de l’« extrême gauche », Lutte ouvrière (LO) y compris, et dans lequel le PCF occupait quelques strapontins ministériels, avait envoyé une « force d’interposition ». Cette force était censée protéger les Palestiniens des camps de réfugiés de Beyrouth, assiégés par l’armée israélienne. En fait, les paras et les légionnaires français ont désarmé les combattants de l’OLP, préparant ainsi les tueries de Sabra et Chatila : le massacre, plusieurs jours durant, de milliers de civils désarmés par les tueurs des milices phalangistes libanaises lâchés dans ces camps par l’armée israélienne qui les encerclait. Voilà le genre de « protection » que peuvent attendre aujourd’hui les habitants de Gaza de la part de « la France et ses partenaires européens » !
LO n’a pas signé ou publié d’appel explicite à une intervention impérialiste pour sauver les Palestiniens ou « sanctionner » Israël. Comme souvent, le réformisme de LO s’est exprimé « en creux », à travers des reproches rhétoriques adressés aux gouvernements capitalistes. L’« éditorial d’Arlette Laguiller » du 29 décembre illustre parfaitement cette duplicité : « Les Etats-Unis, la France, l’Union européenne, l’ONU se disent en paroles pour la reprise du “processus de paix”. Mais ni les uns ni les autres n’ont condamné franchement la politique israélienne, encore moins fait quoi que ce soit pour contraindre Israël à la modifier » (Lutte Ouvrière, 2 janvier). Bien sûr, si vous mettez ça sous le nez d’un militant de LO, en lui disant que c’est un appel hypocrite à Sarkozy pour qu’il « condamne franchement » la politique israélienne, il va vous répondre que ce n’est pas ce qui est écrit, et que ce n’est pas comme ça qu’il faut le comprendre. Mais un ouvrier « moyen » et c’est précisément à ce type de travailleurs que s’adressent les « éditoriaux des bulletins d’entreprise » de LO ne peut justement pas comprendre cela autrement que comme un appel à ce que « la France, l’Union européenne, l’ONU » changent de politique. Et pour faire bonne mesure, ce même éditorial du 29 décembre laisse ensuite entendre que l’Etat d’Israël aussi pourrait peut-être changer de « politique », en affirmant que « depuis longtemps [il] a choisi de s’appuyer sur l’aide des puissances occidentales plutôt que de tendre la main au peuple arabe ».
Des accords d’Oslo au bain de sang de Gaza
Ce qui est à l’uvre à Gaza, c’est la logique barbare du capitalisme impérialiste et du nationalisme sioniste. Depuis plus de 60 ans, les Palestiniens sont écrasés sous le talon de fer de l’Etat sioniste. Cette oppression s’est intensifiée depuis la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique, en 1991-1992. L’écroulement de l’URSS, qui constituait un contrepoids à l’influence de l’impérialisme américain, a privé l’OLP d’un soutien diplomatique et financier crucial, pavant ainsi la voie aux « accords d’Oslo » signés en 1993 par feu Yasser Arafat sous la houlette du Président américain Bill Clinton. Ces accords ont institué une « Autorité palestinienne », contrôlée par l’OLP, qui joue en fait le rôle de police supplétive de l’Etat sioniste (financée pour une large part par l’Union européenne). Comme nous l’écrivions à l’époque, l’accord d’Oslo n’offrait « même pas l’expression la plus déformée de l’autodétermination. Sous couvert d’accorder l’“autonomie” à la bande de Gaza et à Jéricho, il apposerait le sceau de l’OLP sur l’oppression nationale des masses arabes palestiniennes, opprimées depuis si longtemps » (le Bolchévik n° 125, novembre-décembre 1993). Et nous ajoutions, de manière hélas prémonitoire, qu’en acceptant « ce marché grotesque sur le dos du peuple palestinien assujetti [
], l’OLP permet aux réactionnaires intégristes comme Hamas de se poser comme les seuls à combattre l’occupation sioniste. Le nationalisme arabe petit-bourgeois est apparu comme l’impasse banqueroutière et impuissante qu’il a toujours été. »
En fait de « processus de paix », les accords d’Oslo ont été suivis par l’intensification de la répression dans les territoires occupés et des spoliations de terres palestiniennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est par les colons sionistes spoliations que l’Etat israélien favorise de toutes les manières possibles, et cherche maintenant à officialiser avec la construction du « mur de sécurité » qui rogne encore un peu plus le territoire censé échoir à un futur « Etat palestinien ». Encerclés par 450 000 colons, les Palestiniens de Cisjordanie sont soumis quotidiennement aux humiliations et au harcèlement des checkpoints de l’armée israélienne qui, avec le réseau des routes « réservées aux Juifs », rendent pratiquement impossible tout déplacement d’une ville à l’autre. Soldats et colons sionistes, hors de Cisjordanie et de Jérusalem-Est !
