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Le Bolchévik nº 227 |
Mars 2019 |
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A bas la répression contre les gilets jaunes !
Macron vise travailleurs, minorités et services publics
Pour un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique et multiracial!
26 février Zineb Redouane, âgée de 80 ans, a été tuée par une grenade lancée à sa fenêtre par les flics lors d’une manifestation des gilets jaunes à Marseille le 1er décembre. Une vingtaine de personnes ont perdu un il suite à des tirs de flash-ball, d’autres ont perdu une main suite à des tirs de grenade depuis le début du mouvement en novembre dernier. Il y a eu près de deux mille blessés selon les chiffres officiels reconnus en janvier par le gouvernement. A ce jour la police revendique plus de 8 000 arrestations et 1 800 condamnations dans le cadre de la répression des gilets jaunes. Les flics se sont vantés d’avoir procédé à plus de 1 000 arrestations le 8 décembre, une répression sans précédent en France depuis Mai 68. Même lors de la fameuse nuit des barricades le 10 mai 1968, qui avait été le point de départ de l’explosion sociale, il y avait eu à peine quelques centaines d’arrestations. Nous exigeons la levée de toutes les poursuites et la libération de tous les gilets jaunes incarcérés.
Cette violence des flics est peut-être sans précédent depuis 50 ans à ce niveau de masse, mais elle ne vient pas de nulle part. Elle a été préparée par de longues années de violences policières contre les jeunes d’origine maghrébine et africaine notamment dans les quartiers pauvres du pays. L’usage des flash-ball s’est d’abord généralisé dans la Brigade anti-criminalité (BAC) spécialisée dans les rafles racistes dans les quartiers. L’un des articles du code pénal les plus utilisés pour condamner les gilets jaunes, le 222-14-2 (« participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens ») a été introduit sous Sarkozy, en 2010, contre les jeunes des quartiers.
Cela souligne que le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes des minorités. Tout l’arsenal policier et judiciaire raciste mis en place contre ces jeunes menace en dernier ressort l’ensemble de la population et plus spécifiquement la classe ouvrière. Les travailleurs issus d’Afrique du Nord et de l’Ouest, et des colonies restantes de la France, ainsi que leurs descendants, constituent une composante cruciale de la classe ouvrière. Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici ! La discrimination raciste est inhérente au capitalisme ; elle sert à diviser la classe ouvrière. A bas Vigipirate ! A bas la guerre raciste « contre le terrorisme » !
Cette répression est aussi une brutale leçon de choses sur la nature de l’Etat. Celuici est constitué de bandes d’hommes armés (flics, gendarmes, matons, militaires avec leur hiérarchie de commissaires, de juges et d’officiers) dont la nature même est de protéger l’ordre capitaliste d’exploitation et d’oppression. Pourtant de nombreux gilets jaunes, alors même qu’ils protestent contre la violence des flics, ont d’énormes illusions que le rôle des flics n’est pas de tabasser les gilets jaunes mais de protéger la population. Ce n’est pas seulement parce que France 2 leur montre trop de mauvais films policiers, c’est aussi parce que les directions du mouvement ouvrier ressassent de façon criminelle ce mensonge.
Ainsi Ian Brossat, chef de file du PCF pour les prochaines élections (au soi-disant « parlement » européen), déclarait le 15 février à la télé qu’au lieu de flash-ball il faudrait « un plan d’embauche massif » dans la police pour mieux maintenir l’ordre. Son camarade Pierre Laurent, ainsi qu’Olivier Besancenot (vedette du NPA), ont signé une tribune dans le Monde (18 janvier) prétendant que « l’escalade répressive et l’utilisation intensive des moyens de police finissent d’ailleurs par mettre en danger les gendarmes et les policiers eux-mêmes ». Confondant victimes et coupables, ils ont compté « 3 000 blessés et mutilés » en déformant un décompte officiel de 2 000 manifestants blessés et mutilés plus 1 000 flics soidisant blessés (sans doute des ampoules à la main à force de matraquer). Ces réformistes se lamentent que les provocations des flics « minent en fait encore un peu plus les bases de notre pacte républicain », c’est-à-dire ils propagent des illusions dans la nature de la police et de l’Etat.
Macron : Haro sur la Sécu, l’éducation et les fonctionnaires
La répression se déchaîne parce que le gouvernement doit mener à bien des attaques sans précédent contre les travailleurs et les pauvres dans un effort désespéré pour maintenir la position de l’impérialisme français, contre son rival allemand notamment. Il doit pour cela vite mater tous ceux qui osent descendre dans la rue contre le gouvernement, à n’importe quel sujet. Derrière les gilets jaunes, c’est le mouvement ouvrier qu’il s’agit d’intimider par ce déploiement de force.
