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Le Bolchévik nº 189 |
Septembre 2009 |
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Défense de l’Etat ouvrier déformé chinois ! Pour la révolution politique ouvrière !
Violences intercommunautaires au Xinjiang
Au début du mois de juillet, un conflit violent entre nationalités éclatait à Urumqi, la capitale provinciale de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, en Chine occidentale. Cela a commencé lorsque, le 5 juillet, des centaines de Ouïgours un peuple turcophone traditionnellement musulman se sont livrés à des actes de violence meurtrière contre leurs voisins chinois hans. En représailles, des bandes hans ont ensuite répliqué. Le gouvernement chinois annonce un bilan de 197 morts, pour la plupart des Chinois hans, et environ 1 600 blessés. Pour arrêter le massacre interethnique, le gouvernement a déployé d’importantes forces de police et envoyé 20 000 hommes pour patrouiller les quartiers hans et ouïgours.
Depuis le début le régime de Pékin prétend, sans preuve convaincante, que les émeutes d’Urumqi ont été fomentées par le Congrès mondial ouïgour (WUC), un groupe de nationalistes anti-chinois soutenu par les impérialistes et principalement basé aux Etats-Unis et en Allemagne. Bien entendu, le WUC présente un tableau des événements ayant mené aux émeutes totalement différent de celui du gouvernement chinois. Il affirme que le 5 juillet une manifestation pacifique de Ouïgours, principalement des étudiants, a été attaquée par la police qui a ouvert le feu de sang-froid sur les manifestants. Pour sa part, le gouvernement chinois affirme que les mesures répressives qu’il a prises étaient une réponse à la violence, et non pas sa cause. Nous sommes très loin du théâtre des événements, et chaque source que ce soit le gouvernement chinois, le WUC ou les médias impérialistes a ses motivations propres quand elle présente ce qui s’est passé. Ce qui est sûr, c’est que, quelle que soit la manière dont les événements du 5 juillet ont commencé, ils ont rapidement dégénéré en violences intercommunautaires. Même l’Economist de Londres (11 juillet), un porte-voix des financiers anglo-américains, déclarait : « La violence au Xinjiang était brute, du racisme des deux côtés, et les Chinois hans ont subi l’essentiel de cette violence. »
Ce qui a déclenché les émeutes à Urumqi, c’est un événement qui s’est produit à des milliers de kilomètres de là, dans la province du Guangdong, sur la côte sud-est de la Chine. Fin juin, des ouvriers migrants ouïgours logés dans un dortoir d’une usine de jouets appartenant à des capitalistes de Hongkong étaient attaqués par des ouvriers hans. Au moins deux ouvriers ouïgours furent tués, et plusieurs autres blessés. Cette attaque, qui a duré plusieurs heures, avait apparemment été provoquée par une rumeur non fondée, répandue par un ancien ouvrier mécontent : six Ouïgours auraient violé deux femmes hans. Lorsque la nouvelle de l’événement atteignit le Xinjiang, les Ouïgours, furieux de l’inaction des autorités chinoises, réclamèrent une enquête approfondie au gouvernement. Ces griefs contre le gouvernement chinois, qui semblent fondés, ne justifient en rien l’expédition meurtrière des Ouïgours du Xinjiang à l’encontre de leurs voisins hans.
Le Xinjiang, avec ses riches ressources naturelles, en particulier d’importants gisements de pétrole et de gaz naturel, a une importance économique stratégique pour la Chine. Hu Jintao, le président chinois, a jugé les violences intercommunautaires d’Urumqi d’une telle importance politique et d’une telle urgence qu’il a coupé court à sa participation au sommet du G8 en Italie et est rentré à Pékin. Quelle est la signification politique, sur un plan plus général, du conflit entre les Ouïgours et les Chinois hans au Xinjiang ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de comprendre la nature de classe de l’Etat chinois et ses rapports avec l’impérialisme mondial.
