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Pour la révolution permanente du Maghreb à l’Egypte ! Pour des partis ouvriers révolutionnaires ! Egypte : Un soulèvement de masse conteste la dictature 1er février A l’heure où nous mettons sous presse, le régime capitaliste bonapartiste d’Hosni Moubarak, un Etat client stratégique pour l’impérialisme américain, vacille sous une vague sans précédent de manifestations de masse. Sur la place Tahrir au Caire, et dans tout le pays, les manifestants scandent : « Le peuple exige la chute du régime. » Moubarak a désigné la semaine dernière une série de nouveaux ministres, nommant vice-président et Premier ministre des copains de longue date, anciens chefs militaires ; cela n’a fait qu’enflammer davantage l’opposition à sa dictature. Bien plus d’un million de personnes se sont rassemblées aujourd’hui sur la place Tahrir, et des centaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue à Alexandrie, à Suez et dans d’autres villes du pays à l’occasion d’une grève générale nationale. Moubarak a annoncé ce soir la « concession » qu’il était prêt à faire : il ne cherchera pas à se faire réélire à l’automne (!). En réponse, la foule en colère sur la place Tahrir scandait « Nous ne partirons pas ! » Un responsable de l’ONU estime que 300 personnes ont été tuées et plus de 3 000 ont été blessées depuis le 25 janvier, début des manifestations. Pourtant, en l’espace de quelques jours, les manifestations de masse ont débordé les cordons de police dans un certain nombre de villes. D’innombrables postes de police ainsi que le siège du PND (Parti national démocrate) ont été réduits à l’état de décombres carbonisés. La police, qui est détestée, s’est retirée de l’espace public, mais elle a été depuis redéployée. Le gouvernement, ébranlé, a alors mobilisé l’armée, qui constitue le cur de l’appareil d’Etat bonapartiste en Egypte, pour essayer de contrôler les rues. L’armée a officiellement déclaré qu’elle ne tirerait pas sur les manifestants. Mais il ne faut pas s’y tromper. Quoi qu’il arrive à Moubarak, une sinistre menace demeure : que la bourgeoisie au pouvoir en Egypte exige une répression militaire brutale pour restaurer et préserver l’« ordre » capitaliste. Le soulèvement a entraîné avec lui pratiquement toutes les couches de la société les jeunes chômeurs, les étudiants, les ouvriers, les commerçants, les cadres et les membres des professions libérales. Dans leur immense majorité, ils exigent le départ de Moubarak, des élections démocratiques et d’autres réformes. La situation a aussi créé une ouverture pour les Frères musulmans ; ces réactionnaires se sont dans un premier temps tenus à l’écart des protestations, mais ils ont appelé leurs partisans à y participer vendredi 28 janvier. Les ports, les banques et autres entreprises étant fermés, l’économie est paralysée et les prix des rares produits alimentaires explosent. Quant aux très riches, soit ils se terrent derrière les grilles de leurs villas fortifiées, soit ils ont pris l’avion pour Dubaï. Il ne fait aucun doute que les Etats-Unis et les autres puissances impérialistes sont secoués par les événements dramatiques qui se produisent en Egypte ; c’est le pays arabe le plus peuplé et il abrite la plus grande concentration d’ouvriers de toute l’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Dans leur arrogance, les impérialistes, qui se comportent comme si rien ne pouvait entraver leurs déprédations dans le monde entier, sont maintenant confrontés à des menaces pour la survie même de régimes clients cruciaux. L’administration Obama cherche désespérément à étouffer les soulèvements qui se déroulent en Afrique du Nord, et à empêcher qu’ils ne s’étendent au-delà. Il y a déjà eu des manifestations antigouvernementales de masse (dominées par des mouvements d’opposition islamistes) en Jordanie et au Yémen, un avant-poste de la « guerre contre le terrorisme » de Washington. Le roi Abdallah de Jordanie a viré aujourd’hui son gouvernement. Des manifestations étudiantes ont commencé au Soudan. Ce qui est particulièrement remarquable dans les manifestations de masse en Tunisie et en Egypte, c’est que, dans une région longtemps dominée par des conflits religieux et ethniques, elles se focalisent sur des revendications laïques et démocratiques, en réaction à des conditions de vie de plus en plus intolérables. L’étincelle immédiate du soulèvement en Egypte a été le mouvement massif de contestation qui a renversé la dictature de Ben Ali en Tunisie. Mais il y avait une poudrière sociale suffisamment importante et prête à