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Le Bolchévik nº 172 |
juin 2005 |
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LO s’oppose à juste titre à « une nouvelle mouture d’Union de la gauche » – mais ont-ils quoi que ce soit à proposer ?
Lutte ouvrière, contrairement au PCF et à la LCR, n’ambitionne pas des strapontins dans un gouvernement avec le PS. LO a publié un article tout à fait pertinent contre « les nostalgiques de l’Union de la gauche » (Lutte Ouvrière, 22 avril) qui s’en prend directement à Buffet du PCF. Arlette Laguiller a lourdement insisté que la fête de LO cette année n’était « pas un rassemblement en compagnie d’anciens ou de candidats futurs ministres d’une mouture passée ou à venir de l’union de la gauche » (le Monde, 17 mai). C’était évidemment une pique bien placée contre les meetings où participait Besancenot de la LCR. Lutte ouvrière mettait en garde dans son article du 22 avril :
« Mais, fût-il rebaptisé “gauche de rupture”, comme le dit Jack Lang, voire même “100 % à gauche” [comme le dit la LCR – mais LO oublie gracieusement de préciser ce détail], l’objectif reste de remettre sur pied une nouvelle mouture des combinaisons du passé, “Union de la gauche” en 1981, “Gauche plurielle” en 1997. »
Très juste. Peut-être que Lutte ouvrière essaie de faire oublier qu’elle avait elle-même appelé à voter pour Mitterrand en 1981, et pour les candidats PS et PCF de la « Gauche plurielle » en 1997 dans des dizaines de circonscriptions où le Front national était présent au deuxième tour ? Pourtant par rapport au reste de la gauche LO se donne l’air d’être le seul opposant au front populaire (voir notre article de première page), mais qu’est-ce que LO propose à la place ?
Au fond le réformisme pur et simple : ils répandent des illusions que l’on peut réformer le capitalisme, le forcer à satisfaire les besoins des travailleurs et des opprimés, pourvu que la classe ouvrière exerce une pression suffisamment forte sur lui :
« Demain comme alors [Juin 36 et Mai 68], face aux manœuvres des dirigeants des partis de gauche et des syndicats, les travailleurs seront face à la nécessité de prendre directement en main et jusqu’au bout la direction de leurs luttes, s’ils veulent contraindre le patronat à satisfaire les exigences ouvrières. »
– Lutte Ouvrière, 3 juin (souligné par nous)
Ils font ainsi disparaître la nécessité d’une révolution ouvrière : on peut et on doit chercher à arracher des concessions à la bourgeoisie dans la lutte de classe, mais elle cherchera immédiatement à les reprendre ; de plus la bourgeoisie ne peut pas satisfaire toute une série de revendications qui sont pourtant vitales pour la survie de la classe ouvrière. Comme l’écrivait Léon Trotsky dans le Programme de transition de la Quatrième Internationale :
« Il faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de REVENDICATIONS TRANSITOIRES, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. »
L’un des mots d’ordre clés de LO c’est par exemple l’interdiction des licenciements. Les licenciements, tout comme les crises économiques qui les causent, sont inhérents au système capitaliste basé sur le profit. Une armée de chômeurs désespérés est notamment dans ce pays une arme clé que manie la bourgeoisie contre la classe ouvrière pour tirer les salaires vers le bas et limiter les grèves. La seule perspective pour vraiment éradiquer la plaie du chômage, c’est de liquider le système lui-même par une révolution ouvrière.
Dans cette période de remise en cause incessante d’acquis chèrement gagnés dans le passé, une telle perspective peut paraître utopique ou trop éloignée. Ce qui est utopique c’est de penser qu’on peut interdire les licenciements sous le capitalisme. Mais l’offensive actuelle de la bourgeoisie ne fait que souligner que ces gains du passé, acquis de haute lutte et avec des sacrifices considérables, ne sont jamais garantis pour toujours, pas même pour nos enfants, sous le capitalisme. La bourgeoisie continuera toujours de chercher à accroître le taux d’exploitation en aggravant les conditions de travail et en réduisant les salaires directs et indirects.
Il est possible de faire reculer la bourgeoisie et de lui extirper des concessions, nécessairement temporaires, par une lutte de classe, mais l’affirmation de LO qu’une combativité suffisante des travailleurs peut « contraindre le patronat à satisfaire les exigences ouvrières » et réguler les pires excès du capitalisme, est un mensonge. Les capitalistes ne disposent pas seulement de toute une série de moyens idéologiques (les médias, l’école, etc.) pour convaincre les opprimés que le système capitaliste est irremplaçable, et de lieutenants dans la classe ouvrière (les bureaucrates syndicaux et les partis réformistes) pour véhiculer le même message. Ils disposent aussi de leur Etat, qui est fondamentalement constitué d’un éventail de moyens de coercition pour mater les révoltes de ceux d’en bas : les flics, l’armée, la justice avec ses prisons. Pour parler crûment, dès que ça chauffe on voit les flics arriver pour rétablir l’ordre (bourgeois). Toute grève sérieuse est confrontée aux attaques des flics pour lever par la force les piquets de grève.
