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Le Bolchévik nº 220 |
Juin 2017 |
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Syriza : garde-frontière de la « forteresse Europe »
Grèce Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés !
Fermeture des camps de détention ! Non aux expulsions !
Nous reproduisons ci-après la traduction d’un article du journal O Bolsevikos (n° 2, avril) de notre section grecque, le Groupe trotskyste de Grèce (TOE).
L’effroyable sort que connaissent des milliers de réfugiés et d’immigrés en Grèce s’est considérablement aggravé l’hiver dernier. Alors que les températures étaient brutalement descendues jusqu’à -14° en janvier, des images ont fait le tour du monde de gens traumatisés et désespérés qui n’avaient pour abri que des tentes de toile couvertes de neige. Inévitablement, il y a eu des morts. En l’espace d’une seule semaine du mois de janvier, trois personnes sont mortes dans le camp surpeuplé de Moria, sur l’île de Lesbos. Deux des trois personnes décédées, un Egyptien de 22 ans et un Syrien de 45 ans, seraient mortes asphyxiées par des émanations toxiques ou d’autres gaz. Deux mois auparavant, une Irakienne de 66 ans et son petit-fils de 6 ans étaient tués dans le même camp par l’explosion d’une bonbonne de gaz. La responsabilité de ces décès incombe directement au gouvernement Syriza-ANEL ainsi qu’aux dirigeants impérialistes de l’Union européenne (UE). Pendant que [le Premier ministre grec Alexis] Tsipras prononce de belles paroles hypocrites sur la « solidarité » et la « démocratie », son gouvernement a enfermé 15 000 immigrés dans les îles grecques, dans des camps sordides coordonnés par l’armée et gardés par la police, pour le compte de Merkel, Hollande, May et compagnie. C’est le même Syriza qui, en juillet 2015, n’a tenu aucun compte du vote massif pour le « non » au référendum sur l’austérité de l’UE, et qui aujourd’hui saigne à blanc les travailleurs pour rembourser les banquiers européens et américains.
La crise des réfugiés qui secoue l’Europe ces dernières années est le résultat direct des guerres et occupations perpétrées par les impérialistes américains et européens en Afghanistan, au Proche-Orient et en Afrique. La majorité des personnes actuellement détenues dans les camps de concentration grecs ont fui des zones de guerre en Irak, en Afghanistan et en Syrie. Des milliers d’autres immigrés sont morts en tentant d’atteindre les portes de la « forteresse Europe » ; ils avaient dû fuir la guerre ou la misère terrible qui sont le lot commun de la plupart des gens dans le monde néocolonial. Ils ont été assassinés par les gouvernements impérialistes dont les armées ont dévasté leur pays en en ravageant l’économie ; ces gouvernements leur ont volé leur gagne-pain et les ont ensuite froidement laissés mourir. Depuis dix ans, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne notamment trempent dans des guerres et/ou des occupations en Afghanistan, en Irak, en Syrie et en Libye.
Un facteur clé qui a permis aux impérialistes de multiplier plus librement les exactions aux quatre coins du monde a été l’effondrement de l’Etat ouvrier dégénéré soviétique en 1991-1992. La contre-révolution capitaliste en Union soviétique a été une catastrophe pour les travailleurs du monde entier. Pour les puissances impérialistes, et notamment la puissance dominante américaine, cela signifie qu’elles ne sont plus bridées par la crainte que leur inspirait la puissance militaire soviétique, et qu’elles sont de ce fait enhardies pour se lancer dans de nouvelles guerres de pillage contre des pays semi-coloniaux. La Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste), dont le TOE est la section grecque, s’est battue jusqu’au bout pour défendre l’Union soviétique contre l’impérialisme et la contre-révolution intérieure. En même temps, nous nous battions pour une révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie stalinienne, dont la politique criminelle de conciliation envers l’impérialisme a sapé mortellement l’Etat ouvrier.
