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Le Bolchévik nº 176

Juin 2006

De Luc Ferry à Jules Ferry

Lutte ouvrière face aux jeunes des banlieues

Lutte ouvrière (LO) se targue souvent de son caractère « prolétarien » et du fait que, contrairement aux petits-bourgeois radicaux de la LCR, ils sont effectivement extérieurs aux magouilles du PCF pour reconstituer un nouveau gouvernement de « gauche plurielle » capitaliste. Pourtant LO a sa propre pratique de collaboration de classes avec la bourgeoisie, et qui est tout aussi fatale pour le mouvement ouvrier. Celle-ci s’exprime dans son soutien aux forces de l’ordre bourgeois à certains moments de crise clés, comme par exemple quand les jeunes des banlieues se sont insurgés l’automne dernier contre la discrimination et la terreur raciste qu’ils subissent. La bourgeoisie et ses médias ont alors appelé à une répression féroce, et les flics et les juges se sont déchaînés. La Ligue trotskyste de France s’est opposée à cette répression, exigeant la libération immédiate de tous les jeunes emprisonnés et la levée de toutes les inculpations. Nous faisions remarquer (le Bolchévik n° 174, décembre 2005) :

« Une attaque contre un est une attaque contre tous. Le mouvement ouvrier tout entier […] doit se mobiliser en défense de ses frères de classe plus vulnérables, les travailleurs originaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest notamment, qui forment une composante stratégique du prolétariat de ce pays, que ce soit dans le bâtiment, dans l’industrie automobile ou parmi les éboueurs de la ville de Paris. […] A bas Vigipirate ! A bas les expulsions racistes et les charters ! Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici ! Troupes françaises, hors d’Afrique ! »

A l’époque, le PS soutenait l’état d’urgence – un maire PS appelant même à une occupation militaire des cités – et le PC exigeait aussi le rétablissement de l’ordre. Lutte ouvrière a ajouté sa voix à l’hystérie répressive en signant un appel à rétablir l’ordre ! Cet appel disait explicitement « Faire cesser les violences, qui pèsent sur des populations qui aspirent légitimement au calme, est évidemment nécessaire. Dans ce contexte, l’action des forces de l’ordre, qui doit s’inscrire dans un cadre strictement légal et ne pas conduire à des surenchères, ne saurait être la seule réponse » (voir Lutte de classe, février). LO n’a pas hésité à s’en remettre aux chiens de garde du capital, la police, pour rétablir l’ordre, ce qui est en contradiction flagrante avec leur intention proclamée de se débarrasser du capitalisme et « remplacer l’Etat de la bourgeoisie ».

Quand la minorité de LO a dénoncé cette trahison lors de leur congrès de décembre dernier, le dirigeant historique de Lutte ouvrière, Robert Barcia (alias Roger Girardot) est monté au créneau pour dire que d’avoir signé cet appel à la police était « une ânerie bien sûr, mais mineure ».

Mais cette « ânerie » n’est pas juste un accident, c’est un exemple extrême de la ligne que LO défend depuis fort longtemps. Quand, plus récemment, la bourgeoisie manœuvrait pour diviser le mouvement contre le CPE entre jeunes des banlieues, assimilés à des « casseurs », et étudiants, quand la presse a monté en épingle quelques incidents de vol de portable, etc., LO, comme la quasi-totalité des organisations de gauche, s’est jointe à la croisade contre les « casseurs » et les « voyous », des mots de code sarkozystes et racistes pour désigner les jeunes des banlieues. Les militants de LO sont bien sûr dans leur tête des antiracistes convaincus, mais leur programme économiste (le fait qu’ils prennent pour point de départ simplement la lutte économique des travailleurs contre les patrons et le gouvernement) fait qu’ils évacuent en général la nécessité d’une lutte consciente pour gagner les travailleurs à la nécessité de défendre les couches les plus opprimées de la population ; ils se retrouvent ainsi avec une ligne souvent insensible à la question du racisme, et qui au pire excuse les atrocités racistes commises par les capitalistes, comme l’exclusion des jeunes femmes voilées des écoles publiques.