Le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes de banlieue !
Dans le monde entier, des centaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue en solidarité avec le peuple palestinien opprimé. Les manifestations ont été massives dans les pays arabes, mais aussi dans plusieurs pays d’Europe qui comptent d’importantes populations issues de l’immigration en provenance de pays arabes et musulmans. En France, les manifestations ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Ces manifestations ont été marquées par la faible présence de la gauche française, et le boycott ouvert de la part du PS. Pour des organisations comme LO et la LCR, dont les porte-parole ont patiemment construit une « respectabilité » qui leur assure un accès aux plateaux télévisés, se mobiliser massivement dans la rue au côté de jeunes des banlieues, de « barbus » criant « Allah Akbar » et de jeunes filles voilées aurait « fait tache ».
Inversement, les manifestations en France ont été marquées par une mobilisation massive des immigrés d’origine maghrébine et de leurs enfants et petits-enfants venus des banlieues. Il est clair que ces jeunes voient dans la tragédie des Palestiniens un miroir de la terreur policière, de l’oppression et des discriminations racistes omniprésentes qu’eux-mêmes subissent quotidiennement. Trois ans à peine après la révolte générale des banlieues de l’automne 2005, la bourgeoisie n’a pas caché son inquiétude de voir cette même jeunesse des banlieues descendre massivement dans la rue pour crier sa colère et sa révolte contre l’injustice et l’oppression même si, en l’occurrence, cette colère n’était pas directement et immédiatement dirigée contre l’Etat bourgeois français.
Fondamentalement, la bourgeoisie française et ses idéologues doutent de la loyauté de la jeunesse issue de l’immigration maghrébine à la « République ». Non sans raison. Les parents de ces jeunes et leurs grands-parents ont subi dans toute son iniquité l’oppression coloniale, quand la « République » les réduisait au statut discriminatoire de « sujets ». Ils ont connu la répression coloniale ordinaire de la police et de l’armée française, et les massacres et exécutions quand éclataient les révoltes pour se limiter au seul XXe siècle, de la guerre du Rif à la guerre d’Algérie en passant par le massacre de Sétif, en mai 1945. Pendant la guerre d’Algérie, ils ont subi une répression coloniale sanglante aussi en France « métropolitaine », avec notamment le massacre par la police du général de Gaulle à Paris de centaines de manifestants algériens désarmés le 17 octobre 1961. Et ce que vivent aujourd’hui ces jeunes ne risque évidemment pas de nourrir chez eux un amour exagéré de « la République ».
La bourgeoisie française est particulièrement soupçonneuse envers les enfants et petits-enfants d’immigrés algériens, car elle garde le souvenir cuisant de la défaite que lui ont infligée les nationalistes du FLN pendant la guerre d’indépendance. Vous vous souvenez certainement des réactions hystériques quand, il y a quelques années, des enfants d’immigrés, à la fin d’un match de football France-Algérie, avaient envahi (tout à fait pacifiquement) le terrain en brandissant des drapeaux algériens. Ou il y a quelques mois, quand des enfants d’immigrés maghrébins ont eu l’audace de siffler la Marseillaise dans des stades. Donc comme on pouvait s’y attendre, après les manifestations en solidarité avec les Palestiniens massacrés à Gaza, politiciens et journalistes bourgeois ont encore une fois sonné le tocsin, en proclamant la patrie et la république en danger, menacées de destruction par la montée du « communautarisme ».
La lutte des « républicains » contre le soi-disant « communautarisme » des enfants d’immigrés maghrébins est aujourd’hui une couverture idéologique (assez transparente) des campagnes racistes, qui ne sont plus seulement le fonds de commerce politique des fascistes du Front national et de la droite « sécuritaire ». Depuis des années, une partie de la gauche et l’« extrême gauche » réformistes y a joué un rôle actif, en particulier dans la campagne pour l’interdiction du foulard islamique à l’école. Ainsi, en 2003, des militants enseignants de LO et de la LCR se sont activement mobilisés pour exclure d’un lycée d’Aubervilliers deux élèves, Alma et Lila, qui portaient le foulard. LO, à l’époque, avait ouvertement revendiqué ce rôle de fer de lance des exclusions qui ont débouché sur la loi qui les officialisait. La LCR, quant à elle, était divisée. Mais un de ses dirigeants, Pierre-François Grond, a joué un rôle pleinement assumé dans l’exclusion d’Alma et Lila. Nous avons dénoncé ces exclusions pour ce qu’elles étaient, à savoir un acte raciste. Nous écrivions : « Nous défendons Alma, Lila et toutes les filles qui portent le foulard, contre la réaction de l’Etat bourgeois et contre les profs et les autres qui cherchent à les exclure. En même temps, en tant que communistes, nous nous opposons au foulard et au voile qui représentent un programme social réactionnaire pour confiner les femmes dans la famille, dans la maison et dans une position de servitude » (le Bolchévik n° 166, décembre 2003).
