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Le Bolchévik nº 182

Décembre 2007

Meeting du CDDS à Paris le 29 septembre:

Libération immédiate de Mumia Abu-Jamal!

Il n'y a pas de justice dans les tribunaux capitalistes!

Environ 70 personnes ont assisté au meeting appelé le 29 septembre dernier à Paris par le Comité de défense sociale (CDDS) pour exiger la libération de Mumia Abu-Jamal, le plus célèbre prisonnier de classe d’Amérique. Ancien membre des Black Panthers, journaliste et partisan de l’organisation MOVE, Mumia a passé plus d’un quart de siècle dans le couloir de la mort, après avoir été condamné, suite à une machination, pour le meurtre, en décembre 1981, de Daniel Faulkner, un agent de police de Philadelphie – crime dont il est innocent. Le CDDS est une organisation de défense légale et sociale, non sectaire, associée à la Ligue trotskyste de France (LTF), section de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste) [LCI]. Ce meeting s’inscrivait dans une campagne internationale pour relancer des actions de protestation de masse en défense de Mumia, centrées sur le mouvement ouvrier, contre ce qui pourrait bien être l’étape finale des procédures judiciaires qu’il pourra engager.

Le principal orateur de ce meeting était Rachel Wolkenstein, du Partisan Defense Committee (PDC), qui a appartenu à l’équipe des avocats de Mumia de 1995 à 1999. Elle a conduit les enquêtes qui ont permis de découvrir de multiples preuves de l’innocence de Mumia, dont la déclaration sous serment d’Arnold Beverly qui affirme que c’est lui qui a abattu Faulkner. Xavier Brunoy est intervenu au nom de la LTF. Est également intervenu Henri Alleg, membre connu et respecté du Parti communiste français (PCF) qui, dans son livre la Question, publié en 1958, dénonçait l’emprisonnement et les tortures qu’il avait lui-même subis entre les mains des sbires de l’impérialisme français pendant la guerre d’Algérie. Ont également pris la parole Daniel Carreno, secrétaire-adjoint du syndicat du tri postal SUD-TMT et Jimmy Duclos, membre de SUD-Rail Paris Rive Gauche.

Le cas de Mumia est à un tournant crucial. Le 17 mai, la Cour d’appel fédérale des Etats-Unis (troisième circuit) a entendu les plaidoiries de la défense et de l’accusation ; sa décision peut tomber à tout moment. Lors du meeting – appelé sur les mots d’ordre « Mumia est innocent ! Libération immédiate de Mumia Abu-Jamal ! Abolition de la peine de mort raciste ! » – les différents intervenants ont insisté sur l’urgence de se mobiliser maintenant pour arracher la libération de Mumia. Myriam Benoît, du CDDS, qui présidait les débats, a ouvert le meeting en le dédiant à la mémoire de notre cher camarade Gérard Le Méteil, mort le 3 septembre dans des circonstances inconnues alors qu’il avait été arrêté par la police pour un délit mineur : « Ce meeting représente aussi son travail. Il s’est battu jusqu’au bout pour la libération de Mumia Abu-Jamal, et nous continuerons sa bataille. » Elle ajoutait ensuite : « L’oppression des Noirs aux Etats-Unis a ses racines dans l’esclavage. L’Etat veut exécuter Mumia, par le lynchage légal, pour donner un message à tous ceux qui s’opposent à ce système raciste. »

Un des fils conducteurs du meeting était la similarité entre la lutte pour la libération de Mumia et le combat contre les machinations politiques et l’oppression raciste, non seulement aux Etats-Unis mais aussi en France. Le gouvernement de droite de Nicolas Sarkozy a lancé un défi au mouvement ouvrier en s’attaquant au droit de grève lui-même et en remettant en cause les acquis des travailleurs, depuis les retraites jusqu’à la Sécurité sociale. Appliquant la vieille tactique du diviser pour régner, ce gouvernement a intensifié la campagne raciste anti-immigrés de la bourgeoisie française dans le but de saper toute lutte de classe contre ces attaques. Pendant que les flics répandent la terreur raciste dans les banlieues, une loi scélérate est en préparation pour ériger de nouveaux obstacles à l’immigration et même introduire des tests ADN pour ceux qui demandent à bénéficier du regroupement familial.

La participation de syndicalistes montrait le type de puissance sociale de la classe ouvrière qui peut et doit être mobilisée pour obtenir la libération de Mumia. Depuis la tribune, Myriam Benoît lut plusieurs déclarations de syndicats, qui toutes soulignaient l’innocence de Mumia. Dans son intervention, Jimmy Duclos rapporta que beaucoup de ses collègues cheminots étaient facilement convaincus que Mumia est un prisonnier politique et une victime de la répression raciste. « Mais », ajouta-t-il, « quand il s’agit de dénoncer le racisme qui existe en France, lorsqu’on parle de la juste révolte des banlieues qui a eu lieu en 2005 suite à la mort de Zyed et Bouna, là des collègues expriment leur désaccord. » Il nota une certaine tendance, notamment parmi les travailleurs les plus âgés, à estimer que la France, où la peine de mort a été abolie, serait plus démocratique que les Etats-Unis.

En réponse à une question de la salle, Xavier Brunoy, parlant au nom de la LTF, déclara que la peine de mort en France « a été officiellement abolie en 1981 par le gouvernement Mitterrand, mais si on regarde depuis 1981 le nombre de jeunes qui sont morts dans des commissariats en France, on voit que la peine de mort est appliquée dans le concret par les flics ». Une militante du mouvement d’aide aux sans-papiers rappela l’affaire récente d’un jeune immigré grièvement blessé après avoir sauté d’une fenêtre en tentant d’échapper à une rafle policière.

