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Impérialistes, bas les pattes devant la Libye !

Cet article est traduit du journal de nos camarades américains Workers Vanguard n° 976, 18 mars

15 mars – En Libye, l’opposition au régime bourgeois du colonel Mouammar Kadhafi, qui dirige le pays d’une main de fer depuis des dizaines d’années, a visiblement pris la forme, pour le moment, d’une guerre civile de basse intensité ; cette guerre est sous-tendue par de profonds clivages tribaux et régionaux entre le gouvernement, avec Tripoli comme centre de gravité, et les forces de l’opposition soutenues par les impérialistes concentrées dans la partie orientale du pays. A la tête de l’opposition anti-Kadhafi, on trouve des islamistes, des chefs tribaux, d’ex-généraux de l’armée de Kadhafi et d’anciens dignitaires de son régime sanguinaire. Une grande partie du corps diplomatique libyen a fait défection et s’est ralliée à l’opposition. Les marxistes n’ont actuellement aucun côté dans ce conflit, qui a fondamentalement pour enjeu de savoir qui contrôlera les immenses richesses pétrolières et gazières du pays et dominera les masses exploitées et opprimées.

Par contre, le prolétariat international doit prendre un côté en s’opposant à toute intervention en Libye des impérialistes, qui soutiennent les forces anti-Kadhafi. Aux Etats-Unis, l’éventail de ceux qui font campagne pour imposer une « zone d’exclusion aérienne » au-dessus de la Libye va du républicain John McCain [l’ancien candidat à la présidence] jusqu’aux démocrates Bill Clinton et John Kerry. Si une telle zone d’exclusion aérienne était mise en place, cela signifierait une agression militaire directe contre l’armée de l’air et la défense anti-aérienne libyennes. Washington a positionné au large des côtes libyennes deux navires d’assaut porte-hélicoptères, qui devraient être rejoints par le porte-avions Enterprise ; pendant ce temps, le Conseil de sécurité des Nations Unies a imposé un embargo sur les livraisons d’armes à la Libye, et plusieurs dizaines de milliards de dollars de fonds libyens déposés dans des banques étrangères ont été gelés. En tant que marxistes opposés à l’ordre capitaliste-impérialiste, nous sommes contre toute sanction impérialiste visant le régime de Kadhafi. Dans l’éventualité d’une attaque impérialiste contre la Libye néocoloniale, le prolétariat international doit prendre position pour la défense militaire de ce pays sans donner aucun soutien politique au régime capitaliste de Kadhafi.

Etant donné en particulier les bouleversements qui secouent l’Afrique du Nord et le Proche-Orient, les impérialistes hésitent sur la conduite à tenir envers la Libye de Kadhafi, dont les forces gagnent du terrain sur celles de la rébellion. En même temps qu’elle répétait que « toutes les options sont sur la table », l’administration Obama hésite à se retrouver entraînée dans un nouveau bourbier en Libye, alors que l’occupation meurtrière de l’Afghanistan et de l’Irak mobilise déjà à plein les forces armées de l’impérialisme US.

Le président français Nicolas Sarkozy a officiellement déclaré que le Conseil national de transition, basé à Benghazi dans l’est du pays, est le seul « représentant légitime du peuple libyen ». La Ligue arabe a joint sa voix aux anciennes puissances coloniales du Proche-Orient, la Grande-Bretagne et la France, pour appeler à imposer une « zone d’exclusion aérienne » au-dessus de la Libye. La cause du Premier Ministre britannique David Cameron n’est pas exactement sortie grandie du fait que, dans un scénario digne des Monty Python, une opération commando des Special Air Service, dont la mission était de prendre contact avec l’opposition libyenne, a tourné au fiasco : ils ont été arrêtés par les rebelles et promptement expulsés du pays. A la réunion du G8 qui s’est tenue aujourd’hui à Paris, le ministre des Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle, a douché l’enthousiasme pour une « zone d’exclusion aérienne » en déclarant que l’Allemagne ne voulait pas « devenir partie prenante d’une guerre civile en Afrique du Nord » (Guardian de Londres, 15 mars).

