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Le Bolchévik nº 185

Septembre 2008

Le « Che » de Besancenot : taillé sur mesure pour le NPA social-démocrate

Dans les années 1960, la Jeunesse communiste révolutionnaire pabliste d’Alain Krivine s’enthousiasmait pour Fidel Castro et Ernesto « Che » Guevara, qu’elle présentait comme des « trotskystes inconscients » (voir notre article « Défense de la Révolution cubaine », en première page). Quarante ans plus tard, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) jette maintenant officiellement par-dessus bord son verbiage « révolutionnaire », renonçant même dans son nom au communisme, à la révolution et au trotskysme ; ayant soutenu activement le front populaire de guerre froide de Mitterrand et les forces de la contre-révolution capitaliste « démocratique » dans l’ex-bloc soviétique, la LCR est devenue une organisation totalement réformiste, ennemie déclarée du mouvement ouvrier révolutionnaire internationaliste.

C’est sur la base de son rôle de fer de lance « d’extrême gauche » pour les campagnes anticommunistes des années 1980 et 1990 – dont le prolongement logique est aujourd’hui son soutien à la campagne anticommuniste contre la Chine, sous prétexte de défendre le droit à « l’autodétermination » des cléricaux-féodaux tibétains – que la LCR se lance dans la campagne pour un « nouveau parti anticapitaliste » (NPA). Forte de la notoriété médiatique de son porte-parole Olivier Besancenot, elle espère regrouper autour d’elle tout ce qui peut se dire « 100 % à gauche », vaguement anarchiste ou social-démocrate, sur la base d’un anticommunisme virulent. Ils ont déjà exclu le Groupe CRI, un petit groupe social-démocrate issu de l’ex-Parti des travailleurs de Pierre Lambert et qui promettait de construire en toute bonne foi le NPA de Besancenot. Le CRI ne voulait pas renoncer au droit d’utiliser de temps en temps des mots comme « révolutionnaire » ou « trotskyste » pour enjoliver son réformisme ; mais même cela était trop pour la LCR qui a accusé le CRI de subversion et de vouloir « vampiriser le fœtus que nous sommes » (sous le maccarthysme on racontait aux Américains que les communistes mangent les enfants !) Lors de la conférence de la LCR qui a lancé les comités pour le NPA, en janvier dernier, ils avaient même cordialement invité des organisations bourgeoises, comme le MARS-Gauche républicaine et les Verts.

Besancenot continue néanmoins à revendiquer le stalinien de gauche idéaliste qu’était Che Guevara comme l’une des références majeures de son engagement politique. Le paradoxe n’est qu’apparent : Besancenot utilise aujourd’hui le « Che » principalement comme une référence politique alternative à Lénine et à Trotsky, qui en tant que partisans conséquents de la dictature du prolétariat et dirigeants du premier Etat ouvrier ayant incarné concrètement cette dictature, sentent trop fort le fagot « totalitaire » pour les amis « altermondialistes » du gentil « facteur de Neuilly ».

Ceci transparaît à la lecture de Che Guevara – une braise qui brûle encore, petit livre publié l’année dernière par Besancenot et Michael Löwy, à temps pour le 90e anniversaire de la Révolution russe, avec pour objectif déclaré de « mettre en évidence l’apport d’Ernesto “Che” Guevara au socialisme du XXIe siècle ». Besancenot et Löwy y présentent très explicitement leur démarche comme une tentative d’adapter le « socialisme » sous l’influence du climat politique réactionnaire de la « mort du communisme » produit par l’écroulement du stalinisme et la victoire de la contre-révolution capitaliste en Europe de l’Est puis en URSS en 1989-1991 :

« En tombant en 1989, le mur de Berlin a marqué le début d’une nouvelle ère. Loin de se solder par l’avènement d’un socialisme à visage humain, le renversement tant attendu [sic] de l’URSS et de ses “pays frères” a finalement abouti à l’établissement d’un capitalisme sauvage. […] Depuis 1990, le capitalisme, célébré par les apôtres de la pensée unique, est présenté comme l’horizon indépassable de l’humanité et le seuil ultime de l’Histoire. Tous les courants politiques osant le braver ont été suspectés de “totalitarisme” en puissance, même s’ils avaient dénoncé, bien avant les idéologues du néolibéralisme, les ravages totalitaires du stalinisme. Ils ont ainsi été condamnés à porter, comme un fardeau éternel, le terrible bilan d’un système dictatorial et meurtrier qu’ils avaient pourtant âprement combattu au prix de tant de sacrifices et de vies broyées dans les purges et les goulags. »