s’enflammer. Alors que près de la moitié de la population égyptienne lutte pour survivre avec moins de 2 dollars par jour, il y a eu ces dernières années une vague de grèves combatives. Le chômage était déjà énorme avant qu’éclate la crise financière internationale. Dans les régions rurales, notamment dans le sud de l’Egypte et dans le delta du Nil, au nord, une pauvreté terrible sévit et les paysans sans terre sont à la merci de propriétaires fonciers sans scrupules. La corruption des élites dirigeantes est notoire. La réponse habituelle aux manifestations de mécontentement, ce sont les passages à tabac par la police, la torture et la prison. La décomposition de la dictature de Moubarak a précipité ses parrains impérialistes américains dans une situation de crise. Washington injecte tous les ans 1,3 milliard de dollars d’aide militaire à ce régime, le principal bénéficiaire de l’aide américaine après Israël. L’Egypte est un pilier des intérêts impérialistes américains au Proche-Orient, notamment depuis 1979, quand elle est devenue le premier pays arabe à signer un accord de paix avec Israël. Le régime égyptien s’est fait depuis longtemps le complice de l’Etat sioniste pour opprimer le peuple palestinien : il fait aujourd’hui la police à la frontière sud de la bande de Gaza. A bas l’aide américaine à l’Egypte et à Israël ! Défense du peuple palestinien ! Au début des manifestations, Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat [ministre des Affaires étrangères] américaine, avait déclaré que le régime de Moubarak était « stable ». Elle a été contrainte de revoir son approche au fur et à mesure que s’étendait le soulèvement, et elle s’est mise à évoquer « les droits universels du peuple égyptien ». Cela n’a guère calmé les manifestants, dont beaucoup montraient aux journalistes des bombes lacrymogènes avec des étiquettes « made in USA ». Washington parle maintenant d’une « transition ordonnée ». En attendant, ils mettent au point des « plans pour évacuer les ressortissants américains vers des “endroits sûrs” en Turquie, en Grèce et à Chypre » (Financial Times, 31 janvier). On met beaucoup en avant Mohamed ElBaradei comme personnalité « de transition ». Ce libéral bourgeois avait aidé à concocter les accords de Camp David en 1978, lesquels avaient conduit à la normalisation des relations entre l’Egypte et Israël, et il a dirigé par la suite l’Agence internationale de l’énergie atomique, où il a contribué à assurer que l’Irak de Saddam Hussein soit désarmé face aux préparatifs de guerre US. La classe ouvrière doit prendre la direction Le prolétariat est puissant en Egypte. C’est la seule classe ayant la puissance sociale pour renverser l’ordre capitaliste brutal et décrépit. Il est urgent aujourd’hui qu’il se place à la tête de toutes les masses opprimées. Le soulèvement actuel survient au milieu d’une vague de grèves qui dure depuis plusieurs années, et que l’historien Joel Beinin a décrite comme « le plus grand mouvement social qu’ait connu l’Egypte depuis plus d’un demi-siècle » (The Struggle for Workers Rights in Egypt [la lutte pour les droits des ouvriers en Egypte], février 2010). Dans cette étude, il a recensé 194 grèves (dont des grèves avec occupation) par an entre 2004 et 2008, près de quatre fois plus que durant les trois années précédentes. La flambée des occupations d’usines, des grèves et des manifestations a commencé en 2004, quand le gouvernement a accéléré les privatisations d’entreprises d’Etat. Les ouvriers des usines textiles de Mahalla al-Kobra, la plus vaste zone industrielle du pays avec ses 40 000 travailleurs, ont été le fer de lance de ce mouvement. En avril 2008 les prix des denrées alimentaires explosaient, provoquant le mécontentement populaire. Une grève était prévue, elle fut étouffée par un déploiement policier massif. Cela provoqua deux jours d’émeute durant lesquels trois personnes furent tuées par la police. Alors que le gouvernement avait octroyé une prime aux ouvriers, un proche conseiller de Moubarak déclara stupidement et hautainement au Washington Post (27 septembre 2009) : « Dès que vous donnez plus d’argent à ces gens-là, c’est fini. » Les travailleurs de Mahalla al-Kobra sont partis en grève dès le premier jour des manifestations ; ils s’opposaient directement au régime pour la première fois depuis le début de la vague de grèves. Les travailleurs de Suez, une ville portuaire et un centre de raffinage pétrolier, sont aussi en grève depuis le début du mouvement. La police a essayé d’écraser sans pitié les manifestations. Dans un billet publié dans le New