Le caractère de classe de l’Etat chinois
La Révolution chinoise de 1949, marquée par la victoire militaire des armées de Mao Zedong, basées sur la paysannerie, sur le Guomindang de Chiang Kai-shek, a détruit le pouvoir des capitalistes et des propriétaires fonciers et a libéré le pays du joug impérialiste. La Révolution chinoise a apporté d’immenses acquis sociaux aux ouvriers, aux paysans et aux femmes profondément opprimées. Cependant, la République populaire de Chine, dirigée par le Parti communiste (PCC), était dès sa naissance un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé, sur le modèle de l’ex-Union soviétique sous Staline, et elle le demeure. Une caste bureaucratique parasite et nationaliste est perchée au sommet d’une économie collectivisée.
Tout comme leurs prédécesseurs staliniens soviétiques, Mao et ses successeurs, y compris la direction actuelle, prêchent la notion profondément antimarxiste selon laquelle le socialisme pourrait être bâti dans un seul pays. Les marxistes définissent le socialisme comme une société égalitaire, sans classes, basée sur l’abondance matérielle, qui ne saurait être bâtie que sur la base d’une planification internationale ; une condition essentielle pour cela est le renversement du pouvoir capitaliste dans les centres capitalistes avancés d’Amérique du Nord, d’Europe occidentale et du Japon. En pratique, le dogme stalinien du « socialisme dans un seul pays » s’est traduit par la conciliation de l’impérialisme mondial et l’opposition à la perspective de la révolution ouvrière internationale.
En tant que trotskystes, nous sommes pour la défense militaire inconditionnelle de l’Etat ouvrier bureaucratiquement déformé chinois contre l’impérialisme et la contre-révolution capitaliste. Pour répondre aux aspirations des ouvriers et des travailleurs ruraux chinois, ainsi qu’à celles des minorités nationales comme les Ouïgours, qui réclament les droits démocratiques et un gouvernement qui représente leurs besoins et leurs intérêts, nous sommes pour une révolution politique prolétarienne qui chassera la bureaucratie stalinienne et créera un gouvernement basé sur des conseils ouvriers et paysans élus, un gouvernement déterminé à suivre la voie de l’internationalisme prolétarien révolutionnaire.
Au cours des dernières décennies, le régime stalinien de Pékin a utilisé de façon intensive les mécanismes de marché dans l’économie, tout en encourageant les investissements à grande échelle de la part des sociétés occidentales et japonaises ainsi que de la bourgeoisie chinoise installée à Taïwan et à Hongkong. Une classe numériquement significative d’entrepreneurs capitalistes dont beaucoup sont d’anciens fonctionnaires ou des enfants de fonctionnaires en place s’est également développée en Chine continentale. En conséquence, une opinion maintenant répandue dans l’ensemble du spectre politique est que la Chine, anciennement « communiste », serait devenue capitaliste, ou qu’elle est rapidement et irrévocablement en train de le devenir. Cette opinion est fausse. Le noyau de l’économie chinoise continue à être basé sur la propriété collectivisée. En fait, le caractère non capitaliste de la Chine a été clairement démontré avec la grave récession que connaît actuellement l’économie mondiale.
Pour le voir, on peut comparer les effets des programmes de relance économique aux Etats-Unis et en Chine. Malgré les 800 milliards de dollars du plan de relance mis en uvre par l’administration démocrate de Barack Obama, la production et l’emploi ont continué à baisser. Le produit intérieur brut est près de 4 % en dessous de son niveau de l’an dernier, tandis que la production industrielle a diminué de 13,6 % sur la même période. L’optimisme officiel de la Maison Blanche d’Obama, pour qui l’économie aurait touché le fond et serait en train de repartir, se fonde sur le fait qu’en juillet les employeurs ont éliminé seulement un quart de million d’emplois, un peu moins que la moyenne des pertes d’emplois au cours des mois précédents.