La LCR n’a pas fait que « tant attendre » le renversement de l’URSS, elle y a contribué avec son soutien aux forces de la contre-révolution. Et, au début de l’année, Besancenot a demandé des « élections libres » à Cuba, un appel à la contre-révolution dans le pays d’adoption du Che (voir notre article sur Cuba dans ce numéro, notamment page ci-contre). Avec notre défense militaire inconditionnelle de l’URSS et des Etats ouvriers déformés, nous étions et sommes de l’autre côté de la barricade.

Plus loin, Besancenot et Löwy continuent en recyclant les mensonges du Livre noir du communisme qui disait que le communisme, c’était 80 millions de morts (voir notre réfutation du Livre noir parue dans Spartacist n° 32, printempts 1998) :

« Le bilan du stalinisme pèse lourd sur l’idée socialiste – il ne se compte pas qu’en millions de morts –, il a discrédité auprès d’une génération tout entière l’idée qu’un autre système que le capitalisme pouvait être mis en place et fonctionner. Pourtant, l’imagination reprend ses droits et renaît progressivement de ses cendres. Dans cette nouvelle ébullition idéologique en quête de solutions égalitaires, démocratiques et antibureaucratiques, la pensée du Che est une source d’inspiration inépuisable. »

Pour transformer le Che en icône du « socialisme du XXIe siècle », Besancenot et Löwy doivent tout d’abord faire la démonstration qu’il était l’antithèse même d’un stalinien, une sorte d’« antitotalitaire inconscient ». Comme nous l’expliquons dans notre article « Défense de la Révolution cubaine », tout démontre au contraire que, malgré son courage personnel et son indéniable internationalisme subjectif, Guevara est resté jusqu’au bout partisan d’« une version particulièrement idéaliste et volontariste du stalinisme ». Sa vision profondément élitiste du socialisme était aux antipodes du programme trotskyste de démocratie ouvrière, où les travailleurs exerceraient le pouvoir à travers leurs propres organes de classe, des conseils ouvriers. Et les actions de Guevara, notamment la persécution consciente des trotskystes, allaient de pair avec sa vision politique. Quant aux divergences de Guevara avec Moscou, en soi elles ne prouvent rien sur son « trotskysme » ou « antistalinisme », comme le montre par exemple la rupture des staliniens Tito et Mao avec le Kremlin au nom de la « construction du socialisme dans un seul pays », en l’occurrence la Yougoslavie ou la Chine au lieu de l’Union soviétique.

Une « éthique » de collaboration de classes

« Libérer l’humanité de ses chaînes en luttant contre l’aliénation individuelle, en défendant des valeurs éthiques, voilà l’apport original du Che au marxisme. » Cette formule résume assez bien la thèse centrale du livre de Besancenot et Löwy : la pensée du Che permettrait de redonner au « marxisme » sa pleine dimension « humaniste », « éthique », « morale », « antidogmatique » et « individuelle ». Le « marxisme » devient ainsi une sorte d’expérience personnelle, aux antipodes de la lutte de classe collective des travailleurs :

« Pour lui, la compréhension du socialisme ne peut se réaliser qu’à l’échelle personnelle, au plus proche des préoccupations intimes de chaque exploité. La révolution, si elle devient impersonnelle, se coupe de la corde sensible des hommes. Or, en individualisant la politique, le Che espère faire germer dans un maximum de consciences le grain des logiques émancipatrices […]. »

Après plusieurs pages d’exaltation lyrique de la dimension « morale » et « éthique » de la pensée du Che, les auteurs se sentent tout de même obligés de préciser que « Distinct de sa version bourgeoise ou religieuse, l’humanisme de Guevara ne prétend pas pouvoir régler l’émancipation des individus en éludant la question des rapports d’oppression, d’exploitation et de la lutte de classe qui travaille en permanence la société », et que par ailleurs « il reconnaît également la centralité de la place qu’occupe la classe ouvrière ». Mais ce qui séduit Besancenot et Löwy dans la « pensée du Che » c’est justement que, loin de se retrouver dans le « marxisme des origines », elle rejette ce qui précisément dès le début a distingué le marxisme authentique des autres courants « socialistes » : son insistance que l’agent déterminant du changement révolutionnaire ne peut être que la classe ouvrière, et non « le peuple » ou la masse indifférenciée des déshérités et des opprimés.

