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Spartacist Canada No. 173 |
Summer 2012 |
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La grève étudiante secoue le Québec Mobilisez la puissance de la classe ouvrière ! 1er juin—Après l’adoption par le gouvernement libéral du Québec de la loi 78, communément appelée « loi des matraques », la grève combative des étudiants commencée en février s’est transformée en une crise sociale profonde. Cette loi d’urgence, instaurée le soir du 18 mai, qui interdit toute manifestation à l’intérieur ou à l’extérieur des établissements d’enseignement, restreint sévèrement les autres manifestations et prévoit de lourdes amendes pour tous groupes ou personnes faisant fi de ses restrictions. Il est même illégal d’appeler à ces manifestations, tout comme il l’est de soutenir une grève dans un campus universitaire ou cégep !
Le soir du 18 mai, au moins 10 000 étudiants et sympathisants sont descendus dans la rue à Montréal. La police a déclaré « illégales » les manifestations des nuits suivantes, procédant à un nombre massif d’arrestations. Au total, durant cette grève étudiante, plus de 2500 personnes ont été arrêtées, ce qui dépasse déjà de beaucoup le nombre d’arrestations survenues en vertu de la Loi sur les mesures de guerre d’octobre 1970, quand Ottawa a suspendu les libertés civiles et jeté des centaines de militants de gauche, de nationalistes et de dirigeants syndicaux en prison pour tenter de réprimer un énorme mouvement contestataire au Québec.
Il est clair qu’en intensifiant la répression et en prévoyant des amendes astronomiques, le gouvernement du Québec espérait mettre fin à la contestation étudiante et casser la grève. Mais c’est tout le contraire qui s’est produit. Le 22 mai à Montréal, au moins 300 000 personnes ont pris part à la manifestation. Parmi elles se trouvaient des milliers de syndiqués marchant sous leurs banderoles ainsi qu’un grand nombre d’enseignants, de parents et d’élèves du secondaire. Etant donné la mobilisation gigantesque et l’imposante présence de contingents syndicaux, les flics n’ont pas pu réprimer la manif et ce, malgré le fait que la fédération étudiante CLASSE ait refusé d’en annoncer le trajet, ce qui rendait la marche « illégale » en vertu de la loi 78.
La CLASSE avait appelé les autres organisations opposées à la loi d’urgence à la rejoindre dans son acte de défiance. Mais la bureaucratie syndicale, les autres organisations étudiantes en grève et les dirigeants de l’organisation nationaliste petite-bourgeoise Québec Solidaire ont répondu qu’ils ne pouvaient appuyer que des manifestations « pacifiques et légales ». Ceci n’a nullement empêché une forte majorité des manifestants d’emboîter le pas à la CLASSE lorsque la manif s’est scindée en deux au bout de dix minutes.
Malgré un tollé quotidien dans la presse bourgeoise contre la « violence » des étudiants, les sondages indiquent que la majorité des francophones est opposée à la loi d’urgence. On voit partout à Montréal des gens portant le carré rouge, symbole de la lutte étudiante. Quand la manif du 22 mai est passée devant un grand hôpital du centre-ville, des patients âgés en chaise roulante, connectés à des intraveineuses et arborant des carrés rouges, ont applaudi et levé le poing. Les manifestants leur ont répondu avec des hourras ressentis.
Chaque soir, comme le faisaient les manifestants chiliens lors de leurs récentes grèves étudiantes, des marches de casseroles contre la loi 78 déambulent dans les quartiers de Montréal et d’autres villes. Et pourtant, malgré cette colère généralisée des travailleurs contre le gouvernement libéral, il n’y a rien eu de plus que d’occasionnels cortèges syndicaux dans les manifestations. La puissance potentielle des syndicats du Québec n’a pas été mobilisée. Pour renverser les attaques de la classe capitaliste contre les étudiants, les travailleurs, les minorités ethniques et les démunis, il est absolument nécessaire de mettre en branle le pouvoir social du mouvement ouvrier.
Les négociations entre le gouvernement et les associations étudiantes ont été rompues le 31 mai. Les étudiants ont rejeté une offre insultante proposant de diminuer la hausse des frais de scolarité de 1 dollar (!). Le premier ministre libéral Jean Charest a ensuite brandi la menace de la répression et accusé la CLASSE d’être « des gens qui menacent les Québécois » (La Presse, 1er juin). Nous reproduisons ci-dessous un supplément du 17 mai de Spartacist Canada, dont des milliers de copies ont été distribuées lors de manifestations à Montréal.