Syriza : des laquais de l’UE
Le gouvernement capitaliste de Tsipras s’est fait le collaborateur empressé des crimes des impérialistes. Lors de sa visite en Grèce en novembre 2016, l’ancien Président américain Barack Obama a souligné que, « bien qu’elle soit confrontée à de terribles difficultés économiques, la Grèce est l’un des cinq alliés membres de l’OTAN qui consacrent 2 % de leur PIB à la défense », et il a remercié « nos alliés grecs pour notre étroite collaboration à Souda » (« Le peuple grec a besoin d’espérance », interview exclusive d’Obama au journal Kathimerini, 13 novembre 2016). La base de Souda, en Crète, dispose effectivement d’installations d’importance stratégique pour les impérialistes ; elle est à la disposition de l’OTAN pour mener des attaques contre des cibles en Syrie, ainsi que pour patrouiller en mer Egée pour faire la chasse aux bateaux transportant des immigrés. Nous disons : Toutes les forces impérialistes, hors du Proche-Orient et d’Afrique ! Fermeture immédiate de la base de Souda et de toutes les bases de l’OTAN en Grèce !
Pour endiguer l’afflux de réfugiés en Europe (qui ne représentent en fait qu’un infime pourcentage des 60 millions de réfugiés sur cette planète), l’UE a intensifié les mesures répressives pour bloquer les arrivées et accélérer les expulsions. En 2015, les Etats membres de l’UE, dont l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie, ont envoyé des navires de guerre au large des côtes de Libye et d’autres pays, officiellement pour dissuader les « passeurs ». Leur véritable objectif était d’empêcher les réfugiés d’atteindre les rivages de l’UE. Les routes méditerranéennes étant fermées, les réfugiés fuyant la Syrie et d’autres pays en guerre n’avaient d’autre choix que de passer par les Balkans. En mars 2016, plusieurs Etats des Balkans ont fermé leur frontière aux réfugiés, fermant ainsi la route qui menait de la Grèce à l’Europe du Nord. Une semaine plus tard, l’UE annonçait un accord avec la Turquie, aux termes duquel les immigrés en Grèce seraient expulsés vers la Turquie en échange d’un nombre équivalent de demandeurs d’asile syriens se trouvant actuellement dans des camps en Turquie.
Avec cet accord entre l’UE et la Turquie, Merkel achetait ouvertement Erdogan pour se débarrasser des réfugiés. La Turquie se voyait promettre six milliards d’euros d’aide, un assouplissement de la délivrance des visas pour les citoyens turcs voulant se rendre dans l’UE et la réouverture des négociations d’adhésion à l’UE précédemment gelées. Depuis, le coup d’Etat militaire manqué de juillet 2016 en Turquie et le contre-coup d’Etat d’Erdogan [voir notre article « Le contre-coup d’Etat d’Erdogan en Turquie », le Bolchévik n° 218, décembre 2016] ont entraîné le gel de l’accord entre l’UE et la Turquie, et la Grèce refuse de considérer la Turquie comme un « pays sûr ». Entre-temps, Berlin a annoncé des plans pour commencer à renvoyer des demandeurs d’asile en Grèce, conformément aux accords de Dublin de l’UE. Le mouvement ouvrier allemand doit s’opposer à ces mesures.
Ce type de transferts avait été suspendu il y a sept ans, suite à un jugement de la Cour européenne des droits de l’Homme qui condamnait la Grèce pour son « traitement inhumain et dégradant » des réfugiés. Il y a actuellement environ 62 000 réfugiés bloqués en Grèce, où ils vivent dans des conditions effroyables et dans une incertitude totale sur leur avenir. Le mouvement ouvrier grec doit exiger que les personnes détenues soient libérées immédiatement et qu’on leur donne les pleins droits de citoyenneté en Grèce, c’est-à-dire non seulement des papiers et le droit de vote mais aussi l’égalité d’accès à l’emploi, au logement et à l’éducation. Non aux expulsions ! Fermeture des camps de concentration !