Guevara croyait au contraire que la révolution ne serait pas le fait de la classe ouvrière urbaine, qu’il estimait passive, socialement et politiquement corrompue, mais de la paysannerie poussée à la révolte par l’action exemplaire de quelques guérilleros héroïques. Besancenot et Löwy n’ont évidemment aucunement l’intention d’enfiler treillis et sac à dos pour partir allumer des foyers d’insurrection dans les montagnes de Bolivie, du Vercors ou d’ailleurs. Ils cherchent simplement à construire des justifications « théoriques » pour leur pratique politique opportuniste du moment, qui consiste en l’occurrence à construire des fronts populaires, c’est-à-dire des coalitions de collaboration de classes « larges » avec des sociaux-démocrates et autres forces petites-bourgeoises ou bourgeoises, y compris pour gouverner le capitalisme (voir leurs accords avec les Verts et leurs appels à des coalitions « techniques » avec le PS lors des élections municipales il y a six mois).

Avec le « marxisme humaniste » du Che, la classe ouvrière devient simplement un « acteur du changement social » parmi d’autres. Les différents protagonistes du mouvement « altermondialiste » pourront facilement se mettre d’accord autour de l’humanisme du Che à la sauce Besancenot : « Ce n’est pas un hasard si le mouvement [altermondialiste] s’adresse à tous les humains, même s’il privilégie les opprimés et les exploités comme acteurs du changement social. » Le Forum social européen, grand-messe du mouvement altermondialiste, va justement se tenir en Suède en septembre avec une active contribution de la LCR et autres humains… y compris de la bourgeoisie. Les forums sociaux sont en effet financés par divers gouvernements et institutions capitalistes, comme la Fondation Ford liée à la CIA. Le Forum social européen de 2003 à Paris avait été payé en partie par le gouvernement Chirac. Nous nous opposons par principe à ces blocs de collaboration de classes.

Reste toutefois un problème : Guevara était pour la violence révolutionnaire. Heureusement, Besancenot et Löwy sont là pour nous expliquer qu’il n’était pas pour autant « un desperado n’aspirant qu’à mourir les armes à la main » :

« La lutte armée est un moyen, et le meilleur instrument, pour parvenir à transformer la société, dans les conditions politiques précises dans lesquelles il évolue en Amérique latine à l’époque [souligné dans l’original]. La lutte armée n’est pas nécessairement la pierre angulaire du combat révolutionnaire. Au contraire, le Che pense qu’il ne faut prendre les armes qu’en dernier recours, une fois que toutes les autres solutions ont été épuisées ».

L’Etat capitaliste est constitué de bandes armées ayant un monopole légal de la violence pour préserver l’ordre capitaliste : les flics, les matons, les tribunaux, l’armée. La tâche des marxistes est de préparer la classe ouvrière à la nécessité de renverser l’Etat bourgeois au cours d’une révolution ouvrière, où seront détruites les bandes d’hommes armés de la bourgeoisie et où la classe ouvrière assiéra son pouvoir sur ses propres milices armées.

Les guérillistes au contraire ont généralement pour toute perspective de faire pression avec leurs propres armes sur l’appareil d’Etat en place pour négocier un partage du pouvoir capitaliste ; on peut les caractériser comme des « réformistes avec des fusils ». Quant à la LCR, elle multiplie les déclarations de respect pour les armes… de la bourgeoisie ! Ainsi, elle réclamait dans son récent programme municipal une « transformation des missions de la police », et elle a protesté contre la fermeture de certains tribunaux (voir par exemple Rouge du 22 novembre 2007). Rouge vient de publier le 17 juillet une scandaleuse lettre de lecteur prenant la défense des matons contre l’ex-militant d’Action directe Jean-Marc Rouillan, qui a passé plus de vingt ans en prison ! (Rouge s’est gardé jusqu’à présent de même faire une « mise au point » à ce propos.) Quant au soutien de la LCR à l’armée française proprement dite, il se fait généralement de façon implicite, sous la forme de complainte que les troupes françaises servent de supplétifs pour les intérêts des impérialistes américains, que ce soit dans les Balkans en 1999, au Liban en 2006 ou encore actuellement en Afghanistan.

