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Répression antisyndicale en Tunisie Bas les pattes devant l'UGTT! La bataille décisive est engagée entre le régime de Bourguiba et l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Le 21 janvier, la police a occupé, puis remis aux "comités provisoires" — les sbires du Parti destourien — les trois derniers locaux de l'UGTT à Tunis. Dans le même temps, le régime a occupé les bureaux d'El Chaab, le quotidien du syndicat. Depuis le 31 décembre, Habib Achour, le secrétaire général de l'UGTT, et des dizaines de syndicalistes sont en prison. La direction de l’UGTT menace de riposter. Mais depuis l'été dernier, ces bureaucrates ont reculé devant chaque attaque du gouvernement Mzali. Pourtant, cette offensive calculée de la bourgeoisie vise à mettre l’UGTT sous la botte du régime destourien. Car cette confédération est unique dans le Maghreb par sa puissance organisationnelle et par son histoire d'indépendance vis-à-vis des nationalistes bourgeois du Destour. Bien que sa direction bureaucratique procapitaliste la lie politiquement au régime, l'UGTT n'a jamais été une simple courroie de transmission du parti régnant. L'agonie meurtrière de Bourguiba Déjà, en janvier 1978, après l'appel à la grève générale de l'UGTT qui a été l'étincelle pour un soulèvement populaire contre Bourguiba, le régime a tenté de caporaliser le syndicat. Le retour d'Achour à la présidence du syndicat en décembre 1981 a marqué l'échec de cette tentative. Cette fois, la marge de manoeuvre du gouvernement est beaucoup plus réduite. L'"après-Bourguiba" approche; dans une atmosphère de fin de règne, la lutte des clans au sein du Destour redouble de férocité. Le régime s'enfonce chaque jour davantage dans une crise d'agonie. Ceux d'en haut ne peuvent plus diriger comme avant, ceux d'en bas ne veulent plus vivre comme avant. Les maîtres impérialistes se penchent sur le chevet du malade. Reagan dans son projet d'alliance globale antisoviétique veut que les rives tunisiennes de son lac américain restent calmes. La France, l'ancienne puissance tutélaire, n'a pas hésité à venir prêter main forte à Bourguiba pour écraser les soulèvements de 1980. Face au déficit de la balance commerciale, à l'effondrement du cours du pétrole et à un service de la dette extérieure qui engloutit un quart du revenu des exportations, le régime s'est lancé dans une austérité tous azimuts: libération des prix, blocage des salaires et programme de dénationalisations. Le premier ministre Mzali a bien appris la leçon de l'austérité imposée par ses maîtres impérialistes dans leur propre pays: "Le terrorisme par la grève, dit-il, c'est terminé; Mme Thatcher a tenu un an face aux mineurs; nous n'empêcherons pas les grèves, mais les ouvriers ne seront pas payés" (le Monde, 6 novembre 1985). Pour la bourgeoisie, il faut en finir avec l’UGTT. Le syndicat est acculé, ses locaux sont aux mains de l’ennemi. Mais l'UGTT n’a pas encore été écrasée. Car la Tunisie est une véritable poudrière. Le régime a été humilié par l’approbation qu'a donnée son parrain américain au raid meurtrier sioniste. La classe ouvrière a vu son pouvoir d'achat amputé d'un quart ces deux dernières années. Les universités sont en révolte contre le projet gouvernemental d'instaurer des concours d'entrée. Même des couches plus aisées ont été mécontentées par l'augmentation du prix de l’essence, de la vignette auto et de la taxe de sortie du territoire. Et est encore frais le souvenir de la révolte du pain, en janvier 1984, des masses plébéiennes, qui, comme la révolte de 1978, posait à brûle-pourpoint la nécessité pour la classe ouvrière de rassembler tous les opprimés derrière elle dans un assaut contre ce régime de misère et de répression. C'est pourquoi la tâche immédiate est la défense de l'UGTT, syndicat ouvrier, contre l'attaque lancée par l'Etat bourgeois. "Comités" jaunes à la solde du pouvoir et police, hors des locaux de l'UGTT! Libérez Achour et tous les syndicalistes emprisonnés! Réintégrez tous les licenciés pour faits syndicaux! Bourguiba, bas les pattes devant l'UGTT! Coup de force et union sacrée L'offensive gouvernementale était prévisible. Déjà, après les grèves d'octobre 1984, 2000 fonctionnaires ont été licenciés et des centaines de syndicalistes emprisonnés. C'est la bureaucratie syndicale, qui prêche le "dialogue" avec le régime et se rallie à son union sacrée, qui a saboté une véritable riposte et qui va de reculade en reculade. Mais même le syndicalisme "pur" le plus combatif est insuffisant dans un face à face avec la puissance de l’Etat bourgeois, comme l'a montré la grève héroïque des mineurs britanniques en 1984-85. Il faut une direction armée avec un programme révolutionnaire, trotskyste, pour mener cette lutte à la victoire. En juin 1985, les négociations salariales échouent, bien que la bureaucratie syndicale ait donné une preuve de sa "bonne volonté" en annulant la grève générale des fonctionnaires prévue pour le 7 mai. Mzali est encouragé à passer à l'attaque; le 30 août, il décide de supprimer la