UE : ennemie des travailleurs et des immigrés
Les souffrances infligées aux travailleurs grecs et le traitement abominable réservé aux immigrés désespérés qui fuient la guerre et la faim montrent on ne peut plus clairement la nature réactionnaire de l’UE impérialiste. Ses origines remontent aux années 1950, quand les impérialistes d’Europe de l’Ouest cherchèrent à consolider leur alliance contre l’Union soviétique en renforçant leur cohésion économique. En ce sens, l’UE était le corollaire économique de l’OTAN. C’est aujourd’hui un bloc commercial instable dominé par l’impérialisme allemand. Les capitalistes européens cherchent grâce à lui à maximiser leurs profits aux dépens de la classe ouvrière de l’Allemagne à la Grèce et à améliorer leur compétitivité vis-à-vis de leurs rivaux impérialistes américains et japonais. L’euro est un instrument de la domination de l’impérialisme allemand sur les Etats européens plus faibles. La LCI s’est opposée dès le début et par principe à l’UE et à ses précurseurs. Nous sommes pour briser ce cartel impérialiste et c’est pourquoi nous nous sommes félicités du vote pour le Brexit, qui était une défaite pour les banquiers et les patrons de Grande-Bretagne et des autres pays d’Europe.
Après le renversement du vote « non » au référendum de juillet 2015 par Syriza, qui a commis là une trahison, le TOE a lancé un appel aux travailleurs grecs et leurs alliés à construire des comités d’action ouvriers pour dénoncer la trahison de Syriza et lutter pour sortir de l’UE et de l’euro ; nous avons avancé des revendications pour répondre aux besoins immédiats des travailleurs et des opprimés, y compris des immigrés. Ces revendications vont nécessairement au-delà de ce que les capitalistes considèrent comme « possible » ; elles expriment la nécessité d’un gouvernement qui défende les intérêts des travailleurs et qui leur soit subordonné. Nous avons appelé à une lutte de classe en commun des travailleurs de Grèce, d’Allemagne et des autres pays d’Europe, unis contre tous les impérialistes de l’UE (« CA SUFFIT ! », le Bolchévik n° 213, septembre 2015). Notre programme, c’est la révolution prolétarienne pour exproprier les exploiteurs capitalistes et instaurer les Etats-Unis socialistes d’Europe.
Pour des actions ouvrières de front unique pour stopper les fascistes
La destruction de l’économie grecque par l’UE et ses complices dans la bourgeoisie grecque a conduit à une paupérisation accélérée de la classe ouvrière et d’une partie significative de la petite bourgeoisie. Les travailleurs font preuve depuis plusieurs années d’une forte volonté de lutte mais ce qui manque cruellement, c’est une direction révolutionnaire et internationaliste de la classe ouvrière. Cette direction doit être armée non pas d’un programme sans issue pour faire pression sur le parlement des patrons afin qu’il agisse conformément aux intérêts des travailleurs et des opprimés, mais d’un programme pour préparer la classe ouvrière, à la tête de tous les opprimés, à prendre le pouvoir par des moyens révolutionnaires et à engager la reconstruction socialiste de la société, conformément à ses propres intérêts. En l’absence d’une telle direction qui offrirait une issue révolutionnaire à l’impasse actuelle, la détresse engendrée par la crise économique capitaliste constitue un terrain fertile pour des fascistes comme Aube dorée.