Pour faire bonne mesure, les propagandistes bourgeois ne manquent pas de dénoncer l’antisémitisme qui serait, selon eux, omniprésent parmi les enfants et petits-enfants d’immigrés maghrébins. C’est le comble du cynisme, quand on connaît un tant soit peu l’histoire sordide de l’antisémitisme de la bourgeoisie française et de son Etat. C’est la bourgeoisie dont les tribunaux, à la fin du XIXe siècle, ont injustement condamné Alfred Dreyfus au bagne pour trahison. Dreyfus était un officier juif, et la campagne pour sa libération s’est heurtée à une formidable mobilisation antisémite derrière l’Eglise catholique et l’état-major de l’armée. C’est la bourgeoisie dont le régime de Vichy a promulgué dès 1940 un « statut des Juifs » encore plus discriminatoire que la législation hitlérienne, et dont les policiers et gendarmes ont raflé en masse les Juifs pour les expédier dans les camps d’extermination nazis où 75 000 hommes, femmes et enfants ont péri (l’Etat français, en 1942, avait même insisté pour déporter les enfants juifs dont les nazis, initialement, ne voulaient pas).
La campagne contre les jeunes d’origine africaine et notamment maghrébine surgit à un moment où ils sont frappés de plein fouet par la récession. La discrimination raciste les place en effet dans les couches les plus opprimées du prolétariat, comme intérimaires ou en CDD, derniers embauchés et premiers licenciés. La campagne « anti-antisémite » vise à les empêcher de devenir l’étincelle de la révolte contre l’aggravation brutale des conditions de vie du prolétariat. Et c’est pourquoi, plus que jamais, pour préserver sa propre intégrité, le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes des banlieues.
Ceci dit, l’antisémitisme, qui est très présent aujourd’hui dans le monde arabe, existe bel et bien aussi parmi les enfants et petits-enfants d’immigrés. C’est, pour tous les opprimés, un poison idéologique particulièrement sournois. A la fin du XIXe siècle, le marxiste allemand August Bebel avait proclamé que l’antisémitisme était « le socialisme des imbéciles », parce qu’il était utilisé par la grande bourgeoisie et les démagogues populistes à sa solde pour détourner les masses de la lutte révolutionnaire.
Un de ses masques idéologiques contemporains les plus répugnants est la négation de l’Holocauste, l’utilisation par les nazis de techniques industrielles capitalistes pour exterminer systématiquement et consciemment le peuple juif tout entier. L’Holocauste est une des plus grandes abominations de l’histoire de l’humanité, et représente l’expression ultime de la barbarie de l’impérialisme capitaliste en putréfaction. Ce n’est pas par hasard que le négationnisme prospère dans les cloaques réactionnaires les plus pestilentiels. Vous avez sûrement entendu parler de cet archevêque anglais intégriste, Richard Williamson, que le pape Ratzinger vient de réintégrer dans le giron de l’Eglise catholique et qui dans plusieurs interviews récentes a nié l’existence des chambres à gaz et de l’Holocauste.
La réticence de la gauche social-démocrate française à manifester au côté de partisans ou de sympathisants du Hamas tient aussi pour partie à ce qu’elle a historiquement considéré l’OLP et le Fatah comme les incarnations historiques de la « résistance » palestinienne. Pour le Mouvement des indigènes de la république (MIR), c’est désormais au contraire le Hamas qui aurait repris des mains corrompues de l’OLP le flambeau de la « résistance ». Le MIR affirme ainsi, dans une déclaration publiée le 28 janvier, que le Hamas serait désormais « l’épine dorsale de la résistance », « la direction démocratiquement élue des Palestiniens », et qu’il « n’a pas renoncé à la libération de la Palestine et à la résistance » (site internet du MIR). En réalité, les groupes fondamentalistes comme le Hamas ou le Djihad islamique sont des fanatiques religieux antisémites et antichrétiens, qui veulent réduire les femmes à l’esclavage et extirper toute manifestation de progrès social. Le Hamas est issu de l’organisation des Frères musulmans, qui s’est fortement développée en Egypte à la fin des années 1940. Derrière le mot d’ordre « communisme = athéisme = libération des femmes », les Frères musulmans avaient lancé une campagne de terreur contre les communistes et les autres forces laïques. Le Hamas prêche la ségrégation sociale des femmes, le port du hidjeb et l’instauration de la charia, la loi islamique anti-femmes.