Au moment des manifestations contre le CPE,LO étaitaux premiers rangs des cordons sanitaires pour protéger les cortèges étudiants de la soi-disant infection banlieusarde (voir notre tract du 29 mars « Libération de tous les jeunes emprisonnés »). LO, tout en reconnaissant que les « casseurs » « ne sont pas tous des éléments n’ayant rien à voir avec le mouvement » (texte du 1er avril publié dans Lutte de classe du même mois), a accusé ces jeunes qui par moments pètent les plombs à force de harcèlement policier et de ségrégation raciste, de venir « seulement pour se défouler ou pour trouver un milieu facile à dépouiller ».

LO relaie ainsi la peur du désordre et du crime, ce qui implique que les « forces de l’ordre » doivent fermement contrôler leurs victimes potentielles. Ce n’est pas la première fois que LO se distingue par son soutien à la police, si seulement elle est démocratique et de proximité (voir par exemple nos articles parus dans le Bolchévik n° 158, hiver 2001-2002, et n° 173, septembre 2005). En réalité la fonction des forces armées, flics, matons et armée, c’est de réprimer les travailleurs et les opprimés ici, torturer et tuer ceux qui luttent contre l’oppression coloniale et néocoloniale impérialiste, etc., afin que les capitalistes puissent dormir sur leurs deux oreilles sans crainte que le flot des profits s’interrompe, et encore moins qu’il y ait une révolution communiste. Nous disons au contraire que les flics et les matons ne sont pas des travailleurs en uniforme ; ce sont les chiens de garde du capital contre le mouvement ouvrier. Flics, matons, hors des syndicats !

Toute la structure de l’idéologie raciste repose sur une base matérielle : l’oppression spécifique d’une partie de la classe ouvrière, qui fait intégralement partie de la tyrannie de classe des capitalistes dans ce pays.Les immigrés et leurs enfants sont une population utilisée par la bourgeoisie comme une armée de travailleurs de réserve, à utiliser en période d’expansion économique, et à mettre au rancart en période de crise économique. Une telle armée de travailleurs de réserve sert aussi à intimider les ouvriers et abaisser le salaire de tout le monde. Aujourd’hui, avec la montée du chômage, les jeunes issus de l’immigration sont considérés comme une population « en trop » qui peut être expulsée, mise en prison ou tuée en toute impunité. Seul le renversement du capitalisme pourra libérer de l’oppression ces couches les plus défavorisées de la classe ouvrière et pour cela il faut un parti révolutionnaire capable d’unifier la classe ouvrière dans la lutte contre les ravages du capitalisme, et de mener une lutte en opposition, et non en collaboration, avec la bourgeoisie.

Aujourd’hui, tout comme une bonne partie du mouvement ouvrier, Lutte ouvrière s’est lancée dans la mobilisation en défense des droits des immigrés contre la nouvelle loi raciste de Sarkozy. Le numéro du 5 mai de leur journal Lutte Ouvrière comporte par exemple pas moins de sept articles en défense des sans-papiers et des immigrés, sans compter un huitième article sur les mobilisations massives aux Etats-Unis de la population latino contre les nouvelles lois anti-immigrés là-bas (à remarquer toutefois que le mot « racisme » est absent de tous ces articles).

LO défend des droits démocratiques pour les non-citoyens, mais ils ne veulent pas toucher l’oppression profondément enracinée des jeunes de banlieue qui ont des papiers français, et qui sont la cible principale de la répression raciste de la bourgeoisie pour essayer de diviser et par là affaiblir la classe ouvrière. Le PCF, qui s’oppose comme LO à la loi Sarkozy, fait actuellement circuler une pétition qui appelle à l’« amnistie des jeunes anti-CPE » dans laquelle il prend bien soin d’éviter de défendre les « casseurs » ou les jeunes des banlieues. Arlette Laguiller de LO a signé cette pétition. La LTF pour sa part fait circuler sa propre pétition qui exige explicitement l’amnistie de tous ceux qui ont été condamnés, « ainsi que celle des jeunes condamnés pour leur participation au mouvement contre la loi Fillon ou à la révolte des banlieues ».