La crise des réfugiés a conduit à une montée des incidents racistes et des agressions fascistes. Le racisme officiel du gouvernement Syriza-ANEL donne le feu vert à ce genre d’attaques. Début février, des immigrés qui protestaient contre des conditions de vie atroces dans le camp de réfugiés d’Elliniko [près d’Athènes] s’étaient rassemblés pour bloquer au ministre de la Politique migratoire Giannis Mouzalas l’entrée dans le camp. Mouzalas a réagi en déclarant : « Ils ont des droits, et nous les respectons. Mais ils doivent respecter les lois de l’Etat. Quiconque se sent opprimé à l’intérieur de ce camp peut partir et se soumettre à ce que prévoit la loi » (Kathimerini, 7 février). A Salonique, à Athènes et dans d’autres villes, des parents d’élèves racistes se sont mobilisés pour empêcher les enfants de réfugiés d’aller à l’école avec leurs propres enfants. A Perama [derrière le port du Pirée], des nervis fascistes d’Aube dorée ont tabassé des enseignants et des parents d’élèves d’une école primaire pour empêcher la scolarisation des enfants de réfugiés.
Perama était autrefois un bastion du KKE [Parti communiste grec]. Aujourd’hui ravagée par le chômage, cette commune a été le théâtre de nombreuses agressions de la part d’Aube dorée. En septembre 2013, neuf militants du KKE qui y collaient des affiches ont dû être hospitalisés après avoir été agressés par une cinquantaine de fascistes. A cette occasion, le KKE a appelé à une manifestation de protestation qui a rassemblé des milliers de personnes. Mais, la plupart du temps, la réaction du KKE face au danger mortel que représente Aube dorée consiste à faire preuve d’une passivité criminelle et à faire confiance à l’Etat capitaliste.
Historiquement, les mouvements fascistes sont des mobilisations extra-parlementaires de la petite bourgeoisie enragée, du lumpen-prolétariat et d’une couche d’ouvriers, qui ont été ruinés par la crise économique capitaliste et se tournent vers un nationalisme meurtrier d’extrême droite ; leur but est de détruire principalement le mouvement ouvrier et de mener des pogromes racistes et des meurtres de masse. La bourgeoisie garde les troupes de choc fascistes en réserve, pour pouvoir y avoir recours, lors d’une crise sociale, afin d’écraser toute perspective de lutte révolutionnaire de la classe ouvrière. Pour stopper net les fascistes, il faut construire des mobilisations de front unique centrées sur la puissance sociale des syndicats et rassemblant toutes les victimes désignées des fascistes immigrés et réfugiés, Roms, homosexuels, minorités nationales et ethniques, etc. Une démonstration de force massive des travailleurs et des opprimés à chaque fois que la vermine fasciste relève la tête ferait bien vite rentrer celle-ci dans son trou, et en même temps cela permettrait aux travailleurs de ressentir leur propre force. Il faut construire des groupes de défense ouvriers ethniquement intégrés, basés sur les syndicats, pour défendre les quartiers ouvriers et immigrés contre les bandes fascistes.
Au lieu de cela, le KKE appelle simplement à « condamner et isoler Aube dorée » (« Pour isoler Aube dorée, solidarité avec les enfants de réfugiés », Rizospastis, 18 janvier), comme s’il s’agissait d’une option individuelle et non de mobiliser la classe ouvrière et les opprimés dans une action de masse. En somme, le nationalisme et le populisme grec venimeux avec lequel le KKE cherche à faire concurrence à Aube dorée pour obtenir les voix des éléments les plus arriérés de la société est un obstacle à une lutte décisive contre le fascisme.
Le soutien en catimini de la gauche grecque à l’UE
Le KKE est officiellement opposé à l’UE, mais cette position est contredite par son refus criminel d’appeler à voter « non » lors du référendum de juillet 2015. Son opposition à l’UE ne découle pas d’un attachement à défendre les intérêts de la classe ouvrière internationale (y compris du prolétariat grec), mais de ce qu’il estime être l’intérêt national de la Grèce, c’est-à-dire des capitalistes grecs. Le KKE a ainsi publié dans son journal Rizospastis un article (« Thèses du KKE sur la question des réfugiés-immigrés », 6 mars 2016) où le principal souci du KKE portait sur « l’agressivité et les provocations de la Turquie, comme on a pu le voir avec les initiatives turques de ces derniers jours, qui remettent en cause la souveraineté de la Grèce en mer Egée ». La vraie question pour les nationalistes grecs du KKE, c’est de défendre les frontières grecques contre la Turquie en prétendant faussement qu’il est possible de le faire « du point de vue des intérêts de la classe ouvrière et des couches populaires » (Kommounistiki Epitheorisi n° 3, 2016), alors qu’en réalité c’est dresser les travailleurs grecs du côté de leur bourgeoisie contre leurs frères de classe en Turquie.