Le sionisme, l’impérialisme et la réaction islamique
Loin d’incarner une tradition historique de « résistance », le Hamas a été au début soutenu par Israël, qui voulait ainsi créer un contrepoids aux nationalistes laïques de l’OLP. En 1978, le gouvernement de droite dirigé par Menachem Begin avait autorisé l’« Association islamique » du cheikh Ahmed Yassine, un groupe paravent des Frères musulmans égyptiens. En tant qu’organisation caritative officiellement reconnue, cette association recevait des financements israéliens. Les islamistes attaquaient alors les militants laïques et communistes, mais ne menaient aucune lutte politique ou militaire contre Israël. Mais avec le début de la première intifada, en 1987, les islamistes ont réalisé que s’ils restaient à l’écart de la lutte, ils perdraient tout soutien. Le Hamas a été fondé au printemps 1988 comme un mouvement politique doté d’une branche armée. Son objectif était de fusionner la lutte nationale, qui était auparavant un mouvement laïc avec une composante de gauche, avec le fondamentalisme islamique. C’est seulement à l’automne 1989, après que le Hamas avait tué deux de ses soldats, qu’Israël a rompu ses relations avec ce groupe.
Vers la même époque, à la fin des années 1970, l’Union soviétique était intervenue militairement en Afghanistan pour soutenir un régime nationaliste bourgeois confronté à une révolte armée des mollahs et des chefs tribaux. Cette insurrection réactionnaire avait éclaté notamment parce que le gouvernement avait voulu rendre obligatoire l’enseignement élémentaire pour les filles et encadrer la pratique arriérée de l’achat des femmes en fixant des limites de prix. Les impérialistes, menés par les Etats-Unis, ont alors saisi l’occasion de mener une guerre par procuration contre l’URSS, et se sont mis à financer et à armer massivement cette chouannerie islamique. Avec l’aide du Pakistan, allié de longue date des Etats-Unis, la CIA a ainsi monté la plus gigantesque opération « clandestine » de son histoire (vu son ampleur, sa « clandestinité » est vite devenue très relative).
Dans cette guerre, les forces du régime modernisateur de Kaboul et les troupes soviétiques représentaient clairement le camp du progrès social face à l’arriération sociale et religieuse la plus révoltante. Nous, trotskystes, disions « Salut à l’Armée rouge ! Etendez les acquis d’Octobre aux peuples afghans ! » Car la victoire de l’Armée rouge et de ses alliés afghans aurait ouvert la perspective de l’extension aux peuples afghans des acquis sociaux et économiques de la révolution d’Octobre, dont bénéficiaient alors les peuples de l’Asie centrale soviétique. L’intervention militaire décidée par le Kremlin était également une mesure de défense parfaitement justifiée de l’Etat ouvrier soviétique, et donc des acquis prolétariens de la révolution d’Octobre que celui-ci incarnait. En même temps, cette intervention allait à l’encontre de la politique générale de la bureaucratie stalinienne de conciliation avec l’impérialisme, la « coexistence pacifique ».
Cela aurait dû être évident pour tous les défenseurs du progrès social. Mais le soutien des impérialistes aux islamistes afghans s’accompagnait, en France et dans les autres métropoles impérialistes, d’une campagne anticommuniste d’une violence inouïe pour dénoncer le prétendu « impérialisme » soviétique et soutenir les coupe-jarrets de la CIA, présentés comme d’héroïques « résistants » à la tyrannie et à l’oppression. Et l’« extrême gauche » soi-disant révolutionnaire et « anti-impérialiste » a hurlé avec les loups anticommunistes. En France, LO s’était même tristement distinguée en comparant l’intervention militaire soviétique avec la sale guerre américaine au Vietnam !
En 1989, Gorbatchev a retiré l’Armée rouge d’Afghanistan une trahison que nous avons dénoncée et qui a pavé la voie à la destruction contre-révolutionnaire de l’URSS deux ans seulement plus tard.
Une perspective marxiste pour le Proche-Orient
Nous sommes une organisation marxiste. Nous abordons toutes les questions sociales, politiques ou historiques, à partir de l’antagonisme inconciliable entre les deux classes fondamentales de la société moderne (capitaliste), la bourgeoisie et le prolétariat. Nous savons que la classe ouvrière est la seule force sociale capable d’arracher le pouvoir des mains de la bourgeoisie et de créer une société socialiste enfin débarrassée de toute forme d’exploitation et d’oppression, y compris nationale. Dans des situations dominées par des affrontements et des antagonismes nationalistes, nous luttons par conséquent pour faire prévaloir un réalignement des forces sur la base de l’antagonisme de classe l’unité des prolétaires de tous les pays contre leurs exploiteurs capitalistes.