Lénine décrivait ainsi la différence fondamentale entre la société primitive égalitaire, et la société civilisée où apparaît l’Etat :
« […] la société civilisée est scindée en classes hostiles et, qui plus est, irrémédiablement hostiles, dont l’armement “autonome” entraînerait une lutte armée entre elles. L’Etat se forme ; il se crée une force spéciale, des détachements spéciaux d’hommes armés, et chaque révolution, en détruisant l’appareil d’Etat, nous montre de la façon la plus évidente la lutte de classe toute nue, comment la classe dominante s’efforce de reconstituer les détachements spéciaux d’hommes armés qui la servaient, et comment la classe opprimée s’efforce de créer une nouvelle organisation de ce genre, capable de servir non les exploiteurs, mais les exploités. »
—l’Etat et la révolution
C’est pourquoi les travailleurs ne doivent pas ambitionner de « contrôler l’Etat », comme en rêve LO, mais se pénétrer de l’idée qu’ils doivent détruire l’Etat bourgeois dans une révolution ouvrière et instaurer leur propre Etat, la dictature du prolétariat ; c’est le seul moyen décisif de « contraindre le patronat ». C’est ce que les ouvriers russes ont fait en 1917.
Le réformisme de LO est un obstacle à la prise de conscience révolutionnaire dont la classe ouvrière a besoin pour une victoire décisive. Et de plus il sert de couverture pour la bureaucratie syndicale qui se présente comme étant simplement plus « réaliste » que LO sur ce qu’on peut obtenir immédiatement. LO met en garde contre les « manœuvres des dirigeants des partis de gauche et des syndicats », mais propose aux travailleurs qu’ils aillent tout seuls au combat (« prendre directement en main et jusqu’au bout la direction de leurs luttes »). Les travailleurs sont, même sans LO, méfiants des manœuvres de leurs dirigeants, mais la lutte spontanée n’est pas la réponse. Face aux appareils réformistes, il leur faut un parti révolutionnaire d’avant-garde pour mener la lutte à la victoire. Toutes les grandes luttes de la classe ouvrière en France ont commencé de façon spontanée, y compris Juin 36 et Mai 68 ; si elles n’ont pas débouché sur une révolution socialiste comme en Russie c’est parce qu’il manquait un parti révolutionnaire.
LO et le foulard islamique
On ne sait pas ce que LO va faire aux élections dans deux ans, mais même aujourd’hui où ils s’opposent au front populaire de Buffet, ils ont leur propre alliance de collaboration de classes sur la question du foulard islamique. La collusion de LO avec Ni putes ni soumises (NPNS) et le gouvernement contre les femmes voilées est aussi une forme de front populaire. Ce sont des profs de LO, avec des profs PS et un prof dirigeant de la LCR, qui avaient été à l’initiative de l’exclusion d’Alma et Lila Lévy du lycée Henri Wallon à Aubervilliers en octobre 2003, exclusion qui avait pavé la voie à la loi raciste de Chirac. Nous défendons ces filles qui portent le foulard contre la campagne réactionnaire de l’Etat bourgeois et sa loi. En même temps le foulard est oppressif et représente un programme social réactionnaire pour confiner des femmes dans la famille, dans la maison, et dans une position de servitude. Mais l’exclusion des filles musulmanes ne peut avoir comme résultat que le renforcement encore plus important de leur isolement et de leur oppression.
Pour LO la lutte contre les femmes voilées est un véritable cheval de bataille. L’alliance entre LO et Ni putes ni soumises est centrale à cet égard. NPNS, une succursale du PS fabriquée par Malek Boutih (dont nous dénonçons les plans sinistres contre les immigrés en page 19) a servi depuis deux ans de fer de lance aux campagnes pour criminaliser les jeunes d’origine maghrébine en les présentant comme particulièrement machos et violents contre les femmes.