Dans ces mêmes thèses de Rizospastis, le KKE appelle le gouvernement Syriza à « arrêter de soutenir les décisions de l’UE qui, avec les accords de Schengen et de Dublin, condamnent des milliers de réfugiés à se retrouver piégés en Grèce contre leur gré ». Le KKE demande « le transfert immédiat et en toute sécurité des réfugiés-immigrés depuis les pays qui les ont accueillis en premier, comme la Turquie, la Jordanie, le Liban, ainsi que les îles grecques, vers leur pays de destination finale, sous la responsabilité de l’ONU et de l’UE ». Cette touchante confiance dans l’UE et l’ONU pour qu’elles donnent l’asile en évitant la Grèce et en garantissent le transfert en toute sécurité des réfugiés hors de Grèce fait écho aux complaintes du gouvernement Syriza qui estime que la Grèce est devenue un « entrepôt d’âmes » qui croule sous le poids des réfugiés et aux appels d’Antarsya pour l’« ouverture des frontières » (excepté, pour le KKE, les frontières grecques).
Ant.Ar.Sy.A [Collaboration de gauche anticapitaliste pour le renversement ; l’acronyme « antarsya » veut dire aussi « résistance »] est une coalition rassemblant diverses organisations allant du Nouveau Courant de gauche (NAR, issu d’une scission du KKE et de son organisation de jeunesse, la KNE, en 1989) jusqu’aux sociaux-démocrates du Parti ouvrier socialiste (SEK, lié aux cliffistes du SWP britannique), aux pseudo-trotskystes d’OKDE-Spartakos et à des maoïstes, ex-eurocommunistes et écologistes. Antarsya a fait fonction de groupe de pression « de gauche » sur les populistes bourgeois de Syriza, y compris en participant aux manifestations d’« unité nationale » appelées par Tsipras à l’époque des négociations avec l’UE sur le Troisième mémorandum. Après la capitulation de Syriza devant l’UE, Antarsya a changé de cheval en se mettant principalement à la remorque de l’Unité populaire, une scission populiste bourgeoise de Syriza dirigée par Panagiotis Lafazanis.
Ce que partagent tous les groupes qui se retrouvent dans Antarsya, c’est un programme maximum de réformes dans un cadre capitaliste, et un anticommunisme qui s’exprime par une hostilité virulente vis-à-vis de l’ex-Union soviétique. L’internationale du SEK a applaudi la contre-révolution capitaliste en Union soviétique le SWP britannique déclarait ainsi en août 1991 : « Le communisme s’est effondré [
] un fait dont tout socialiste doit se réjouir » (Socialist Worker, 31 août 1991). Le SEK et ses camarades d’idées, qui se sont battus pour la contre-révolution en Union soviétique, doivent assumer leur part de responsabilité pour le monde postsoviétique, où la capacité des impérialistes à provoquer le chaos aux quatre coins du monde est immensément accrue. C’est la destruction de sociétés entières par les impérialistes qui est la cause première de la crise des réfugiés actuelle.