La grève étudiante de 2012 est la plus longue de l’histoire du Québec. Plus de trois mois après le début de la grève, environ 160 000 étudiants sont encore en grève, boycottent les cours, organisent des lignes de piquetage pour fermer les universités et les cégeps, souvent au mépris d’injonctions judiciaires. Il y a eu plus d’un millier d’arrestations et les manifestants subissent des agressions policières brutales pratiquement chaque jour.
La lutte étudiante a intersecté et exacerbé une crise sociale croissante au Québec. Le Parti libéral de Jean Charest actuellement au pouvoir est extrêmement impopulaire et empêtré dans les scandales. Le rassemblement de 200 000 personnes à Montréal le 22 mars, pour soutenir les étudiants en grève, était l’une des plus grosses manifestations de l’histoire du Canada. Un mois plus tard, alors que la manif du Jour de la Terre consiste habituellement en rien de plus qu’une sorte de marche de charité, celle-ci a rassemblé 250 000 personnes, dont beaucoup ont repris des mots d’ordre à la fois contre les Libéraux du Québec et contre les Conservateurs du gouvernement fédéral.
La grève témoigne de l’ampleur de la colère et de la révolte parmi les jeunes Québécois, qui ont poursuivi cette lutte importante en dépit de la répression brutale de l’Etat et des calomnies de la presse bourgeoise. Il y a de bonnes raisons d’être en colère vu l’énorme taux de chômage et de pauvreté parmi les jeunes au Québec. Cependant, cette bataille qui dure depuis plusieurs mois a aussi fait clairement apparaître les limites d’une lutte qui n’a pas été reliée à la puissance sociale de la classe ouvrière.
Partout dans le monde, les gouvernements capitalistes cherchent à faire payer aux ouvriers et aux opprimés la crise financière, qui est une conséquence directe du système de profit bourgeois. Les Conservateurs de Harper se sont attaqués aux syndicats à Postes Canada, Air Canada et ailleurs, et ont imposé des mesures d’austérité aux travailleurs du secteur public. Les ouvriers au Québec ont eu à affronter les cassages de grève de Quebecor, d’Aveos, de Rio-Tinto et d’autres. La grève étudiante, provoquée par le projet du gouvernement Charest d’augmenter les droits de scolarité de 75 pour cent, fait en quelque sorte exception à la guerre unilatérale que mènent les patrons contre les ouvriers et les opprimés.
La bourgeoisie et ses porte-paroles dans les médias pestent contre la « violence » et « l’irresponsabilité » des étudiants. Pourtant, au Québec depuis quelques années la vénalité de la bourgeoisie s’étale au grand jour. Il y a eu une série interminable de révélations de corruption impliquant des maires et des ministres libéraux, et même la ministre de l’Education Line Beauchamp, qui a démissionné sous la pression de la grève étudiante. Toute cette corruption, ainsi que les révélations quotidiennes sur les pots de vin illégaux des sociétés du bâtiment et d’ingénierie, contraste fortement avec le courage et la vitalité des militants étudiants. La fameuse taxe non officielle des « cinq pour cent » sur la construction publique, qui se retrouve dans les poches de divers agents de la mafia et des Hells Angels, et qui les aide à leur tour à financer des politiciens bien disposés envers eux, est une pratique vieille comme le monde au Québec. Le Parti libéral fédéraliste est particulièrement sans vergogne, mais ce type d’opération se déroulait aussi quand le Parti Québécois était au pouvoir. Quant aux frères ennemis, les flics de la SPVM de Montréal et de la Sûreté du Québec, dont la brutalité est légendaire, ils ne se sont jamais si bien entendu que lorsqu’il s’agit de tabasser les étudiants.
Depuis les bancs de l’opposition, le PQ nationaliste-bourgeois prétend soutenir les étudiants afin d’améliorer ses chances électorales contre Charest. Ce n’est qu’une manœuvre cynique de la part de ce parti qui a accusé tout récemment les libéraux de réduire les dépenses trop « timidement » pour équilibrer le budget. Le PQ a lui-même tenté d’augmenter les frais de scolarité lorsqu’il était au gouvernement dans les années 1990. Cela faisait partie de son offensive contre les ouvriers et les programmes sociaux dans le cadre du « Déficit Zéro ». De toute façon, la dirigeante du PQ Pauline Marois promet seulement un gel temporaire des frais de scolarité si elle devenait premier ministre.
