Supplément |
hiver 2020-2021 |
Plénum du CEI de la LCI : La lutte contre les capitulations centristes à lUE
À bas lUE !
À bas limpérialisme français !
La Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste) a tenu un plénum de son Comité exécutif international (CEI) en été 2019 en Allemagne. Cette réunion du CEI, la plus haute instance décisionnelle de la LCI entre deux conférences, s’est déroulée à un moment important pour notre organisation. La mort de Jim Robertson, en avril 2019, a posé sans détour la question de notre continuité : il avait été le principal fondateur et dirigeant de longue date de notre parti, et ses interventions avaient été cruciales pour garder notre boussole révolutionnaire. C’était aussi la première réunion de la direction élue lors de la Septième Conférence internationale de la LCI en 2017, qui elle-même avait été l’aboutissement d’une bataille acharnée pour rétablir un cadre léniniste sur la question nationale et rectifier des adaptations au chauvinisme de grande puissance (voir « La lutte pour le léninisme sur la question nationale », Spartacist édition en français no 43, été 2017). Le plénum et le mémorandum adopté à l’unanimité par le CEI, « En avant avec la bannière du léninisme ! », poursuivaient cette bataille.
Ce plénum avait centralement pour objectif de renouer avec le cadre programmatique clair d’opposition à l’Union européenne (UE) que nous avions établi dans les années 1970. Nous avons été désorientés dans la période marquée par la contre-révolution de 1991-1992 qui a détruit l’État ouvrier dégénéré soviétique ; dans le cadre de cette désorientation, la LCI a capitulé à maintes reprises à l’UE, un consortium d’États capitalistes inégaux dominé par l’impérialisme allemand et, dans une moindre mesure, par l’impérialisme français. Comme le faisait remarquer la camarade Jay, membre du Secrétariat international (SI), dans le rapport qu’elle a présenté au plénum :
« Notre opposition à l’UE est principalement devenue de l’indignation libérale vis-à-vis de “la forteresse Europe raciste”, ce qui laissait entendre que les impérialistes devraient cesser d’être racistes et défendre les immigrés. Nous avancions le mot d’ordre des États-Unis socialistes d’Europe comme s’il s’agissait d’une sorte d’extension de l’UE. Et quand la crise économique a frappé l’Europe, en 2010, nous en étions à écrire que la Banque centrale européenne et le FMI “aidaient” les pays dépendants à rembourser leurs dettes. »
Il y a eu ces dernières années une série de batailles visant à affirmer de façon tranchante notre opposition à l’UE. Nous reproduisons ci-après la partie du mémorandum du plénum, revue pour publication, qui codifie le résultat de la discussion et de la bataille sur cette question.
Une de nos tâches centrales depuis la Conférence internationale est de consolider un nouveau collectif dirigeant international capable de faire face aux énormes défis auxquels la LCI est confrontée dans une période définie principalement par un manque de luttes sociales et une régression du niveau de conscience du prolétariat. Comme le note le mémorandum du plénum : « Sans le camarade Robertson, notre capacité à maintenir notre continuité révolutionnaire dépend fortement de la capacité du SI, en tant qu’organe exécutif permanent du CEI, de donner l’orientation programmatique la plus tranchante possible. Notre tâche reste de faire ce que Lénine a fait : créer un parti composé, couche après couche, de bolchéviks réfléchis. »
Depuis 2017, le SI a une composition non conventionnelle, un certain nombre de ses membres résidant hors du centre international. La dispersion géographique présente des défis. En même temps, cette configuration est vitale car chacun des camarades a plus de recul et joue un rôle de correctif programmatique dans l’Internationale et dans les sections nationales des autres camarades. Elle sert également à contrebalancer les pressions découlant du fait que notre centre international est situé aux États-Unis, le pays impérialiste le plus puissant.
Le fait que la plus grande partie de nos membres soit concentrée dans les centres impérialistes constitue une pression déformante sur la LCI. Le poids prédominant de la section américaine et le climat pro-Parti démocrate pour « battre la droite » aux États-Unis sous la présidence Trump continuent à nous poser des problèmes (voir « Dans la puissance impérialiste prédominante », Workers Vanguard no 1158, 26 juillet 2019). Une partie du mémorandum du plénum est consacrée à la Spartacist League/U.S., et une autre à notre section allemande, le Spartakist-Arbeiterpartei Deutschlands (SpAD), qui porte en grande partie sur ses batailles au sujet de l’UE. C’est en partie pour contrer les pressions qui s’exercent sur le SpAD et renforcer son intégration dans l’Internationale que le plénum s’est tenu en Allemagne.
Notre engagement internationaliste se reflétait dans le multilinguisme de la réunion. Des traductions simultanées permettaient de suivre les discussions dans quatre langues, y compris, pour la première fois, l’allemand. Le plénum ainsi que le mémorandum ont démontré avec force combien il est important de nous enraciner dans la continuité programmatique communiste et dans l’histoire.