Aujourd’hui, Antarsya se présente comme le défenseur « de gauche » des immigrés et des réfugiés. En fait, son appel libéral à « ouvrir les frontières de l’Europe » aux réfugiés (déclaration d’Antarsya, « Solidarité avec les luttes des réfugiés », 11 mai 2016) nourrit des illusions absurdes dans le capitalisme grec, sous le gouvernement « de gauche » de Syriza, et dans la façade « humanitaire » de l’UE. Penser que les mêmes capitalistes européens qui ont provoqué la noyade de milliers d’immigrés en Méditerranée, et qui emprisonnent ou expulsent ceux qui réussissent à atteindre les rivages de la « forteresse Europe », pourraient être forcés à agir par souci humanitaire et à autoriser la « libre circulation » des immigrés à l’intérieur de l’Europe, c’est la pire des illusions.
Il ne peut pas y avoir de politique d’immigration progressiste sous le capitalisme, et le rôle des communistes n’est pas de proposer des politiques alternatives. Notre objectif, c’est d’organiser la puissance sociale du prolétariat pour balayer le système capitaliste et instaurer le pouvoir ouvrier. Pour renforcer l’unité, la solidarité et la capacité de lutte de notre classe, nous cherchons à mobiliser le mouvement ouvrier pour défendre les immigrés, notamment en revendiquant les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui ont réussi à arriver dans ce pays. Nous sommes contre toutes les expulsions et les arrestations, nous sommes contre les quotas d’immigration racistes et nous réclamons la fermeture de ces lieux de torture que sont les centres de détention. Nous appelons à syndiquer les non-syndiqués : il faut intégrer les travailleurs immigrés dans les syndicats, avec les pleins droits et une pleine protection. C’est une question vitale pour l’unité de la classe ouvrière : elle comporte une composante cruciale d’Albanais et autres immigrés, qui sont des centaines de milliers ; parmi eux, beaucoup sont arrivés il y a plus de vingt ans et leurs enfants grandissent ici.
Au contraire, les appels des libéraux et des réformistes à l’« ouverture des frontières » sous le capitalisme sont à la fois utopiques et réactionnaires. Appeler les capitalistes à ouvrir leurs frontières revient à les appeler à éliminer l’Etat capitaliste et donc le système capitaliste lui-même. Aucune classe dirigeante capitaliste ne renoncera volontairement au contrôle qu’elle exerce sur son territoire. L’Etat-nation moderne a surgi comme l’instrument du développement du capitalisme, et il restera le fondement du capitalisme jusqu’à ce que tout le système soit détruit par une série de révolutions ouvrières.
Appliquée à des petits pays ou à des pays néocoloniaux, l’« ouverture des frontières » peut avoir des conséquences réactionnaires, par exemple en facilitant la pénétration économique impérialiste. A une échelle suffisamment large, l’immigration de masse est incompatible avec le droit à l’autodétermination nationale. Israël et la Palestine en sont un exemple. Les Etats impérialistes fermèrent leurs frontières d’abord aux réfugiés juifs qui fuyaient l’Allemagne nazie, et ensuite aux survivants des camps de la mort. Des centaines de milliers de Juifs européens furent contraints d’aller en Palestine. Cet afflux massif a provoqué le déplacement du peuple arabe palestinien, qui a été chassé de sa patrie.
De plus, derrière ses discours sur l’« ouverture des frontières » en Europe, Antarsya porte aux nues les accords de Schengen sur la libre circulation dans l’UE, de manière à cultiver les illusions dans l’unification européenne et à dissimuler la véritable nature de l’UE. Des groupes comme le Secrétariat unifié (auquel est liée OKDE-Spartakos [et dont des militants français sont dans le NPA]) et d’autres ont ainsi promu pendant des années le mythe que l’UE pourrait devenir une espèce de super-Etat au-dessus des Etats nationaux, doté du pouvoir d’effacer les frontières nationales. Comme l’écrivait Lénine en 1915, « les Etats-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires », et aujourd’hui l’UE est au bord de l’effondrement.