A l’opposé, le programme de relance de la Chine, centré sur les investissements dans les infrastructures par les entreprises d’Etat et les organismes gouvernementaux, et sur l’assouplissement du crédit par les banques contrôlées par l’Etat, a réussi à compenser la diminution massive des recettes d’exportation. Le taux de croissance annuel du produit intérieur brut a augmenté, passant de 6 % au premier trimestre à 8 % au second. Richard McGregor, un spécialiste de la Chine au Financial Times de Londres, écrivait le 9 août dernier : « Pékin a réussi à tirer l’économie chinoise du trou avec un plan de relance monétaire et fiscal massif. »
Toutefois, la récession économique mondiale a brutalement dégradé les conditions de vie des ouvriers migrants venus des campagnes qui triment dans des usines appartenant à des capitalistes étrangers et chinois de l’extérieur pour produire des biens d’exportation dans l’industrie légère. Beaucoup ont dû retourner dans leur village, au moins temporairement, y compris des Ouïgours du Xinjiang. Les jeunes pauvres des villages et des villes du Xinjiang, ouïgours mais aussi hans, ne peuvent pas en ce moment améliorer leurs conditions de vie en obtenant un emploi dans les usines appartenant aux capitalistes et qui produisent pour l’exportation. En ce sens, les contradictions fondamentales du système capitaliste mondial et les accommodements du régime stalinien de Pékin avec ce système ont aggravé le conflit national entre Ouïgours et Chinois hans au Xinjiang.
A leur manière, les bourgeoisies impérialistes reconnaissent que la Chine continue à incarner les acquis sociaux et nationaux de la Révolution de 1949. Le pays ne leur appartient pas, comme c’était le cas dans le passé. Le but ultime des puissances impérialistes américaine, européennes et japonaise est de restaurer le capitalisme en Chine et, une nouvelle fois, courber ce pays sous le joug semi-colonial. Dans ce but, les impérialistes encouragent et soutiennent des forces nationalistes réactionnaires liées à la religion parmi les peuples non hans les Tibétains, les Ouïgours dans les régions situées aux frontières occidentales de la Chine. C’est ainsi que le conflit national entre Ouïgours et Hans au Xinjiang doit être considéré dans le cadre plus large de l’hostilité impérialiste envers l’Etat ouvrier chinois.
L’incurie du pouvoir stalinien et le conflit national au Xinjiang
Le caractère spécifique de la question nationale au Xinjiang a significativement changé du fait des évolutions qui ont eu lieu depuis la Révolution de 1949. A cette époque, les Ouïgours constituaient 75 % de la population de la région, et les Chinois hans moins de 7 %. Aujourd’hui, sur les 21 millions d’habitants du Xinjiang, 45 % sont des Ouïgours et 40 % des Hans. De plus, la population han est concentrée dans les villes et, en 1949 déjà, les Hans étaient majoritaires à Urumqi, la capitale provinciale.
Initialement, l’émigration des Hans vers la province du Xinjiang, relativement pauvre et arriérée, résultait d’une politique délibérée du gouvernement et de mesures incitatives. Cependant, ces dix dernières années, le Xinjiang a connu un boom économique, même comparativement à la croissance chinoise, basé surtout sur l’exploitation et le développement de ses réserves de pétrole et de gaz naturel. Selon les statistiques officielles, le produit intérieur brut de la région a doublé entre 2004 et 2008, passant de 28 à 60 milliards de dollars. Ce boom a attiré des Chinois hans de toutes classes, des entrepreneurs capitalistes aux ouvriers non qualifiés, mus par des raisons économiques. Autrement dit, les changements démographiques ne sont pas uniquement dus à la politique et aux intentions du régime du PCC, même si les Ouïgours se plaignent qu’ils continuent à être exclus même des emplois non qualifiés.
En même temps, la généralisation des rapports de marché dans l’économie et l’importance du secteur privé ont accru le fossé entre le nombre croissant de Chinois hans et les peuples autochtones dans les zones frontalières de l’ouest du pays. Le recrutement dans le secteur public, et plus encore dans le secteur privé, est souvent basé sur le népotisme, les liens personnels ou la discrimination pure et simple en faveur des Chinois hans. Mais même si la concurrence sur le marché du travail se décidait sur la seule base des compétences individuelles, les Chinois hans seraient toujours avantagés par rapport aux Ouïgours ; ils sont de loin plus qualifiés et instruits, et surtout maîtrisent mieux le mandarin, langue de communication en Chine.
