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Le Bolchévik nº 177

Septembre 2006

Il faut défendre l’Etat ouvrier déformé chinois !

Pour la révolution politique prolétarienne !

Les « réformes de marché » en Chine

Nous reproduisons ci-après la présentation revue pour publication de notre camarade Xavier Brunoy lors de la journée d’études de la LTF du 24 juin à Paris. Cette présentation s’inspire également de l’article publié dans Workers Vanguard n° 874 et 875 (4 août et 1er septembre).

* * *

L’Union soviétique, le premier et le seul Etat ouvrier mis en place par une révolution ouvrière dirigée par un parti révolutionnaire, le parti bolchévique de Lénine et Trotsky, a été détruite il y a près de 15 ans maintenant. L’Union soviétique, dans sa dégénérescence stalinienne, n’était certainement pas le phare de la révolution mondiale qu’elle avait été sous les bolchéviks de Lénine et Trotsky. Néanmoins, elle constituait un contrepoids aux ambitions sans limite des impérialistes du monde entier. Economiquement, elle démontrait non seulement la possibilité d’une alternative à l’exploitation capitaliste, mais aussi la supériorité d’une économie planifiée. Militairement, elle retenait la main des dirigeants impérialistes, en particulier des Etats-Unis, en les empêchant d’éliminer ceux qu’ils considéraient comme des ennemis à coups d’armes nucléaires. Depuis que le capitalisme a été restauré dans l’ex-Union soviétique, les impérialistes restent fixés comme auparavant sur la destruction des Etats ouvriers déformés qui subsistent – Cuba, le Vietnam, la Corée du Nord, et la Chine, le plus grand et le plus puissant de ces Etats et l’enjeu majeur. Toutes les puissances impérialistes manœuvrent, par des moyens à la fois économiques et militaires, pour reconquérir la Chine et pouvoir exploiter sans entraves ses millions de travailleurs et de paysans.

La bureaucratie stalinienne chinoise a ouvert la porte sur des régions entières du pays aux impérialistes et à la bourgeoisie chinoise basée à l’extérieur de la Chine continentale. En introduisant de façon agressive des réformes de marché, ce qu’elle appelle le « socialisme avec des caractéristiques chinoises », la bureaucratie érode sérieusement les acquis de la Révolution chinoise de 1949 basés sur le renversement des rapports de propriété capitalistes. Toute une série d’organisations tant en France qu’au niveau international (la LCR et son organisation internationale le Secrétariat unifié, la Gauche révolutionnaire et son Comité pour une internationale ouvrière (CIO) sous la direction de Peter Taaffe, etc.) qui avaient hurlé avec la meute de l’anticommunisme de guerre froide pour restaurer la « démocratie » capitaliste en Union soviétique, ont aujourd’hui fait une croix sur la Chine en la déclarant capitaliste. Mais l’histoire n’a pas encore rendu son verdict. La Chine demeure un Etat ouvrier, même s’il était déformé dès le départ. Ma présentation aujourd’hui va expliquer sa nature de classe, et pourquoi il est crucial de gagner la classe ouvrière dans le monde entier à l’idée de défendre militairement de façon inconditionnelle l’Etat ouvrier déformé chinois contre l’impérialisme, ainsi que contre toutes les menaces de contre-révolution capitaliste, qu’elles viennent de l’intérieur de la Chine ou de l’extérieur. Nous comprenons que la caste bureaucratique au sommet de l’Etat ouvrier chinois représente une menace mortelle pour sa survie, et nous sommes pour une révolution politique en Chine, pour renverser la bureaucratie et mettre en œuvre la démocratie ouvrière des soviets, lutter pour la révolution prolétarienne internationale nécessaire et construire le socialisme.

La République populaire de Chine (RPC) est née de la Révolution de 1949 qui, malgré ses profondes déformations bureaucratiques, a été une révolution sociale d’importance historique au niveau mondial. Des centaines de millions de paysans se sont soulevés et ont pris possession de la terre sur laquelle leurs ancêtres avaient été cruellement exploités depuis des temps immémoriaux. La victoire des armées rouges dirigées par le Parti communiste chinois (PCC) sur les forces du Guomindang, qui représentaient la bourgeoisie et les propriétaires fonciers, a détruit l’appareil militaire de l’Etat bourgeois chinois semi-colonial. Avec Chiang Kai-shek, le dirigeant du Guomindang, et sous la protection de l’impérialisme américain, c’est pratiquement toute la bourgeoisie chinoise qui a fui sur la petite île de Taïwan et ailleurs (Hongkong, Singapour, Malaisie, etc.) Le pouvoir des seigneurs de guerre sanguinaires, des usuriers, des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie (c’était souvent les mêmes individus) était finalement détruit. Une nation qui depuis un siècle avait été ravagée et divisée par les puissances occidentales était unifiée et libérée du joug impérialiste.

Avec la Révolution de 1949, la création d’une économie collectivisée et centralement planifiée en Chine a jeté les bases d’un énorme bond en avant en termes de progrès social, et a permis à la Chine de s’arracher à une effroyable arriération paysanne. Le nouvel Etat a organisé et garanti la distribution des terres aux paysans et pris le contrôle de l’industrie privée qui restait. Avec l’aide de l’URSS, une industrie lourde d’Etat a commencé à se développer aux côtés de l’industrie privée existante, de même que des infrastructures vitales qui manquaient à la Chine. Après la guerre de Corée, l’industrie privée a été totalement nationalisée. Un monopole d’Etat du commerce extérieur protégeait l’économie socialisée en l’empêchant d’être sapée par des importations bon marché en provenance de pays capitalistes-impérialistes de loin plus développés. Ce sont les rapports de production qui ont été radicalement changés en Chine avec la Révolution de 1949. Les acquis matériels issus de cette révolution sociale étaient immenses, et on pouvait le mieux s’en rendre compte en ce qui concerne les acquis des femmes, qui avaient été terriblement opprimées dans toutes les classes sociales. A la suite de la révolution les femmes ont obtenu par exemple un droit à l’allocation de terres et le droit de divorcer.

Contrairement à la Révolution russe d’octobre 1917, qui avait été accomplie par un prolétariat conscient de ses intérêts de classe et guidé par l’internationalisme bolchévique de Lénine et Trotsky, la Révolution chinoise a été le résultat d’une guérilla paysanne dirigée par les forces stalino-nationalistes de Mao. Le PCC de Mao Zedong représentait donc, dès la création de la République populaire de Chine, une caste bureaucratique nationaliste perchée au sommet d’une économie collectivisée et planifiée, ce que nous appelons un Etat ouvrier déformé. Selon le modèle de l’URSS de Staline, le PCC a immédiatement établi un monopole en ce qui concerne le pouvoir et l’organisation politique. Ce qui voulait dire que toute activité politique indépendante de la classe ouvrière vis-à-vis du PCC était écrasée, de même que des luttes économiques à la base.

Quand les ouvriers ont pris le pouvoir en Russie en 1917, les dirigeants bolchéviques, Lénine et Trotsky, étaient très conscients de l’arriération économique, sociale, culturelle et politique dans laquelle se trouvait la Russie, et de la pression vers la bureaucratisation que cela représentait. Ils savaient que le seul moyen pour que l’Etat ouvrier survive était de construire le socialisme sur une base mondiale, et dans ce but ils ont créé la Troisième Internationale qui a lutté par tous les moyens pour étendre la révolution au niveau international, en particulier dans les pays capitalistes avancés d’Europe, comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. Cependant, l’échec de la révolution internationale, notamment la défaite de la révolution allemande en octobre 1923, et l’isolement croissant de la jeune république soviétique allant de pair avec la dévastation infligée au pays par la Première Guerre mondiale puis la guerre civile, tout cela jeta les bases matérielles de la croissance du bureaucratisme nationaliste. A partir de 1923-1924 l’Union soviétique fut l’objet d’une dégénérescence bureaucratique nationaliste sous le règne de plus en plus despotique de Joseph Staline. Le programme révolutionnaire internationaliste prolétarien du bolchévisme fut répudié en faveur de la « théorie » profondément antimarxiste que l’on pouvait construire le socialisme dans un seul pays, et qu’il pourrait « coexister pacifiquement » avec l’impérialisme mondial.