La puissance sociale du mouvement ouvrier doit être mobilisée pour soutenir la cause de Mumia, sur la base des preuves irréfutables de son innocence et de la ferme conviction qu’il est la victime d’une machination politique raciste. Pourtant, beaucoup parmi les libéraux et les réformistes qui s’activent autour du cas de Mumia ont cherché à faire obstacle au développement d’une campagne de défense lutte de classe basée sur une vision marxiste de l’Etat capitaliste et de son système judiciaire. Ceci transparaît clairement dans une déclaration publiée en septembre dernier sur le site web du Collectif unitaire national de soutien à Mumia Abu-Jamal, soutenu par le PCF. On peut y lire que cette organisation « a décliné l’invitation d’intervenir à ce meeting, jugeant inopportun de polémiquer publiquement avec une organisation qui dénonce “les tentatives de dévier la lutte pour Mumia vers le système d’injustice bourgeois” ». Comme l’expliquait l’appel au meeting du CDDS, ce genre de travail de sape est précisément le programme derrière l’appel signé par des centaines de notables et de politiciens publié en février 2006 dans l’Humanité, et qui appelait à un « nouveau procès équitable ». Pour faire bonne mesure, la déclaration du Collectif unitaire national exprime le pieux espoir de « faire reconnaître par la Cour d’Appel Fédérale le déni de justice qui l’a conduit à la condamnation à mort ».

Nous sommes catégoriquement opposés à la stratégie de confiance dans l’Etat capitaliste. En même temps, nous avons toujours soutenu qu’il fallait un travail judiciaire scrupuleux en défense de Mumia. Le PCF, et d’autres groupes avec lui, essaient de faire passer leur stratégie de mobilisations autour de l’appel à un « nouveau procès » en prétendant qu’elle est en accord avec ce que souhaite Mumia. Rachel Wolkenstein a réfuté cet argument lors d’un meeting appelé par le PDC à Londres, en mai dernier : « Je connais Mumia Abu-Jamal, et je travaille avec lui depuis février 1987. Je lui rends régulièrement visite – avant de devenir son avocate, quand je suis devenue son avocate et après que j’ai arrêté d’être son avocate, y compris il y a une semaine. Il est parfaitement au courant de chacun des mots que j’ai prononcés ici. »

Comme l’expliqua Daniel Carreno dans son intervention au meeting du CDDS : « Demander un nouveau procès, c’est admettre l’hypothèse de la culpabilité de Mumia, malgré les multiples preuves de son innocence. »

La déclaration du Collectif unitaire national regrette que la lutte pour Mumia « n’a rien à gagner avec des querelles politiques de ce genre ». Bien au contraire. Il est malheureux que ce groupe n’ait pas participé au meeting pour y défendre ses positions, car ce genre de débat est nécessaire pour clarifier la voie à suivre dans le combat pour la libération de Mumia. Le Collectif pleurniche sur « l’unité », mais ce qu’il entend par là n’a rien à voir avec une authentique défense de front unique : se mobiliser dans l’action sur des mots d’ordre communs, avec une pleine liberté de critique. Lors du forum du PCF à la Fête de l’Humanité, en septembre dernier, l’animateur du débat a tenté d’empêcher Myriam Benoît de parler quand elle a commencé à annoncer le meeting du CDDS du 29 septembre. Plusieurs militants du PCF sont intervenus pour la libération de Mumia, mais le titre du forum disait autre chose : « 80 ans après l’exécution de Sacco et Vanzetti, Mumia Abu-Jamal bénéficiera-t-il enfin d’un nouveau procès pour défendre son innocence ? »

Pendant le meeting du CDDS, Rachel Wolkenstein a dénoncé les illusions mortelles dans l’Etat capitaliste qui sous-tendent les appels à un nouveau procès :

« Ces libéraux bourgeois et ces réformistes argumentent que le mouvement politique pour Mumia doit être restreint à ce que les avocats font, aux limites des procédures dans les tribunaux bourgeois. Ils argumentent qu’exiger la libération de Mumia, affirmer son innocence et qu’il n’aurait jamais dû passer un seul jour en prison, que la légalité bourgeoise a un parti pris de classe et de race, cela divise. »

La politique de défense lutte de classe signifie aucune illusion dans l’injustice capitaliste, et toute la confiance dans le pouvoir des masses. Cette conception est la clé pour la victoire dans le combat pour la libération de Mumia. Nous publions ci-dessous, revus et corrigés pour publication, des extraits de la présentation de Rachel Wolkenstein, du Partisan Defense Committee (USA), la présentation de Xavier Brunoy (LTF) ainsi que des extraits du discours d’Henri Alleg, et l’intervention depuis la salle de Bruce André (Spartacist League/U.S.) pendant le débat.

* * *

Rachel Wolkenstein, Partisan Defense Committee

Dans l’histoire de la classe ouvrière, les causes de prisonniers de la guerre de classes ont souvent marqué des générations politiques entières. Le 23 août marque le 80e anniversaire des exécutions des immigrés italiens et ouvriers anarchistes Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, en 1927 aux Etats-Unis, une affaire dont les ondes de choc ont secoué, et continuent à secouer, le monde entier. Aujourd’hui, nous sommes à la veille d’une décision judiciaire dans le cas de Mumia dont la cause, en tant qu’activiste noir radical et journaliste condamné à mort pour ses opinions et ses activités politiques, est la cause de notre génération. Le cas de Mumia est parallèle à celui de Sacco et Vanzetti, judiciairement et politiquement. C’est à nos risques et périls, et au péril de la vie même de Mumia, que nous refuserions d’assimiler les leçons de cette histoire.

Sacco et Vanzetti étaient parmi les anarchistes pris pour cibles de la répression pendant l’hystérie anti-rouges qui a suivi la Révolution russe. Mumia avait été pris pour cible par le FBI et les flics de Philadelphie depuis l’époque où, à l’âge de 15 ans, il était le porte-parole des Black Panthers, et plus tard, il s’était aussi attiré leur haine en défendant l’organisation MOVE. La condamnation de Mumia, au terme d’une machination, faisait partie intégrante de l’offensive judiciaire et politique du gouvernement américain à la suite de sa défaite au Vietnam et du début des années Reagan.