Ainsi, le boom économique qu’a connu le Xinjiang au cours de la dernière décennie semble avoir davantage aggravé que réduit le ressentiment des Ouïgours contre les Chinois hans, la nationalité socialement privilégiée et politiquement dominante. Deux correspondants en Chine du Financial Times de Londres (7 juillet) écrivent ainsi :
« La rénovation des villes anciennes et l’afflux de Chinois hans plus riches ont radicalement modifié les structures économiques locales, privant beaucoup de Ouïgours de leurs emplois traditionnels [
].
« Cela au moment même où l’économie du Xinjiang croît à un rythme de plus de 11 % par an depuis six ans, supérieur à la moyenne nationale. Certains autochtones se plaignent que la richesse créée par cette croissance rapide aille dans les poches des nouveaux immigrés, augmentant ainsi le fossé entre riches et pauvres, Hans et Ouïgours. »
L’hostilité entre Ouïgours et Chinois hans a des racines historiques, vieilles de plusieurs siècles. Mais cette hostilité a été attisée par les effets de l’incurie bureaucratique stalinienne, en particulier au cours des deux dernières décennies. En même temps, il est important de reconnaître que les Ouïgours, comme les autres ouvriers et travailleurs ruraux partout en Chine, ont immensément bénéficié du développement social et économique progressiste de la République populaire d’après 1949. Depuis la Révolution, la mortalité infantile a continuellement baissé tandis que l’espérance de vie, qui était de moins de 30 ans en 1949, s’élevait à 67 ans en 2000.
Cependant, il est beaucoup plus probable que les jeunes hommes et femmes ouïgours d’aujourd’hui comparent leurs conditions de vie à celle des nouveaux arrivants hans plutôt qu’à celles de leurs parents et de leurs grands-parents. Et de ce point de vue, il est évident qu’ils sont désavantagés. Il est vrai que le régime stalinien fait un effort pour recruter des Ouïgours et les membres des autres minorités nationales dans les hautes sphères de l’ordre social. C’est ainsi que les étudiants ouïgours reçoivent des points supplémentaires aux examens normalisés qui servent de mécanisme de sélection pour l’entrée à l’université. Mais ces mesures n’ont qu’un caractère symbolique au vu de la réalité, qui est que la masse des Ouïgours se trouvent au bas de l’échelle d’une société nouvellement reconfigurée sur leurs propres terres.
Les dirigeants staliniens chinois, qui s’efforcent avant tout de préserver l’« ordre » social, ont compris le danger que représente pour eux l’hostilité grandissante des Ouïgours, plus pauvres, vis-à-vis des Hans mieux lotis. Mais au lieu de prendre des mesures pour relever la population ouïgoure au niveau des Hans à l’intérieur du Xinjiang, le régime du PCC a eu recours à la soupape de sécurité de la migration intérieure vers les usines et les chantiers de la Chine côtière.
Depuis 2002, le gouvernement a mis en place un programme d’exportation de main-d’uvre à l’intention des jeunes Ouïgours issus de familles à bas revenus. Ce programme a procuré des avantages substantiels à ceux qui y ont participé : des revenus deux à trois fois plus élevés que ceux que les Ouïgours auraient obtenus chez eux, la formation à l’utilisation d’équipements industriels modernes, des cours de mandarin et des soins médicaux gratuits. Mais la coercition d’Etat, sous la forme de lourdes amendes, était également utilisée à l’encontre des Ouïgours qui, en dépit de ces incitations matérielles, refusaient de partir pour aller travailler dans des villes inconnues, à des milliers de kilomètres.
On estime que 1,5 million de personnes originaires du Xinjiang, principalement des Ouïgours, travaillent dans d’autres régions de Chine. Mais cette soupape de sécurité est aujourd’hui en train de se fermer suite aux effets de la récession capitaliste mondiale. D’après certains témoins, les auteurs aussi bien que les victimes des émeutes de juillet à Urumqi, ouïgours ou hans, étaient pour la plupart des chômeurs ou des ouvriers migrants saisonniers.