L’utopie réactionnaire du « socialisme dans un seul pays »

Le vrai crime de la bureaucratie – hier comme aujourd’hui, en URSS comme en Chine –, c’est qu’avec sa politique d’essayer d’apaiser l’impérialisme avec des concessions elle a aidé à perpétuer et à renforcer le système capitaliste à l’échelle mondiale. Sous Mao comme sous son successeur Deng, la Chine était une composante importante de l’alliance contre l’URSS. Les staliniens chinois portent une responsabilité directe et importante dans la destruction contre-révolutionnaire de l’URSS, une défaite historique pour le prolétariat international. En définitive, c’est seulement par le renversement du pouvoir de classe capitaliste au niveau international, et en particulier dans les centres impérialistes d’Amérique du Nord, d’Europe de l’Ouest et du Japon, que la modernisation de la Chine pourra être réalisée, dans le cadre d’une Asie socialiste.

Dans la période post-soviétique le régime du PCC a continué à s’accommoder aux intérêts et aux aspirations de l’impérialisme américain. Ainsi Hu Jintao et Cie ont soutenu la « guerre contre le terrorisme » de Bush, la justification politique des USA pour l’invasion et l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan et pour ses menaces actuelles contre l’Iran, un des principaux fournisseurs d’énergie de la Chine.

Pékin collabore aussi avec Washington et Tokyo pour sponsoriser les « négociations » visant à mettre fin au développement d’armes nucléaires par la Corée du Nord, malgré le fait que tout affaiblissement de l’Etat ouvrier déformé nord-coréen face au militarisme impérialiste se retournerait contre la Chine. Face à la domination nucléaire globale sans partage de l’impérialisme US, la seule garantie significative de souveraineté que puisse avoir une nation aujourd’hui, c’est qu’elle possède une dissuasion nucléaire crédible, comme le soulignent les menaces impérialistes contre le programme nucléaire de l’Iran (voir notre article dans le Bolchévik n° 175, mars). La Corée du Nord déclare qu’elle a développé des armes nucléaires, et le missile Taepodong-2 pourrait s’avérer crucial pour que ces armes puissent atteindre leur cible. De telles armes sont nécessaires pour dissuader les impérialistes d’attaquer, et pour défendre l’Etat ouvrier, un acquis historique de la classe ouvrière internationale.

Le « socialisme dans un seul pays » signifie rejeter partout ailleurs la possibilité d’une révolution socialiste. La Chine de Mao était au début des années 1960 l’inspiratrice principale du Parti communiste indonésien (PKI), à l’époque le plus fort parti communiste du monde capitaliste. Le PKI prêchait l’« unité nationale » avec les nationalistes bourgeois au pouvoir, les autorités musulmanes et les officiers de l’armée. Il avait interdit des grèves, réprimé des protestations paysannes et prêché la confiance dans le président Sukarno et ses généraux. Cette abjecte collaboration de classes, loin d’être la première étape « démocratique » de la révolution, pava la voie à un coup d’Etat militaire en 1965 et un bain de sang où plus de 500 000 communistes, travailleurs et membres de la minorité chinoise furent massacrés – sans même une protestation de la Chine maoïste.

Le « socialisme dans un seul pays » rejette en particulier la possibilité d’une révolution prolétarienne dans les pays capitalistes avancés dans la prochaine période historique (un rejet partagé par nos opposants réformistes). Ce dogme stalinien-maoïste du « socialisme dans un seul pays » est l’antithèse de la perspective trotskyste de la modernisation de la Chine dans le contexte d’une économie socialiste intégrée et planifiée internationalement, résultant de la révolution socialiste dans les centres impérialistes. Cette perspective est pourtant la seule voie pour la libération complète des masses ouvrières et paysannes chinoises.

La nature de classe de l’Etat ouvrier déformé chinois

Comment était-il possible que le PCC, qui ne devait pas avoir plus de 5 % d’ouvriers dans ses rangs, et qui s’appuyait sur la paysannerie et des intellectuels petits-bourgeois, ait pu détruire l’Etat de la bourgeoisie chinoise et mettre en place une économie planifiée et un Etat ouvrier, même bureaucratiquement déformé ? De 1945, quand l’impérialisme japonais s’est effondré, à 1949, le PCC et Mao ont essayé à plusieurs reprises de négocier avec Chiang Kai-shek. C’est en fait l’intransigeance de Chiang Kai-shek et de la bourgeoisie chinoise qui a en quelque sorte obligé Mao et le PCC à faire la révolution. Dans la « Déclaration de principes de la Spartacist League » en 1966, nous caractérisions de la manière suivante ces révolutions dirigées par des forces de guérilla petites-bourgeoises après la Deuxième Guerre mondiale :

« Dans certaines conditions, à savoir : l’extrême désorganisation de la classe capitaliste dans le pays colonial et l’absence d’une classe ouvrière luttant en son propre nom pour le pouvoir social, des mouvements de ce genre peuvent supprimer les relations de propriété capitalistes, mais ils ne peuvent pas porter la classe ouvrière au pouvoir politique. Ils créent plutôt des régimes bureaucratiques et anti-ouvriers qui empêchent le développement de ces révolutions vers le socialisme. »

Spartacist édition française n° 7, automne 1974

Nous parlons pour la Chine d’un Etat ouvrier déformé, une forme de la dictature du prolétariat. Pour les marxistes, l’Etat, ce sont des détachements d’hommes armés (la police, l’armée, les matons, les juges) chargés de défendre et protéger la classe qui dirige la société, et les intérêts de cette classe dirigeante, contre la classe dominée. Marx avait développé le concept de dictature du prolétariat pour expliquer une société post-révolutionnaire toujours caractérisée par l’inégalité et la pénurie économiques, une société avec des salaires différenciés et un appareil d’Etat coercitif. Dans sa Critique du programme de Gotha Marx dit :

« Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. A quoi correspond une période de transition politique où l’Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat. »

De plus Trotsky, dans « Un Etat non ouvrier et non bourgeois ? », explique à propos de l’URSS (dans Défense du marxisme)  : « La nature de classe de l’Etat se définit en conséquence, non pas par ses formes politiques, mais par son contenu social, c’est-à-dire par le caractère des formes de propriété et des rapports de production que l’Etat en question protège et défend. » Trotsky polémiquait contre ceux qui refusaient de défendre l’URSS sous prétexte de sa bureaucratisation stalinienne. Et il ajoutait : « En revanche un régime qui préserve la propriété expropriée et nationalisée contre l’impérialisme, cela c’est, indépendamment des formes politiques, la dictature du prolétariat. » Ceci s’applique très bien non seulement à l’URSS de Staline mais aussi à la Chine de Mao.

Quand on dit « défense inconditionnelle de la Chine », nous voulons dire la même chose que ce que voulait dire Trotsky pour l’URSS : « nous ne posons aucune condition à la bureaucratie. Cela signifie que, indépendamment des motifs et causes de la guerre, nous défendons les fondements sociaux de l’URSS si et quand ils sont menacés par l’impérialisme » (Trotsky, Défense du marxisme). Mais nous ne donnons absolument aucun soutien politique à la bureaucratie stalinienne, ni dans sa politique intérieure, ni dans sa politique extérieure.

Comme je l’ai dit plus tôt, le PCC et son armée étaient essentiellement une force basée sur la paysannerie. Est-ce que cela aurait pu donner un Etat « petit-bourgeois » ou un Etat « paysan » ? Trotsky dans la Révolution permanente tire les leçons de la révolution d’Octobre en Russie, et dit « Cette expérience a prouvé, dans des circonstances qui éliminent toute autre interprétation, que le rôle de la paysannerie, quelle que soit son importance révolutionnaire, ne peut être un rôle indépendant et encore moins un rôle dirigeant. Le paysan suit ou l’ouvrier ou le bourgeois. » Il ne peut y avoir qu’une des deux classes fondamentales au pouvoir. Si ce n’est pas la dictature de la bourgeoisie, c’est la dictature du prolétariat. L’armée maoïste a détruit l’armée de Chiang Kai-shek, c’est-à-dire l’armée de la bourgeoisie chinoise et des gros propriétaires terriens, et elle a détruit ainsi la dictature de la bourgeoisie et mis en place la dictature du prolétariat.