Dans les deux affaires, le tribunal était présidé par des juges ouvertement hostiles aux accusés. En 1924, après avoir rejeté une requête pour un nouveau procès de Sacco et Vanzetti, le juge Webster Thayer avait dit : « Vous avez vu ce que j’ai fait l’autre jour à ces salauds d’anarchistes ? » A l’époque du procès de Mumia, en 1982, une sténographe de tribunal avait entendu le juge Albert Sabo se vanter qu’il allait « aider à faire griller le n---e ».

Tous les moyens utilisés pour faire condamner Sacco et Vanzetti – jurés triés sur le volet, dissimulation de preuves, pressions sur les témoins, expertises balistiques truquées, utilisation du passé politique des accusés pour susciter l’hostilité du jury – seraient employés à nouveau dans le procès de Mumia, 60 ans plus tard. Le procureur Joseph McGill argumenterait devant un jury presque totalement blanc que l’appartenance de Mumia au Black Panther Party, 12 ans plus tôt, prouvait qu’il avait prémédité de tuer un flic.

La preuve la plus spectaculaire que Sacco et Vanzetti, et plus tard Mumia, n’ont pas commis les crimes pour lesquels ils ont été condamnés à mort, ce sont les aveux de criminels professionnels qui les innocentent. Et dans les deux affaires, les tribunaux ont rejeté cette preuve. En novembre 1925, Celestino Medeiros, dans la prison où il attendait d’être jugé en appel de la condamnation prononcée en 1924 pour le meurtre du vigile d’une banque, fit passer à Sacco une note déclarant : « J’avoue ici être impliqué dans le crime de la fabrique de chaussures de South Braintree, et que Sacco et Vanzetti n’étaient pas impliqués dans ledit crime. » Medeiros signa par la suite une déclaration sous serment où il affirmait que le braquage avait été perpétré par un gang qui était recherché pour une série de braquages de trains. Bien que les membres du gang aient correspondu aux descriptions faites par les témoins du braquage, la cour d’appel refusa de tenir compte des aveux de Medeiros.

En 1999, Arnold Beverly, dans une déclaration sous serment, affirma que c’était lui, et non Mumia, qui avait tiré sur l’agent de police Faulkner et l’avait tué. Selon Beverly, il avait été engagé pour cela, ainsi qu’une autre personne, par des flics et la pègre parce que Faulkner gênait des flics corrompus en interférant avec le racket, les pots-de-vin, le trafic de drogue, etc. Le témoignage de Beverly est corroboré par une montagne de preuves, et donne une cohérence à des éléments auparavant non expliqués : la trajectoire des balles, comment Mumia s’est fait tirer dessus, la personne portant une veste de treillis verte aperçue par cinq témoins, dont deux flics, et plein d’autres choses encore. Beverly m’avait fait ces aveux en 1999, quand j’étais membre de l’équipe des avocats de Mumia et en charge des enquêtes. J’ai démissionné cette année-là quand l’avocat principal de Mumia, Leonard Weinglass, a escamoté les aveux de Beverly. Deux ans plus tard, Weinglass a été licencié par Mumia parce qu’il avait violé le secret professionnel. En 2001, les nouveaux avocats de Mumia ont présenté les aveux de Beverly, et les preuves qui les corroborent, devant les tribunaux d’Etat et les tribunaux fédéraux qui n’ont même pas daigné les examiner.

Jusqu’au jour de l’exécution de Sacco et Vanzetti, l’International Labor Defense (ILD), la section américaine du Secours rouge international fondé par l’Internationale communiste, a mené une lutte infatigable pour l’unité d’action, sur la base de la lutte de classe, pour les défendre. L’ILD était favorable à l’utilisation de tous les moyens judiciaires disponibles en faveur de Sacco et Vanzetti. Mais comme insistait James P. Cannon, dirigeant du Parti communiste qui était à la tête de l’ILD, le combat pour Sacco et Vanzetti devait être porté devant la « cour suprême des masses ». Ceux qui faisaient confiance à la justice bourgeoise ont mené une offensive contre le PC et l’ILD, à coups de calomnies, d’exclusions des partisans du PC et de l’ILD des actions appelées par d’autres, et même d’agressions physiques.

L’ILD a fait connaître le combat de Sacco et Vanzetti, et a organisé des rassemblements et des grèves politiques pour exiger leur libération. L’ILD a mobilisé sur la base du front unique, en cherchant à réaliser l’unité maximum dans la lutte des différentes organisations qui étaient pour la défense de Sacco et Vanzetti, tout en laissant clairement s’exprimer les divergences politiques entre le PC/ILD et les autres groupes. Le mot d’ordre « marcher séparément, frapper ensemble » conjugue les deux objectifs de la tactique du front unique : l’unité de classe et le combat politique pour un programme communiste authentique.

L’ILD a mené une dure bataille politique contre ceux qui érigeaient des obstacles à une défense lutte de classe de Sacco et Vanzetti. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des obstacles similaires, et à d’autres encore, dans nos efforts pour mobiliser des actions de protestation centrées sur le mouvement ouvrier pour exiger la libération de Mumia, sur la base qu’il est innocent. L’affaire Sacco et Vanzetti s’est produite dans une période marquée par la révolution d’Octobre, qui a été un exemple pour les militants combatifs dans le monde, et qui a tracé une ligne de démarcation entre ceux qui défendaient l’Union soviétique et ceux qui se rangeaient du côté du pouvoir capitaliste.