Pour le PCF et ceux qui sont à sa traîne, la mobilisation contre la très réactionnaire loi Sarkozy est une manière commode de rassembler la classe ouvrière derrière un nouveau front populaire. Le front populaire, un projet de collaboration de classes liant les partis de la classe ouvrière à des organisations bourgeoises, comme les chevènementistes ou les Verts, dans le but de gérer le système capitaliste, sert à démoraliser le prolétariat et miner sa combativité. Tout en se donnant des airs « antiracistes » pour gagner les voix des électeurs de gauche, les réformistes donnent des gages à la bourgeoisie qu’ils sont prêts à faire le sale boulot nécessaire pour maintenir le capitalisme. Il y a dix ans ces mêmes forces ont mobilisé en défense des sans-papiers, mais le gouvernement Jospin-Buffet, une fois au pouvoir en 1997, a continué à les persécuter et a aggravé la législation raciste déjà en vigueur, par exemple avec la « loi sur la sécurité quotidienne ». Et aujourd’hui les mesures racistes de Sarkozy à leur tour signifient simplement une aggravation supplémentaire de cette loi (voir notre article en première page).

L’acceptation par les bureaucrates syndicaux et les organisations réformistes de l’oppression raciale est la conséquence directe de leur perspective de collaboration de classes. Les dirigeants ouvriers, qui sont capables de mobiliser dans la rue des dizaines de milliers d’ouvriers, n’ont presque rien fait pour s’opposer à Vigipirate et la terreur policière devenue pratiquement la routine dans les cités des banlieues.

Les jeunes des banlieues et le « lumpen-prolétariat »

Les jeunes des banlieues, face à une situation sans espoir, face à l’exclusionnisme républicain, se sont livrés l’automne dernier à une révolte brute suite à la mort de Zyad Benna et Bouna Traoré, atrocement électrocutés alors qu’ils fuyaient l’une de ces rafles policières racistes qui sont le quotidien des jeunes à la peau foncée dans les cités-ghettos. Des milliers de voitures ont brûlé, et même des écoles. Ces jeunes, en tant que lycéens ou chômeurs, n’ontpar eux-mêmes guère de puissance sociale, et sont vilipendés par les réformistes qui, comme la bourgeoisie, voient en eux l’« ennemi intérieur ». Leur explosion était la seule manière qu’ils voyaient de se faire entendre.

Pour justifier le fait qu’ils ont signé un appel à rétablir l’ordre, LO se cache derrière les actes de vandalisme désespéré des jeunes des banlieues en donnant à entendre que cette révolte des banlieues était un mouvement dominé par le lumpen-prolétariat (des éléments déclassés, en marge de la société) que les ouvriers n’avaient aucun intérêt à défendre. Au congrès de LO Barcia se faisait l’écho de l’hystérie capitaliste en fustigeant ceux « qui ont choisi les cocktails molotov, ce qu’on ne fabrique pas sans y penser, contre les bus, contre les écoles, contre tout et n’importe quoi et y compris les chauffeurs et les vieilles dames, sans se soucier, si elles pourront sortir du bus. Et il y avait aussi des jeunes ou des moins jeunes qui sont simplement irresponsables et qui ont suivi par bêtise. »

Tout en reconnaissant qu’il y avait dans ce mouvement « des enfants d’ouvriers » et « des jeunes travailleurs sans emploi », Barcia insiste sur « la distinction entre lumpen prolétariat et prolétariat ». Citant  ceux qui vivent de « la débrouille, les trafics et les larcins de tout genre », il déclare que « c’est déjà le lumpen prolétariat, et ce n’est pas ce qu’il y a de mieux. C’est ceux que Le Pen paiera pour casser la figure aux grévistes et aux militants » (Lutte de classe, février).

Il fallait être Barcia pour y penser : quand des milliers de jeunes se révoltent contre le « manque de respect », les propos racistes de Sarkozy contre eux et la mort de deux jeunes, qu’ils auraient pu être eux-mêmes, Barcia y voit de la graine… de lepénisme. En fait, des fascistes comme Le Pen se sont développés à travers l’Europe en avançant un programme de « purification ethnique » – l’expulsion en masse des non-Européens qui vivent dans leur pays. Ce sont les campagnes racistes, menées aussi bien par la gauche au pouvoir que par la droite, qui gonflent les voiles des fascistes.