Le galimatias antimarxiste de Lutte ouvrière

Cela vaut la peine de revenir sur les positions développées par Lutte ouvrière (LO). Ils considèrent que la Révolution de 1949 est une révolution nationaliste bourgeoise et ils ont en conséquence toujours caractérisé la Chine comme un Etat bourgeois. Aussi, face aux menaces sans cesse croissantes de l’intérieur et de l’extérieur qui pèsent sur la Chine, ils refusent de se prononcer pour sa défense militaire inconditionnelle. Le principal argument de LO est le suivant : « La révolution chinoise a d’abord été l’œuvre de l’énergie, de la révolte de dizaines de millions de paysans qui voulaient s’affranchir de l’exploitation féroce qui pesait sur eux depuis des millénaires. Là où elle a éclaté, l’insurrection paysanne a liquidé les vestiges féodaux de la vieille société chinoise. Le régime maoïste a également unifié le pays. En cela, c’était une révolution. Mais la révolte paysanne n’était pas dirigée par la classe ouvrière, qui n’a joué aucun rôle, et cette révolution chinoise de 1949 n’était pas prolétarienne » (citation du dernier Cercle Léon Trotsky (CLT) sur la Chine de février 2006, c’est moi qui souligne). Pour LO, comme la classe ouvrière n’a pas dirigé la révolution, c’était une révolution bourgeoise.

Mais la description que donne ensuite LO de la « révolution chinoise » est clé, non seulement parce qu’elle correspond à la réalité, mais surtout parce qu’elle est sensée décrire le résultat d’une révolution bourgeoise dans un pays semi-colonial arriéré à l’époque de l’impérialisme. LO explique que la Révolution de 1949 avait « collectivisé les terres » et étatisé les moyens de production ; que les ouvriers bénéficiaient du « bol de riz en fer », c’est-à-dire la retraite assurée, une couverture maladie et un logement. LO dit que cette révolution a permis « à l’industrie de se développer à une moyenne de 9 % par an » ; elle a permis « des progrès considérables » dans les domaines de l’enfance, de l’éducation, de la santé y compris dans les campagnes, etc. ; elle dit que ces avancées sont sans commune mesure avec l’Inde, l’Inde se faisant piller par les impérialistes alors que la Chine non.

Trotsky, dans la Révolution permanente, explique :

« Pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes.

« Non seulement la question agraire mais aussi la question nationale assignent à la paysannerie, qui constitue l’énorme majorité de la population des pays arriérés, un rôle primordial dans la révolution démocratique. Sans une alliance entre le prolétariat et la paysannerie, les tâches de la révolution démocratique ne peuvent pas être résolues ; elles ne peuvent même pas être sérieusement posées. Mais l’alliance de ces deux classes ne se réalisera pas autrement que dans une lutte implacable contre l’influence de la bourgeoisie libérale nationale. »

C’est donc une complète révision de la révolution permanente de Trotsky à laquelle les dirigeants de LO se livrent, sans le dire bien sûr. Pour la Chine, LO dit exactement le contraire de Trotsky : d’après eux, oui, pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale peut se trouver dans la bourgeoisie et les formes de propriété capitalistes.

Les positions de LO datent en fait seulement de 1998. C’est du CLT sur la Chine de cette année-là que date la reconnaissance par LO des progrès faits en Chine. Auparavant, par exemple dans le CLT sur la Chine de 1984, LO niait tout simplement la réalité et refusait de reconnaître les principales avancées de la Chine (par exemple l’Inde et la Chine étaient mises sur un pied d’égalité). Cette reconnaissance nouvelle des effets positifs de la Révolution chinoise s’est faite sous couvert d’« étatisme ». Le CLT de 1998 a un long chapitre qui s’intitule « De 1949 à 1979 : l’étatisme aux commandes », avec un intertitre explicite : « Les progrès réalisés grâce à l’étatisme ».

Pour LO comme pour les autres réformistes pseudo-trotskystes, l’Etat est fondamentalement neutre ; c’est pour eux un appareil administratif reposant au-dessus des classes, et non pas l’outil central de la classe dirigeante pour maintenir sa domination. A la fin de son CLT de février 2006, LO dit : « L’appareil d’Etat mis en place par Mao était un instrument qui permettait, d’une part de prendre un peu de distance par rapport à l’impérialisme, et d’autre part de tenir en bride la bourgeoisie chinoise. Mais il peut aussi jouer le rôle inverse et se faire à nouveau le vecteur du parasitisme de la bourgeoisie » (c’est moi qui souligne). Donc pour LO l’Etat bourgeois chinois opprime… la bourgeoisie depuis 57 ans ! Et ce même Etat peut aussi opprimer les ouvriers. Tout ceci est un fatras antimarxiste au service de leur politique de refuser de prendre le côté de l’Etat ouvrier déformé chinois contre les fortes pressions de l’opinion publique bourgeoise anticommuniste.

On peut voir là où mène dans le monde réel ce genre de « théorie » absurde quand on examine la position de LO sur l’Etat ouvrier déformé est-allemand, la RDA, que LO a toujours considéré, comme la Chine, comme un Etat bourgeois. Quand le mur de Berlin est tombé en novembre 1989, nous avons jeté toutes nos forces dans la balance pour lutter pour une révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie stalinienne, sur la base de la défense militaire inconditionnelle de la RDA contre une annexion capitaliste par la bourgeoisie impérialiste allemande. Pendant ce temps LO déclarait que « le prolétariat est-allemand n’a rien à perdre à l’évolution actuelle de la RDA » (Cercle Léon Trotsky du 10 novembre 1989) et que « même si cette réunification se fait entièrement sous l’égide du capitalisme, les révolutionnaires communistes n’ont aucune raison d’y être opposés » (Lutte de classe, décembre 1989). Leur « théorie » s’est ainsi révélée être une couverture pour un programme contre-révolutionnaire, et la même chose est vraie en ce qui concerne la Chine.

La découverte par LO de l’« étatisme » bourgeois en Chine est à mettre en parallèle avec leur insistance ici, en France, ces dernières années, à mettre en avant un réformisme beaucoup plus ouvert, qu’on pourrait appeler « étatisme ». Lors de la dernière fête de LO par exemple début juin, Laguiller a expliqué comment l’Etat devrait prendre aux riches pour distribuer aux pauvres, devrait interdire les licenciements, dépenser plus pour éduquer la jeunesse, etc. Un Etat qui se soucierait des pauvres, de réduire les inégalités, d’éduquer, et, pourquoi pas, d’en finir avec l’ exploitation ? Bref un Etat bourgeois au-dessus des intérêts de classe… de la bourgeoisie.

Les contradictions de la période des « réformes »

Les « réformes » orientées vers le marché qu’a initiées Deng au début des années 1980 étaient une tentative de répondre dans le cadre du bonapartisme stalinien à l’inefficacité du dirigisme bureaucratique (une faible productivité du travail, la qualité médiocre, la pénurie, etc.) Comme nous l’écrivions dans les années 1980 :

« Dans le cadre du stalinisme, il y a par conséquent une tendance inhérente à remplacer la planification et la gestion centralisées par les mécanismes de marché. Puisque les gestionnaires et les ouvriers ne peuvent pas être soumis à la discipline de la démocratie des soviets (les conseils ouvriers), la bureaucratie considère de plus en plus que la seule réponse à l’inefficacité économique est de soumettre les acteurs économiques à la discipline de la concurrence. »

le Bolchévik n° 89, décembre 1988

Quand Mao est mort, la Chine, bien qu’elle ait construit un secteur industriel lourd substantiel et relativement moderne, était toujours un pays à prédominance rurale et paysanne. Plus des trois quarts de la main-d’œuvre était occupée dans les fermes et plus de 80 % de la population vivait à la campagne. L’un des motifs des « réformes de marché », c’est que la production agricole n’avait pas suivi le rythme de la croissance industrielle ; effectivement le bas niveau de la productivité agricole représentait un obstacle fondamental à une industrialisation large et rapide. Aujourd’hui, plus de 50 % de la force de travail est utilisée dans l’industrie manufacturière, dans la construction, dans les transports, et 40 % de la population est urbanisée. D’un point de vue marxiste, c’est un développement progressiste d’importance historique. Il en est de même pour l’expansion quantitative et qualitative correspondante de la capacité industrielle de la Chine.