Le monde d’aujourd’hui porte profondément la marque de l’impact de la destruction contre-révolutionnaire de l’Etat ouvrier soviétique en 1991-1992, après des décennies de trahisons staliniennes. Tandis que la bourgeoisie proclame le mensonge de la « mort du communisme », le gros de la gauche, qui s’était majoritairement alignée sur les campagnes antisoviétiques des impérialistes, place son activité politique totalement dans le cadre de l’ordre capitaliste soi-disant « démocratique ».

C’est pourquoi, alors que dans l’affaire Sacco et Vanzetti c’était l’accusation qui mettait en cause les aveux de Medeiros, aujourd’hui beaucoup de libéraux et de membres de la gauche réformiste qui affirment défendre Mumia traînent dans la boue les aveux de Beverly, et jettent même un doute sur la déclaration faite par Mumia lui-même comme quoi il n’a pas tiré sur Daniel Faulkner. Pourquoi des gens qui affirment défendre Mumia sont-ils agnostiques sur la question de son innocence, et attaquent-ils les aveux de Beverly ? C’est parce que ces aveux établissent clairement que la machination contre Mumia n’était pas le fait d’un flic, d’un procureur ou d’un juge déviants, mais le fonctionnement tout entier du système d’injustice capitaliste.

Les libéraux bourgeois veulent « assainir » le système capitaliste et éliminer ses « excès ». Mais dans le cas de Mumia, la machination contre un activiste noir n’est pas un « excès » – c’est ce que veut dire la peine de mort dans l’Amérique raciste. Les marxistes savent que les tribunaux, les flics, les prisons et les forces armées sont les composantes clé de l’Etat capitaliste – un appareil de violence organisée pour protéger le pouvoir et les profits de la classe exploiteuse. Cette conception est directement contraire au cadre libéral bourgeois de ceux qui embrassent ce même système de « justice » qui, à tous les niveaux, déclare, comme dans la tristement célèbre affaire Dred Scott dont le verdict avait été une confirmation de l’esclavage aux Etats-Unis, que Mumia n’a aucun droit qu’il soit tenu de respecter.

En 1995, quand le premier ordre d’exécution a été signé, il y a eu des actions de protestation dans le monde entier sur la base du soutien à la cause de Mumia, actions en grande partie basées sur des syndicats représentant des millions de personnes. De l’Afrique du Sud à la France, et même aux Etats-Unis, il y a eu des mobilisations construites sur la base que la condamnation-machination de Mumia était politique et raciste, que sa condamnation à mort était un appel au lynchage judiciaire raciste. A partir de ces mobilisations, et avec chaque nouvelle preuve de l’innocence de Mumia et de la machination de l’Etat, une puissante campagne internationale pour exiger la libération de Mumia, centrée sur le mouvement ouvrier, aurait pu être construite. Les particularités mêmes du cas de Mumia offrent de puissantes leçons démontrant que sa libération ne peut être arrachée que par l’action indépendante de la classe ouvrière, agissant avec la conscience de la puissance sociale qu’elle a de refuser de fournir sa force de travail, de paralyser l’industrie, les communications et les transports. Le cas de Mumia a le pouvoir de renforcer la combativité ouvrière, la solidarité de classe et la compréhension que la lutte pour les droits des Noirs, les droits des immigrés, et la lutte pour mettre fin à l’exploitation et à l’oppression sont une même lutte.

Au lieu de cela, la campagne pour Mumia a été démobilisée par les organisations de gauche et les groupes réformistes qui ont subordonné l’appel à sa libération à celui pour un nouveau procès. Au fond, le mot d’ordre du « nouveau procès » est un appel aux libéraux bourgeois qui voient dans le cas de Mumia non pas une machination contre un innocent, mais une « erreur judiciaire » isolée. Ils cherchent à en appeler aux éléments de « l’opinion publique » pour qui l’enfer judiciaire où Mumia a été précipité est une tache sur l’image de la « justice » américaine. Ou ils en appellent à l’Europe, pour opposer la démocratie supposément plus grande des bourgeoisies européennes par rapport aux Etats-Unis.

Le « nouveau procès » résume un programme de confiance dans la capacité de la classe capitaliste, de ses politiciens et de ses tribunaux de rendre justice à ceux qui luttent pour les opprimés. Ceci a retardé la prise de conscience politique de ceux qui ont rejoint la lutte, et en fin de compte cela a démobilisé le mouvement pour la libération de Mumia. En prêchant que le prochain tribunal serait le tribunal qui offrira à Mumia un nouveau procès, un procès équitable, ça a aussi démoralisé les jeunes et les travailleurs qui avaient initialement rallié le combat pour Mumia parce qu’ils y voyaient le reflet de leur propre combat contre « le système », tel qu’ils le comprennent. Et c’est le rôle des réformistes dans la gauche – qu’il s’agisse du Parti communiste en France ou des minuscules groupes de gauche aux Etats-Unis – de maintenir la classe ouvrière et ses alliés enchaînés à l’idée de l’inviolabilité de l’Etat.

La raison pour laquelle Mumia risque toujours la mort ou l’enfer de la prison à vie, c’est que le système d’injustice capitaliste – soutenu par les deux partis du capitalisme américain, les Démocrates et les Républicains – est déterminé à intimider, à réduire au silence et à punir ceux qui élèvent leur voix et leurs actions en opposition. C’est une autre leçon de l’affaire Sacco et Vanzetti. La détermination de la bourgeoisie à tuer Mumia ou à l’emprisonner à vie n’est pas moindre que pour les deux martyrs anarchistes.

James Cannon notait que « les maîtres industriels de l’Amérique » qui ont perpétré l’exécution de Sacco et Vanzetti pour porter un coup au mouvement ouvrier tout entier « n’étaient pas sans alliés, tant conscients qu’inconscients, dans le camp des ouvriers eux-mêmes ». « Sacco et Vanzetti seront morts en vain », écrivait-il, « si la signification réelle et les causes de leur martyre ne sont pas comprises, dans toutes leurs implications. » Ces leçons sont effectivement d’une importance cruciale dans la lutte contre la répression capitaliste aujourd’hui, et elles prennent une urgence particulière maintenant, dans le combat pour la libération de Mumia Abu-Jamal.