Des émeutes comme celle-ci sont l’expression du désespoir des jeunes sans travail, si marginalisés qu’ils sentent qu’ils n’ont aucun pouvoir pour changer quoi que ce soit dans la société. Malgré toute l’énergie dépensée et la dévastation infligée, ce genre d’explosion n’apporte aucun changement. C’est pourquoi il est tellement important que la classe ouvrière, qui est la force sociale qui a l’intérêt et le pouvoir de renverser tout ce système capitaliste d’exploitation, de racisme et de misère, se batte pour améliorer les conditions de vie dans ces quartiers dévastés.

Et les jeunes des banlieues ne sont pas tous des chômeurs totalement désocialisés. Il suffit d’aller à l’heure du changement d’équipe devant une usine automobile, que ce soit Citroën-Aulnay ou Renault-Flins, pour se rendre compte que les travailleurs marocains et africains venus dans les années 1960 et 1970 ont en partie été remplacés par des jeunes des cités de même origine, leurs enfants et petits-enfants pour certains. Ces prolétaires à la peau foncée ne sont pas de simples victimes sans défense, mais une composante très importante des forces capables de détruire le système capitaliste raciste. En plus, beaucoup de ces travailleurs représentent potentiellement un pont vers les masses ouvrières et paysannes du tiers-monde néocolonial, un lien vivant pour une perspective internationale socialiste.

Pour à la fois s’attaquer à la crise du logement et au chômage endémique, il faudrait de vastes projets de construction et de travaux publics, y compris dans les moyens de communication pour désenclaver les cités – il n’y a même pas de gare à Clichy-sous-Bois, d’où est partie la révolte des banlieues à l’automne dernier. Il faudrait construire à la fois de très grands logements pour les familles nombreuses, et aussi des logements plus petits en nombre suffisant pour les jeunes qui veulent s’émanciper de la tutelle familiale. Cela exigerait des embauches massives, pour répartir le travail entre toutes les mains, sans perte de salaire. Cela permettrait de faire la jonction alliant la colère des masses dépossédées des cités-ghettos avec la puissance sociale du prolétariat multiethnique de ce pays. Cela poserait la question d’une révolution ouvrière, car manifestementle système capitaliste décadent ne peut pas satisfaire ces revendications vitales pour la survie du prolétariat.

Le mouvement ouvrier devrait se mobiliser immédiatementen défense de tout segment de la population en butte à la terreur policière, qu’il s’agisse d’ouvriers ou pas, qu’il s’agisse de jeunes à la peau foncée, de prostituées, de Roms, d’adeptes de religions minoritaires (dites « sectes »), d’homosexuels empêchés de se marier ou d’adopter des enfants, de femmes auxquelles on interdit d’avorter après la quatorzième semaine d’aménorrhée, etc. C’est le rôle d’un parti d’avant-garde de pousser ces questions pour que la classe ouvrière comprenne non seulement sa propre exploitation économique dans l’usine, mais qu’elle comprenne le fonctionnement du système capitaliste oppressif dans son ensemble et le rôle de l’oppression raciste pour perpétuer le système. Nous luttons pour construire un parti révolutionnaire multiethnique qui soit un « tribun populaire », comme disait Lénine, « sachant réagir contre toute manifestation d’arbitraire et d’oppression, où qu’elle se produise, quelle que soit la classe ou la couche sociale qui ait à en souffrir, sachant généraliser tous ces faits pour en composer un tableau d’ensemble de la violence policière et de l’exploitation capitaliste, sachant profiter de la moindre occasion pour exposer devant tous ses convictions socialistes et ses revendications démocratiques, pour expliquer à tous et à chacun la portée historique de la lutte émancipatrice du prolétariat » (Que Faire ?)

C’est par l’intervention d’un parti léniniste dans la classe ouvrière que celle-ci pourra acquérir une telle conscience révolutionnaire.