York Times (31 janvier), Mansoura Ez-Eldin cite le message d’un ami qui décrivait Suez comme une zone de guerre : « Les rues sont brûlées et détruites, des corps sans vie gisent partout. » Mais les habitants ouvriers de la ville ont riposté. Les travailleurs égyptiens, qui ont souvent fait preuve d’une combativité exemplaire, se sont heurtés de façon répétée à la traîtrise des responsables de la Fédération syndicale égyptienne (ETUF), qui sont payés par le régime et intégrés à l’appareil d’Etat capitaliste. Lorsque fut fondée en 1957 la fédération qui allait devenir l’ETUF, toute sa direction fut nommée par le régime de Gamal Abdel Nasser, un nationaliste bourgeois à poigne. Pendant plus de 20 ans, le président de l’ETUF occupait généralement aussi le poste de ministre du Travail. De nos jours, presque tous les membres du comité exécutif de l’ETUF sont aussi membres du PND, le parti au pouvoir. Hussein Megawer, le président de l’ETUF, a été le chef du groupe parlementaire du PND, et il préside actuellement au parlement le Comité de la main-d’uvre. La semaine dernière, il a donné instruction aux responsables syndicaux d’empêcher toute manifestation ouvrière. Le 25 janvier, alors même que la police tirait sur les manifestants, l’ETUF a publié une déclaration félicitant le Ministère de l’Intérieur à l’occasion de la « Journée de la police » ! Dans l’actuelle vague de grèves, les travailleurs égyptiens défient par leurs actions les « lieutenants ouvriers » du régime. Comme, d’après la loi, les grèves doivent avoir été autorisées par la direction de l’ETUF, toutes celles qui ont eu lieu étaient illégales. Les travailleurs ont souvent élu des comités de grève en guise de direction, et ils ont fréquemment revendiqué des syndicats indépendants. Cela montre que le potentiel est là pour qu’émergent de l’agitation actuelle des organes larges de lutte de classe, comme des comités d’usine et des gardes de défense ouvrière, ainsi que des comités de quartier pour superviser la distribution des produits alimentaires et pour organiser l’autodéfense contre les nervis de la police et leurs complices de la pègre. Tout ceci souligne qu’il faut lutter pour l’indépendance de la classe ouvrière par rapport à l’Etat capitaliste et toutes les forces politiques de la bourgeoisie. Pour un parti léniniste d’avant-garde ! Comme en Tunisie, il faut forger en Egypte un parti révolutionnaire qui puisse diriger la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan. Un tel parti serait, selon la formule du dirigeant bolchévique Lénine, un « tribun du peuple » qui lutterait contre l’oppression des paysans, des femmes, des jeunes, des homosexuels et des minorités ethniques et religieuses. Un parti léniniste d’avant-garde se ferait le héraut de l’émancipation des femmes en Egypte, où les « meurtres d’honneur » et l’excision sont des pratiques courantes, notamment dans les zones rurales où vit environ 60 % de la population. Il défendrait activement aussi les droits de la minorité chrétienne copte, qui souffre de discrimination et d’une violente persécution de l’Etat, encouragée par des incitations aux pogromes de la part des intégristes islamiques. En décembre dernier, alors que les coptes protestaient contre le refus du gouvernement de les laisser construire une église au Caire, deux personnes ont été tuées par la police anti-émeute. Cela a donné le feu vert à l’attentat visant une église d’Alexandrie la veille du Nouvel An, où 23 personnes ont été tuées. Des manifestations communes de coptes et de musulmans contre cet attentat ont été attaquées par la police anti-émeutes. La lutte contre l’idéologie nationaliste est une tâche cruciale pour les marxistes révolutionnaires. Le nationalisme est très répandu et il est apparent chez les manifestants qui agitent des drapeaux égyptiens et embrassent l’armée, qui serait prétendument l’amie des exploités et des opprimés. De nombreux simples soldats de cette armée de conscription ont fraternisé avec les manifestants et leur ont même permis de peindre des graffitis contre Moubarak sur leurs chars. Mais c’est le corps des officiers financé et entraîné par les impérialistes américains qui est aux commandes. Les illusions dans l’armée sont profondes en Egypte. Un mouvement d’officiers dirigé par Nasser avait renversé en 1952 la monarchie soutenue par les Britanniques et déconsidérée. Nasser, soutenu par les staliniens du Parti communiste, prétendait diriger un hypothétique « socialisme arabe », mais il avait dès le début pour objectif d’écraser la classe ouvrière combative. Un mois après avoir pris le