Nous n’avons pas besoin de nouveaux martyrs, et nous n’en voulons pas. Mumia ne doit pas devenir un martyr de la vindicte raciste du capital américain. En 1995, ce sont des mobilisations internationales, y compris de la classe ouvrière, qui ont arrêté l’ordre d’exécuter Mumia. Le pouvoir de libérer Mumia existe, dans la classe ouvrière internationale. Notre tâche est de nous battre pour libérer ce pouvoir. Libération immédiate de Mumia !

Xavier Brunoy, LTF

Nous tenons ce meeting pour la libération de Mumia alors que le gouvernement Sarkozy est en train de mener de nouvelles attaques contre la classe ouvrière. Dans la continuité des gouvernements précédents, de droite comme de gauche, Sarkozy veut que les capitalistes français prospèrent encore plus grâce à l’exploitation des ouvriers et il veut que l’impérialisme français soit plus compétitif face à ses concurrents. Et comme toujours, il s’appuie sur la terreur raciste.

L’exploitation, l’oppression raciste sont la base du système capitaliste de profits. Les soi-disant socialistes et soi-disant révolutionnaires font croire à la classe ouvrière qu’on peut réformer le capitalisme pour qu’il serve les intérêts de toutes les classes, ils colportent le mensonge que le capitalisme pourrait être plus favorable aux ouvriers. Beaucoup de luttes ouvrières, dans l’histoire, ont été sabotées par leurs directions qui pratiquent la collaboration de classes. En France, l’alliance des partis ouvriers-bourgeois, comme le PC et le PS, avec des partis bourgeois, que ce soient les Radicaux en 1936, ou les Verts ou les chevènementistes d’aujourd’hui, a été depuis des décennies l’archétype de la collaboration de classes. C’est cette collaboration de classes qui a pavé la voie aux attaques actuelles et à la montée de la réaction.

Pour pouvoir gagner, les ouvriers doivent être indépendants des capitalistes. Tous les acquis de la classe ouvrière, toutes les réformes ont été arrachées à la bourgeoisie par la lutte militante des ouvriers. Contre le programme de collaboration de classes et de capitulation des bureaucraties syndicales et des réformistes, la classe ouvrière a besoin d’une direction révolutionnaire. Elle a besoin d’un parti révolutionnaire multiethnique dont le programme permettra à la classe ouvrière de prendre conscience de son rôle historique pour renverser par une révolution ouvrière le système capitaliste, un système qui ne génère que misère, guerres, racisme, sexisme et oppressions. A la tête de tous les opprimés la classe ouvrière mettra en place une société dont le but sera la satisfaction des besoins de la population et non la recherche des profits. Une telle société devra se baser sur une économie planifiée internationalement et sur la démocratie des soviets.

La classe ouvrière n’a pas besoin d’un nouveau parti réformiste avec un nouvel emballage duquel les mots « communiste » et « révolutionnaire » seront gommés, comme la LCR ou le PCF en discutent en ce moment. Elle n’a pas besoin d’un énième parti dont le but est de faire pression sur la démocratie bourgeoise et d’obtenir quelques miettes.

La lutte pour la libération de Mumia Abu-Jamal – la voix des sans-voix, éloquente plume et puissante voix contre le racisme et l’injustice, non seulement aux USA mais dans le monde – fait partie du travail d’un parti révolutionnaire pour que la classe ouvrière se mobilise, qu’elle reprenne confiance en elle-même et que sa conscience progresse.

L’Etat français est en guerre permanente contre les immigrés et les populations musulmanes, avec contrôles au faciès, descentes de police, rafles, expulsions, etc. La classe ouvrière de ce pays ne pourra jamais faire la révolution si elle ne met pas en haut de son drapeau la lutte contre la terreur raciste et la défense des immigrés et de leurs enfants. Non seulement le racisme divise et paralyse les luttes de la classe ouvrière, mais il sape la capacité de la classe ouvrière à prendre conscience. Les dernières grèves dans l’industrie, comme celle de PSA Aulnay au printemps dernier, ont montré que les jeunes de banlieue issus de l’immigration ne sont pas que des victimes sans pouvoir de la terreur de l’Etat bourgeois. Ils sont partie prenante de l’économie et sont une composante stratégique de la classe ouvrière pour en finir avec le capitalisme.

L’Etat n’est que le conseil d’administration chargé de gérer les affaires de la classe capitaliste. Sa principale fonction est de maintenir la domination de la bourgeoisie qui a, en face d’elle, la classe ouvrière et tous les opprimés. La fonction essentielle de l’Etat est donc la répression et les flics, les matons et les juges en sont le cœur. C’est pourquoi cet Etat bourgeois ne peut pas être réformé ni mis au service de la classe ouvrière. Il doit être renversé par une révolution socialiste et remplacé par un Etat ouvrier. Cette position marxiste distingue les réformistes des révolutionnaires. L’histoire des luttes ouvrières et des luttes des opprimés contre le capitalisme nous enseigne que les illusions dans l’Etat bourgeois, dans ses tribunaux, sont un danger mortel (ce qui n’empêche pas d’utiliser tous les moyens légaux pour se défendre). En appelant à un nouveau procès pour Mumia, les organisations comme le PCF (et la LCR ou LO) sèment ces illusions et démobilisent ceux qui veulent manifester pour la libération de Mumia. Pour cette libération, la LCI cherche surtout des mobilisations de masse de la classe ouvrière car nous savons, comme on l’a déjà vu en 1995, que de telles mobilisations, à l’échelle internationale, peuvent faire reculer la main du bourreau.