Donc, que faire ? Un gouvernement ouvrier et paysan en Chine, issu d’une révolution politique prolétarienne, instaurerait une économie rationnellement planifiée et centralement administrée, basée sur les entreprises d’Etat. (Cela n’interdirait ni l’utilisation de mécanismes de marché pour des objectifs précis, ni un rôle limité pour le secteur privé, y compris étranger.) Seul un tel système pourrait réduire le fossé socio-économique qui existe et qui se creuse entre Ouïgours et Hans au Xinjiang. Ce qu’il faut, c’est allouer des ressources suffisantes et les utiliser pour instruire et former les Ouïgours à l’utilisation de la technologie industrielle moderne, sur un pied d’égalité avec les Chinois hans. Toutefois, en dernière analyse, pour atteindre un niveau d’abondance matérielle pour tous les peuples de Chine, il faudra l’aide d’un Japon socialiste ou d’une Amérique socialiste, ce qui souligne encore la nécessité de la révolution prolétarienne internationale.
Une mesure cruciale pour réaliser une égalité nationale authentique au Xinjiang est de rompre avec la politique stalinienne de sinisation forcée, et en particulier la marginalisation de la langue ouïgoure au profit du mandarin. Le patron du PCC au Xinjiang, Wang Lequan, déclarait que les langues minoritaires comme le ouïgour sont « dépassées au XXIe siècle » (New York Times, 10 juillet). Wang parle ici le langage du mandarinat de la vieille Chine impériale, traduit dans le nationalisme stalinien et le chauvinisme han d’aujourd’hui. Depuis 2002, le mandarin est la seule langue d’enseignement à l’université du Xinjiang, du moins pendant les deux premières années d’études. En même temps, les enfants des familles ouïgoures des classes inférieures ont peu d’occasions de parvenir à la maîtrise du mandarin. Sous un gouvernement ouvrier et paysan, il y aurait un authentique bilinguisme à tous les niveaux d’éducation, de la maternelle à l’université. Les Ouïgours pourraient utiliser aussi bien leur propre langue que le mandarin dans toutes les institutions économiques et politiques, que ce soit pour s’adresser à des dirigeants d’usines ou à des responsables du gouvernement.
Les principes de l’internationalisme prolétarien exigent une telle politique linguistique c’est-à-dire l’égalité de tous les peuples dans toutes les sphères de la vie. L’exemple dont nous nous inspirons est celui du régime bolchévique dirigé par Lénine et Trotsky, issu de la Révolution russe de 1917. La Russie tsariste était, selon l’expression de Lénine, une « prison des peuples ». Arrivés au pouvoir, les bolchéviks mirent en uvre les politiques pour lesquelles ils s’étaient toujours battus : l’égalité de tous les peuples, de toutes les ethnies et de toutes les langues, y compris le droit à l’autodétermination pour les innombrables nations opprimées sous l’empire tsariste.
En Chine, la majorité han constitue environ 90 % de la population. Seul un parti léniniste-trotskyste engagé sur la voie de l’internationalisme prolétarien pourra combattre efficacement le chauvinisme han, y compris en mobilisant le prolétariat han dans la lutte pour l’égalité de tous les peuples de Chine. Et seul un tel parti pourra combattre les efforts des nationalistes et des islamistes réactionnaires ouïgours, soutenus par les impérialistes, pour exploiter dans un but contre-révolutionnaire les justes griefs des masses ouïgoures contre l’incurie du pouvoir stalinien chinois.
Le Congrès mondial ouïgour : une officine impérialiste
C’est une ironie de l’histoire, et un fait d’une signification politique profonde, que les islamistes ouïgours et le personnage principal du Congrès mondial ouïgour aient initialement été soutenus et parrainés par la direction stalinienne chinoise. Dans les années 1970 et 1980, la Chine était engagée dans une alliance stratégique avec l’impérialisme US contre l’Union soviétique, une politique inaugurée par Mao Zedong. Dans le contexte de cette alliance réactionnaire, le régime de Pékin a entraîné et envoyé de jeunes hommes ouïgours attirés par la religion (des musulmans sunnites) se joindre aux coupe-jarrets moudjahidin soutenus par la CIA qui combattaient les troupes soviétiques en Afghanistan.