En même temps, les politiques des staliniens de Pékin ont fait beaucoup de victimes et jeté dans la misère des portions significatives de la classe ouvrière et des paysans, élargi l’écart entre la Chine urbaine et la Chine rurale, engendré une classe d’entrepreneurs capitalistes avec des liens familiaux et financiers avec l’administration du PCC ainsi que les capitalistes chinois de l’extérieur. Elles ont aussi créé une strate aisée de directeurs, de professions libérales et de technocrates qui jouissent d’un mode de vie occidentalisé. La condition des femmes est également en régression notable.

Dans ce contexte la Chine voit bouillonner le mécontentement populaire. Le développement industriel fait que la classe ouvrière chinoise, en nombre, est supérieure aux classes ouvrières du Japon, des Etats-Unis et d’Europe réunies ! Cet énorme prolétariat industriel a un pouvoir stratégique et confronte une société dans laquelle se développent les inégalités et les injustices. Depuis plusieurs années les protestations ouvrières contre les licenciements dans les entreprises d’Etat, contre le non-paiement des salaires ou des pensions de retraite, et contre d’autres abus du même genre ne font qu’augmenter. Dans les campagnes, des protestations de paysans, souvent avec des confrontations violentes avec la police se produisent contre la saisie illégale des terres par des responsables locaux du PCC qui spéculent, ou contre la pollution. Les statistiques gouvernementales pour tous ces « incidents » ouvriers et paysans donnent un chiffre de 87 000 pour 2005 (ce qui donne 240 par jour).

Ces tensions sociales explosives, en continuant inexorablement à se développer, vont secouer la structure de la caste bureaucratique au pouvoir. Et quand cela arrivera, l’avenir du pays le plus peuplé au monde se posera abruptement : la révolution politique prolétarienne ouvrant la voie au socialisme, ou l’esclavage capitaliste et la soumission à l’impérialisme. Nous sommes pour la révolution politique prolétarienne qui doit balayer la bureaucratie stalinienne parasitaire et oppressive et la remplacer par un gouvernement basé sur les conseils ouvriers et paysans élus démocratiquement. Un tel gouvernement sous la direction d’un parti léniniste-trotskyste, qu’il faut construire, rétablirait une économie gérée et planifiée centralement – y compris avec le monopole du commerce extérieur. Il administrerait cette économie non d’une façon dirigiste mais avec la démocratie ouvrière la plus large. Il encouragerait la collectivisation volontaire de l’agriculture sur la base d’une agriculture scientifique hautement mécanisée. Il exproprierait la nouvelle classe d’entrepreneurs chinois capitalistes et renégocierait les termes des investissements étrangers dans l’intérêt des travailleurs chinois. Par exemple, il insisterait sur des salaires meilleurs et une amélioration des avantages sociaux pour les ouvriers.

C’est parce que nous comprenons l’importance de la Chine pour la classe ouvrière internationale que nous mettons la question de sa défense et la révolution politique prolétarienne au centre de notre propagande. Une révolution politique prolétarienne en Chine soulevant la bannière de l’internationalisme socialiste, contre le nationalisme du « socialisme dans un seul pays », ébranlerait complètement le monde. Elle mettrait un terme au climat idéologique de la « mort du communisme » propagé par les classes dirigeantes impérialistes depuis la destruction de l’URSS. Elle permettrait la radicalisation de la classe ouvrière japonaise, le poumon industriel de l’Asie de l’Est. Elle serait l’étincelle pour une réunification révolutionnaire de la Corée – par une révolution politique dans la Corée du Nord assiégée, et une révolution socialiste dans le Sud – et elle aurait des répercussions parmi les masses en Asie du Sud, en Indonésie et aux Philippines ravagées par l’austérité impérialiste.

La révolution politique prolétarienne est inséparable de la lutte pour le renversement de la classe dirigeante capitaliste internationalement, en particulier dans les centres impérialistes d’Amérique du Nord, d’Europe de l’Ouest et du Japon, car c’est le seul moyen d’aller vers la modernisation complète de la Chine et l’établissement du socialisme là-bas et au-delà. C’est dans la lutte pour cet objectif que la LCI cherche à reforger la Quatrième Internationale de Trotsky, le parti mondial de la révolution socialiste.

Les dangers qui pèsent sur la Chine

En affirmant que la Chine est toujours un Etat ouvrier déformé, nous ne cherchons pas à nier ou à minimiser le poids social croissant à la fois des nouveaux entrepreneurs capitalistes en Chine continentale et de la vieille bourgeoisie chinoise expatriée à Taïwan ou ailleurs. La politique économique du régime stalinien de Pékin renforce de plus en plus les forces sociales qui donneront naissance à des factions et des partis soutenus par l’impérialisme et qui deviendront ouvertement contre-révolutionnaires quand le PCC ne pourra plus maintenir son monopole actuel du pouvoir politique.

Essayant de refaire ce qui s’est passé pour la destruction contre-révolutionnaire de l’URSS dans les années 1991-1992, les impérialistes cherchent à promouvoir une opposition politique en Chine qui s’appuierait principalement sur la nouvelle classe d’entrepreneurs capitalistes, sur des éléments de la bureaucratie et la couche de managers, de membres des professions libérales et de technocrates qui est liée au capital local et étranger. En même temps, les impérialistes (en particulier américains) font monter la pression militaire sur la Chine. Ils essaient par exemple d’encercler la Chine avec des bases militaires, comme en Asie centrale. Ils ont passé un accord de défense du bastion capitaliste offshore qu’est Taïwan avec le Japon et viennent de mettre en place un commandement intégré contre la Chine avec l’armée japonaise à Yokohama. Contrairement à l’Iran, l’Inde n’a pas signé le fameux « traité de non-prolifération nucléaire », et l’autorisation que les USA lui ont donnée de développer l’arme nucléaire est clairement pour faire pression sur la Chine. Le Pentagone développe activement ses projets visant à se doter d’une capacité de première frappe nucléaire efficace contre l’arsenal nucléaire limité de la Chine.

La question de la défense militaire inconditionnelle de la Chine contre les impérialistes n’est donc pas une question théorique seulement. C’est une question très concrète qui se pose quotidiennement au prolétariat international. Certes ici, en Europe, cela se remarque beaucoup moins car les pressions militaires de l’Europe (ou de la France) sont plus faibles dans la mesure où les impérialistes européens n’ont que des moyens militaires limités au niveau international pour intervenir dans le Pacifique (ce qui ne les empêche pas bien sûr d’envoyer des troupes à l’étranger dans leurs ex-colonies en Afrique ainsi qu’en Afghanistan, dans les Balkans, etc.). Face à de telles menaces, il est vital que la Chine modernise son armement. Face aux milliers de têtes nucléaires dont disposent les impérialistes, le développement de son armement nucléaire est aussi le seul moyen de les tenir sérieusement en respect. Mais la politique de la bureaucratie stalinienne, en affaiblissant le système de propriété nationalisée en Chine et en recherchant la conciliation avec l’impérialisme au niveau international, met en danger cette défense.

Les complices pro-impérialistes de la contre-révolution

Par rapport aux nombreux groupes qui se prétendent frauduleusement trotskystes ou influencés par le trotskysme et qui proclament que la « voie capitaliste » a triomphé de façon décisive en Chine, on peut dire globalement que, si c’était vrai, cela remettrait en question la nécessité et le caractère progressiste de la révolution prolétarienne dans les pays capitalistes ainsi que celle du pouvoir ouvrier. Car la Chine telle qu’elle existe aujourd’hui aurait un système capitaliste qui garantit la croissance rapide et ininterrompue des forces productives sans contractions cycliques (alors que, pour les marxistes, celles-ci sont inhérentes au capitalisme). En effet, depuis une vingtaine d’années, le taux de croissance de l’économie chinoise se situe entre 7 et 9 % par an, un rythme avec lequel les grandes puissances impérialistes ne peuvent rivaliser. Le poste le plus important des dépenses gouvernementales, et celui qui augmente le plus vite, se situe dans les investissements au niveau des infrastructures à un moment où le monde capitaliste tout entier s’adonne à l’austérité budgétaire. La Chine a traversé avec succès la crise financière asiatique de 1997-1998, puis la récession générale du monde capitaliste qui a suivi.