Macron l’a réitéré dans ses « vux » du début de l’année : il veut liquider les retraites de tout le monde, livrées aux assurances privées et aux fonds de pension. Il veut en finir avec l’assurance chômage telle qu’on l’a connue, et qui pourtant n’indemnisait déjà (chichement) qu’un chômeur sur deux parmi six millions d’inscrits à Pôle emploi (!). Il a lancé une grande offensive contre les syndicats de fonctionnaires dans le but de faire passer le dégraissage de 120 000 fonctionnaires et une précarisation accrue. Il veut détruire le statut de ceux qui resteront et les faire passer à un système de rémunération à la tête du client. Dans la santé, il lance un plan pour transformer des centaines d’hôpitaux en simples dispensaires et transférer des actes médicaux à des infirmières et des employés de pharmacie (sans les payer en conséquence).
Dans l’éducation, il veut dresser les profs pour qu’ils transmettent bien (sous peine de licenciement) aux gamins des travailleurs le respect du gouvernement et le réflexe du garde-à-vous devant le drapeau tricoloreet la Marseillaise, et qu’ils ôtent de la tête de ces jeunes l’idée qu’ils auraient un droit quelconque à entrer à l’université à 18 ans. Le déchaînement de terreur raciste contre les jeunes des minorités, dont l’emblème était Mantes-la-Jolie (l’arrestation dans cette ville de la banlieue parisienne, le 6 décembre dernier, de cent cinquante lycéens obligés ensuite de s’agenouiller les mains sur la tête), avait pour but d’empêcher la remise en cause de Parcoursup en conjurant la menace d’un nouveau CPE : en 2006, la mobilisation des jeunes, notamment dans les banlieues, s’était élargie à la classe ouvrière jusqu’à stopper l’attaque anti-jeunes de Chirac-Sarkozy.
Le gouvernement espère qu’à force de coups de boutoir macronistes depuis sept ans (notamment la loi El Khomri en 2016, les ordonnances antisyndicales de 2017, la démolition du statut des cheminots en 2018), les syndicats ne seront pas en mesure de mener une riposte à la hauteur de l’attaque. Ils sont terriblement affaiblis par la généralisation du précariat, de la sous-traitance et de l’« ubérisation » des emplois qui servent de frein à la syndicalisation.
Macron compte sur la complicité de la haute bureaucratie de la CFDT, qui a fait campagne pour lui il y a deux ans et continue de le soutenir en dépit du mépris total que le gouvernement lui témoigne. Mais c’est surtout les bureaucrates de la CGT qui ont rendu un fier service au gouvernement au début du mouvement des gilets jaunes. Son secrétaire général Philippe Martinez a d’abord dénoncé les gilets jaunes en cherchant à dissuader les militants syndicaux de se joindre à leurs protestations, sans parler de prendre la tête de la lutte contre le gouvernement. Pas étonnant qu’il y ait eu des manifestations d’hostilité aux syndicats dans ce contexte !
Sous la pression de sa base, Martinez a peu à peu reculé et, sur le terrain, il y a eu convergence en de nombreux endroits entre cégétistes et gilets jaunes. Comme nous l’expliquons dans notre tract en page 11, le mouvement des gilets jaunes est socialement et politiquement hétérogène, et de ce fait oscille, y compris en termes de revendications, entre les deux classes fondamentales de la société capitaliste : la bourgeoisie et la classe ouvrière. En l’absence d’une direction de la classe ouvrière authentiquement communiste, sa direction est nécessairement petite-bourgeoise. La classe ouvrière doit prendre la tête de la lutte contre le gouvernement en cherchant à la diriger contre le système capitaliste lui-même.
Chez les routiers, la CGT et FO (dont le dirigeant Patrice Clos est réputé « anarchiste »)ont décommandé un appel à la grève le 9 décembre. Cela faisait suite à de vagues promesses du gouvernement qu’ils allaient finalement continuer à être exemptés des mesures de la loi El Khomri limitant le paiement des heures supplémentaires, qui sont légion dans ce secteur. Il est difficile d’imaginer l’impact qu’aurait pu avoir la grève, alors que les ronds-points étaient occupés dans tout le pays par les gilets jauneset que des raffineries étaient bloquées par des gilets jaunes renforcés par des militants CGT ! Déjà il y a trois ans la même bureaucratie de FO et CGT avait levé la grève des routiers contre la loi El Khomri suite aux mêmes promesses vides. Une femme gilet jaune réagissait ainsi en décembre dernier : « Ils pouvaient nous filer un coup de main, ils ont gagné grâce à nous, et nous, on va se faire avoir ! Tous des connards ! » (le Monde diplomatique, janvier). Voilà comment les trahisons des bureaucrates affaiblissent les syndicats eux-mêmes.
Si le mouvement ouvrier a été jusqu’à présent une force marginale dans ces protestations, à la remorque des gilets jaunes, ce n’est pas du fait des travailleurs syndiqués, mais de leur direction. Il faut chasser les bureaucrates réformistes des directions syndicales et les remplacer par une direction lutte de classe ! Cette lutte est intimement liée à la lutte pour un parti prolétarien d’avant-garde.