La bureaucratie chinoise a de façon criminelle soutenu l’impérialisme américain dans ses efforts pour affaiblir et saper l’Union soviétique, amplifiant ainsi la campagne contre-révolutionnaire de l’impérialisme contre l’URSS. Nous, les trotskystes, avons salué l’intervention de l’Armée rouge en Afghanistan, non seulement parce qu’il s’agissait d’une expression élémentaire de notre défense militaire inconditionnelle de l’Etat ouvrier dégénéré soviétique, mais aussi parce que c’était le seul moyen de réaliser le progrès social dans un Afghanistan plongé dans l’arriération, notamment pour les femmes qui y étaient affreusement opprimées.
Après la chute de l’Union soviétique en 1991-1992, le gros des militants islamistes, représentés par Al Qaida et son chef Ousama Ben Laden, se sont retournés contre leurs anciens maîtres américains. De même les djihadistes ouïgours qui avaient combattu en Afghanistan ont retourné leurs fusils contre le gouvernement communiste chinois. Après les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone, Jane’s Security News, une revue liée aux services secrets britanniques, commentait à cet égard : « La stratégie chinoise sur ce front [l’Afghanistan] a cependant produit des retombées négatives pour Pékin, car les djihadistes ouïgours de retour d’Afghanistan ont attisé l’insurrection qui couvait déjà pour un Turkestan oriental musulman indépendant au Xinjiang. »
En fait, la plus grande partie des djihadistes ouïgours ne sont pas retournés en Chine. Il est néanmoins probable que les islamistes exilés aient des liens avec d’obscurs petits groupes de terroristes ouïgours comme le Mouvement islamique du Turkestan oriental, qui opère au Xinjiang. De fait, la destruction contre-révolutionnaire de l’URSS a conduit à une résurgence de l’intégrisme islamique dans toute l’Asie centrale. Pour sa part, le gouvernement stalinien chinois a rejoint la « guerre contre le terrorisme » mondiale, encourageant une fois de plus les impérialistes de Washington, qui aujourd’hui profitent des émeutes intercommunautaires dans le Xinjiang pour faire avancer leurs objectifs contre-révolutionnaires contre la Chine.
Un groupe beaucoup plus important que les groupes terroristes islamistes ouïgours est le Congrès mondial ouïgour (WUC), du fait du soutien qu’il reçoit de la part des impérialismes américain et aussi allemand. Le WUC reçoit des fonds du National Endowment for Democracy basé à Washington, une officine de la CIA bien connue. Le principal personnage de cette organisation est une certaine Rebiya Kadeer, qui se fait appeler « la mère de la nation ouïgoure ». Kadeer a commencé sa carrière en Chine comme riche capitaliste qui a réussi, et est devenue membre du Congrès populaire national, l’institution parlementaire aux ordres du régime du PCC. Mais en 1997, cette incarnation de la nouvelle classe capitaliste chinoise est tombée en disgrâce après que son mari, qui s’était enfui aux Etats-Unis, avait fait des déclarations désobligeantes sur la radio officielle Voice of America. Deux ans plus tard, elle était arrêtée et inculpée d’avoir « livré des informations secrètes à des étrangers » alors qu’elle se préparait à rencontrer une délégation d’agents du Congrès américain. Elle a été emprisonnée jusqu’en 2005. A sa libération, elle a émigré à Washington, où elle opère dans le bastion de l’impérialisme mondial. Kadeer a été reçue plusieurs fois par George W. Bush, qui l’a évidemment présentée comme une « apôtre de la liberté ».
Les émeutes intercommunautaires d’Urumqi ont eu lieu un peu plus d’un an après que des émeutiers tibétains, menés par des lamas bouddhistes, s’en sont pris aux habitants chinois hans lors d’agressions meurtrières dans la capitale provinciale, Lhassa (voir « Emeutes contre-révolutionnaires au Tibet », le Bolchévik n° 183, mars 2008). Beaucoup de médias bourgeois occidentaux ont fait un parallèle entre les deux événements, tout en condamnant hypocritement les communistes chinois pour leur brutalité envers les minorités nationales du pays.