L’assimilationnisme républicain de LO

Mais LO est bien loin de tracer une telle perspective. Pour LO au contraire, le problème des banlieues, et sa solution, se réduit presque entièrement à une question d’éducation et d’accroître les subventions gouvernementales. Dans un discours du 8 novembre 2005, Arlette Laguiller s’en prenait aux jeunes davantage qu’à la police, se lamentant que « les jeunes de banlieue, jusqu’aux enfants, aient perdu toute notion de solidarité, tout sens social et que, pour s’exprimer, ils s’adonnent à cette violence stérile ». Pour y remédier, elle declare :

« Ce serait à l’Etat d’assumer sa responsabilité. Ce serait à l’Etat d’embaucher et de former des enseignants en nombre suffisant, à commencer dans les écoles maternelles et les écoles primaires. Il faudrait des effectifs d’élèves peu nombreux, une douzaine par enseignant, pour qu’ils puissent faire correctement leur travail et que les enfants puissent trouver à l’école ce qu’ils ne peuvent pas trouver dans leur milieu familial. »

Lutte Ouvrière, 11 novembre 2005

Dans le même numéro de son journal, LO dit même que les jeunes n’ont pas appris « un minimum de langage permettant de comprendre un raisonnement », ni « à lire correctement en pouvant assimiler des textes un peu complexes ».

Si la bourgeoisie « ne veut pas consacrer de l’argent à tout cela » (comme dit LO), il y a des raisons matérielles à cela : c’est tout simplement parce qu’elle n’a aucun profit à en retirer. Les jeunes des banlieues sont de jeunes citoyens français et ils refusent les conditions de travail et de salaire que veulent leur imposer les capitalistes (c’était l’enjeu du CPE), et que les sans-papiers et les immigrants d’Europe de l’Est sont, eux, bien obligés d’accepter. Le capitalisme français décadent, en pleine désindustrialisation, ferme ses usines les unes après les autres, et c’est pour cela qu’il n’a aucune raison de mettre de l’argent dans l’éducation pour former des travailleurs qualifiés et d’un niveau culturel élevé. Il est au contraire contraint de liquider l’Etat-providence pour augmenter le taux de profit des capitalistes français, condition impérative pour qu’ils puissent faire face à la concurrence de leurs rivaux étrangers.

Contrairement aux mensonges de la bourgeoisie, que recrache ici LO, l’Etat bourgeois n’est pas au-dessus des classes sociales. Il n’est ni neutre, ni susceptible d’aider les « classes populaires » : l’Etat est un appareil d’oppression d’une classe par une autre. C’est une machine de répression : l’armée, les flics et les tribunaux sont là pour défendre la domination de classe et les profits des capitalistes contre les travailleurs qu’ils exploitent. Leur fonction est d’empêcher ceux qui créent les richesses de la société d’en prendre possession et de maintenir au pouvoir ceux qui empochent les profits. Comme l’écrivait le révolutionnaire russe Boukharine à propos de l’école bourgeoise dans l’ABC du communisme en 1920 :

« De la même façon, l’Etat capitaliste éduque pour l’abêtissement, l’abrutissement et la domestication du prolétariat, des techniciens, des maîtres d’école et des professeurs bourgeois, des prêtres et des évêques, des écrivailleurs et des journalistes bourgeois. A l’école, ces spécialistes apprennent aux enfants, dès l’âge le plus tendre, à obéir au Capital, à mépriser et à haïr les révoltés ; on leur débite des contes à dormir debout sur la Révolution et le mouvement révolutionnaire ; on glorifie tsars, rois, industriels, etc. »

Nous sommes assurément pour investir massivement dans l’éducation. Mais cela pose la question de renverser ce système capitaliste qui ne veut ni ne peut éduquer sa jeunesse. Au lieu de cela LO se prend de nostalgie pour… l’école capitaliste de Jules Ferry de la fin du XIXe siècle ! Barcia a ainsi déclaré lors de la dernière conférence nationale de LO fin 2005 :