Tout comme le New York Times avait repris à son compte les mensonges de l’administration Bush sur les « armes de destruction massive » de Saddam Hussein dans la période précédant l’invasion américaine de 2003, les médias bourgeois se sont rapidement transformés en agences de presse de l’opposition anti-Kadhafi, en adaptant les « faits » aux objectifs des impérialistes. Les récits horrifiants colportés par l’opposition, qui affirmait que les avions de combat de Kadhafi avaient délibérément bombardé des civils, ont été un peu partout présentés comme des faits avérés. On a par contre très peu parlé de la déclaration faite le 2 mars par le ministre de la Défense américain Robert Gates, qui admettait que « nous n’avons eu absolument aucune confirmation » de ces récits. Par ailleurs, les médias se sont soigneusement abstenus de fouiller dans le passé sordide des ex-partisans de Kadhafi qui font maintenant partie de la direction des forces d’opposition à Benghazi. Dans cette galerie de personnages peu reluisants figurent l’ancien ministre de la « justice » de Kadhafi, son ancien ministre de l’Intérieur et l’ex-chef de ses forces spéciales. Sur les quatre anciens généraux passés à l’opposition, deux étaient aux côtés de Kadhafi depuis son accession au pouvoir, il y a 42 ans !

Kadhafi est un massacreur de ses « propres » citoyens, cela ne fait aucun doute. C’est aussi le cas des nombreux rois, cheikhs et colonels qui bénéficient de l’aide militaire américaine. Et le 25 février dernier, quand le régime fantoche des Etats-Unis en Irak a tué au moins 29 personnes qui manifestaient pour des emplois et des droits sociaux, un porte-parole du gouvernement américain a qualifié la « réponse » des forces irakiennes de « professionnelle et mesurée ». L’intervention militaire de l’Arabie saoudite, un allié des Etats-Unis, pour soutenir la monarchie sunnite à Bahreïn, démontre qu’aux yeux des impérialistes américains, les chiites, qui sont majoritaires dans ce pays, ne sont pas des êtres humains dont il faut respecter les droits. Ces dernières années, le gouvernement libyen a activement collaboré à la « guerre contre le terrorisme » des impérialistes, et il a appliqué des plans de privatisation néo-libéraux. Si les impérialistes versent aujourd’hui des larmes de crocodile sur les morts en Libye, c’est uniquement parce qu’ils n’ont pas toujours entretenu des rapports aussi cordiaux avec le régime de Kadhafi.

Parmi les crimes de ce régime figure en bonne place le traitement raciste qu’il réserve aux travailleurs immigrés africains noirs, qui subissent arrestations et expulsions arbitraires – et parfois de véritables pogromes – et servent de bouc émissaire pour le chômage et autres problèmes sociaux. Aujourd’hui, les travailleurs originaires de l’Afrique sub-saharienne sont la cible à la fois des forces pro-Kadhafi et des forces anti-Kadhafi qui les accusent souvent d’être des mercenaires à la solde du régime. Plus de 100 immigrés africains noirs pourraient avoir été tués, et des milliers d’autres se cachent ou cherchent à fuir le pays.

En tant que révolutionnaires marxistes, nous nous sommes toujours fermement opposés au régime répressif de Kadhafi, tout en défendant militairement la Libye contre les agressions impérialistes. En mars 1986, la tendance spartaciste internationale, précurseur de la Ligue communiste internationale, avait envoyé une équipe de journalistes à Tripoli au moment où des navires et des avions de guerre américains attaquaient les forces libyennes dans la région du Golfe de Syrte. Nous voulions ainsi, comme nous l’écrivions dans un télégramme adressé au gouvernement libyen, exprimer notre soutien à « la juste cause de l’intégrité territoriale et de l’indépendance libyennes ». Quelques jours après la visite de notre délégation, le Président Ronald Reagan lançait des raids de bombardiers sur Tripoli et Benghazi, tuant des dizaines de civils. Parmi les victimes figurait la fille en bas âge de Kadhafi, tuée dans l’attaque contre sa résidence. Pour les fauteurs de guerre froide de l’administration Reagan, un des « crimes » les plus graves du régime de Kadhafi était d’être un Etat-client de l’Union soviétique dans le domaine militaire.