Il y a des similarités mais aussi d’importantes différences entre les émeutes anti-Hans au Tibet en 2008 et les violences intercommunautaires de juillet de cette année au Xinjiang. Les similarités tiennent à la nature des forces exilées réactionnaires soutenues par l’impérialisme qui prétendent représenter les peuples tibétain et ouïgour. Les différences sont dans l’influence réelle que ces forces exercent sur le terrain dans les régions frontalières de la Chine occidentale. Le dalaï-lama a fui en Inde en 1959 après l’écrasement d’un soulèvement de lamas et d’aristocrates organisé et armé par la CIA. Depuis lors, il a été pour ainsi dire élevé par ses maîtres impérialistes au rang d’incarnation suprême de l’opposition au gouvernement communiste chinois. Le dalaï-lama est un personnage politique d’une certaine importance sur la scène internationale. Rebiya Kadeer, du WUC, a tout fait pour s’identifier, elle et sa cause, avec le « dieu vivant » du Tibet, qui a rédigé une brève introduction à son autobiographie. Toutefois, avant les violences intercommunautaires de juillet dans le Xinjiang, peu de gens s’intéressaient à Kadeer et ses sbires, sauf leurs agents traitants de la CIA.
Au Tibet, la politique du régime du PCC a eu pour effet la reconstitution d’une caste numériquement importante et relativement prospère de prêtres bouddhistes. Les lamas sont au premier plan tant de la réaction intérieure que des provocations impérialistes, comme les émeutes de l’an dernier. A l’opposé, la politique de Pékin dans le Xinjiang a été d’empêcher l’émergence d’une caste cléricale islamique socialement et politiquement influente. Les mosquées doivent être enregistrées auprès de l’Etat, et les imams doivent être approuvés par le gouvernement. Il n’existe pas aujourd’hui de réseau organisé de clercs islamiques qui pourrait servir de lien entre les ennemis impérialistes de la République populaire de Chine et les masses ouïgoures mécontentes. Sur la base des informations disponibles, ce qui s’est passé à Urumqi en juillet était pour l’essentiel une éruption spontanée de haine ethnique attisée, en ce qui concerne les Ouïgours impliqués, par leur situation économique relativement défavorisée.
Les réformistes et les émeutes au Xinjiang
Les réformistes « socialistes », comme ceux de l’International Socialist Organization (ISO) aux Etats-Unis, ont rejoint les impérialistes dans leur campagne pour la destruction contre-révolutionnaire de l’Etat ouvrier déformé chinois. L’ISO prétend que la Chine n’a jamais été un Etat ouvrier mais qu’elle serait « capitaliste d’Etat » depuis 1949. Cette « théorie », que l’ISO appliquait également à l’ex-Union soviétique, est un prétexte pour couvrir des décennies de pratiques anticommunistes pour le compte de l’impérialisme. L’ISO a hurlé avec les loups impérialistes contre l’intervention soviétique en Afghanistan. En 1988-1989, quand les forces soviétiques se sont retirées d’Afghanistan dans ce qui constituait une tentative futile de la part de la bureaucratie du Kremlin d’apaiser les impérialistes, l’ISO jubilait : « Nous nous réjouissons de la défaite des Russes en Afghanistan. Cela réjouira tous ceux qui, à l’intérieur de l’URSS et en Europe de l’Est, veulent briser le pouvoir des héritiers de Staline » (Socialist Worker, mai 1988). Trois ans plus tard, le Socialist Workers Party britannique (SWP), ex-organisation mère de l’ISO, exultait : « Le communisme s’est écroulé [
]. C’est une chose qui doit réjouir tout socialiste » (Socialist Worker [Grande-Bretagne], 31 août 1991).
Plus récemment, dans un article intitulé « La forme changeante des luttes en Chine » (Socialist Worker en ligne, 9 juillet), l’ISO dépeignait l’horrible carnage intercommunautaire dans le Xinjiang comme des « protestations à connotation de classe », et s’enthousiasmait de manière grotesque que « la révolte d’Urumqi confirme que la lutte de ceux d’en bas continue d’éclater à une échelle grandissante ».