« C’est la IIIe République qui, avec des méthodes d’éducation qu’on récuserait aujourd’hui – les coups de règle sur les doigts, le par-cœur, le bonnet d’âne au coin – qui a appris à parler français, à le lire et à l’écrire, à des petits Bretons, des Auvergnats, des Basques, etc. qui étaient issus de familles d’immigrés de l’intérieur. Ils n’ont pas tous fait des études secondaires et supérieures, loin de là, mais ils ont su lire, écrire et compter. Aujourd’hui c’est moins vrai. »

Lutte de classe, février

L’école de la IIIe République était en réalité l’école du chauvinisme français où les enfants de colonisés d’Afrique apprenaient à répéter « nos ancêtres les Gaulois ». Son symbole, Jules Ferry, était l’un des partisans les plus enragés du colonialisme français, notamment au Maghreb et en Indochine. Ferry, après une défaite militaire au Tonkin en Indochine (d’ailleurs on le surnommait Ferry-Tonkin), déclarait au Parlement en 1885 :

« Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures […] parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. »

Ferry fut de ceux qui en 1871 disaient des communards : « On n’en fusillera jamais assez. » Il s’opposait au maintien des écoles confessionnelles avec l’argument qu’« il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être par l’idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871 ».

La bourgeoisie française n’a jamais eu l’intention de permettre qu’une partie de la population française ait la peau foncée et soit non-chrétienne. Comme nous le faisions remarquer dans « Immigration et oppression raciste en Europe » (Spartacist n° 29, été 1996) :

« La société bourgeoise française se vante de ce que la France n’est pas raciste, au sens américain d’une discrimination basée sur la couleur de peau. Ceux qui s’assimilent à la “culture française”, explique-t-on, seront acceptés comme français. C’est l’argumentaire “laïque” qui sert de justification à des mesures racistes, comme l’exclusion de jeunes filles d’établissements scolaires parce qu’elles portent le hidjeb. Un obstacle particulier à l’assimilation est que dans ce pays, le racisme est aussi un héritage du colonialisme. Les anciens colonisés, que la bourgeoisie a toujours considérés comme des sous-hommes à “civiliser” à coups de fusil, de Bible et de Marseillaise, forment aujourd’hui l’essentiel de “sa” main-d’œuvre immigrée. Et l’oppression raciste antimaghrébine est exacerbée encore par la haine que la bourgeoisie voue au peuple algérien qui a vaincu l’impérialisme français et arraché son indépendance nationale en 1962. »

LO et le voile islamique, de Paris à Kaboul

LO, qui a de nombreux enseignants dans ses rangs, prend depuis 15 ans une part active aux expulsions de jeunes femmes voilées hors des écoles. Nous avons au contraire toujours fait campagne contre ces expulsions racistes qui ne font que rejeter ces femmes dans le monde clos et oppresseur de leur famille. LO a joué un rôle d’« avant-garde » dans l’exclusion d’Alma et Lila Lévy d’un lycée d’Aubervilliers en banlieue parisienne, un cas qui a défrayé la chronique à l’automne 2003, et a de fait pavé la voie à la loi raciste de Luc Ferry, ministre de l’Education à l’époque, interdisant le voile. (Les profs de LO ont d’ailleurs fait ce coup avec un autre prof dans le même lycée, Pierre-François Grond, membre du bureau politique de la LCR.)

Bien sûr LO argumente que c’est soi-disant pour leur bien qu’elle les exclut de l’école. Leur argument favori, c’est que l’interdiction du foulard permet aux femmes qui veulent lutter contre l’imposition par leur famille du voile oppresseur, de se soustraire à cette obligation. Ils argumentent aussi que cela permet de dissuader les prosélytes qui veulent augmenter la pression sur les jeunes femmes pour adopter le voile, qui effectivement symbolise l’oppression des femmes dans les sociétés patriarcales et dans des religions comme l’islam ou le catholicisme.