Pour en revenir à Besancenot, celui-ci n’hésite pas dans son livre à faire du Che un inspirateur de sa propre perspective de « transition pacifique » vers le socialisme :

« Il n’exclut d’ailleurs pas la possibilité d’une transition pacifique à partir du moment où celle-ci “n’est pas l’obtention d’un pouvoir formel par des élections grâce à des mouvements d’opinion publique sans combat direct”, mais elle doit tendre à “l’instauration du pouvoir socialiste, avec tous ses attributs, sans l’utilisation de la lutte armée”. […]

« Il imagine même “dans des situations spéciales de crise” que “la lutte pacifique puisse être menée par des mouvements de masse” “obligeant les gouvernements à céder le pouvoir” et permettant “aux forces populaires d’occuper le pouvoir”. »

Ce conte de fées réformiste où les capitalistes, sous la pression du « mouvement de masse », seraient contraints de céder les commandes de leur appareil d’Etat à des « forces populaires » pour commencer à instaurer un « pouvoir socialiste », est une description un peu lyrique du véritable programme de la LCR : un gouvernement « anticapitaliste » de front populaire avec des gens comme Jean-Luc Mélenchon du PS et des politiciens bourgeois comme Chevènement ou des Verts.

Pourtant le PS reproche encore parfois à la LCR de refuser « par principe » de participer à des gouvernements bourgeois. C’est une critique tout à fait injustifiée, et Besancenot et Löwy utilisent la participation de Guevara dans le gouvernement de l’Etat ouvrier déformé cubain pour se déclarer disponibles pour « l’action au sein d’un gouvernement » :

« Quarante ans après 1967, l’expérience du Che demeure un contre-exemple porteur d’espoir, qui met à mal une théorie utilisée trop souvent pour justifier les reniements de la gauche. En effet, elle prouve que l’indépendance revendiquée à l’endroit du pouvoir et l’action au sein d’un gouvernement, révolutionnaire et cubain en l’occurrence, ne sont pas incompatibles. »

Au-delà de la confusion délibérée entre un Etat bourgeois et un Etat ouvrier comme Cuba, même bureaucratiquement déformé (et au qouvernement duquel de ce fait les trotskystes ne participeraient pas puisqu’ils luttent pour une révolution politique prolétarienne contre la bureaucratie stalinienne), ce qui ressort de ce galimatias c’est que pour la LCR, participer à des gouvernements capitalistes est conforme à leurs principes. Besancenot met en exergue que le Che avait renoncé aux charges gouvernementales pour proclamer que tout comme lui il ne veut pas être prisonnier du pouvoir et serait prêt à partir si nécessaire. On voit en Italie ce que cela veut dire : les congénères de Besancenot ont soutenu presque jusqu’au bout le gouvernement capitaliste de front populaire de Prodi, dont faisait partie Rifondazione comunista (RC), le parti à l’intérieur duquel ils étaient depuis quinze ans. Les pablistes n’ont aujourd’hui qu’un regret, c’est de ne pas avoir quitté RC un peu plus tôt, ce qui a fait que le discrédit du gouvernement Prodi les a aussi éclaboussés, causant la débâcle électorale de leur nouvelle organisation, Sinistra critica (Gauche critique) lors des législatives d’avril dernier qui ont vu le retour en force de la droite de Berlusconi.

La Ligue communiste internationale, héritière directe de la Revolutionary Tendency qui au début des années 1960 s’est battue contre la capitulation du SWP américain devant la direction de la Révolution cubaine, n’a jamais ménagé ses critiques envers la politique de Castro et de Guevara. Mais nous savons aussi que le Che, jusqu’à son dernier souffle, s’est battu contre l’impérialisme américain, alors qu’il y a bien longtemps que les sociaux-démocrates de la LCR se sont, eux, réconciliés avec « leur propre » impérialisme. Il est tout bonnement obscène, quarante ans après la mort héroïque du Che, de voir que de pareilles gens, qui ne lui arrivent même pas à la cheville, cherchent à se servir de lui pour leurs sordides magouilles de collaboration de classes.

 

Le Bolchévik nº 185

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