C’est particulièrement vital dans le cas spécifique du conflit israélo-palestinien, qui oppose deux peuples interpénétrés, autrement dit deux peuples qui revendiquent un même territoire. Sous le capitalisme, l’exercice par l’un des deux peuples de son droit à l’autodétermination nationale c’est-à-dire à constituer son propre Etat indépendant ne peut se faire qu’en déniant ce droit à l’autre peuple. Donc, tant que prédominera le capitalisme, l’oppression du peuple le plus faible en l’occurrence, les Palestiniens se perpétuera.
L’émancipation nationale des Palestiniens nécessitera par conséquent des révolutions prolétariennes pour briser de l’intérieur l’Etat-garnison sioniste, mais aussi pour balayer le royaume hachémite de Jordanie, la dictature policière du Baas syrien et le système confessionnel du Liban trois pays arabes qui abritent tous d’importantes populations palestiniennes. Les régimes bourgeois arabes ont toujours été des adversaires de la lutte de libération nationale palestinienne.
La solidarité des masses arabes avec le peuple palestinien opprimé doit être dirigée vers des révolutions prolétariennes qui renverseront les régimes bourgeois arabes, qui tous autant qu’ils sont que ce soient des nationalistes bourgeois comme en Egypte, en Syrie ou en Libye ou des monarchies islamiques traditionalistes comme en Arabie saoudite sont fondamentalement les agents politiques de l’impérialisme. Sinon, l’hostilité intense et justifiée à l’encontre d’Israël et de ses protecteurs impérialistes servira à renforcer un peu plus les forces du fondamentalisme islamiste, qui se présente aujourd’hui comme la seule opposition « radicale » à des régimes arabes pro-occidentaux. Nous nous tournons au contraire vers les prolétariats de la région, et notamment l’Egypte, qui a été secouée ces dernières années par une vague de grèves et de luttes ouvrières. Pour une fédération socialiste du Proche-Orient !
Cette perspective prolétarienne inclut celle d’une révolution socialiste en Israël même, le pays le plus puissant et le plus avancé, militairement et économiquement, de toute la région. Cela implique de reconnaître le droit du peuple de langue hébraïque à l’autodétermination nationale. De son côté, le prolétariat de langue hébraïque ne pourra pas briser l’unité nationale avec sa bourgeoisie s’il ne prend pas fait et cause pour les droits nationaux du peuple palestinien. Nous ne nous faisons aucune illusion : arracher le prolétariat de langue hébraïque à l’emprise du chauvinisme sioniste et le gagner à une perspective prolétarienne et internationaliste ne sera pas chose facile. Il est plus que probable qu’il faudra pour cela des révolutions prolétariennes victorieuses dans l’un ou l’autre des pays de la région.
Quand nous avançons cette perspective prolétarienne, on nous répond souvent que c’est totalement utopique, et qu’en attendant il faut bien essayer de trouver des « solutions » qui seraient peut-être moins satisfaisantes mais plus « réalistes ». Pour réfuter cet argument, je voudrais vous inviter à prendre un peu de recul historique et à vous projeter 40 ans en arrière, au lendemain de la guerre de 1967. A cette époque, non seulement parmi les Palestiniens mais aussi dans la gauche « anti-impérialiste » du monde entier, ce qui apparaissait comme « réaliste », c’était la perspective incarnée par l’OLP de Yasser Arafat : la libération de la Palestine par la « lutte armée ». L’objectif proclamé de cette « lutte de libération nationale » n’était rien moins que la destruction de l’« Etat colon » sioniste, après quoi la population juive devrait choisir entre l’intégration forcée à la future « Palestine laïque et démocratique » et l’exil vers on ne savait trop où. En réalité, Arafat et Cie savaient bien que les Palestiniens n’avaient jamais eu et n’auraient jamais ni le poids social ni la force militaire pour faire rendre gorge au Goliath sioniste, avec la première armée du Proche-Orient et le soutien des Etats-Unis. Leur véritable perspective était de faire pression sur les régimes bourgeois arabes pour les pousser à lutter contre Israël.
Ensuite, toujours au nom du « réalisme », l’OLP a progressivement révisé à la baisse ses objectifs. Alors qu’en 1971 encore elle proclamait son opposition à « l’établissement d’un Etat palestinien sur une partie seulement de la patrie palestinienne », trois ans plus tard l’OLP acceptait un « mini-Etat » en Cisjordanie, présenté comme une étape vers une « Palestine laïque et démocratique ». En 1988, elle abandonnait formellement cet objectif et acceptait l’existence de l’Etat d’Israël. Ensuite, il y a eu Oslo. Et aujourd’hui, la seule solution « réaliste » qui reste à l’OLP, c’est de supplier les impérialistes de convaincre leur allié israélien de lâcher quelques « concessions » pour restaurer un semblant de crédibilité à l’« Autorité palestinienne ».