En déportant ainsi le débat sur l’oppression des femmes et la montée de la religion, LO essaie de faire disparaître le contexte de cette campagne : la montée du racisme antimaghrébin, désignant la population originaire d’Afrique du Nord comme un vivier pour l’intégrisme islamiste et de là pour le terrorisme. LO a complètement absorbé cette campagne et c’est pourquoi elle maintient un silence complice sur Vigipirate, ce plan de quadrillage raciste par l’armée et la police de l’espace public et notamment des moyens de transport.

En fait avec la loi Ferry-Chirac de février 2004 contre le foulard LO voit l’Etat bourgeois français comme une force qui peut aider à lutter contre la montée de l’obscurantisme religieux. Arlette Laguiller est allée jusqu’à célébrer cette loi dans le cadre de la journée internationale des femmes à Paris, le 6 mars 2004, en manifestant bras dessus, bras dessous, avec Nicole Guedj, UMP, alors secrétaire d’Etat à la construction des prisons ! Tout un programme pour les jeunes de banlieue. (Laguiller se montrait en même temps avec Fadela Amara, qui dans son livre mal nommé Ni putes ni soumises remercie chaleureusement la société Accor pour son sponsoring – une opération de « com » antiraciste à pas cher pour Accor, dont l’hôtel Ibis à Roissy sert de centre de rétention pour étrangers en attente de déportation.) LO enjolive et répand ainsi des illusions dans l’Etat bourgeois républicain, qui est la source première dans ce pays de l’oppression raciste, et de ce fait la véritable source de la montée de la religion islamique. C’est là qu’on voit le réformisme de LO : au lieu de lutter pour détruire l’Etat bourgeois par une révolution ouvrière, LO renforce son autorité « laïque ».

Effectivement il y a une montée de la religiosité notamment parmi les jeunes originaires du monde musulman (voir notamment la récente enquête de Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, Français comme les autres ? Enquête sur les citoyens d’origine maghrébine, africaine et turque) ; face au chômage de masse, à l’exclusion du logement, de l’éducation, les jeunes se tournent davantage que leurs parents vers la religion qui est, comme le soulignait Marx, le « cœur d’un monde sans cœur ». C’est pourquoi la seule manière de lutter contre l’obscurantisme religieux n’est pas d’enjoliver l’Etat français laïque (catholique), mais tout au contraire de lutter pour mobiliser la classe ouvrière contre la ségrégation et la terreur raciste de l’Etat bourgeois français.

La LTF s’est toujours battue avec acharnement contre le voile et contre la réaction islamiste et nous continuons à le faire. Et c’est en Afghanistan qu’on a pu voir le plus clairement qui voulait sérieusement lutter contre l’oppression des femmes voilées. De 1979 à 1989, quand l’Armée rouge soviétique était en Afghanistan, les femmes afghanes n’étaient pas soumises à la burka. Elles étaient formées comme infirmières, enseignantes et soldates. C’est tout le contraire de ce qu’ont fait les capitalistes français pendant la colonisation en Algérie, car l’Union soviétique était un Etat ouvrier ; malgré l’usurpation du pouvoir politique par une caste parasitaire stalinienne, le fondement social de l’URSS reposait sur l’expropriation des capitalistes et la collectivisation de l’économie, incompatibles avec l’exclusion moyenâgeuse des femmes sous la burka. Alors que les impérialistes des USA et de la France soutenaient et armaient les réactionnaires islamistes qui voulaient revoiler de force les femmes et tuer le plus possible de soldats soviétiques, nous avons dit « Salut à l’Armée rouge en Afghanistan ! Etendez les acquis d’Octobre [1917] aux peuples afghans ! », et nous avons dénoncé le retrait des troupes soviétiques en 1989 comme une lâche trahison de la bureaucratie stalinienne, qui a pavé la voie à la contre-révolution en URSS même en 1991-1992.