Le véritable objectif de ces réformistes, lorsqu’ils proclament que la Chine est déjà capitaliste, c’est de se donner une justification pour leur soutien aux forces anticommunistes pro-impérialistes à l’intérieur et à l’extérieur de la Chine, au nom de la promotion de la « démocratie » bourgeoise, tout comme ils avaient soutenu la contre-révolution « démocratique » de Boris Eltsine en URSS en 1991. Une minorité dans la direction du CIO de Peter Taaffe, auquel appartient la Gauche révolutionnaire en France, argumente au moins depuis 1998 pour que le CIO reconnaisse que la Chine est capitaliste, et elle a eu gain de cause récemment apparemment. Ils écrivent dans une brochure disponible sur leur site Internet Chinaworker : « Cela […] détermine quelle attitude le CIO, et au-delà de nous une partie importante du mouvement ouvrier international, doit adopter à l’égard du régime de Pékin. C’est un point de référence vital pour élaborer des perspectives pour l’avenir, par exemple lors de conflits internationaux, notamment dans le cas de Taïwan. […] En Chine, un régime que l’on pourrait décrire très bien comme nationaliste bourgeois s’est mis en place, qui joue un rôle de plus en plus impérialiste. Bien sûr il est impossible de parler d’impérialisme […] à moins qu’on accepte que le caractère de classe du régime chinois a changé. » Voilà qui a le mérite d’être explicite sur les motivations. Face aux possibilités grandissantes de conflit militaire, en particulier autour de Taïwan, les taaffistes ont changé de position pour se retrouver à défendre Taïwan contre les « impérialistes » chinois.

Taïwan est ethniquement, linguistiquement et historiquement chinois. Le 13 mars 2005, dans un communiqué commun des sections japonaise et américaine de la Ligue communiste internationale contre l’accord contre-révolutionnaire entre les Etats-Unis et le Japon sur Taïwan nous écrivions :

« Depuis la Révolution chinoise de 1949, d’où l’Etat ouvrier déformé chinois a émergé, Taïwan est pour l’impérialisme US un avant-poste de ses menées contre-révolutionnaires, de ses menaces militaires et de ses ingérences dans les affaires intérieures chinoises par l’entremise de la bourgeoisie chinoise fantoche. Depuis des temps immémoriaux, Taïwan fait partie de la Chine, et nous, trotskystes, serons aux côtés de la Chine dans l’éventualité d’un conflit militaire avec l’impérialisme sur la question de Taïwan […].

« Nous sommes opposés au plan des staliniens de réunification avec Taïwan selon la formule “un pays, deux systèmes”. Nous avançons au contraire un programme pour la réunification révolutionnaire de la Chine, qui requiert une révolution politique ouvrière contre la bureaucratie stalinienne sur le continent, une révolution socialiste prolétarienne à Taïwan pour renverser et exproprier la bourgeoisie, et l’expropriation des capitalistes de Hongkong. »

– cité dans le Bolchévik n° 172, juin 2005

On peut comparer avec Taaffe, le dirigeant du CIO, qui a écrit un article fin 2005 pour insister sur les droits « démocratiques » de Taïwan face à la Chine, ceci juste après que les militaires américains et japonais avaient signé leur accord dont je viens de parler. Taaffe écrit : « Néanmoins le régime chinois est une dictature. De plus, du point de vue des masses taïwanaises, celles-ci ne voudraient pas se mettre sous son contrôle, préférant les droits démocratiques, mêmes limités, dont elles bénéficient avec le régime démocratique bourgeois, ce qu’est le régime de Taïwan. » Les forces du CIO de Taaffe étaient littéralement sur les barricades d’Eltsine en Russie, avec le reste de la racaille contre-révolutionnaire en août 1991 ; ils ont directement pris part à la dévastation d’ordre historique qui a suivi la restauration capitaliste menée au nom de la « démocratie ». Nous avons au contraire lutté pour mobiliser la classe ouvrière soviétique pour balayer les barricades d’Eltsine et lutter pour une révolution politique prolétarienne. Et donc ici, sur la Chine, il n’est pas surprenant que les taaffistes continuent de semer les pires illusions dans le système capitaliste et la démocratie bourgeoise parlementaire. Taaffe déclare sans ambiguïté que le CIO sera à nouveau du côté des forces impérialistes et de leurs valets dans toute confrontation militaire avec la Chine.

La pénétration capitaliste en Chine

Les justifications pour affirmer que la Chine est déjà capitaliste sont basées sur le fait qu’il y a des capitalistes en Chine, que les entreprises d’Etat ont été restructurées, sur le fait que la propriété privée a été reconnue officiellement par le PCC, qu’il y a des Bourses, etc. Nous ne définissons pas la nature de classe de l’Etat, comme le font les réformistes, par le pourcentage de l’industrie nationalisée, par le nombre de services sociaux, d’éducation ou de santé gérés par l’Etat, mais à la lumière de l’élément déterminant qu’a été le renversement de l’Etat bourgeois chinois en 1949 et du fait que le capitalisme a été exproprié et l’Etat continue fondamentalement de défendre ces formes de propriété sociale.

Un élément clé pour nous, quand nous caractérisons la nature de classe maintenue de l’Etat ouvrier déformé chinois, c’est que la base du pouvoir politique de la bureaucratie stalinienne de Pékin continue de se trouver dans le noyau des secteurs collectivisés de l’économie chinoise. Aujourd’hui en Chine ils constituent le cœur de l’économie et ils continuent à dominer, même si ce n’est pas d’une manière particulièrement stable ou cohérente. En 2003, les entreprises d’Etat et celles contrôlées par le parti (sociétés par actions) employaient la moitié des ouvriers et employés chinois, et représentaient 57 % du produit industriel brut (McKinsey Quarterly, 2004).

Mais cette simple statistique masque la place stratégique de l’industrie d’Etat. Le secteur privé (incluant les entreprises étrangères) est constitué principalement d’industries légères utilisant beaucoup de main-d’œuvre et peu d’équipements lourds. L’industrie lourde, les secteurs de haute technologie, la production d’acier, des métaux non ferreux et des machines outils, les télécommunications, la production d’électricité, l’extraction pétrolière et gazière, le raffinage, les armements modernes, tout cela est essentiellement concentré dans les entreprises d’Etat.

Bien sûr, si la bureaucratie continue à préserver la propriété d’Etat, ce n’est pas parce qu’elle s’identifie subjectivement avec le socialisme, mais, comme l’écrivait Trotsky, seulement « par crainte du prolétariat ». Car la politique économique du régime du PCC est toujours contrainte par la terreur d’une agitation sociale – en particulier ouvrière, étant donné la taille et la puissance de la classe ouvrière – qui pourrait renverser son régime parasitaire. Les massacres perpétrés le 4 juin 1989 dans les quartiers ouvriers de Pékin ont été déclenchés par la bureaucratie quand la classe ouvrière chinoise a commencé à se mobiliser. Au début, les manifestations n’étaient qu’une agitation étudiante pour la libéralisation politique et contre la corruption. Quand les premières unités militaires ont été envoyées pour écraser les manifestations, elles ont au lieu de cela commencé à sympathiser avec elles. Puis des millions de personnes sont entrées en mouvement, avec au centre la classe ouvrière. Elle a commencé à se réunir en AG de masse, voire à créer un embryon d’organisation, de conseils ouvriers. C’est la possibilité que la classe ouvrière entre en scène qui a terrifié la bureaucratie et a amené la sanglante répression.