Dans le cadre « réaliste » du capitalisme, il n’existe aucune manière équitable de satisfaire les aspirations nationales légitimes du peuple palestinien y compris le « droit au retour », c’est-à-dire le droit de tous les réfugiés chassés de leur terre depuis la guerre de 1948 et de leurs descendants à rentrer dans leur patrie. Comme je l’ai dit, le conflit israélo-palestinien oppose deux peuples interpénétrés dont chacun revendique le même territoire. Ce n’est pas un cas unique on peut citer notamment l’Irlande du Nord ou une grande partie des Balkans.
La question nationale dans le minuscule territoire que se disputent depuis plus de 60 ans Israéliens et Palestiniens est très complexe. Elle a suscité, dès l’époque de la création de l’Etat sioniste, beaucoup d’interrogations et de débats dans le mouvement trotskyste. Notre tendance internationale, issue d’une fraction qui s’est battue pour maintenir le programme trotskyste dans le Socialist Workers Party (SWP) américain au début des années 1960, a poursuivi ce travail de réflexion historique et politique. Je vais essayer de présenter brièvement les principaux éléments qui fondent notre compréhension de cette question. Mais je vous renvoie pour plus de détails à l’article « Une perspective marxiste sur le Proche-Orient » (le Bolchévik n° 162, hiver 2002-2003, inclus dans notre collection sur le Proche-Orient), et pour ceux qui lisent l’anglais, l’article en deux parties « La naissance de l’Etat sioniste » (Workers Vanguard n° 33, 23 novembre 1973, et n° 45, 24 mai 1974).
Naissance de l’Etat sioniste
Les Juifs qui vivaient en Europe, dans le monde arabe ou ailleurs avant la création de l’Etat d’Israël (y compris les quelque 60 000 Juifs qui vivaient en Palestine à la fin de la Première Guerre mondiale) n’étaient pas une nation. En Europe, dans les sociétés féodales précapitalistes, les Juifs constituaient une caste religieuse, confinée par une discrimination rigide à des rôles sociaux particuliers (prêteurs d’argent et certaines activités artisanales). Avec le développement du capitalisme, les Juifs d’Europe ont été en partie assimilés. Mais en Europe de l’Est, à la fin du XIXe siècle, d’importantes communautés juives, avec la décomposition accélérée des sociétés féodales, se sont retrouvées confrontées à l’hostilité de la petite bourgeoisie et des paysans frappés par les crises économiques et le chômage massif. Ceci s’est traduit par des flambées de persécutions (dans l’empire tsariste, on appelait cela des pogromes), et a créé une vague de réfugiés qui ont fui vers l’Europe de l’Ouest et l’Amérique. Cet afflux de réfugiés a provoqué à son tour des flambées d’antisémitisme, notamment en France autour de l’affaire Dreyfus, voire même de véritables pogromes (par exemple en Algérie). En Allemagne, il y a eu bien sûr l’ultime pogrome, l’Holocauste.
Avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler et l’écrasement du puissant mouvement ouvrier allemand en 1933, le sionisme, le mouvement politique qui prônait la création d’un « foyer national juif » en Palestine, n’était qu’une secte d’intellectuels petits-bourgeois sans beaucoup d’influence parmi les Juifs. Dans les ghettos d’Europe de l’Est, les Juifs actifs politiquement étaient influencés soit par le communisme, soit par le Bund, une organisation social-démocrate proche des menchéviks russes. Les persécutions nazies, conjuguées au refus des pays impérialistes « démocratiques », comme la France, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, d’ouvrir leur porte d’abord aux réfugiés juifs désespérés, ensuite aux Juifs qui avaient survécu aux usines à exterminer, ont provoqué des vagues massives d’émigration juive vers la Palestine, et transformé le sionisme en un mouvement de masse.
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les communautés juives sionistes de Palestine étaient déjà une entité nationale distincte. On peut dater assez précisément le moment où cette transformation s’est accomplie : à la suite de la défaite de la grève générale et du soulèvement des Arabes de Palestine, en 1936-1939. Cette révolte contre la puissance coloniale britannique avait trois objectifs principaux : la fin de l’immigration juive et des ventes de terres aux sionistes, et le droit pour les Arabes de Palestine à se gouverner eux-mêmes. La grève et la révolte furent brisées par les Britanniques, avec le soutien actif des sionistes qui en profitèrent pour renforcer leurs implantations et leur milice (la Haganah, ancêtre de l’armée israélienne). Cet épisode entérina aussi la division idéologique et physique du prolétariat de Palestine entre travailleurs juifs et arabes. Après 1939, les Juifs de Palestine avaient créé une économie autonome, pour l’essentielle indépendante des communautés arabes. Cette séparation des deux communautés avait jeté les bases du développement de l’économie juive pendant la Deuxième Guerre mondiale, quand l’isolement de la Palestine obligea à développer de toutes pièces des industries entières. En 1947, au moment du vote par l’ONU du plan de partition de la Palestine en deux entités arabe et juive (avec le soutien de l’URSS de Staline, qui voyait là un moyen d’affaiblir l’impérialisme britannique au Proche-Orient), il y avait en Palestine environ 600 000 Juifs et 1,2 million d’Arabes.