Pour que les syndicats redeviennent non seulement des organisations de masse, mais des organisations lutte de classe, il faudra une lutte politique contre les bureaucraties syndicales sur un programme clairement révolutionnaire. Parce que les directions syndicales, ces lieutenants ouvriers des capitalistes qui s’appellent eux-mêmes « partenaires sociaux », se placent dans le cadre du capitalisme, elles cherchent à freiner les luttes et à les dévier sur le terrain parlementaire. On a pu le voir dans la grève PSA Aulnay dont j’ai déjà parlé, où les dirigeants de la CGT (dont beaucoup sont des militants de Lutte ouvrière) ont amené les ouvriers à ne faire pratiquement que des pressions sur le représentant du gouvernement dans le 9-3, le préfet, pour qu’il soit favorable aux grévistes, ou des pressions sur les maires.

Pratiquement toutes les organisations prétendant défendre les intérêts de la classe ouvrière se présentent aux postes exécutifs de l’Etat bourgeois, que ce soit président de la République ou maire, c’est-à-dire des postes qui exécutent les décisions prises par la bourgeoisie, avec les pouvoirs de police nécessaires à ces fonctions. Ces réformistes, en gérant le système capitaliste, gèrent la pénurie, pratiquent la discrimination dans l’éducation, le logement, etc. Et, comme on a pu le voir avec la mairie PCF d’Aubervilliers récemment, ils ont été amenés à expulser manu militari des sans-abris.

Au niveau international, Sarkozy impulse un changement de politique de l’impérialisme français en cherchant à changer les rapports entre l’ impérialisme français et l’impérialisme américain. Les déclarations bellicistes de Kouchner et Sarkozy sur l’Iran sont une conséquence de ce changement et laissent entrevoir que l’impérialisme de seconde zone qu’est l’impérialisme français pourrait apporter son appui militaire au cas où une attaque contre l’Iran serait lancée. Je rappelle que pendant la dernière campagne électorale, Royal s’était montrée encore plus agressive que Bush et Sarkozy par rapport à l’Iran. Nous réaffirmons notre position de défense de l’Iran contre une attaque impérialiste, et qu’un soutien militaire à l’Iran ne signifie aucunement accorder un soutien politique au régime réactionnaire des mollahs. Nous réaffirmons que l’Iran a besoin d’armes nucléaires et de missiles pour se défendre et dissuader contre la menace impérialiste.

La plus grande victoire de la classe ouvrière et la plus grande défaite des impérialistes a été la Révolution russe de 1917 dirigée par le Parti bolchévique de Lénine et Trotsky. L’échec de son extension internationale et les pressions de l’impérialisme ont permis à une caste privilégiée, bureaucratique et nationaliste, d’usurper le pouvoir de la classe ouvrière et de rejeter la lutte pour une révolution ouvrière internationale. Bien qu’elle fût devenue un Etat ouvrier dégénéré, l’Union soviétique restait un puissant contrepoids aux impérialistes. Elle avait prouvé la supériorité de la propriété collective et de l’économie socialiste planifiée qui permettaient de garantir les emplois, la santé et l’éducation à une population qui, aujourd’hui, vit dans la pauvreté et le besoin.

Nous étions pour la défense militaire inconditionnelle de l’Union soviétique contre les impérialistes et contre la contre-révolution capitaliste interne. La destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique a rendu les mains libres aux impérialistes, décuplant l’oppression des peuples des anciennes colonies et de ceux qui ploient encore sous le joug colonial, accélérant l’appauvrissement des masses dans le monde entier et se lançant continuellement dans des guerres pour préserver et se repartager les marchés mondiaux. Aujourd’hui, nous continuons de défendre contre les impérialistes et la contre-révolution interne les Etats ouvriers déformés cubain, chinois, vietnamien et nord-coréen. En même temps nous appelons à des révolutions politiques prolétariennes pour évincer les bureaucraties staliniennes, pour instaurer la démocratie ouvrière et l’internationalisme révolutionnaire.

Aujourd’hui une importante campagne anticommuniste contre la Chine se développe en France, en particulier autour des prochains Jeux olympiques de Pékin avec y compris des appels au boycott. Lors du forum pour Mumia à la Fête de l’Humanité il y a 15 jours, nous avons ainsi dû supporter de telles interventions, entre autres celle de la sénatrice PCF Nicole Borvo. Le prétexte de cette campagne anticommuniste est bien sûr les « droits de l’homme », mais aussi « la lutte contre la peine de mort ». Nous sommes bien sûr contre la peine de mort par principe y compris celle pratiquée par la bureaucratie stalinienne. Mais pour nous, la lutte pour son abolition fait partie intégrante de la lutte pour la révolution politique et pour l’instauration du pouvoir politique des ouvriers. Dans la bouche des impérialistes et de leurs chantres, ce n’est qu’un prétexte pour essayer d’utiliser le mécontentement qui existe en Chine, un prétexte qui sert à masquer un programme de contre-révolution capitaliste en Chine qui liquiderait les acquis de la Révolution de 1949.

Pour finir, il ne pourra pas y avoir de révolution sociale dans ce pays sans une lutte unie de la classe ouvrière multiethnique, dirigée par un parti révolutionnaire multiethnique. C’est à la construction d’un tel parti que la section française de la LCI, la Ligue trotskyste de France, se consacre.

Henri Alleg

Chers amis, chers camarades,

Je suis très heureux d’avoir été invité à votre réunion, et j’en remercie les organisateurs. Si vous le permettez, je voudrais moi aussi dire que la bataille pour Mumia est une bataille qui dépasse de loin ce qui se passe seulement aux Etats-Unis. Nous savons depuis longtemps ce qu’est la « justice », la justice américaine, ce qu’est en fait la justice colonialiste ou la justice capitaliste dans tous les pays du monde. Et je crois qu’il était juste, comme l’a fait Madame Wolkenstein, de rappeler qu’il y a eu d’autres cas, d’autres batailles qui ont été inscrites dans l’histoire de la négation de la justice à l’égard des travailleurs, à l’égard de ceux qui luttent pour une autre société, et singulièrement à l’égard du peuple noir des Etats-Unis.