Etudiants : Alliez-vous à la classe ouvrière !
Dans les années 1960, lorsque le Québec s’est libéré du joug des anglo-capitalistes de Westmount et de leurs alliés de l’Eglise catholique, l’éducation était l’un des principaux champs de bataille. Des luttes syndicales avaient longtemps cherché à rendre l’enseignement supérieur accessible à la jeunesse ouvrière francophone. Comme le notait Patrick Lagacé dans un article du Globe and Mail du 4 mai soutenant les étudiants : « il y a 50 ans, le Québec était plus proche d’un pays du tiers-monde que d’un pays développé, à en juger par les statistiques du niveau d’enseignement ». Cinquante quatre pour cent de ceux qui avaient 25 ans en 1962 n’avaient pas terminé la sixième année, et sept pour cent seulement avaient été à l’université. Le développement et la laïcisation de l’enseignement — un des principaux aspects de la « Révolution tranquille » — faisait partie d’une campagne de modernisation de l’élite francophone qui voulait être « maîtres chez nous » et créer une bourgeoisie québécoise ainsi qu’une couche de professionnels et de technocrates québécois.
Aujourd’hui, même si le Québec est toujours subordonné en tant que nation au sein de l’Etat canadien anglo-chauvin, des sociétés québécoises comme Bombardier, SNC-Lavalin et Quebecor sont capables de faire concurrence aux multinationales américaines et européennes à l’échelle mondiale. Et dans leur course aux profits, les gouvernements tant du parti libéral que du PQ s’attaquent sans cesse à la classe ouvrière et aux opprimés, y compris en effectuant des coupes sombres dans les budgets de la santé, de l’enseignement et d’autres programmes sociaux.
Les capitalistes ne sont prêts à investir dans l’enseignement public que dans la mesure où ils peuvent en tirer des profits. Ces profits sont le produit du travail des ouvriers, la plus-value que la bourgeoisie leur arrache en les exploitant. Etant donné son rôle central dans la production sociale, la classe ouvrière est la seule qui a la puissance sociale de mettre le système capitaliste à genoux en refusant son travail. Les étudiants, en tant que couche petite-bourgeoise sans lien direct à la production, n’ont pas cette capacité. La lutte étudiante peut certainement déclencher des batailles sociales plus générales, comme le montre la grève actuelle. Mais au bout du compte, la seule solution c’est de s’allier à la classe ouvrière.
Les ouvriers, eux, ont tout intérêt à soutenir activement les étudiants en lutte. Notamment en exigeant que l’enseignement soit gratuit pour tous et de bonne qualité, et que les étudiants reçoivent un salaire. Pour contrer la dette de plus en plus importante des étudiants envers les banques, nous demandons l’abolition de la dette étudiante. Il faut chasser les flics qui occupent actuellement un certain nombre d’universités et de collèges. Nous demandons l’abolition des administrations, dont le rôle est d’imposer la loi des capitalistes au sein des universités. Les cégeps et les universités doivent être gérés par les étudiants, les enseignants et les employés !
On ne pourra mettre fin pour de bon à toutes les attaques contre les ouvriers et les pauvres que dans une lutte politique généralisée centrée sur la puissance sociale de la classe ouvrière. Pour cela il faut que les militants comprennent que le système capitaliste doit être balayé dans son intégrité et remplacé par une société socialiste égalitaire qui servira les besoins de l’humanité et non pas les profits privés. Seule une révolution ouvrière peut arracher les moyens de production des mains des criminels bourgeois qui exploitent la classe ouvrière et sa jeunesse. Pour mener cette lutte à la victoire, il faut forger des partis révolutionnaires d’avant-garde, c’est-à-dire des partis trotskystes, dans le monde entier.