Comme nous le disons dans le Bolchévik (juin) à propos de la vague actuelle de mécontentement et de protestations contre les réformes du « socialisme de marché » :

« Cette agitation a provoqué, dans de nombreux forums et réunions organisés par le Parti communiste chinois (PCC), des débats entre les dirigeants de la bureaucratie qui veulent que l’“ouverture” économique se poursuive au même rythme, les “néo-marxistes” qui veulent que l’Etat intervienne davantage pour limiter les ravages des “réformes de marché”, et les “conservateurs” maoïstes qui cherchent à revenir à une économie bureaucratiquement planifiée. Le mois dernier une controverse a éclaté au cours d’une séance de l’organe législatif, l’Assemblée nationale populaire, autour d’une proposition de loi visant à protéger la propriété privée, qui a été finalement retirée. »

La Gauche révolutionnaire ou les pablistes de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) argumentent que le PCC agit maintenant comme un parti bourgeois parce qu’ils ont reconnu le droit à la propriété privée, que des entrepreneurs peuvent être membres du PCC, etc. Le CIO-GR considère que la Chine serait devenue capitaliste en 1992 (c’était « hybride » – c’est ce qu’ils disent – entre la fin des années 1980 et 1992). Mais aucun des faits qu’ils avancent pour ce changement ne correspond à cette date de 1992. La propriété privée, les Bourses, les entrepreneurs dans le PCC, tout cela s’est produit bien avant ou après. Les facteurs avancés dans la brochure sont … la destruction de l’URSS venant après les événements de Tiananmen : « le régime n’a pas vu d’autre alternative que de terminer la transition vers le capitalisme. »

Trotsky argumentait que ceux qui cherchaient à prouver que l’URSS (dans les années 1930) était capitaliste en fait déroulaient le fil du réformisme à l’envers. Les réformistes, ici, dans les pays capitalistes, expliquent qu’on peut changer la nature de l’Etat par des élections et une lutte parlementaire, ou par des pressions sur le parlement ou le gouvernement capitalistes. Le fil du réformisme à l’envers, c’est d’appliquer ce même réformisme à l’Etat ouvrier, c’est-à-dire que la nature de l’Etat ouvrier pourrait changer par simple décret ou lors d’un vote à un congrès. Il n’y a pas de lutte acharnée entre la classe ouvrière et les paysans et les contre-révolutionnaires, dans un sens ou dans l’autre. Le CIO-GR montre ici un magnifique exemple de ce « réformisme à l’envers » quand ils disent : « Le régime n’a pas vu d’autre alternative » et voilà, l’Etat a changé de nature.

Regardons d’un peu plus près l’économie de l’Etat ouvrier déformé chinois, ce qui est un devoir pour des marxistes sérieux qui le défendent.

Les banques. Un des moyens pour maintenir le contrôle de l’économie entre les mains de l’Etat c’est les banques. Les quatre plus grandes banques de Chine sont propriété d’Etat. Presque toute l’épargne des ménages – estimée à mille milliards de dollars – et tous les surplus générés en dehors des secteurs dont les propriétaires sont étrangers sont déposés dans ces quatre principales banques. Le contrôle exercé par le gouvernement sur le système financier est un élément crucial pour maintenir et augmenter la production dans l’industrie d’Etat et pour le développement global du secteur d’Etat. Le maintien dans le giron de l’Etat du système financier a jusqu’à présent permis au régime de Pékin de contrôler effectivement les flux de capitaux financiers en entrée et en sortie de la Chine continentale. La monnaie chinoise n’est pas librement convertible ; elle n’est pas échangeable (légalement) sur les marchés internationaux des devises. La convertibilité restreinte du yuan a protégé la Chine des mouvements volatiles des capitaux à court terme qui dévastent périodiquement les économies des pays néocoloniaux du tiers-monde, de l’Amérique latine à l’Extrême-Orient. Même si le yuan a été légèrement réévalué depuis l’année dernière, le régime de Pékin le maintient largement sous-évalué (selon les critères du « marché libre »), au grand déplaisir des capitalistes américains, japonais et européens.

Derrière la pression actuellement exercée tant sur le yuan que sur les banques par les bourgeoisies américaine, européennes et japonaise, se profile une attaque plus fondamentale contre le système financier étatisé chinois. Les impérialistes veulent forcer le régime de Pékin à rendre le yuan totalement convertible, afin d’ouvrir sans restriction la Chine à la pénétration financière des banques de Wall Street, de Francfort et de Tokyo, ce qui serait un danger mortel.

Le secteur privé. Le contrôle exercé par le gouvernement sur les banques et le système financier permet de contrôler le secteur privé. En Chine, depuis une vingtaine d’années, une large part de l’industrie d’Etat – aussi bien en termes de nombre d’entreprises, de main-d’œuvre employée ou de volume de production – a été privatisée. Nos opposants disent que l’existence de ce secteur prouve la marche en avant de la restauration capitaliste.

Beaucoup de PME du secteur public ont été tout simplement vendues aux cadres qui les dirigeaient et qui sont souvent membres du PCC et conservent les mêmes liens qu’ils avaient auparavant avec le parti. Maintenant, il existe un secteur industriel purement privé, y compris avec quelques grands groupes (par exemple dans l’acier, dans l’automobile). Mais ce secteur purement privé est confronté au secteur bancaire d’Etat qui favorise les entreprises d’Etat. Si toutes les entreprises d’Etat qui n’ont pas remboursé leurs prêts bancaires et qui ne pouvaient pas les rembourser avaient été fermées, la Chine serait devenue depuis longtemps une zone de catastrophe économique. Mais au contraire, d’une manière totalement non planifiée, inadéquate et erratique, les prêts bancaires « non performants » se sont substitués au financement gouvernemental direct. C’est ainsi qu’en 1998-1999 la banque centrale a donné 200 milliards de dollars aux principales banques commerciales en échange d’un montant équivalent en « prêts non performants ». En 2003 et 2004, les deux plus grosses banques ont encore bénéficié chacune de 45 milliards de dollars de dotation.

Le système financier chinois repose sur deux facteurs principaux : 1) tout le monde sait que le gouvernement est derrière les banques ; 2) les banques privées, notamment occidentales, ne sont pas (encore) autorisées à leur faire concurrence. Si depuis début 2006 les banques des impérialistes peuvent acheter des morceaux des banques chinoises, il semble pour le moment que ce soit dans des conditions précises : elles ont des participations minoritaires et exceptionnellement seulement quelqu’un dans le conseil d’administration.

Quand une conférence du PCC a voté un amendement à la Constitution pour « protéger la propriété privée », certains groupes (comme les pablistes japonais – Kakehashi – ou le CIO) ont dit que cela prouvait leur évaluation que la Chine était devenue capitaliste. Ce nouvel amendement était en fait le reflet d’une réalité qui existait déjà. La propriété privée existe en Chine depuis des années. L’héritage existe depuis 1982. Avec cet amendement, la bureaucratie essaie d’assurer ses privilèges en reconnaissant légalement la propriété privée et le droit d’hériter. Ce n’est pas telle ou telle résolution adoptée par la bureaucratie, même si celles-ci représentent une évolution inquiétante, qui déterminera où va la Chine, mais le conflit social. La propriété privée en Chine est aussi instable que la bureaucratie elle-même. La propriété privée et les capitalistes existent en Chine aujourd’hui dans la mesure où la bureaucratie, agissant sous les pressions d’une part de l’impérialisme, de l’autre du prolétariat, les autorise à exister. La propriété privée soi-disant « inviolable » sera violée par la bureaucratie sous l’impact des menaces contre-révolutionnaires ouvertes des impérialistes et de la bourgeoisie ou, plus fondamentalement, par une classe ouvrière ascendante en lutte pour le pouvoir politique. Cela ne nous empêche pas de reconnaître que la politique économique du régime stalinien de Pékin d’encourager l’entreprise capitaliste renforce de plus en plus les forces sociales qui donneront naissance à des factions et partis soutenus par l’impérialisme et ouvertement contre-révolutionnaires.

La Bourse. Làencore c’est un argument des taaffistes et autres réformistes qui ne tient pas. Beaucoup d’entreprises d’Etat de plus grande taille ont été « privatisées » grâce à un système d’actionnariat. Sur les sociétés cotées dans les deux principales Bourses chinoises, le gouvernement détient soit une majorité des actions, soit une forte participation minoritaire. Mais même dans ce dernier cas, celles-ci restent de fait contrôlées par le gouvernement, parce que le PCC conserve le monopole du pouvoir politique. L’autorisation d’introduire une société en Bourse est donnée d’abord et avant tout aux sociétés d’Etat, ce qui prive les entreprises privées de financements facilement accessibles. C’est-à-dire que s’il n’y a pas de démocratie ouvrière en Chine, il n’y a pas non plus de démocratie des actionnaires. Les actionnaires des sociétés chinoises n’ont pas de droits de propriété au sens capitaliste. Ils ont le droit aux revenus de leurs actifs financiers, et ils peuvent vendre leurs actions. Mais ils ne peuvent pas déterminer, ni même influencer, la gestion et la politique des entreprises.