A l’époque de la partition, les Juifs ne possédaient que 6 % des terres en Palestine. Le plan de l’ONU leur accordait 55 % du territoire. La guerre de 1948 allait permettre aux sionistes de consolider leur nouvel Etat en procédant à l’expulsion en masse de la population arabe fuyant la terreur de l’armée et des milices sionistes, une tragédie que les Palestiniens appellent sobrement « la catastrophe » (naqba en arabe). C’est là une différence majeure avec une situation coloniale classique. Contrairement, par exemple, aux colons français en Algérie, les sionistes n’ont en règle générale pas cherché à exploiter la main-d’uvre palestinienne, mais au contraire à chasser les Palestiniens.
Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails tragiques de la guerre de 1948. Je voudrais juste mentionner le rôle des régimes arabes, qui étaient entrés en guerre contre la Haganah, non pas pour « libérer » les Palestiniens, mais pour s’emparer des terres qui leur avaient été promises par le plan de partition de l’ONU. A l’issue de cette guerre, et jusqu’en 1967, l’Egypte contrôlait la bande de Gaza, la monarchie hachémite du roi Abdallah, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. En fait de « solidarité arabe », des dizaines de milliers de réfugiés palestiniens se sont retrouvés parqués dans des camps de réfugiés sordides en Jordanie, au Liban ou à Gaza. Et on se souvient du « Septembre noir » de 1970, quand la monarchie jordanienne a massacré 10 000 Palestiniens dans ces mêmes camps.
Les colonies de peuplement juives de Palestine sont ainsi devenues une nouvelle nation, avec son territoire, son économie, sa langue une langue nouvelle, l’hébreu, créée à partir de ce qui n’était auparavant plus qu’une langue liturgique morte, alors que la majorité des Juifs d’Europe de l’Est parlaient le yiddish, et les Juifs orientaux l’arabe ou le ladino dérivé de l’espagnol médiéval. Il est capital de bien faire la différence entre trois réalités différentes : cette nouvelle nation de langue hébraïque, l’Etat sioniste, et le peuple juif qui existe depuis des siècles tout à fait indépendamment de l’Etat d’Israël et du sionisme. La nation de langue hébraïque est née de la violence et de l’injustice faites à un autre peuple, le peuple arabe palestinien. Mais son existence est désormais un fait accompli. Elle a donc le droit d’exister en tant que nation, c’est-à-dire le droit à l’autodétermination nationale.
Pour la révolution prolétarienne arabe/hébraïque en Palestine ! Pour la révolution permanente !
Bien rares sont les nations qui ne doivent pas leur existence à la guerre, au génocide ou à la spoliation d’autres peuples. Nous ne croyons pas au principe réactionnaire de la culpabilité collective, qui rend les enfants et petits-enfants des génocidaires responsables des crimes de leurs ancêtres. En plus, nous savons que l’idéologie bourgeoise qu’est le nationalisme, y compris celui des peuples opprimés, porte en elle une logique d’exclusion et, au bout du compte, de génocide. Cela peut surprendre aujourd’hui, mais au début du XXe siècle le sionisme suscitait la sympathie sincère de beaucoup d’intellectuels progressistes, justement parce que le sionisme se présentait alors comme l’expression des aspirations nationales d’un peuple victime depuis des siècles d’une oppression particulièrement cruelle. On peut légitimement être choqué de voir des victimes du génocide nazi et leurs descendants se transformer en bourreaux du peuple arabe palestinien, avec une mentalité de « race des seigneurs » pour qui la vie d’un Arabe ne vaut pas le centième de celle d’un Juif. Il n’y a malheureusement là rien de surprenant. L’histoire fourmille, sur tous les continents et à toutes les époques, d’exemples de peuples opprimés qui sont devenus un jour à leur tour des peuples oppresseurs.