Depuis Tripoli, notre délégation notait que « le pillage et la violence impérialistes sont imprimés en lettres de feu dans la mémoire des masses libyennes » (« Reportage : de retour de Tripoli – La Libye sous le feu de Reagan », le Bolchévik n° 63, mai 1986). Nos reporters rappelaient que la guerre italo-turque de 1911, où des milliers d’Arabes furent massacrés, avait été un conflit barbare pour la possession de ce qui allait devenir la Libye. Pour la première fois dans une guerre, des avions avaient été utilisés contre une population dont le moyen de transport militaire le plus avancé était le chameau. C’était, écrivait Lénine, « une boucherie perfectionnée et “civilisée”, [le] massacre des Arabes par les armes les plus “modernes” » (« La fin de la guerre italo-turque », 28 septembre 1912). Ce conflit fut suivi de 20 ans de résistance armée contre les impérialistes italiens, concentrée à l’est du pays. Les forces italiennes utilisèrent des gaz de combat contre des civils et emprisonnèrent plus de 100 000 personnes dans des camps de concentration ; plus de 70 000 personnes – près de la moitié de la population de la Cyrénaïque – moururent de faim et de maladies.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les troupes de l’Axe et celles des Alliés dévastèrent le pays et sa population. Après la guerre, les impérialistes créèrent une Libye indépendante en rassemblant trois régions distinctes : la Cyrénaïque à l’est, la Tripolitaine à l’ouest et le Fezzan au sud. La domination italienne fut remplacée par une monarchie imposée par les Britanniques. C’est le drapeau de ce régime pré-Kadhafi qui est aujourd’hui brandi partout par les forces de l’opposition.

Ces forces, soutenues par les impérialistes, bénéficient du soutien complet et enthousiaste des réformistes de l’International Socialist Organization (ISO), qui dès le début du conflit a pris fait et cause pour le Front national pour le salut de la Libye, une officine fondée au début des années 1980 avec des fonds de la CIA et de la famille royale saoudienne. L’ISO présentait Kadhafi comme quelqu’un avec qui les impérialistes ont l’impression « qu’ils peuvent faire affaire », et affirmait sans crainte du ridicule que le Front national était « moins susceptible d’être aussi accommodant » (Socialist Worker, 24 février). Pendant des jours, des représentants de l’opposition ont eu des pourparlers avec des responsables américains et européens et ont imploré les impérialistes d’imposer une « zone d’exclusion aérienne », de déclencher des frappes aériennes, d’envoyer des armes aux rebelles et d’intervenir militairement par tous les moyens possibles en Libye. Prise la main dans le sac, l’ISO a essayé de faire machine arrière, en déclarant dans Socialist Worker (9 mars) que « le Front national pour le salut de la Libye, soutenu par la CIA, appelle sans surprise à une action américaine ».

C’est également sans surprise que l’ISO s’est alignée avec les impérialistes contre le régime bourgeois de Kadhafi. L’ISO avait soutenu en Afghanistan les moudjahidin antisoviétiques, des ennemis jurés des femmes soutenus pas la CIA ; elle a applaudi la destruction de l’URSS et elle mêle sa voix au chœur des impérialistes contre les Etats ouvriers déformés chinois et nord-coréen ; rejeton de l’anticommunisme social-démocrate, cette organisation s’est toujours placée carrément dans le camp de l’impérialisme « démocratique ».

Dans un article publié dans Socialist Worker (28 février), Todd Chretien ironise sur le refus du Workers World Party (WWP) et du Party for Socialism and Liberation (PSL) « de choisir le camp du peuple libyen contre un dictateur ». Le WWP et le PSL s’opposent à l’intervention impérialiste en Libye, mais leur motivation principale est leur soutien politique de longue date pour toutes les forces imaginables qui, dans les pays du tiers-monde, se prétendent « anti-impérialistes ». Il y a de tout parmi celles-ci : des dirigeants nationalistes bourgeois comme Kadhafi et le président vénézuelien Chávez – qui comme le Cubain Fidel Castro soutient Kadhafi dans le conflit actuel – ou des réactionnaires islamistes comme l’ayatollah Khomeiny en Iran et le Hamas à Gaza.

Workers World (12 mars) va jusqu’à saluer « le bilan de la Libye dans le domaine des droits de l’homme », en citant un passage d’un rapport de l’ONU daté du 4 janvier qui résumait les déclarations de la délégation libyenne ! Le PSL, de son côté, est déçu de la façon dont Kadhafi, l’« anti-impérialiste » d’hier, a tourné. Son journal Liberation (24 février) refuse de caractériser son régime bonapartiste comme capitaliste, en regrettant seulement que le gouvernement libyen « incluait des forces bourgeoises » qui ont été renforcées « au fil du temps ».