Le plénum a commencé avec une séance d’étude sur l’unification allemande sous Bismarck, et sur la restauration Meiji au Japon. Les présentations ont expliqué comment ces révolutions bourgeoises, réalisées par en haut, ont conduit à l’émergence de l’Allemagne et du Japon en tant que puissances impérialistes dominantes. L’article « La restauration Meiji : une révolution pro-bourgeoise non démocratique » (Spartacist édition en français no 36, été 2004) est un document programmatique fondamental pour le travail du Groupe spartaciste du Japon ; il constitue autant une analyse de l’histoire moderne du Japon qu’une arme indispensable dans les batailles politiques contre la gauche réformiste. Pour notre section allemande, il est crucial de saisir l’importance de Bismarck afin de comprendre la formation de l’État capitaliste allemand, sa position et son rôle en tant que puissance impérialiste au milieu de l’Europe.
Opportunisme transatlantique sur l’UE
Bien que nos problèmes face à l’UE reflètent les pressions que nous subissons dans nos sections européennes, une grande partie de notre approche erronée est venue de la SL/U.S. Une bataille importante s’est déroulée avant le plénum, et elle s’est poursuivie ensuite, pour saisir à quel point l’UE reste cruciale pour les intérêts stratégiques de l’impérialisme américain, en dépit de la concurrence entre la bourgeoisie américaine et ses rivales allemande et autres. Le capital américain a d’énormes investissements en Europe et l’UE continue de fonctionner comme un appendice de l’OTAN, une alliance militaire dominée par les États-Unis.
Nier cette relation revient à capituler devant les intérêts impérialistes américains en Europe. Mais des membres du CEI dans la section américaine, y compris dans le SI, se sont initialement opposés à reconnaître cela ; ils avaient tendance à réduire les problèmes sur cette question à de mauvaises formulations dans notre presse ou à des lacunes analytiques. Une manifestation du problème est décrite dans l’extrait du mémorandum publié ci-après : un projet initial de déclaration du CEI sur les élections au « parlement » européen de 2019, écrit aux États-Unis, émoussait notre opposition de principe au fait de se présenter aux élections pour cet organe, qui est essentiellement un outil diplomatique des États impérialistes dominants de l’UE. (Cette déclaration du CEI est reproduite en page 16.) Plus généralement, comme l’expliquait la secrétaire du SI dans un document écrit après le plénum, la conception libérale bourgeoise de la section américaine concernant l’UE « était une version réchauffée de l’approche de notre propre impérialisme à l’égard de l’UE, c’est-à-dire une sorte de soutien à l’“intégration” européenne, ce qui est la position de l’OTAN, du FMI et du Département d’État ».
Nos problèmes sur l’UE venaient en partie du fait que nous enjolivions le rôle du capital financier dans l’oppression des pays d’Europe dépendants. Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), le dirigeant bolchévique Lénine a démonté le mensonge kautskyste selon lequel l’impérialisme ne serait qu’une politique d’agression militaire. Lénine a expliqué que l’impérialisme est un stade du capitalisme où les monopoles et le capital financier sont devenus dominants et où le monde a été partagé entre une poignée de puissances capitalistes rivales. Les impérialistes, y compris la bourgeoisie américaine, tirent d’énormes bénéfices du marché unique européen et de l’euro.
L’UE n’a rien de pacifique. C’est un outil pour le pillage impérialiste des nations opprimées d’Europe et pour l’exploitation de la classe ouvrière. Cependant, nombreuses sont les illusions qu’il y a « la paix en Europe » parce que l’Allemagne construit l’UE plutôt que d’envahir les autres pays. L’impérialisme de Lénine s’attaquait directement à ce genre de conceptions :
« Aussi, les alliances “inter-impérialistes” ou “ultra-impérialistes” […] ne sont inévitablement, quelles que soient les formes de ces alliances, qu’il s’agisse d’une coalition impérialiste dressée contre une autre, ou d’une union générale embrassant toutes les puissances impérialistes, que des “trêves” entre des guerres. Les alliances pacifiques préparent les guerres et, à leur tour, naissent de la guerre ; elles se conditionnent les unes les autres, engendrant des alternatives de lutte pacifique et de lutte non pacifique sur une seule et même base, celle des liens et des rapports impérialistes de l’économie mondiale et de la politique mondiale. »
À l’approche du plénum, un membre du CEI a fait écho aux adaptations passées du parti à l’UE, traitant celle-ci comme une fédération d’États égaux plutôt que comme un ensemble de traités exploiteurs imposés par les puissances impérialistes à leurs victimes. Sous prétexte d’intransigeance envers le nationalisme grec, ce membre du CEI a argumenté qu’il était faux de dire que l’UE était responsable pour le torpillage du résultat du référendum grec en 2015 sur le féroce plan de « sauvetage » de l’UE, imposé par l’impérialisme allemand. Après le « non » de la grande majorité de la population, les impérialistes ont insisté pour imposer un programme de famine et d’humiliation encore plus cruel – que le gouvernement Syriza, trahissant les masses grecques, a accepté. En prétendant que le gouvernement Syriza était le principal responsable, ce camarade du CEI excusait les impérialistes pour l’asservissement de la Grèce par l’UE. Rejetant ce cadre chauvin, le mémorandum du plénum a réaffirmé que « bien que la Grèce soit officiellement un pays indépendant, au fond elle ne contrôle pas sa propre politique intérieure et extérieure ».