Ce qui est par contre scandaleux, c’est de voir de prétendus marxistes s’enthousiasmer pour le nationalisme des peuples opprimés au point de le présenter comme 100 % progressiste, y compris dans sa négation irrédentiste des droits nationaux des peuples « oppresseurs ». Dans les années 1960 et 1970, le courant pabliste, représenté en France par la LCR d’Alain Krivine, s’était fait une spécialité de ce genre de capitulation politique devant les mouvements nationalistes bourgeois et petit-bourgeois du « tiers-monde ». Dans les années 1960, les pablistes avaient inventé le concept de la « révolution arabe » : il ne s’agissait en fait pas d’une révolution au sens habituel du terme, mais plutôt d’un « processus » censé réunir et entraîner dans une même « dynamique de lutte anti-impérialiste » les différentes classes sociales d’un conglomérat hétéroclite de pays constituant la « nation arabe ». Et le fer de lance de cette « révolution arabe » était le mouvement nationaliste palestinien regroupé sous l’étendard de l’OLP.
La capitulation politique de la LCR, et avec elle d’une bonne partie de la gauche, devant l’OLP s’exprimait aussi dans le fait qu’ils ne faisaient aucune différence entre les actions militaires légitimes menées par les nationalistes palestiniens contre l’armée et les forces de répression sionistes (des actions que nous, marxistes, défendons) et les attentats criminels visant de façon indiscriminée des civils israéliens. On retrouve un écho très atténué de cette attitude dans les déclarations récentes de Michel Warschavski, figure historique du courant pabliste en Israël, qui qualifiait récemment les tirs de roquettes du Hamas contre des villes israéliennes d’« actes de résistance légitimes à une occupation que dénonce le droit international » (Rouge, 8 janvier).
Les tirs de roquettes sur les villes israéliennes, et les autres actes de terrorisme indiscriminé visant des civils, sont pour nous d’autant plus indéfendables qu’ils contribuent à souder encore davantage la population de langue hébraïque à la classe dirigeante sioniste. Ils retardent ainsi la prise de con-science que l’Etat-garnison sioniste n’est pas seulement une catastrophe pour les Palestiniens, mais aussi un piège mortel pour les Juifs. Aussi longtemps que l’oppression des Palestiniens se perpétue, les Juifs d’Israël continueront à être la cible de la haine de plus de 100 millions d’Arabes qui les entourent. C’est seulement la classe ouvrière d’Israël Juifs et Arabes qui a la capacité de détruire de l’intérieur la citadelle sioniste. La société israélienne n’est pas une masse uniformément réactionnaire. C’est une société de classe avec un prolétariat de langue hébraïque. Un quart des citoyens israéliens vivent sous le seuil de pauvreté, et les inégalités de revenu sont plus fortes qu’en Egypte ou en Jordanie. Les Juifs séfarades, qui constituent actuellement la base politique des partis de droite et religieux, subissent discrimination et pauvreté. Les Arabes palestiniens, officiellement « citoyens » et qui constituent 20 % de la population d’Israël, sont relégués à des emplois sous-payés et à des quartiers ségrégués.
C’est donc la fausse conscience de la religion et du nationalisme sioniste qui réussissent à souder le prolétariat de langue hébraïque à son ennemi de classe, la bourgeoisie israélienne. Et malgré l’hystérie anti-arabe actuelle, des craquements apparaissent dans « l’unité nationale ». Dès le 3 janvier, des manifestations contre la guerre ont eu lieu dans plusieurs villes, et celle de Tel-Aviv a rassemblé 10 000 personnes. La tâche d’un groupe de propagande marxiste, en Israël, serait d’exploiter ces ouvertures pour commencer à gagner les éléments les plus avancés de la classe ouvrière, Juifs, Arabes ou membres des autres communautés minoritaires, à notre perspective prolétarienne et internationaliste.
Je voudrais pour terminer replacer notre programme pour le Proche-Orient dans un contexte plus large, celui de la théorie de la révolution permanente de Trotsky. Nous voulons forger des partis révolutionnaires marxistes, des partis authentiquement communistes, pour unir le prolétariat de toute la région Arabes, Perses, Kurdes, Druzes, Hébreux, sunnites, chiites, musulmans, chrétiens dans une lutte commune contre l’impérialisme, contre les sionistes, les mollahs, les colonels, les cheikhs et tous les autres régimes capitalistes. Notre perspective, comme je l’ai dit, est celle d’une fédération socialiste du Proche-Orient. Mais la conquête du pouvoir par le prolétariat au Proche-Orient ne signifiera pas l’achèvement de la révolution socialiste. Elle ne sera que le début du changement du cours du développement social. Ce changement ne pourra être consolidé que par l’extension internationale de la révolution, notamment aux centres névralgiques les plus industrialisés et les plus développés du système impérialiste. Cette tâche est la responsabilité des révolutionnaires qui sont amenés à lutter, en France comme dans les autres métropoles impérialistes, pour construire d’authentiques partis révolutionnaires prolétariens, sections d’une Quatrième Internationale reforgée. <f"Wingdings">n
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