J’ajouterai aux noms qui ont été cités, et il y en a bien d’autres, ceux des Rosenberg qui avaient suscité une immense protestation à travers le monde. Il y a eu à Paris jusqu’à un million de manifestants, et naturellement on peut regretter que la situation d’aujourd’hui ne permette pas un tel rassemblement pour sauver Mumia. Et il est symbolique et significatif que justement un des enfants, un des fils des deux Rosenberg, fasse partie de ceux qui ont élevé leur voix, et qui continuent à le faire, pour sauver Mumia.

Si vous le permettez – et ceux qui connaissent un peu l’histoire de la guerre d’Algérie n’en seront pas étonnés – je voudrais dire devant vous ce que me rappelle cette bataille d’aujourd’hui pour sauver Mumia ; et en même temps, pour avoir une idée de ce qu’est la justice quand elle est exercée finalement au bénéfice et au nom des bourreaux.

Comme vous le savez aussi, il y a eu pendant cette guerre non seulement des massacres sans nom, des villages entiers détruits, des gens qu’on a exécutés par milliers sans aucun jugement ; mais parallèlement, comme pour donner le change, on parlait aussi de justice. Il y avait une « justice », là aussi je veux mettre des guillemets, qui fonctionnait.

Et cette justice, naturellement, n’en avait que le nom, mais elle était entièrement au service des colonialistes qui poursuivaient la guerre, au service de ceux pour qui les Algériens étaient une « race » à part, et à partir du moment où ils étaient algériens, ils étaient déjà coupables. Comme aux Etats-Unis aussi où un prévenu, même s’il ne s’agit pas de questions politiques, s’il est noir, est déjà coupable. Si en plus ce Noir est un homme qui se bat pour l’égalité, pour la fraternité, et contre le système raciste, il est encore plus coupable, et il mérite sans grande discussion une punition exemplaire. C’est ce à quoi on assiste aujourd’hui malgré toutes les preuves qui sont données de l’innocence de Mumia, et d’une certaine façon, c’était la même chose pas seulement en Algérie, mais dans tout ce qu’on appelait les colonies françaises. [...]

Je suis bien d’accord avec les mots d’ordre qui sont ici, que la justice du capitalisme ou du colonialisme n’est pas une justice, et je pense aussi qu’on peut – qu’on doit – les faire reculer, et qu’il y a des exemples où, quand la lutte est assez forte et la mobilisation assez grande, on arrive à faire reculer ceux qui prétendent être des justiciers. [...]

Donc je crois que les exemples ne manquent pas, et ne manqueraient pas non plus dans d’autres pays, pour réaffirmer que dans cette société, ce n’est pas la justice qui est recherchée par les magistrats, mais qu’ils sont au service de la puissance existante.

Aujourd’hui d’ailleurs, si vous m’accordez encore quelques minutes, il y a une chose qui me frappe peut-être plus encore, c’est la façon dont les autorités américaines parlent des questions qui les ont quand même bousculées, des tortures dans les prisons d’Irak, des tortures aussi à Guantanamo. Ce qui me frappe, c’est qu’à l’époque de la colonisation et de la guerre, les autorités françaises n’ont jamais voulu reconnaître qu’il y avait des interrogatoires de ce type. Jamais. La réponse des autorités, c’était : « Vous voyez bien que tout cela, c’est de la propagande, de la propagande des nationalistes et de la propagande des communistes, qui veulent absolument discréditer la France et son armée. » Et pendant 45 ans – c’est incroyable – on a nié même qu’il y ait eu une guerre en Algérie. Il y a eu des dizaines de milliers de morts, des centaines de milliers de morts, il y a eu 30 000 soldats de l’armée française (ils n’étaient pas tous français) qui sont morts, et les plus hautes autorités pouvaient soutenir officiellement qu’il n’y avait jamais eu de guerre, que c’était simplement un travail de police normal, mais que la guerre n’avait jamais eu lieu. Et c’est seulement en 1999 qu’enfin on a dû reconnaître qu’il y avait quand même eu une guerre, mais en même temps il y avait déjà eu des lois qui avaient complètement amnistié tout ce qui s’était passé. C’est-à-dire que tortionnaires, assassins et juges qui avaient trahi leur mission n’avaient plus rien à voir devant la justice. Voilà ce qui s’est passé.

Or aujourd’hui je dirais que, d’une certaine façon, c’est pire. C’est pire en Irak, c’est pire même en Israël, c’est pire dans d’autres pays, puisqu’on ne nie plus qu’il y ait eu des tortures, mais on adopte des lois qui considèrent que c’est normal ! Par conséquent, on peut dire qu’il y a là – ceux qui viendront après nous penseront ça – un recul de civilisation. Depuis des siècles, on s’est battu contre la torture, et on s’est battu contre les agressions physiques sur la personne des inculpés, et jusqu’à maintenant les dirigeants étaient obligés de dire : « C’est pas vrai, on ne le fait pas. » Maintenant ils disent : « Oui c’est vrai, mais on a le droit de le faire, parce que la justice nous le permet et qu’on ne peut pas faire autrement. »

Si vous le permettez, je voudrais simplement dénoncer la bataille contre l’esprit, le racisme, l’apartheid colonial ; ces guerres qui sont menées en Orient, et qui ne sont pas terminées, puisqu’on parle de plus en plus de la « nécessité » de se prémunir contre des attaques qui pourraient venir d’Iran – par conséquent, de se préparer, par des frappes préliminaires, à éviter ce danger de l’Iran partant à l’assaut de la puissance américaine. Ce sont les mêmes mensonges qui ont permis le déclenchement de la guerre en Irak, qui continue en Afghanistan et demain qui risque de se produire en Iran.