Les étudiants, les travailleurs et la
bureaucratie syndicale
Le soutien à la grève étudiante et l’hostilité au gouvernement Charest se sont fait sentir pendant toute la durée du conflit. C’est à l’honneur de la majorité des enseignants et des professeurs syndiqués touchés par la grève qu’ils aient refusé de traverser les lignes de piquetage des étudiants malgré les injonctions judiciaires qui les encourageaient à le faire. Cependant, la bureaucratie syndicale nationaliste, tout en prétendant soutenir les étudiants, n’a pas levé le petit doigt pour mobiliser les travailleurs dans des grèves contre les attaques du gouvernement Charest. Au contraire, les dirigeants syndicaux ont travaillé dur pour rétablir « la paix sociale ». L’entente du 5 mai visant à mettre fin à la grève étudiante a été négociée par Gilles Duceppe, l’ancien dirigeant du Bloc Québécois, et par les dirigeants des trois principales fédérations syndicales. Elle a vite été rejetée par les étudiants dans tout le Québec.
La bureaucratie syndicale, en soutenant les nationalistes-bourgeois du PQ et du Bloc, enchaîne les ouvriers québécois au système capitaliste. C’est aussi le cas des dirigeants de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), qui sont alliés aux dirigeants syndicaux dans l’Alliance sociale. La majorité des étudiants grévistes font partie de la CLASSE (Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante), un syndicat étudiant plus à gauche influencé par des anarchistes. Dans un appel daté de fin avril et intitulé « Vers une grève sociale », la CLASSE faisait remarquer :
« Les étudiantes et étudiants en grève sont conscients de leur impuissance à faire reculer seul le gouvernement sur ces divers mesures. D’où la nécessité pour le mouvement étudiant de s’adjoindre de l’ensemble des forces sociales dans sa lutte contre la révolution culturelle de Bachand [ministre des Finances]. Nous ne faisons pas ici un appel à un appui de façade où quelques permanents syndicaux rédigent un communiqué pour réitérer une énième fois leur appui à la lutte étudiante…. C’est, donc, un appel à la grève sociale que nous lançons à l’ensemble de la population ! »
Il est en effet absolument nécessaire d’unir les étudiants en lutte et la puissance sociale de la classe ouvrière. Mais les appels à la solidarité lancés par la CLASSE ne sont pas liés à la perspective plus large de lutte ouvrière contre le capitalisme. Tout comme la FEUQ et la FECQ, ils ne font en fin de compte que chercher des moyens d’améliorer l’enseignement dans le cadre du système capitaliste. Ainsi, l’entente éphémère signée par toutes les fédérations étudiantes le 5 mai tentait de compenser l’augmentation des frais d’inscription en faisant des « économies » dans les budgets des universités et des collèges individuels. Cela revient à accepter encore plus d’austérité dans l’enseignement, et cela pourrait bien se retourner contre les employés des universités et des cégeps sous forme de diminution de salaires et même de licenciements.
La solution déborde du domaine « normal » de la politique étudiante et syndicale, qui se limite strictement à ce qui est « réalisable » sous le capitalisme. Pour lutter contre la trahison des dirigeants syndicaux, il faut une opposition dans les syndicats qui veuille mener la lutte des classes et soit prête à mettre en branle l’immense pouvoir potentiel de la classe ouvrière en défense de toutes les victimes du système de profit bourgeois. Entre autres, cela veut dire défendre les droits des immigrés et des minorités ethniques et religieuses, en particulier les musulmans qui sont victimes d’une offensive raciste concertée des dirigeants politiques tant nationalistes que fédéralistes.
Québec Solidaire : cinquième roue du PQ
La lutte étudiante met de nouveau en lumière la réalité de la division nationale entre le Canada anglais et le Québec. Pendant les premières semaines, la presse bourgeoise anglo-canadienne a fait un black-out total sur les manifestations. Puis, lorsque la violence des flics contre les étudiants a pris de l’ampleur, la presse s’est mise à dénoncer les grévistes étudiants, avec une forte dose de mépris et d’anglo-chauvinisme. Les conservateurs de Harper, originaires de l’Ouest du Canada, ne prennent même plus en compte le Québec dans leurs calculs électoraux, et sont entrain de mettre en œuvre des politiques réactionnaires sur la criminalité, l’armée, la monarchie et l’environnement qui, aux yeux de la plupart des Québécois, semblent venir de la planète Mars. Les divers éditorialistes et commentateurs anglo-canadiens qui avaient proclamé (une fois de plus) la « mort » de la question nationale au Québec sont maintenant bien embarrassés.