NPNS cherche à exploiter de façon criminelle la colère de beaucoup de jeunes femmes dans les cités-ghettos qui veulent lutter contre leur oppression, en les poussant dans les bras de leur principal oppresseur – l’Etat bourgeois raciste. NPNS exige de Chirac et Sarkozy plus d’interventions policières dans les cités et plus de flics dans les commissariats pour enregistrer les plaintes des femmes, ce qui a donné une couverture parfaite à Sarkozy pour accroître la terreur raciste des flics, jusque dans les collèges et lycées maintenant. Il faut ajouter que Ni putes ni soumises a rendu ce service à la bourgeoisie française docilement et contre rémunération sous forme de subsides importants de l’Etat. Fadela Amara de NPNS a même reçu le prix Claude Erignac pour services rendus à l’Etat.
Le 6 mars dernier il y avait une manifestation à Paris, à l’initiative de Ni putes ni soumises en opposition à la manifestation traditionnelle du 8 mars pour les droits des femmes ; en effet NPNS ne voulait pas manifester avec des femmes voilées qui risquaient de descendre dans la rue ce jour-là contre les exclusions racistes. Il s’agissait de manifester le 6 mars sans femmes voilées… mais avec le PS et le gouvernement capitaliste. L’appel à la manif, « pour un nouveau combat féministe », désignait de façon transparente, sous couvert de « lutte contre toutes les formes d’intégrisme et d’obscurantisme », l’ennemi commun, c’est-à-dire l’islam. C’est pourquoi cet appel a pu être signé officiellement par l’UMP, les catholiques de l’UDF et le PS. Et par LO ! LO raille maintenant la LCR qui fait des « rassemblement[s] en compagnie d’anciens ou de candidats futurs ministres », mais Laguiller manifestait le 8 mars de l’année dernière bras dessus, bras dessous non seulement avec Fadela Amara mais aussi avec Nicole Guedj, qui était à ce moment-là ministre de Chirac, plus précisément secrétaire d’Etat aux programmes immobiliers de la Justice, c’est-à-dire à la construction des prisons.
LO voit dans l’Etat capitaliste une force pour lutter contre la réaction islamique et c’est pourquoi ils sont favorables à la loi : « Interdire le port du voile à l’école, c’est permettre aux jeunes filles qui ne veulent pas le porter […] une aide dans leur combat. Et si finalement loi il y a, tant mieux » (Lutte Ouvrière, 6 février 2004 – soit à la veille du vote de la loi). C’est encore un exemple de leurs illusions réformistes dans l’Etat bourgeois. En France, l’islam est une religion des opprimés, une religion du ghetto. L’ennemi principal ici ce ne sont pas les intégristes musulmans mais l’Etat français raciste, anti-ouvrier et anti-femmes. Le développement de la religion, cet « opium du peuple », est le résultat du désespoir et de l’absence de toute perspective face au chômage massif et à la ségrégation raciste. Il est de plus attisé par des dizaines d’années de trahisons des organisations ouvrières en France (voir notre article de première page notamment sur l’histoire récente du PCF à cet égard). Les jeunes femmes voilées trouvent dans l’islam une illusoire consolation à leur isolement et à leur oppression, et c’est pourquoi pour des marxistes la lutte contre la religion est inséparable de la lutte contre le capitalisme raciste, qui est la cause de cette discrimination.
Evidemment LO se proclame antiraciste et a régulièrement dans son journal des articles en défense des sans-papiers. Cela peut donc paraître paradoxal qu’elle se retrouve aussi centralement impliquée avec la question du foulard dans une campagne du gouvernement destinée à renforcer la terreur raciste dans les cités-ghettos.
Les grèves de 2003 sur les retraites : LO escamote la question du racisme
En pleine vague de grèves au printemps 2003 Chirac avait consciemment cherché à introduire la question d’une interdiction du foulard dans les écoles publiques, afin d’essayer de diviser les enseignants petits-bourgeois qui, avec les cheminots, étaient en pointe dans les actions ouvrières. Ces grèves se produisaient aussi dans le contexte de la guerre contre l’Irak, que la bourgeoisie avait saisie comme prétexte pour mettre le plan de quadrillage raciste Vigipirate au niveau « rouge », prétendant que la France aussi était sous la menace imminente d’une attaque terroriste d’immigrés islamistes et de jeunes des cités-ghettos. Pour la première fois depuis des années des charters de déportation de sans-papiers étaient mis en place.
Toutes ces campagnes racistes pour attiser la peur servaient à essayer de diviser la classe ouvrière, et quand la classe ouvrière s’est mobilisée pour défendre les retraites elles ont été encore augmentées de façon véhémente. On ne peut parvenir à une unité de la classe ouvrière, et à ce qu’elle soit solidaire, que si l’on gagne les travailleurs à la perspective de combattre activement tous les préjugés racistes, anti-femmes et anti-homosexuels qui sont répandus par la bourgeoisie et ses gouvernements.