La bataille contre l’hydre chauvine se poursuit
La Septième Conférence internationale a joué un rôle capital pour que la LCI puisse prendre position avec force pour les nations opprimées et contre le chauvinisme de grande puissance. Le plénum du CEI a poursuivi cette bataille en apportant une correction importante à la caractérisation d’abus commis par deux (aujourd’hui ex-) membres qui avaient été impliqués dans le travail du Groupe trotskyste de Grèce (TOE). Les membres de la section grecque ont critiqué le fait que les actes de ces individus n’avaient pas été reconnus comme racistes à l’époque, lorsqu’ils étaient en Grèce, et que lors de la Conférence internationale, leurs actions avaient au contraire été traitées comme si elles étaient dans un continuum avec d’autres comportements odieux mis au jour dans le cadre de la lutte contre l’anglo-chauvinisme. Les camarades du TOE ont mis en doute le fait que ces deux individus puissent rester membres et ont demandé une enquête de la Commission de contrôle internationale. Dès l’ouverture de l’enquête, l’un des deux a démissionné.
Le plénum a adopté une motion déclarant que la Conférence internationale n’avait pas correctement qualifié de raciste la conduite de ces deux individus, que leur comportement était qualitativement pire que d’autres exemples de comportement abusif dans la LCI, et qu’ils auraient dû être exclus au moment où les actes en question avaient été commis. Après le plénum, la seconde personne mise en cause a été exclue après avoir défendu son attitude grotesque en Grèce et montré qu’elle était prête à tous les mensonges pour se justifier.
En tant que petite tendance marxiste révolutionnaire dans une période prolongée de réaction politique, nous devons lutter avec acharnement contre les pressions de la société bourgeoise afin de maintenir la bannière du léninisme. Mais nos nombreuses batailles internes dans la dernière période montrent que nous avons un CEI dynamique et interventionniste, avec des camarades dans toute l’Internationale qui jouent des rôles éminemment importants. Les discussions préalables au plénum et ses travaux eux-mêmes ont une fois de plus souligné la nécessité de la collaboration internationale. Le plénum a démontré avec force l’engagement de la LCI pour la perspective de reforger la IVne Internationale en tant que parti mondial de la révolution socialiste, l’outil essentiel pour tracer la voie au prolétariat et s’opposer à la domination impérialiste sur la planète.
* * *
Mémorandum du plénum du CEI (extraits)
En avant avec la bannière du léninisme !
Nous reproduisons ci-dessous des extraits du mémorandum adopté par le Comité exécutif international de la LCI lors de son plénum de l’été 2019.
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, le parti a capitulé à l’UE à maintes reprises en traitant comme un État supranational ce conglomérat dominé par les impérialistes, et en se prosternant devant les illusions que l’UE aurait un caractère « progressiste ». Le camarade Robertson est intervenu de façon répétée pour corriger ces erreurs ; il insistait qu’il fallait maintenir notre opposition historique à l’UE. Il soulignait : « L’UE n’est pas un État. C’est un traité conclu entre des États. » Bien qu’il y ait eu de multiples correctifs au fil des ans, ils étaient partiels et n’ont jamais pris la mesure de l’étendue de nos capitulations sur la question. Ce plénum cherche à réexaminer de façon critique et à corriger nos nombreuses déviations passées sur l’UE, y compris dans la période récente, afin d’avancer sur une base programmatique solide.
Nous nous opposons par principe à l’UE ainsi qu’à l’euro, son instrument. L’UE est une alliance instable dominée par l’impérialisme allemand et, dans une moindre mesure, l’impérialisme français. Elle a pour objectif d’intensifier l’exploitation de la classe ouvrière et l’asservissement des pays dépendants par les impérialistes, ainsi que d’améliorer la compétitivité des impérialistes européens vis-à-vis de leurs rivaux américains et japonais. En même temps, l’UE a été créée avec le soutien des États-Unis et elle fait toujours partie intégrante de l’alliance transatlantique dominée par les États-Unis, un fait qui a été contesté durant la préparation de ce plénum.