LO, qui aujourd’hui se cache derrière son opposition au voile pour exclure les jeunes filles des lycées, condamnait et condamne toujours l’intervention soviétique en Afghanistan, la comparant à celle des impérialistes au Vietnam. Le fruit amer du retrait soviétique en Afghanistan c’est l’horreur qui en résulte aujourd’hui. N’en déplaise à ceux qui versent des larmes de crocodile sur le sort des femmes afghanes et sur la montée de l’islam dans le monde aujourd’hui, la réalité c’est que la chute de l’Union soviétique en est au fond la cause. La destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique, en faisant reculer l’idéal du socialisme dans la conscience des travailleurs, a amené un retour de la religiosité, de la Russie orthodoxe à l’Amérique protestante, au monde islamique, et aux banlieues ici.LO a refusé de s’opposer à la pire racaille islamiste en Afghanistan dans les années 1980, et aujourd’hui ils se plaignent des islamistes en France.

Tant qu’existait l’Union soviétique, un Etat ouvrier qui symbolisait un espoir pour tous les ouvriers du monde en dépit de la dégénérescence stalinienne, les bourgeoisies d’Europe avaient besoin de s’assurer du soutien ou au moins de la neutralité de leur classe ouvrière pour la guerre froide contre l’URSS, et elles ont concédé une série d’acquis aux ouvriers. Avec la chute de l’Union soviétique en 1991-1992, les bourgeoisies ont commencé à détruire systématiquement ces acquis. La bourgeoisie a alors opté pour la « tolérance zéro » : zéro immigration, zéro aide sociale aux jeunes issus de l’immigration, zéro infraction impunie. Les discours de soi-disant tolérance ont été remplacés par la répression pure et dure, et ce sont les gouvernements capitalistes actuels, de gauche comme de droite, qui la mettent en place.

La question immigrée est fondamentalement une question de droits démocratiques. Mais ces droits ne peuvent être conquis ou préservés que par le prolétariat en lutte pour arracher le pouvoir d’Etat des mains de la bourgeoisie et pour établir une économie centralisée et planifiée. L’obstacle à une telle perspective, c’est la bureaucratie syndicale et les partis réformistes. Ils ont montré pendant la révolte des banlieues qu’ils sont du côté de l’ordre capitaliste, pas des jeunes opprimés. Aujourd’hui dans de nombreux cas ce sont des militants de Lutte ouvrière qui dirigent les syndicats. LO ne cesse d’habitude de pleurnicher que les syndicats ne devraient pas se contenter de journées d’action isolées sans lendemain, mais qu’ils devraient les faire s’enchaîner de façon de plus en plus massive et à échéance de plus en plus rapprochée, jusqu’à faire si peur au gouvernement et au patronat que celui-ci recule et accorde quelques miettes aux travailleurs. Pendant le CPE c’est exactement ce qui s’est passé – et LO a logiquement fait disparaître toute critique de la bureaucratie syndicale. LO a ainsi contribué à ce que les réformistes puissent maintenir le mouvement dans un cadre très limité, et ensuite le décommander sitôt le CPE liquidé.

La lutte des travailleurs et de la jeunesse a fait tomber le CPE, mais cela ne commence même pas à modifier la situation telle qu’elle était avant le CPE, faite de chômage, de discrimination raciste et de terreur policière. Au contraire, le reste de la loi raciste accroissant l’inégalité des chances, dont faisait partie le CPE, se met en place progressivement. La seule perspective réaliste pour en finir avec l’oppression dans les cités-ghettos, c’est de lutter pour renverser le système capitaliste tout entier. Nous luttons pour construire un parti ouvrier multiethnique d’avant-garde pour diriger à la victoire une révolution socialiste.

 

Le Bolchévik nº 176

Le Bolchévik nº 176

Juin 2006

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Malek Boutih du PS l’avait voulue, Sarkozy l’a faite

A bas la loi raciste sur l’immigration !

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Inauguration d’une rue Mumia Abu-Jamal à Saint-Denis

Il faut construire la campagne pour la libération de Mumia !

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Meeting à Paris pour la libération de Mumia

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De Luc Ferry à Jules Ferry

Lutte ouvrière face aux jeunes des banlieues

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Bolivie

Trotskysme contre nationalisme bourgeois

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New York

Les tribunaux des patrons matraquent le TWU pour avoir fait grève

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Défense de l’Etat ouvrier déformé chinois ! Pour la révolution politique ouvrière !

Le « socialisme de marché » en débat lors d’un « Forum de la gauche »