Contrairement à cette fable, la préoccupation fondamentale des capitalistes européens est la libre circulation du capital entre Etats-membres. Dans ce contexte, la circulation des travailleurs est manipulée pour répondre aux besoins des capitalistes concurrents des pays de l’UE. La fameuse zone de libre circulation à l’intérieur des frontières de l’UE n’a jamais été un obstacle pour empêcher les gouvernements capitalistes de renforcer les contrôles aux frontières quand bon leur semble (par exemple au nom de la guerre raciste « contre le terrorisme ») et de procéder à des expulsions en masse de ceux qu’ils jugent « indésirables », comme les milliers de Roms roumains et bulgares qui ont été expulsés de France.
C’est seulement avec l’avènement d’une société communiste mondiale sans classes et le dépérissement de l’Etat que les frontières disparaîtront. Argumenter qu’il pourrait en être autrement, c’est nier la nécessité absolue d’une révolution socialiste pour faire aller l’humanité de l’avant ; cela ne fait que nourrir des illusions dans le caractère réformable d’un système capitaliste potentiellement « humain ».
Mais ce sont précisément ce genre d’illusions réformistes qui animent Antarsya et des groupes comme le SEK. Dans la même veine que le mot d’ordre d’« ouverture des frontières », le SEK et le Mouvement uni contre le racisme et la menace fasciste (KEERFA) appellent à « emprisonner les tueurs néo-nazis d’Aube dorée ». Des revendications de ce genre sèment des illusions mortelles dans la capacité de l’Etat capitaliste à tenir en bride les fascistes. Début février, après une agression mortelle contre Zisan Elahij, un travailleur immigré pakistanais, KEERFA a publié une déclaration le 3 février disant : « La police ne s’est pas donné la peine d’arrêter la bande qui frappe depuis des mois dans ce même quartier. Qu’attend-elle ? » Le SEK/KEERFA sera peut-être surpris de l’apprendre, mais l’Etat capitaliste est là pour protéger les intérêts des exploiteurs. Quand les mécanismes normaux de l’Etat capitaliste ne suffisent pas à garder tranquille la classe ouvrière, la bourgeoisie a recours à ses chiens d’attaque fascistes.
Il est de notoriété publique que la police est infestée de partisans d’Aube dorée, et que les fascistes bénéficient aussi d’importants soutiens au sein du corps des officiers. Le procès de membres d’Aube dorée inculpés pour « association de malfaiteurs », qui a commencé un an et demi après le meurtre du rappeur et militant de gauche Pavlos Fyssas en septembre 2013, dure depuis deux ans. Nikolaos Michaloliakos, le dirigeant d’Aube dorée, est en liberté, de même que Giorgos Roupakias, qui est accusé du meurtre de Fyssas. Cette racaille pronazie a organisé un rassemblement de milliers de personnes appelant à la haine raciale à Athènes le 28 janvier dernier pour l’anniversaire des événements d’Imia [lieu de graves incidents frontaliers avec la Turquie en janvier 1996]. Nous sommes contre appeler à interdire les fascistes : non seulement des appels de ce genre sèment des illusions que l’Etat capitaliste peut « faire son travail » contre les assassins fascistes à la solde de la classe capitaliste, mais aussi ils servent invariablement à interdire les organisations de gauche et le mouvement ouvrier. La classe ouvrière ne peut compter que sur sa propre force et son organisation.
Aujourd’hui en Grèce, il y a un gouffre entre les tâches qui incombent à la classe ouvrière et l’opportunisme crasse des directions existantes. Ce qu’il faut, c’est construire un parti révolutionnaire d’avant-garde comme le Parti bolchévique de Lénine et Trotsky pour lutter pour le pouvoir ouvrier. Un tel parti sera un tribun du peuple léniniste, réagissant contre toute manifestation d’exploitation et d’oppression. Il sera forgé dans la lutte contre la misère capitaliste et la réaction fasciste. Un tel parti ne peut pas être un parti « national » ; il doit faire partie intégrante d’un parti révolutionnaire international, avec des sections dans tous les pays. La perspective du TOE, c’est de lutter pour un tel parti, section d’une Quatrième Internationale reforgée.
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