De l’autre côté du spectre du réformisme, on trouve le Parti pour le socialisme et la libération (PSL). Un article paru le 24 juillet sur son site Web et intitulé « Derrière les émeutes d’Urumqui en Chine », tout en dénonçant à juste titre la façon dont les impérialistes et leurs médias se saisissaient des émeutes d’Urumqi, est fondamentalement une apologie de la bureaucratie chinoise. Le PSL prend soin de déclarer que « les rapports entre les Chinois hans et les Ouïgours ne sont pas parfaitement harmonieux ». Après avoir noté que les « réformes de marché » du PCC ont conduit à des « rivalités entre nationalités », le PSL exonère la bureaucratie chinoise de tout soupçon de chauvinisme han. De fait, c’est vers la bureaucratie stalinienne que le PSL se tourne pour faire obstacle à la contre-révolution ; dans un article publié quelques mois plus tôt (10 février), on pouvait lire : « Le gouvernement du PCC, en dépit de toutes ses contradictions, reste l’obstacle le plus important à un retour de la Chine vers son état précédent d’esclavage semi-colonial. »
En réalité, la perpétuation du pouvoir du PCC sape la défense du pouvoir d’Etat prolétarien en Chine. Contrairement à ce que prétend le PSL, la bureaucratie continue à préserver la propriété d’Etat non pas parce qu’elle s’identifie avec le socialisme, mais, comme Trotsky l’écrivait dans la Révolution trahie (1936) parlant de l’Union soviétique, « uniquement par crainte du prolétariat » c’est-à-dire pour protéger sa position privilégiée de caste parasitaire au sommet de l’Etat ouvrier.
Pour la révolution prolétarienne internationale !
Le régime du PCC accuse le Congrès mondial ouïgour de « séparatisme ». En réalité, Kadeer et Cie n’appellent pas aujourd’hui ouvertement à la sécession du Xinjiang et à la création d’un Etat indépendant, même si tel est manifestement leur objectif. Les djihadistes ouïgours, eux, appellent à un « Turkestan oriental islamique » indépendant. Nous sommes des internationalistes prolétariens, et nous ne considérons donc pas les frontières d’Etat actuelles de la Chine comme sacrées. Mais toutes les forces qui prônent ou soutiennent un Xinjiang indépendant aujourd’hui sont dans le camp de la contre-révolution capitaliste. De plus, la revendication d’un Xinjiang indépendant, même formulée dans les termes les plus « démocratiques », serait comprise par tous dans la région comme un programme pour chasser le peuple han.
On ne peut envisager une solution progressiste du conflit national au Xinjiang que dans le contexte d’une révolution politique prolétarienne dans toute la Chine. Cela ouvrirait des possibilités historiques qui n’existent pas aujourd’hui : une certaine forme d’autonomie régionale, ou même un Etat indépendant allié à la Chine.
Le régime stalinien chinois de Hu Jintao affirme que le but de sa politique et de sa pratique est « une société harmonieuse ». Une prémisse fondamentale du marxisme est qu’une société harmonieuse ne peut être réalisée que si l’on en finit avec la pénurie économique pour atteindre l’abondance matérielle. En dépit de la croissance économique rapide de la Chine depuis la Révolution de 1949, c’est encore un pays relativement pauvre selon les standards internationaux. Le produit intérieur brut par tête est le dixième de celui des Etats-Unis et le septième de celui du Japon.
En dernière analyse, la survie et le développement des acquis révolutionnaires de la Chine reposent sur la lutte pour la révolution socialiste dans les pays capitalistes avancés que sont le Japon, l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale, la seule voie vers la modernisation de la Chine dans tous les domaines, dans le cadre d’une économie planifiée internationale. Une révolution politique prolétarienne aboutissant à une Chine des conseils d’ouvriers et de paysans serait un phare pour les masses travailleuses opprimées d’Asie et du monde entier. Telle est la perspective de la Ligue communiste internationale.
Traduit de Workers Vanguard n° 941, 28 août
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