Le Québec est une société distincte et de plus en plus séparée de celle du reste du Canada. L’anglo-chauvinisme, et le nationalisme québécois qu’il favorise, ont longtemps servi à diviser la classe ouvrière selon des lignes nationales, ce qui ne fait que renforcer l’illusion selon laquelle les ouvriers et « leurs » patrons respectifs auraient des intérêts communs. En tant qu’internationalistes prolétariens, nous marxistes sommes pour l’indépendance du Québec. C’est le moyen de couper le nœud gordien et d’enlever la question nationale de l’ordre du jour politique ; cela servirait à montrer aux ouvriers des deux nations qu’ils n’ont aucun allié parmi leurs propres capitalistes. Cela enlèverait par conséquent un obstacle important à la lutte commune de la classe ouvrière contre le système capitaliste.
Le PQ a pour objectif de construire un Québec capitaliste indépendant au service de la bourgeoisie québécoise. Un certain nombre d’ouvriers et de jeunes radicalisés qui cherchent une alternative se sont détachés de lui à cause de ses multiples attaques au nom de l’austérité lorsqu’il était au pouvoir. L’organisation petite-bourgeoise populiste Québec Solidaire (QS) en est un des sous-produits. Ils se disent solidaires des revendications de la grève étudiante, mais fin avril, alors que les luttes avaient atteint un point culminant, le dirigeant du QS Amir Khadir a lancé un « appel au calme ». Dans la même déclaration, QS critiquait la violence policière et s’attaquait en même temps au soi-disant « vandalisme » des « casseurs » parmi les manifestants étudiants (quebecsolidaire.net, 26 avril).
Le programme de QS ne propose que des réformes superficielles afin de rendre le système capitaliste plus « social ». Cela n’est pas très différent du « projet de société » initial du PQ à la fin des années 1960 et pendant les années 1970. Comme pour insister là-dessus, les dirigeants de QS ont récemment tenté de conclure des accords de non-concurrence électorale avec le PQ capitaliste. Tout cela n’empêche bien entendu pas la majeure partie de la gauche pseudo-marxiste au Québec de soutenir QS, dans lequel ces groupes se sont plus ou moins liquidés. Que ce soit les deux ailes du Parti communiste, Gauche Socialiste, La Riposte, Alternative socialiste (AS) ou d’autres encore, ces réformistes présentent tous à tort QS comme une sorte d’étape vers le socialisme.
AS, un groupe affilié au Comité pour une internationale ouvrière de Peter Taaffe, a exposé cela de manière particulièrement claire dans un tract distribué aux manifestations du 1er mai cette année. Après avoir noté cyniquement que « QS n’est ni un parti de classe ni un parti socialiste », AS prétend que : « Néanmoins, QS a ouvert une brèche dans le discours dominant et contribue à faire prendre conscience à de plus en plus de gens que la source de nos problèmes, c’est le capitalisme. » Et portant le crétinisme parlementaire à de nouveaux sommets, AS conclut :
« Les issues possibles à la présente grève générale du mouvement étudiant montrent qu’il lui faut un relais politique au Parlement pour implanter ses projets et entretenir la flamme de la contestation lorsqu’elle s’essoufflera dans la rue. Ce ne sera pas sur le boul. René Lévesque que s’adoptera la gratuité scolaire. Lors des prochaines élections, les étudiant-e-s grévistes n’auront pas 36 solutions. Seul Québec solidaire défendra leurs positions. »
—« Pour un parti de masse des travailleur-euse-s ! »
L’idée même que « la flamme de la contestation » puisse brûler dans le salon bleu de l’Assemblée nationale est ridicule. Mais malgré son humour involontaire, AS exprime bien le programme politique réformiste que partagent tous les groupes de gauche au sein de QS. Autrement dit, le Québec c’est « notre Etat » et cet Etat peut servir les intérêts des ouvriers, de la jeunesse et des opprimés, si seulement on applique les bonnes politiques « sociales ». Pourtant c’est faux.
Certains des groupes qui soutiennent QS ont également salué la « vague orange » du NPD qui a déferlé sur le Québec lors de l’élection fédérale l’an dernier. La Riposte a, par exemple, déclaré que le succès du NPD était un rejet du « débat dépassé entre le Fédéralisme et le Nationalisme » et « une véritable occasion pour que la politique de classe vienne au devant de la scène et que le NPD devienne le véhicule politique de la riposte contre l’austérité de Harper » (marxist.ca, 3 mai 2011).