Mais pendant toute cette période de grèves en 2003 – c’est-à-dire quand cela comptait – pas un seul des tracts de LO pour les manifestations massives, pas un seul de ses éditoriaux distribués dans les entreprises, ne soulevait la question de l’oppression raciste. En fait LO refuse de façon systématique de s’opposer à Vigipirate. LO voit bien que les capitalistes utilisent le racisme pour diviser les travailleurs, mais ils en tirent la conclusion que s’ils le soulevaient dans les luttes cela serait un obstacle à la lutte économique de l’ensemble des travailleurs, y compris les plus arriérés et racistes.
Quand leurs tracts aux grévistes mettaient en garde contre les tentatives du gouvernement de diviser les travailleurs, c’était par référence au secteur public et au secteur privé. Mais, pour mobiliser le secteur privé, étant donné la forte proportion de travailleurs d’origine immigrée dans de nombreux secteurs de l’industrie, encore une fois il est nécessaire d’affronter bille en tête la question de l’oppression raciste, y compris le rôle des flics racistes dans les syndicats (ils participaient même nombreux à ces manifestations dirigées par le secteur public). Une nouvelle fois LO évite avec application de soulever de telles questions qui sont cruciales pour l’unité des travailleurs. Nous disons : Flics, matons, hors des syndicats !
En tant qu’embryon du parti léniniste d’avant-garde que nous cherchons à construire, nous voulons procéder de façon exactement inverse, profitant des changements de conscience qui apparaissent dans les luttes pour élargir cette conscience à des questions extérieures à la lutte économique elle-même des travailleurs. Il s’agit de généraliser la compréhension qu’ont les travailleurs de l’oppression capitaliste, mais c’est aussi une mesure élémentaire d’autodéfense contre les tentatives de la bourgeoisie de diviser pour mieux régner.
LO imagine que c’est à travers les luttes syndicales elles-mêmes que les travailleurs vont se radicaliser, accroître leur niveau de conscience, voire avancer vers une révolution et ils poussent les travailleurs à plus de combativité. Ils sont souvent en première ligne des grèves, mais ils se limitent à ce que Lénine appelait le trade-unionisme, c’est-à-dire la lutte syndicale. Et dans Que faire ? Lénine ne mâchait pas ses mots : « le trade-unionisme, c’est justement l’asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie » et ce parce qu’il reste dans le cadre de la lutte des travailleurs pour vendre plus cher leur force de travail aux capitalistes. LO invoque en le déplorant le bas niveau de conscience des travailleurs – pour refuser elle-même de présenter autre chose qu’une perspective « trade-unioniste ». LO contribue ainsi elle-même à convaincre les ouvriers qu’il est utopique de lutter pour une perspective révolutionnaire.
LO, le voile et l’Afghanistan
Au mois de février LO a fait une présentation sur les religions et les femmes dans le cadre de son « Cercle Léon Trotsky ». Cette présentation contient pas mal d’explications quasi-marxistes qui visent à présenter LO comme le champion du matérialisme et de la libération des femmes. Ils disent que « Toutes les religions, expressions archaïques d’un passé de barbarie, sont anti-féministes par nature. » Ils expliquent à juste titre que le voile symbolise l’oppression des femmes, y compris dans d’autres religions que l’islam ; ils n’y vont pas du dos de la cuiller contre l’Eglise catholique. Ils expliquent en gros comment l’oppression des femmes est ancrée dans la propriété privée des moyens de production. Incroyable mais vrai, ils parlent de l’homosexualité, de l’adultère, du sexe au Moyen Age, etc.
Ils blâment aussi l’impérialisme pour la montée de la réaction islamique dans les pays du tiers-monde. Il faut oser le faire pour un groupe qui pendant la guerre en Afghanistan dans les années 1980 s’était opposé à l’intervention soviétique là-bas, et l’avait même comparée à l’intervention impérialiste américaine au Vietnam. La guerre d’Afghanistan était un cas unique dans l’histoire moderne où les droits des femmes étaient une question déterminante ; la victoire finale des intégristes, soutenus par les impérialistes, a contribué à l’augmentation de l’intégrisme islamique au travers du monde.
Nous sommes très fiers de la position que nous avions prise en 1979, quand nous avions salué l’Armée rouge soviétique en Afghanistan. Elle intervenait à la demande du gouvernement pour mater une rébellion de mollahs moyen-âgeux qui s’opposaient à quelques réformes concernant notamment les droits des femmes. Ces mollahs étaient armés et financés par la CIA – et soignés par des « French doctors » comme le social-démocrate Kouchner.