La poudrière

La situation en Chine reste donc extrêmement contradictoire et explosive. Malgré un taux de croissance de l’économie de presque 10 % par an depuis plus de 20 ans, tous les secteurs de la classe ouvrière n’ont pas bénéficié d’une amélioration de leurs niveaux de vie. Un des résultats des privatisations accompagnées de fusions et de fermetures, a été le licenciement de 20 à 30 millions d’ouvriers, de façon disproportionnée des femmes. Ceux qui ont la chance de retrouver du travail, essentiellement dans le secteur privé, ont dû accepter des salaires plus bas et n’ont aucun des avantages que leur fournissaient les entreprises d’Etat. Une des principales régions particulièrement dévastées au niveau économique a été la « ceinture rouillée » dans le Nord-Est dans laquelle une grande partie des anciennes usines industrielles étaient concentrées. Là, près de 40 % de la classe ouvrière est sans emploi.

Globalement le chômage est estimé varier entre 6 à 13 % de la population urbaine économiquement active. La Commission nationale du développement et de la réforme, un organisme gouvernemental supervisant la politique économique, prévoit que si l’économie se développe de 8 % cette année, cela génèrera 11 millions d’emploi en Chine, ce qui représente moins de la moitié des 25 millions officiels de chômeurs et de nouveaux demandeurs d’emploi dans les villes (Economist, 25 mars).

Entre 1999 et 2002 (d’après China Labor Statistical Yearbook, 2003), les salaires ont augmenté à un rythme de près de 12 %. Au cours des récentes années, des centres industriels majeurs comme Shenzhen ou Shanghaï ont commencé à subir une pénurie de travailleurs, en particulier parmi les travailleurs expérimentés. Une des conséquences est que les employeurs offrent des salaires plus élevés et de meilleurs avantages pour attirer les travailleurs. La presse a révélé que les entreprises chinoises, depuis quelques semaines, annoncent qu’elles sont obligées d’augmenter leurs prix de vente (de 10 voire 20 % parfois). Hong Liang, un économiste de la firme de Wall Street Goldman Sachs commentait ainsi : « Nous sommes en train de voir la fin de l’âge d’or des coûts extrêmement bas de la main-d’œuvre en Chine » (New York Times, 3 avril).

Comme je l’ai dit auparavant, le développement d’une classe ouvrière massive a entraîné une multiplication des luttes ouvrières. Cette classe ouvrière jeune, massive, n’a pas les illusions que les ouvriers en URSS ou en Allemagne de l’Est pouvaient avoir dans le capitalisme – ils sont tellement nombreux à avoir fait l’expérience directe ou indirecte des enclaves capitalistes. Les dizaines de milliers de grèves, de manifestations ou protestations des ouvriers et paysans chinois montre leur combativité. Mais ce qui manque à cette classe ouvrière, c’est un parti révolutionnaire pour la guider, pour lui donner conscience de ses tâches historiques, lui donner conscience de la nature de la bureaucratie et de pourquoi elle doit être combattue. Mais aussi lui donner conscience qu’elle doit défendre les acquis restants contre les impérialistes et leurs laquais.

En réaction à ces luttes de classe en plein essor, LO avance la construction de syndicats indépendants. Que la classe ouvrière chinoise s’organise de façon indépendante de la bureaucratie est essentiel à la révolution politique. Mais la revendication de « syndicats indépendants », quand elle se pose, doit être clairement reliée à la révolution politique prolétarienne et à la défense de la Chine contre les impérialistes ; sinon elle se transforme, comme cela a été le cas pour la Russie soviétique et l’Europe de l’Est, en cri de ralliement aux impérialistes ou leurs lieutenants ouvriers (comme les bureaucrates de l’AFL-CIO ou de Force ouvrière) qui utilisent cette revendication pour saper l’Etat ouvrier chinois et semer des illusions dans la « démocratie » bourgeoise.

Une composante vitale de la classe ouvrière sont les travailleurs migrants, dont beaucoup sont des femmes. Ceux-ci viennent de la campagne et se retrouvent à la tête des luttes ouvrières récentes. Dans le sud-est, beaucoup de jeunes femmes migrantes ont fait grève ou ont autrement refusé de travailler dans les conditions déplorables de travail des sweatshops, ce qui a provoqué une pénurie de main-d’œuvre depuis l’été 2004. A Shanghaï et Pékin, les travailleurs migrants, qui représentent 80 % de la force de travail dans l’industrie en plein boom du bâtiment, ont lutté et ont obtenu de meilleures conditions de travail.

Les restrictions sur l’exode rural vers les villes ont été assouplies ces dernières décennies, mais elles n’ont pas été éliminées. Les migrants, qui sont contraints d’accepter les travaux les plus dangereux et les plus pénibles, ne bénéficient pas des droits légaux des résidents citadins et sont obligés de vivre dans des endroits ségrégués. Beaucoup d’ouvriers des villes méprisent les migrants, qui sont considérés comme volant les emplois et la cause de la baisse des salaires. En Chine, un parti révolutionnaire d’avant-garde se battrait aujourd’hui pour unifier tous les secteurs de la classe ouvrière en alliance avec les ouvriers agricoles et les pauvres des villes. Une des clés pour une perspective de révolution politique prolétarienne en Chine est la bataille pour que les travailleurs migrants bénéficient des mêmes droits que les résidents locaux, y compris l’accès à la santé, au logement et à l’éducation publique, de même que d’un salaire égal à travail égal. Pour que triomphe la révolution politique, il est vital que la classe ouvrière gagne à sa cause les centaines de millions de paysans.

Un parti d’avant-garde révolutionnaire aurait pour tâche d’unifier dans la lutte tous les secteurs de la classe ouvrière. Et les travailleurs et travailleuses migrants sont un pont idéal entre la classe ouvrière et les paysans. Un tel parti soutiendra la résistance des paysans à la saisie de leurs terres par les bureaucrates locaux pour des développements industriels, d’infrastructures ou commerciaux. Les paysans ne doivent accepter de transférer leurs baux qu’en échange de compensations importantes pour la perte de leur moyen d’existence agricole.

Il est généralement reconnu que l’ère de la « réforme » a vu le développement d’un gouffre séparant la Chine rurale de la Chine urbaine ou séparant les provinces côtières des provinces de l’intérieur. Mais l’écart socio-économique grandissant entre la Chine rurale et la Chine urbaine n’a pas commencé avec les « réformes orientées vers le marché » de Deng. C’était quelque chose qui avait déjà été entamé au cours des dernières années de l’ère Mao. Entre 1952 et 1975, la moyenne de consommation par personne pour la population non agricole a augmenté de 83 % alors qu’elle n’a augmenté que de 41 % dans les campagnes. En 1980 (au début de l’ère de la « réforme »), chaque habitant des villes consommait 60 % de plus de céréales et mangeait deux fois et demie plus de viande que les membres des communes rurales. La différence était encore plus grande pour les biens de consommation manufacturés (les montres, les machines à laver, les radios). Au total, la consommation moyenne dans la Chine urbaine était deux à trois fois plus importante que dans la campagne.

On peut comparer avec l’Union soviétique en 1960-1970. Là, il y avait un rapprochement appréciable entre les niveaux de vie des populations rurales et urbaines. Une grande partie des fermes collectives se transformaient volontairement en fermes d’Etat, dans lesquelles les travailleurs recevaient un salaire uniforme et des avantages qui ne dépendaient pas de la production agricole fluctuante ni du prix auquel le gouvernement l’achetait. Au début des années 1980, les revenus des fermiers en URSS augmentaient à un rythme plus élevé que ceux des ouvriers d’usines et des employés. Ce plus grand degré d’égalitarisme était possible seulement parce que l’Union soviétique avait atteint un degré de productivité bien plus grand que celui de la Chine.

En ce qui concerne la paysannerie chinoise, pour certains aspects, il y a eu une amélioration significative des conditions de vie. La consommation d’électricité dans les régions rurales a été pratiquement multipliée par huit entre 1978 et 1997, la plupart des familles paysannes possèdent des appareils électroménagers. En 1997, les deux tiers des familles rurales avaient une télévision, un moyen élémentaire pour accéder à la vie culturelle moderne.