retenue à la source des cotisations syndicales. (Les marxistes révolutionnaires s'opposent à cette retenue qui, tout comme le "détachement" des fonctionnaires en tant que permanents syndicaux aux frais de l'Etat, ne peut que lier le syndicat à l'Etat bourgeois et le rendre encore plus vulnérable à une attaque antisyndicale. Les cotisations doivent être collectées par les militants, les organisateurs du syndicat. C'est là aussi le moyen de construire une organisation indépendante et forte.) Et juste après, El Chaab sera suspendu pour six mois. Le prétexte invoqué par le régime: l'attitude "négative" de l'UGTT "face au péril extérieur que connaît le pays à la suite de la crise avec la Libye". Kadhafi avait brutalement décidé l'expulsion des milliers de Tunisiens travaillant dans la "Jamaharriya socialiste!" — la fin de son rêve tendant à substituer, grâce à ses rentes pétrolières, aux Libyens une main-d'oeuvre immigrée. Ensuite, Tunis s'est servi de divers incidents pour crier à la menace d'une invasion libyenne. La bourgeoisie tunisienne espérait tout simplement ramasser quelques miettes de la table de l'impérialisme US en se joignant à la croisade anti-Kadhafi de Reagan — et matraquer l’UGTT. Les bureaucrates syndicaux ont en effet juré fidélité à la "défense de la patrie", rapportant ou annulant des grèves et repoussant toute action contre la répression. C'est uniquement pour la forme qu'ils ont protesté et continué à réclamer l'indexation des salaires sur l'inflation. Les travailleurs tunisiens et libyens n'ont pas le moindre intérêt à répandre leur sang, ni pour le despote islamique de Tripoli, ni pour une Tunisie livrée aux généraux dans l'ombre des canonnières impérialistes. Il fallait poursuivre la lutte de classe coûte que coûte; la ligne de l'internationalisme prolétarien de défaitisme révolutionnaire des deux côtés bourgeois montre la voie pour la défense du syndicat. Mais la capitulation social-patriote des bonzes de l'UGTT a préparé la prochaine attaque: début octobre, les milices destouriennes attaquaient des locaux de l'UGTT. Le 30 octobre, la police évacuait les sièges des unions régionales de Sfax et Tunis. La riposte spontanée des ouvriers montrait leur volonté de lutter. Des milliers de travailleurs protégeaient le siège de l'union régionale à Gabès. Les 1er et 2 novembre, la grève dans les mines et d'autres secteurs à Gafsa était effective à 90%. Partout dans le Sud—et à Ben-Arous dans la périphérie ouvrière du sud de Tunis—les grèves ont été un succès. Les enseignants de l'université de Tunis se mettaient en grève; une manifestation des étudiants et lycéens était dispersée par la police. Mais les consignes de la direction ne dépassèrent jamais le stade des grèves régionales et catégorielles, dans une situation qui exigeait rien de moins qu'une grève générale. A Tunis, la direction régionale, avec les flics à la porte, proposait... une grève de deux heures et imposait l'évacuation pacifique des locaux. Car la bureaucratie avait hâte de reprendre le "dialogue". Le 4 décembre, elle croyait avoir conclu un marché. Le régime promettait la "normalisation": la libération des syndicalistes arrêtés, la réintégration des syndicalistes licenciés, la reprise des négociations... si Habib Achour était "déchargé" de ses fonctions. Dans les faits, le communiqué de l'UGTT acceptait tacitement son assignation à résidence. Mais le moment venu, le régime a simplement déchiré ses accords; il ne s'agissait pour lui que de gagner du temps pour préparer le prochain "round". Pourquoi Achour est l'homme à abattre? Il est à la fois celui qui était pendant de longues années dans la direction du Parti destourien, choisi par Bourguiba lui-même, l'homme qui a dissous le Syndicat de l'enseignement secondaire pour fait de "grève politique" en 1975, qui a signé le "pacte social" pour le blocage des salaires en 1977—mais aussi l'homme de la démagogie "anti-impérialiste", qui menace périodiquement de former un parti "travailliste" pour concurrencer le Destour, qui a appelé à la grève générale en 1978, qui a mené le combat pour la reconquête de l'indépendance de l'UGTT après 1978. Ce lieutenant ouvrier de la classe capitaliste défend sa propre base de pouvoir en défendant "son" syndicat. C'est pourquoi aujourd'hui défendre Habib Achour, c'est défendre l'UGTT et l'indépendance organisationnelle du mouvement ouvrier contre le pouvoir bourgeois. Les travailleurs ont des comptes à régler avec Achour et les autres bureaucrates de l’UGTT, mais c'est à eux seuls que revient la tâche de balayer cette direction procapitaliste et de la remplacer par une direction révolutionnaire. La perspective tracée par Léon Trotsky en août 1940 est d'une actualité brûlante pour le prolétariat tunisien aujourd'hui: "Dans la mesure où le capitalisme impérialiste crée dans les pays coloniaux et semi-coloniaux une couche d'aristocratie et de bureaucratie ouvrières, celle-ci sollicite le soutien de ces gouvernements comme protecteurs et tuteurs et parfois comme arbitres […]. "Mais dans la mesure où le capitalisme impérialiste