Quel rôle le NPD a-t-il donc joué dans la grève étudiante, la lutte sociale la plus importante du Québec depuis de nombreuses années ? Thomas Mulcair a demandé aux membres du parlement NPD de se taire pour éviter « de se mettre à dos » des électeurs « centristes » potentiels. Pourtant Mulcair, ancien ministre du conseil de Charest et avant cela, avocat de l’Alliance Quebec anglo-chauvine, s’est exprimé…mais pour dénoncer la « violence » des étudiants québécois (La Presse, 29 avril) ! Le NPD, qui a toujours été un parti social-démocrate de droite, essaye de plus en plus de couper les ponts avec les syndicats au Canada anglais. Les Néo-démocrates sont profondément opposés aux droits nationaux du Québec, et lorsque la question nationale redeviendra une question brûlante (ce qui est seulement une question de temps), ces contradictions feront éclater le parti au Québec. Les marxistes luttent contre toute illusion selon laquelle le NPD représenterait une alternative « progressiste » pour les ouvriers et la jeunesse.
L’appareil répressif de l’Etat capitaliste
L’intensité de la répression contre les grévistes étudiants témoigne d’une vérité marxiste fondamentale quant à la nature de l’Etat capitaliste. Les flics ont utilisé d’énormes quantités de gaz lacrymogène, de grenades incapacitantes et de balles en caoutchouc contre les étudiants, souvent après avoir déclaré les manifestations « illégales ». Lors de la manifestation du 4 mai contre le congrès du Parti libéral du Québec à Victoriaville, un étudiant a perdu un œil et un autre a été victime de blessures à la tête, qui auraient pu mettre sa vie en danger, après une agression policière particulièrement brutale. A la violence policière dans la rue s’ajoute la chasse aux sorcières menée par la police secrète du SCRS visant les militants anarchistes et divers groupes de gauche, y compris le Parti communiste révolutionnaire (PCR) maoïste. Selon un nouveau projet de loi fédérale, le port d’un masque par les manifestants est devenu un délit encourant des peines de prison pouvant aller jusqu’à dix ans.
L’Etat capitaliste n’est jamais un « arbitre neutre » et sa principale raison d’être, c’est de défendre la domination du capital. L’Etat est un instrument de répression contre la classe ouvrière et les opprimés. Il comprend les flics, les juges, les prisons et l’armée, qui dépendent du pouvoir exécutif du gouvernement. Comme le précisait Lénine, qui dirigea la Révolution russe de 1917 (la seule révolution ouvrière victorieuse de l’histoire), c’est « une machine pour l’oppression d’une classe par une autre » (l’Etat, 1919). Sous les Libéraux et le PQ, c’est bien évidemment le cas, mais il en va de même lorsque l’Etat est dirigé par des partis qui trompent les travailleurs en prétendant être de leur côté. Lorsqu’il est au pouvoir, comme en Ontario et en Colombie-Britannique dans les années 1990, le NPD gouverne toujours au service des patrons. Et si QS en a jamais l’occasion, il en fera autant.
La Riposte et Alternative socialiste prétendent scandaleusement que les flics sont des « ouvriers en uniforme », c’est-à-dire des alliés potentiels de la lutte ouvrière. Les trois derniers mois de lutte et de répression policière devraient mettre un terme à ces illusions. Ces organisations profondément réformistes sont toutes les deux issues du groupe Militant en Grande-Bretagne, qui est connu pour sa fidélité au Parti travailliste (et qui avait envoyé des avis de licenciement à quelque 30 000 travailleurs publics de la ville de Liverpool dans les années 1980 lorsqu’il en dirigeait le conseil municipal!).
Nous nous opposons aux accusations de « violence » que font le NPD et QS contre les manifestants étudiants, et appelons à défendre tous les militants pris dans les filets de l’Etat. Nous exigeons la levée de toutes les inculpations. La presse s’est particulièrement acharnée contre le « vandalisme » de manifestants qui s’en sont pris à des bureaux d’administration universitaire ainsi qu’à des symboles du pouvoir des grosses entreprises. Du point de vue de la classe ouvrière, des actions de ce type ne sont pas des crimes. Ce qui est criminel c’est la brutalité policière contre les étudiants grévistes et la barbarie bien plus grave encore du système capitaliste dans son ensemble. Cependant, la politique d’« action directe » préconisée par divers anarchistes n’est qu’une expression de rage impuissante. La lutte sociale doit, pour être victorieuse, chercher à mobiliser la puissance de la classe ouvrière, et cela est directement lié à la lutte pour la direction révolutionnaire du prolétariat.