Toutefois, pour d’autres aspects importants, les conditions de vie des paysans se sont détériorées. Les communes rurales de l’époque de Mao procuraient des soins médicaux de base, une éducation primaire et secondaire, des retraites et d’autres programmes sociaux. De 1980 à 1983, Deng a dissout les communes et les a remplacées par des fermes familiales avec des baux à long terme – le « système de responsabilité familiale ». Les programmes sociaux qui étaient fournis auparavant par les communes devaient être soi-disant pris en charge par les gouvernements locaux. Etant donné l’extrême décentralisation du système financier gouvernemental chinois, les maigres revenus des villages et des petites villes ne pouvaient répondre aux besoins engendrés. Les familles de paysans ont dû payer de leur poche pour les soins médicaux et pour la scolarité de leurs enfants. Les conséquences sociales étaient prévisibles :

« Malgré de louables progrès dans l’accès fourni à l’éducation, des déséquilibres subsistent. Les régions rurales sont très en retard par rapport aux villes, et la population illettrée de la Chine se concentre dans les régions rurales. Il reste de grandes différences dans la qualité de l’éducation, et l’écart dans les possibilités d’éducation s’approfondit au fur et à mesure que l’étudiant prend de l’âge. Des écarts importants subsistent au niveau de la santé des citadins et des campagnards et parmi les habitants de différentes régions. La mortalité infantile et maternelle est deux fois plus importante dans les régions rurales que dans les villes. Tous les indicateurs montrent des écarts très distincts dans la nutrition entre les enfants des campagnes et ceux des villes. »

China Human Development Report 2005 [Rapport de 2005 sur le développement humain en Chine]

Le régime de Hu Jintao a promis, sous le mot d’ordre « une nouvelle campagne socialiste », d’améliorer les conditions de vie de la paysannerie pour répondre aux « cas massifs de désordre ». La charge fiscale a été réduite, les frais scolaires pour les écoles primaires et secondaires vont être supprimés et le gouvernement central a prévu de dépenser plus d’argent dans les régions rurales pour des programmes sociaux et de faire des investissements dans les infrastructures. Cependant, l’Economist (11 mars) faisait remarquer :

« Ces mesures n’ont pas engendré un changement politique marquant. Les sommes que dépense le gouvernement sur les campagnes ne représenteront encore que 8,9 % du total des dépenses du gouvernement, plus que les 8,8 % de l’année dernière mais moins que les 9,2 % de 2004. L’abolition des taxes agricoles et des autres charges sur les paysans permettra à chaque habitant des campagnes d’économiser en moyenne 156 yuans (19 $) par an – à peu près 4,8 % du revenu net. »

Une réduction réelle de l’écart entre la Chine rurale et la Chine urbaine demandera une redistribution et une nouvelle répartition massives des ressources économiques. L’introduction de la technologie moderne dans la campagne – allant des engrais à tout système d’agriculture scientifique – exigerait une base industrielle qualitativement supérieure à ce qui existe actuellement. D’un autre côté, une augmentation de la productivité agricole augmenterait le besoin d’une importante expansion de l’emploi industriel dans les zones urbaines pour absorber le vaste surplus de main-d’œuvre dont la campagne n’aurait plus besoin. Il est clair que ceci implique un long processus, en particulier étant donné la taille encore limitée de la base industrielle en Chine et le bas degré de sa productivité. Le rythme, et au bout du compte, la faisabilité de cette perspective repose sur l’aide que recevrait la Chine d’un Japon socialiste ou d’une Amérique socialiste, ce qui souligne la nécessité d’une révolution prolétarienne internationale.

Défendre la révolution

Un parti révolutionnaire devra lutter contre la propagande de la bureaucratie sur le fait que la démocratie des soviets est impossible. La question d’une économie centralisée basée sur la démocratie des soviets ouvriers (et paysans) est une question clé en Chine, et il faut gagner la classe ouvrière et la paysannerie chinoises à cette perspective.

Par exemple pour déterminer la fraction des ressources économiques totales qui sera consacrée, disons au système de santé par rapport aux autres besoins tels que l’investissement dans le développement économique et les infrastructures, la défense militaire, l’éducation, les retraites des personnes âgées, etc. Cette répartition des ressources économiques totales entre les différents besoins concurrents devra être débattue et décidée au plus haut niveau d’un gouvernement basé sur des soviets ouvriers (et paysans). La coordination des différentes activités économiques (comme la construction, les équipement médicaux, les logiciels) pour développer un système de santé demandera une administration et une planification centralisées. Un tel système est entièrement compatible avec la participation démocratique active des ouvriers sur les sites de production pour conseiller sur le meilleur usage de la technologie, établir et renforcer les systèmes de sécurité, maintenir la discipline ouvrière, etc.

Il est certain que les travailleurs chinois considéraient l’emploi garanti à vie et les avantages sociaux allant avec (ce qu’on appelait le « bol de riz en fer ») comme l’un des principaux acquis sociaux de la Révolution de 1949. Cependant, un pays aussi pauvre et économiquement arriéré que la Chine ne peut manifestement pas fournir à des centaines de millions de paysans des emplois dans des industries d’Etat, et encore moins des emplois garantis à vie et avec un niveau de salaire et d’avantages sociaux deux ou trois fois plus élevé que le revenu des membres des communes rurales.

Afin de maintenir l’ordre social le régime du PCC a empêché par la force pendant l’ère de Mao les paysans d’émigrer vers les villes pour y chercher du travail. De plus le régime ne fournissait pas non plus d’emplois dans le secteur d’Etat à tous les travailleurs urbains. Pendant la Révolution culturelle, environ 17 millions de jeunes citadins ont été envoyés dans les campagnes à la fin de leurs études, séparés de leur famille et de leurs amis. Dans les dernières années de l’époque de Mao, les communes rurales étaient devenues un énorme réservoir de chômage et de sous-emploi déguisé.

La Révolution culturelle avait en partie pour objectif de réduire les conditions de vie de la classe ouvrière au nom d’un « égalitarisme socialiste » bidon. De plus, l’emploi garanti à vie dans une entreprise donnée n’était pas rationnel d’un point de vue économique, et il freinait de plus en plus la maximisation de la productivité du travail au moyen de nouveaux investissements. Une grande partie de l’infrastructure industrielle de la Chine a été construite pendant le Premier plan quinquennal (le plus réussi) au milieu des années 1950. Cela comprenait la technologie la plus moderne que la Chine pouvait obtenir de l’Union soviétique. Dans les années 1970 beaucoup d’entreprises industrielles étaient devenues technologiquement obsolètes. Pour maximiser la productivité du travail, le niveau d’investissement étant donné, il fallait fermer certaines entreprises et les remplacer par de nouvelles, ou les moderniser avec des technologies plus modernes économisant le travail. Dans tous les cas un grand nombre d’emplois spécifiques existants devaient être éliminés. Un gouvernement vraiment socialiste réemploierait ailleurs les travailleurs devenus surnuméraires, avec des salaires et des avantages sociaux comparables, y compris en finançant leur déménagement et leur formation aux frais de l’Etat. Bien entendu Deng et ses successeurs n’ont rien fait de la sorte. Les travailleurs licenciés des entreprises d’Etat ont été abandonnés à eux-mêmes, et beaucoup d’entre eux ont souffert de vraies privations. Quant au régime de Mao, il a dans les faits gelé les salaires pendant vingt ans avec des ordres bureaucratiques et la répression d’un Etat policier.

Si on veut des niveaux de salaire et d’avantages sociaux uniformes dans les différentes entreprises, industries et les différentes régions – à travail égal, salaire égal – cela demande nécessairement une économie gérée centralement. Seul un tel système est capable de redistribuer les ressources des entreprises, des industries et des provinces les plus productives vers les moins productives.

L’expansion de la base industrielle pour absorber les paysans sans travail pose le problème des entreprises des impérialistes en Chine. En tant que révolutionnaires marxistes, nous ne sommes pas opposés aux relations économiques importantes que la Chine entretient avec le monde capitaliste à travers le commerce et les joint-ventures avec les compagnies occidentales ou japonaises. Un gouvernement basé sur des soviets ouvriers et paysans en Chine, dirigé par un parti léniniste-trotskyste, chercherait à utiliser le marché mondial pour accélérer son développement économique. Mais pour faire cela, il rétablirait le monopole d’Etat sur le commerce extérieur. Et il renégocierait les termes des investissements étrangers dans l’intérêt des ouvriers et de leur Etat.

De façon plus fondamentale, un gouvernement socialiste révolutionnaire en Chine favoriserait activement des révolutions prolétariennes internationalement. C’est pour fournir au prolétariat la direction nécessaire dans ces luttes que la LCI cherche à reforger la Quatrième Internationale de Trotsky – le parti mondial de la révolution socialiste.

 

Le Bolchévik nº 177

Le Bolchévik nº 177

Septembre 2006

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