Il faut enfin mentionner le Socialist Equality Party (SEP) de David North, mieux connu sous le nom de « World Socialist Web Site », dont la propagande semble aujourd’hui assez critique à l’égard de Kadhafi et affirme son opposition à l’intervention militaire impérialiste. Nous conseillons vivement à tout lecteur qui pourrait prendre pour argent comptant le « marxisme » du SEP d’examiner plus attentivement ce que sont ces bandits politiques, qui constituent une catégorie spéciale dans les annales des renégats du trotskysme.

Le SEP escamote opportunément son passé de participation aux machinations pro-Kadhafi sordides du Workers Revolutionary Party (WRP) britannique dirigé par un certain Gerry Healy, le parti qui dominait le « Comité international de la Quatrième Internationale » (CI) dont faisait partie le SEP. Après avoir des années durant applaudi une mythique « révolution arabe », l’IC de Healy s’était ouvertement fait l’avocat de régimes bourgeois sanguinaires, dont celui de Kadhafi. L’enthousiasme de Healy pour Kadhafi avait coïncidé avec la réapparition en Angleterre en mai 1976 d’un quotidien healyste, News Line, deux mois après que leur précédent quotidien, Workers Press, avait cessé de paraître. Dans « Les healystes, messagers de Kadhafi » (Workers Vanguard n° 158, 20 mai 1977), nous notions que, dans la Libye de Kadhafi, « où les communistes doivent s’attendre à se faire emprisonner et assassiner, et leurs livres à être brûlés, des gens qui se disent de gauche doivent faire des choses assez spéciales pour survivre – et News Line a clairement fait savoir que le WRP y serait plus que disposé ». Les healystes sont allés jusqu’à applaudir le meurtre de militants du Parti communiste irakien par Saddam Hussein en 1979.

Comme nous l’écrivions dans « Le healysme implose » (Spartacist édition française n° 23-24, printemps 1986) : « Il est clair aussi que depuis pas mal de temps l’organisation de Healy/Banda était prisonnière des régimes capitalistes despotiques du “tiers-monde” qui ont sur les mains le sang des ouvriers et des paysans. » C’était la conclusion logique de l’adulation du WRP pour les régimes arabes « anti-impérialistes », additionnée d’antisoviétisme virulent. L’article de Spartacist faisait remarquer que « dès que l’on abandonne le combat pour construire des partis léninistes dirigeant la classe ouvrière pour la libération de l’humanité, et qu’on part à la recherche de moyens de s’enrichir vite, on finit inévitablement dans des endroits nauséabonds – quand on ne devient pas un Healy, cela peut être un modèle plus courant de crapules, ceux qui votent les crédits de guerre de leur propre bourgeoisie par exemple. »

Quant à nous, nous luttons pour l’indépendance politique du prolétariat par rapport à toutes les forces bourgeoises. Il y a une différence fondamentale entre les événements en Libye et les soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte : dans ces deux derniers pays, il y a une classe ouvrière puissante et concentrée qui a émergé comme une force active. Toutefois, les organisations ouvrières sont subordonnées à différentes forces politiques bourgeoises. Les marxistes doivent se battre pour que le prolétariat, la seule classe qui a la puissance sociale nécessaire pour renverser la bourgeoisie, se mette au premier rang pour mobiliser derrière elle tous les opprimés dans une offensive révolutionnaire contre le système capitaliste.

Il est clair que le prolétariat libyen a subi un coup terrible dans le conflit actuel ; les travailleurs immigrés – une composante majeure de la classe ouvrière dans ce pays – fuient en masse le chaos, la violence armée et les agressions racistes. L’avenir des masses libyennes sera décidé par une lutte de classe ouvrière s’étendant, au-delà du terrain national, aux prolétariats de l’Algérie, de la Tunisie et tout particulièrement de l’Egypte. Il faut pour cela forger des partis ouvriers révolutionnaires, parties intégrantes d’une Quatrième Internationale authentiquement trotskyste, qui fera le lien entre le combat pour une fédération socialiste de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient et la lutte pour la révolution prolétarienne dans les centres impérialistes.