A cause de l’arriération économique de l’Afghanistan et donc de l’absence de la classe ouvrière, la présence des troupes soviétiques, qui rendaient possible l’intégration de l’Afghanistan à l’Asie centrale soviétique, était pour les femmes afghanes et les peuples d’Afghanistan la seule chance de se libérer. Bien sûr ce n’est pas le sort des femmes afghanes qui motivait les vieux bureaucrates du Kremlin ; ils intervenaient pour protéger l’URSS sur sa frontière Sud contre l’impérialisme. Mais du fait même que l’URSS reposait sur la propriété collectivisée des moyens de production, la présence soviétique était à long terme incompatible avec les mœurs féodales défendues par les mollahs de la CIA, et ce en dépit du fait qu’une caste parasitaire stalinienne avait usurpé le pouvoir politique à Moscou.
Si l’URSS était restée, si elle avait incorporé l’Afghanistan, non seulement cela aurait porté un coup d’arrêt à l’islamisme extrémiste, mais cela aurait pu être un levier pour une révolution politique ouvrière contre la bureaucratie stalinienne traître de Gorbatchev. C’est pourquoi nous avions un mot d’ordre « Etendez les acquis de la Révolution d’octobre 1917 aux peuples afghans ».
Nous regrettons que l’Armée rouge n’ait pas liquidé à l’époque les Ben Laden et autres fanatiques et nous avons dénoncé le lâche retrait soviétique en 1989 ordonné par Gorbatchev pour apaiser l’impérialisme occidental. Ce retrait était un terrible crime contre les peuples d’Afghanistan, notamment les femmes, qui depuis sont contraintes, si elles veulent rester en vie, de ne jamais voir la lumière du jour et de rester enfermées des pieds à la tête dans la burka. Mais l’impact du retrait soviétique était bien plus grand que la seule réclusion à vie pour toutes les femmes d’Afghanistan : il a ouvert la voie à la contre-révolution capitaliste en Union soviétique et en Europe de l’Est, qui a détruit le seul contrepoids à l’impérialisme US (mais d’ailleurs LO nie la réalité la plus évidente en prétendant que le capitalisme n’a toujours pas été rétabli dans son intégralité en Russie). Dans la foulée, plus de dix ans après, le monde est devenu beaucoup plus dangereux et horrible avec l’impérialisme US comme flic autoproclamé du monde. Les autres puissances impérialistes, comme la France, cherchent à accroître le taux d’exploitation ici et, de façon encore plus brutale, dans leurs néocolonies, afin d’essayer de garder leur part du gâteau contre leurs rivales. Et sans conteste l’oppression des femmes partout dans le monde s’est aggravée.
Mais la guerre d’Afghanistan n’était même pas mentionnée dans la longue présentation historique de LO sur « Les religions et les femmes », parce qu’ils étaient contre les forces soviétiques là-bas. Objectivement ils se retrouvaient ainsi du côté des mollahs qui voulaient voiler de nouveau les femmes de force. Donc il ne faut pas prendre pour argent comptant leurs protestations aujourd’hui que soi-disant ils s’intéressent à la lutte contre le voile. En 1981 LO se retrouvait avec Mitterrand et Chirac contre ceux qui luttaient contre les réactionnaires islamistes sanguinaires en Afghanistan. Aujourd’hui encore LO se retrouve avec Chirac et Fabius contre les jeunes femmes voilées en France, qualifiées pêle-mêle de réactionnaires islamistes. Entre ces deux positions apparemment contradictoires il y a pourtant une continuité absolue : dans les deux cas, en fin de compte, LO est du côté de sa propre bourgeoisie.
Le nouveau gouvernement a pour ténors de Villepin et Sarkozy, qui se sont tous deux distingués ces dernières années comme des ministres des flics particulièrement brutaux et répressifs contre les sans-papiers, les travailleurs immigrés et les jeunes des cités-ghettos. Cela annonce la couleur. Mais le refus de LO depuis des années de s’opposer à Vigipirate, sa capitulation face à l’UMP et au PS sur la question du foulard islamique, la rendent fondamentalement incapable de présenter une perspective de lutte de classe révolutionnaire. Une telle perspective exige un parti ouvrier « tribun du peuple », c’est-à-dire, comme l’écrivait Lénine, qui habitue l’ouvrier « à réagir contre tout abus, toute manifestation d’arbitraire, d’oppression et de violence, quelles que soient les classes qui en sont victimes » (Que faire ?) C’est un tel parti d’avant-garde que nous, la Ligue trotskyste de France, luttons pour construire. |