Et naturellement, les raisons profondes de ces guerres que l’on prépare ne sont pas autre chose que des intérêts économiques et stratégiques. On sait bien que si l’Iran n’avait que des glaces et non du pétrole, il n’y aurait pas de guerre.

Par conséquent, je crois que plus que jamais il faut que de partout s’élèvent des voix qui font la jonction entre ce qui se passe dans le cas particulier de Mumia, qui est condamné malgré son innocence absolue, qui est condamné parce qu’il est noir, parce qu’il est révolutionnaire, parce qu’il se bat, parce qu’il a du talent pour expliquer ce qui se passe.

Je voudrais terminer en disant deux choses. Nous avons, je crois, raison de nous battre et de voir clair, pourquoi cette fausse justice. Mais en même temps, il faut se dire que malgré les échecs, malgré les défaites, le monde va quand même de l’avant. Qu’il y a à l’échelle du globe des centaines de millions d’hommes qui aujourd’hui ne se laissent pas tromper, et qui savent de quoi il retourne.

Certains, aujourd’hui, pourraient être tentés de dire, mais à quoi cela sert-il ? Si l’on voit plus clair qu’à l’époque de Sacco et Vanzetti, cela n’empêche pas que les Sacco et Vanzetti d’aujourd’hui, les Mumia Abu-Jamal, il y en a. Oui, mais je crois que c’est Jamal lui-même qui nous répond. Je lisais une interview de lui il y a deux ou trois jours : « Je suis optimiste », dit-il. Depuis 25 ans, il est dans des conditions affreuses, en prison dans le couloir de la mort, et cet homme a le cran de dire : « Je suis optimiste. » Quand il pense qu’il est optimiste, ce n’est pas parce qu’il a confiance dans les juges – parce qu’il est payé pour savoir qu’on ne peut pas avoir confiance – mais il a confiance dans l’action des masses populaires, dans ces millions de gens qui ont manifesté leur sympathie à son égard, et qui demandent qu’on le rende à la liberté.

Je crois que cette volonté s’est manifestée de diverses façons. Y compris d’ailleurs à Paris. On en pense ce qu’on veut, mais à Paris il a été déclaré citoyen d’honneur de la ville de Paris, et il y a eu des protestations de la part des autorités américaines contre ça. Par conséquent, même si ça ne change rien profondément, au moins cela ne leur fait pas plaisir.

Je voulais simplement vous dire cela, vous dire encore que c’est notre devoir à tous de parler de tout cela autour de nous, et de participer, quelle que soit fondamentalement notre philosophie, et même s’il y a des choses ici avec lesquelles personnellement je ne suis pas d’accord. Mais la chose avec laquelle je suis d’accord, c’est de me battre avec vous, avec tous, pour que justice soit rendue à Mumia !

Bruce André, Spartacist League/U.S.

La compréhension marxiste que l’Etat bourgeois est un instrument de répression de la classe dirigeante pour assurer son pouvoir sépare les révolutionnaires des dirigeants réformistes de la classe ouvrière. C’est une ligne de partage qui remonte loin dans l’histoire. En ce qui concerne le Parti communiste français, cela remonte au milieu des années 1930 où il a adopté la ligne du front populaire : unité politique des dirigeants ouvriers avec les représentants de la bourgeoisie pour gérer l’Etat bourgeois, soi-disant dans les intérêts des ouvriers. Il y a un article dans le dernier Bolchévik sur cette question et sur la question de la grève générale de 1936. Il cite justement le livre sur la guerre d’Algérie publié sous la direction d’Henri Alleg qui explique que la politique de répression dans les colonies menée à cette époque restait fidèle à la tradition impériale française. On pourrait aussi dire que c’est inscrit dans la logique de la collaboration de classes. De cette époque, jusqu’à ce que la guerre d’Algérie soit bien engagée, le PCF était pour « l’Union française démocratique », c’est-à-dire une réforme du colonialisme.

Comme le camarade Alleg l’a fait remarquer, pendant la guerre d’Algérie, nombre de militants du PCF, surtout en Algérie, ont mené une résistance courageuse au colonialisme français pour laquelle bon nombre sont morts, ou, comme Alleg lui-même, ont été torturés. Mais si le PCF avançait de temps à autre le mot d’ordre d’indépendance, sa vraie politique était de faire pression pour arriver à une « solution négociée », c’est-à-dire un arrangement néocolonial qui préserverait les intérêts fondamentaux de l’impérialisme français. Cela a commencé avec le vote pour les pouvoirs spéciaux et l’alliance de front populaire avec Guy Mollet, qui intensifiait la guerre en Algérie et qui faisait de la torture un phénomène de masse. S’il y a un exemple historique qui prouve qu’on ne peut pas saisir les rouages de l’Etat bourgeois pour les faire travailler dans les intérêts de la classe ouvrière, c’est celui-ci.

Nous avons appris beaucoup des écrits d’Alleg – et nous en sommes reconnaissants – même si, et c’est normal, ils servent à défendre le fond de la politique du PCF. Son ouvrage en trois volumes est, je pense, pratiquement la seule histoire générale de la guerre d’Algérie à parler, par exemple, des grèves ouvrières menées en Algérie aussi bien qu’en métropole.

Cette histoire est précieuse pour nous parce qu’elle montre – c’est évidemment un point de désaccord avec Alleg – que la lutte révolutionnaire, centrée sur la lutte des classes des deux côtés de la Méditerranée, était à l’époque à l’ordre du jour.

Ce qui manquait à l’époque – comme aujourd’hui – c’était une direction révolutionnaire du prolétariat. Si une telle direction avait existé, l’histoire de l’Algérie et de la France – en fait du monde entier – serait très différente. Notre combat est la lutte pour forger une telle direction.

Le Bolchévik nº 182

Le Bolchévik nº 182

Décembre 2007

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