Classe ouvrière et petite bourgeoisie
Du fait du poids de la petite bourgeoisie dans le mouvement des gilets jaunes, il n’est pas surprenant que certaines de ses revendications (notamment touchant l’immigration) soient réactionnaires, et même qu’il y ait des fascistes organisés dans les manifestations. Le cortège du NPA lui-même a été brutalement agressé par une horde de fascistes lors de la manifestation du 26 janvier à Paris.
Les fascistes sont des bandes de nervis à la solde du capital ; leur programme, c’est le pogrome raciste et l’annihilation du mouvement ouvrier organisé. Ils se recrutent parmi les petits-bourgeois menacés de ruine par le capitalisme. La bourgeoisie française les tient aujourd’hui en laisse mais elle n’hésiterait pas à les lâcher si les matraques « démocratiques » des flics de Macron se révélaient insuffisantes pour mater les travailleurs (cf. Vichy).
C’est pourquoi le mouvement ouvrier, basé sur les syndicats, devrait faire rentrer cette racaille dans son trou avant qu’elle ne grossisse. Si les syndicats prenaient la tête de la lutte et mobilisaient leurs troupes dans la rue, à la tête des gilets jaunes, des jeunes des minorités et de tous les opprimés, ce ne serait pas si difficile. C’est une question de direction. A Toulouse, où le poids des syndicats est plus fort dans le mouvement des gilets jaunes, des antifas ont dégagé de la manifestation du 2 février un provocateur antijuif proche de Dieudonné et Soral.
Du fait de son hétérogénéité, il n’est pas étonnant que le mouvement des gilets jaunes se modèle dans le meilleur des cas sur la Révolution française. Certes, on ne peut que sympathiser aux comparaisons de Brigitte Macron avec Marie-Antoinette et aux citations de la Déclaration des droits de l’homme de 1793 sur le devoir d’insurrection face à l’injustice. Mais la grande Révolution française, malgré toute sa radicalité qui a balayé le féodalisme, était une révolution bourgeoise. Aujourd’hui la Marseillaise est l’hymne du capitalisme impérialiste français, gorgé du sang de ses esclaves coloniaux, l’un des quelques pays dont le capital financier étrangle le monde et dont les troupes massacrent au Mali, en Syrie et ailleurs.
Cela fait plus de cent ans que le capitalisme, parvenu à son terme impérialiste, est devenu complètement réactionnaire, un frein au développement des forces productives de l’humanité. Il a déjà plongé le monde dans deux guerres mondiales qui ont fait des dizaines de millions de morts. Le capitalisme ne tombera pas de lui-même sans qu’on le renverse, et cela exige une révolution prolétarienne ; la Révolution russe a montré que c’est possible. C’est elle notre modèle, et ce qui a permis sa victoire en 1917, c’est que la classe ouvrière russe avait à sa tête un parti révolutionnaire d’avant-garde, le Parti bolchévique de Lénine et Trotsky. C’est un tel parti que nous luttons pour construire.
RIC et Assemblée constituante, ou république des soviets
Beaucoup de gilets jaunes s’imaginent que l’introduction d’un « référendum d’initiative citoyenne » (RIC) permettrait au peuple de retrouver une bonne partie de sa souveraineté face aux puissants. C’est une cruelle illusion.
Le dernier référendum qui s’est déroulé en France, c’était en 2005 sur le traité de Lisbonne concernant l’Union européenne. Nous avions appelé à voter « non » sur la base de notre opposition de principe à ce bloc impérialiste réactionnaire contre les travailleurs de tout le continent et contre les petits pays opprimés. Le « non » l’avait nettement emporté, mais les gouvernements successifs, celui de droite de Sarkozy comme celui de gauche de Hollande (élu avec les voix du PCF et du NPA), se sont assis sur le résultat, sans même s’embêter à faire revoter les Français jusqu’à ce qu’ils votent « correctement ».
Non seulement une réformette de la Constitution de la Cinquième République incluant le RIC sous une forme ou une autre, mais aussi sa réécriture par une assemblée constituante, comme le demandent les chauvins bourgeois de la France insoumise, le Parti radical de gauche, le PCF, le NPA ou les lambertistes (POI et POID), n’aboutirait en définitive qu’à un simple toilettage de l’ordre bourgeois exploiteur et oppressif. Une assemblée constituante est un parlement bourgeois, comme nous l’expliquons dans notre article « Pourquoi nous rejetons l’appel à une “assemblée constituante” » (Spartacist édition française n° 41, été 2013), « toute l’histoire du XIXe siècle démontre que ce mot d’ordre va à l’encontre de la lutte pour le pouvoir prolétarien ».
L’histoire du XXe l’a non seulement encore prouvé, elle a aussi montré l’issue avec la Révolution russe. L’assemblée constituante élue en Russie en décembre 1917 était une assemblée contre-révolutionnaire, opposée au pouvoir des soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats qui avait entamé la libération de tous les opprimés. Les bolchéviks la dispersèrent pour consolider le pouvoir des travailleurs face à la menace de restauration capitaliste. Nous cherchons à nous inspirer de leur exemple pour tracer la voie vers la révolution socialiste, ici et internationalement. Pour une Quatrième Internationale trotskyste reforgée !
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