étranger domine l’Etat national et où il lui est possible de renverser la démocratie instable et de la remplacer immédiatement par une dictature fasciste ouverte, dans cette mesure, la législation se rapportant aux syndicats peut facilement devenir une arme dans les mains de la dictature impérialiste. [...] "Il est nécessaire de nous adapter nous-mêmes aux conditions concrètes existant dans les syndicats de chaque pays afin de mobiliser les masses, non seulement contre la bourgeoisie, mais aussi contre le régime totalitaire régnant dans les syndicats eux-mêmes et contre les leaders qui renforcent ce régime. "Le mot d'ordre essentiel dans cette lutte est: indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis-à-vis de l'Etat capitaliste. Cela signifie: lutte pour transformer les syndicats en organes des masses exploitées et non en organes d'une aristocratie ouvrière. "Le second mot d’ordre est: démocratie dans les syndicats. "Ce second mot d’ordre découle directement du premier et présuppose pour sa réalisation la complète liberté des syndicats vis-à-vis de l’Etat impérialiste ou colonial. "En d'autres termes, à époque actuelle, les syndicats ne peuvent pas être de simples organes de la démocratie comme à l'époque du capitalisme libre-échangiste, et ils ne peuvent pas rester plus longtemps politiquement neutres, c'est-à-dire se limiter à la défense des intérêts quotidiens de la classe ouvrière. Ils ne peuvent pas être plus longtemps anarchistes, c'est-à-dire ignorer l'influence décisive de l'Etat sur la vie des peuples et des classes. "Ils ne peuvent pas être plus longtemps réformistes, parce que les conditions objectives ne permettent plus de réformes sérieuses et durables. Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat" ("Les syndicats à l'époque de la décadence impérialiste"). Les travailleurs tunisiens ont besoin de leur parti. Non pas le parti "travailliste", réformiste, de "dialogue social" avec la bourgeoisie que promet Achour. Il faut un parti ouvrier avec un programme de lutte révolutionnaire: l'organisation de l'autodéfense ouvrière et d'une grève générale contre l'austérité et la répression bourguibiste. Un parti qui soit aussi le tribun du peuple, qui se batte pour tous les opprimés. Il ne faut pas que le mouvement ouvrier organisé laisse les étudiants, les jeunes, les chômeurs devenir la proie des démagogues de la réaction islamique. 25% de la population active est féminine. Le "statut" des femmes octroyé par le "combattant suprême" représente une fissure dans le carcan moyenâgeux imposé aux femmes du monde islamique. Un parti révolutionnaire doit s’y engouffrer pour mener la lutte pour l’émancipation des femmes par la révolution socialiste. La question des femmes est une question stratégique, de vie ou de mort dans ces pays où il n'y a pas eu de révolution bourgeoise. L’organisation des femmes autour du programme communiste sera l'arme décisive pour écraser les sinistres projets des islamistes version Kadhafi ou Khomeiny. Il faut un parti qui fasse des combatives ouvrières du textile des dirigeantes de la classe ouvrière tout entière. Un parti qui rejette sans appel la répugnante démagogie antisémite, ce "socialisme des imbéciles" qui prend les Juifs comme boucs émissaires pour la misère du pays et les crimes de l'Etat sioniste. Un parti qui lutte pour les paysans sans terre. Il faut un parti qui dépasse les limites étroites de la Tunisie. Les luttes qui éclatent dans un pays du Maghreb rencontrent facilement un écho dans un autre. De plus, la répression contre l’UGTT n'est pas étrangère aux efforts des impérialistes pour "aligner" le Maghreb dans une alliance antisoviétique. Mais sans un parti intégré à une internationale prolétarienne, l’anti-impérialisme" dans un seul pays conduit tout droit au soutien aux nationalistes petits-bourgeois tiers-mondistes ou même à sa propre bourgeoisie. Ceux qui ont la "révolution démocratique" toujours à la bouche, qui parlent de "révolution par étapes", ne peuvent que trahir les aspirations démocratiques des masses. Qu'il s'agisse du parti communiste, aplati devant Bourguiba et qui a dénoncé le "vandalisme" et le "recours aux manifestations de rue" en janvier 1984, ou les maoïstes qui prônent une forme plus "combative" de l'étapisme stalinien. La faiblesse de la bourgeoisie autochtone et le poids du prolétariat dans les pays dominés par l'impérialisme minent toute possibilité d'un régime bourgeois-démocratique stable. Parler de "démocratie" dans l'abstrait, c'est-à-dire sous le capitalisme, revient à subordonner le prolétariat aux forces bourgeoises et petites-bourgeoises — les bourguibistes sans Bourguiba ou les émules de Khomeiny et de Kadhafi — la continuation de la dictature et de la misère. Seule la conquête du pouvoir par le prolétariat peut réaliser les tâches démocratiques et répondre aux besoins de tous les opprimés. C'est pourquoi ce parti doit être armé du programme trotskyste, pour un gouvernement ouvrier et paysan — la dictature du prolétariat.
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