Certains anarchistes et maoïstes dénoncent le mouvement ouvrier organisé qu’ils accusent d’être « acheté » et réactionnaire. Le PCR maoïste, par exemple, déclare que le mouvement syndical au Québec « est devenu en fait un instrument aux mains des capitalistes pour contrôler et mater la classe ouvrière », ajoutant : « Mais ce n’est pas qu’une simple question d’orientation, qu’il suffirait de modifier pour en changer la nature profonde » (« Programme du Parti communiste révolutionnaire »). Ceci efface toute distinction entre la base ouvrière des syndicats et la bureaucratie pro-capitaliste, qui est une caste parasitaire qui repose sur le mouvement ouvrier et qui bénéficie de quelques miettes de la table des patrons. Le PCR qui refuse de soutenir les syndicats, c’est-à-dire les organisations de défense fondamentales de la classe ouvrière, dévoile ensuite sa propre perspective de collaboration de classe : selon lui, « la guerre populaire prolongée » constituerait « la voie de la révolution au Canada ». Non seulement cela est ridicule, mais cela est en contradiction totale avec la centralité du prolétariat selon le marxisme.
Puis il y a les bandits politiques du Parti de l’égalité socialiste (PES) et leur « World Socialist Web Site ». Dans une déclaration du 16 avril sur la grève étudiante, cette organisation dit (en gras !) : « Il faut rejeter l’orientation vers les syndicats ». Et ils ajoutent : « Ici comme partout ailleurs dans le monde, le rôle des syndicats est de soumettre les travailleurs au système de profit et à l’État capitaliste ». Une « version corrigée » de la même déclaration, publiée en anglais deux jours plus tard, est encore plus explicite et appelle à aider les ouvriers « à se libérer des syndicats pro-capitalistes ». Le PES se fait parfois passer pour trotskyste, mais son désir de destruction des syndicats converge avec les intérêts des patrons capitalistes. Il en va de même pour leur position sur la question nationale, où ils se font les échos de la bourgeoisie chauvine anglo-canadienne en s’opposant au droit du Québec à l’autodétermination.
La destruction des syndicats aurait inévitablement comme conséquence une diminution des salaires et des avantages sociaux, ainsi que des conditions de travail plus dangereuses. Il faut défendre les syndicats contre les attaques des patrons. En même temps, il faut chasser la bureaucratie syndicale pro-capitaliste et se battre pour une direction menant une lutte de classe contre la politique du nationalisme bourgeois. C’est le seul moyen de transformer les syndicats en organisations luttant pour l’émancipation de la classe ouvrière.
La classe ouvrière du Québec, alliée à la jeunesse étudiante en lutte, peut jouer un rôle important pour revigorer le mouvement ouvrier nord-américain, meurtri par des décennies d’austérité et de cassage de grèves. La grève générale spontanée de mai 1972 au Québec, contre l’emprisonnement de dirigeants syndicaux, a bien montré cette puissance. Mais au bout du compte, les aspirations des ouvriers québécois ont été contenues dans le cadre du nationalisme bourgeois que représentait le PQ. Pour que la puissance du prolétariat puisse se mettre en branle, il faut rompre politiquement avec ce type de nationalisme, y compris sa variante « de gauche » actuelle, Québec Solidaire.
Seule une révolution ouvrière qui renverse l’Etat capitaliste et le remplace par un Etat ouvrier, c’est-à-dire la dictature du prolétariat, est capable d’ouvrir la voie au socialisme. Pour cela il faut remplacer la démocratie bourgeoise (une « démocratie » pour les riches) par la démocratie ouvrière. C’est le seul moyen d’ouvrir la voie à la construction d’une société communiste égalitaire où la misère et la répression seront des reliques du passé.
La Ligue trotskyste/Trotskyist League lutte pour forger un parti ouvrier internationaliste binational et multiethnique, qui se consacre à la lutte pour des révolutions de ce type à travers le Canada, l’Amérique du Nord et au-delà. Cela fait partie intégrante de notre perspective de reforger la Quatrième Internationale, parti mondial de la révolution socialiste. Après les luttes difficiles de ces derniers mois, nous invitons les militants étudiants qui cherchent un programme plus général pour la libération sociale à examiner le programme du trotskysme authentique.
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