pouvoir, Nasser profita d’une grève des ouvriers du textile à Kafr El-Dawar, près d’Alexandrie, pour porter un grave coup au mouvement ouvrier. Deux dirigeants de la grève furent pendus dans l’enceinte de l’usine, les communistes furent interdits et les grèves déclarées illégales. Nasser tourna ensuite sa vindicte contre les communistes qui l’avaient soutenu, et fit emprisonner presque tous les militants de gauche connus dans le pays. Alors même que leurs camarades se faisaient tabasser à mort ou qu’ils mouraient faute de soins, les staliniens continuèrent à soutenir politiquement ce dirigeant bonapartiste, et ils se liquidèrent officiellement dans son Union socialiste arabe en 1965. Dans tout le Proche-Orient et dans toute l’Afrique du Nord, les partis staliniens ont sacrifié leur base prolétarienne sur l’autel du nationalisme bourgeois, trahissant des occasions historiques pour la révolution socialiste. Ceci a ouvert la voie aux intégristes islamiques réactionnaires, comme les Frères musulmans en Egypte. Ces ennemis mortels des femmes, des coptes, des militants laïques et de gauche, se posent en seuls opposants résolus d’un statu quo insupportable. Les Frères musulmans ont subi une répression sévère, mais ils ont aussi été tolérés et à certains moments favorisés par les régimes égyptiens qui se sont succédé. Moubarak a souvent fait taire ses opposants en prétendant que s’il n’était pas là, les Frères musulmans dirigeraient l’Egypte. Les Frères musulmans ne jouent qu’un faible rôle dans le mouvement ouvrier, mais ils sont solidement implantés dans le lumpen-prolétariat des bidonvilles et parmi les professions libérales et autres couches de la petite bourgeoisie. Aujourd’hui, beaucoup de manifestants disent qu’ils s’opposeraient à ce que les Frères prennent le pouvoir. Ces derniers ont cependant fait leur apparition dans les manifestations, ce qui montre qu’ils menacent de gagner une audience parmi les masses désespérées. Les événements en Iran en 1978-1979 montrent qu’il faut combattre politiquement les forces de la réaction islamique ; le clergé chiite dirigé par l’ayatollah Khomeiny avait réussi à l’époque à mettre au service de sa perspective réactionnaire une puissante vague d’opposition comprenant les organisations de la classe ouvrière contre le shah détesté. Après avoir été soutenu par pratiquement tous les groupes de gauche en Iran, Khomeiny déclencha une vague de terreur meurtrière contre les militants ouvriers et de gauche, les Kurdes, les femmes dévoilées et les homosexuels. Seule dans la gauche, la Tendance spartaciste internationale, prédécesseur de la Ligue communiste internationale, déclarait alors : A bas le shah ! Ne vous prosternez pas devant Khomeiny ! Pour la révolution ouvrière en Iran ! Concernant l’Egypte aujourd’hui, nous disons : A bas Moubarak ! Non à ElBaradei et aux Frères musulmans ! Le pouvoir aux travailleurs ! Les militants de gauche et les militants ouvriers doivent absolument étudier l’exemple du Parti bolchévique, qui avait doté la classe ouvrière de Russie de la direction dont elle avait besoin en 1917. Alors que resurgissaient les soviets (conseils ouvriers) à la chute du tsar lors de la révolution de Février, les bolchéviks de Lénine appelèrent à « Tout le pouvoir aux soviets » et s’opposèrent à tout soutien politique au gouvernement provisoire bourgeois. L’opposition grandit rapidement contre le massacre des soldats d’origine ouvrière et paysanne dans la Première Guerre mondiale, et les soviets s’étendirent à la paysannerie, qui se trouvait en rébellion ouverte contre les propriétaires fonciers, ainsi qu’à l’armée. Sous l’influence de la classe ouvrière organisée, les conseils de soldats servirent à dresser la base ouvrière et paysanne de l’armée contre le corps des officiers bourgeois. Après la révolution d’Octobre, dirigée par les bolchéviks, les délégués ouvriers et soldats devinrent les organes du nouveau pouvoir d’Etat prolétarien. Comme nous le développons davantage dans l’article ci-joint sur la Tunisie, les révolutionnaires marxistes se basent sur la théorie de la révolution permanente de Trotsky. Ils doivent mettre en avant des revendications transitoires qui font le lien entre les aspirations démocratiques des masses et la lutte pour le pouvoir prolétarien et son extension internationale. Dans l’effervescence que connaît aujourd’hui l’Egypte, la Ligue communiste internationale cherche à souder le noyau d’un parti léniniste-trotskyste, l’instrument indispensable à la victoire de la révolution prolétarienne. Traduit de Workers Vanguard n° 973, 4 février |