Le révisionnisme sur la question de l’UE est une capitulation à l’impérialisme. En ce qui concerne nos sections en Europe, il est évident que les capitulations sur cette question proviennent des pressions de leur bourgeoisie. Toutefois, dans un certain nombre de cas, nos problèmes par rapport à l’UE avaient pour origine des camarades de la SL/U.S., ou bien ils étaient partagés par ces derniers, ce qui reflète la pression politique de l’impérialisme américain.
Les sociaux-démocrates et les lieutenants ouvriers du capital jouent un rôle clé pour faire accepter la fable que l’UE serait une entité supranationale permanente, pacifique et démocratique. Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), Lénine polémiquait contre Karl Kautsky, qui avait avancé des arguments similaires afin de
« consoler les masses, dans un esprit éminemment réactionnaire, par l’espoir d’une paix permanente en régime capitaliste, en détournant leur attention des antagonismes aigus et des problèmes aigus de l’actualité, et en l’orientant vers les perspectives mensongères d’on ne sait quel futur “ultra-impérialisme” prétendument nouveau. »
Les problèmes que nous avons eus pour nous opposer à l’UE font partie de nos capitulations plus générales au chauvinisme de grande puissance et à l’impérialisme. La bataille actuelle sur l’UE est une continuation de la bataille contre l’hydre chauvine, codifiée dans le document de la Conférence internationale de 2017.
L’impérialisme américain, l’OTAN et l’UE
L’UE n’est pas un bloc homogène uni contre les États-Unis, même si elle fonctionne comme un bloc contre les États-Unis sur des questions politiques et économiques spécifiques. Son prédécesseur, la Communauté économique européenne (CEE), était historiquement un instrument de guerre froide des États-Unis contre l’URSS, et l’UE continue d’être un appendice de l’OTAN. La bourgeoisie américaine utilise l’UE pour maintenir l’Allemagne dans l’orbite des États-Unis et pour contrer la Russie. Les États-Unis, l’Allemagne et la France continuent de collaborer à l’élargissement en tandem de l’UE et de l’OTAN, en Europe de l’Est et dans les Balkans. Sur le plan économique, les capitalistes américains s’approprient, directement et indirectement, une grande partie de la plus-value extorquée par l’exploitation des travailleurs en Europe. La bourgeoisie américaine profite de l’UE sur le plan politique et économique et, dans son écrasante majorité, elle la soutient.
Dans la période qui a suivi la contre-révolution capitaliste en Union soviétique, notre propagande a fait disparaître à tort le rôle des États-Unis dans l’UE. En présentant l’UE comme si elle était unie contre les États-Unis, nous présentions ce bloc comme s’il était plus stable qu’il ne l’est en réalité, et nous minimisions les divergences entre les impérialistes européens. Quand nous avons commencé à corriger nos capitulations à l’UE, nous les avons considérées uniquement comme un « problème européen », niant ainsi que les problèmes aux États-Unis étaient une accommodation à la pression politique de l’impérialisme américain. Par exemple, notre direction américaine a récemment flanché sur l’UE en omettant l’intervention des États-Unis dans son projet d’introduction à l’article « Grèce : hystérie chauvine sur la Macédoine » (Workers Vanguard no 1142, 19 octobre 2018) ; les camarades ont émoussé notre opposition au « parlement » européen dans le projet de déclaration écrit à New York (« À bas l’Union européenne ! Aucune participation à son pseudo-parlement ! », reproduite en page 16) et ils ont ensuite enterré deux documents sur les problèmes dans le projet.
[…]
Évolution de notre propagande sur l’UE
Dans les années 1970, notre tendance s’opposait par principe à la CEE (ou Marché commun), le prédécesseur direct de l’UE. À l’époque, nos articles présentaient clairement la CEE comme un accord réactionnaire entre des États capitalistes, dirigé contre la classe ouvrière et l’Union soviétique. Cette propagande est un modèle pour aborder la question de l’UE. Un camarade du SI explique, dans un document sur l’évolution de notre propagande vis-à-vis de l’UE, que notre propagande d’alors polémiquait de façon efficace contre nos opposants qui considéraient la CEE comme un « super-État » à la Kautsky. Tout cela a disparu par la suite de notre propagande, alors que nous commencions nous-mêmes à considérer l’UE comme un « super-État ».
La nature antisoviétique de la CEE était, à juste titre, au cœur de notre opposition de principe à ce conglomérat impérialiste. Une fois l’Union soviétique disparue, notre opposition à l’UE a commencé à vaciller, quoique de manière inégale. Cela s’inscrivait dans une désorientation générale causée par cette défaite historique d’importance mondiale. Certains des articles écrits au début des années 1990 maintenaient notre ligne politique de façon correcte tandis que d’autres ensevelissaient notre opposition à l’UE sous des analyses impressionnistes et des prévisions grandiloquentes.
La déclaration que nous avons publiée pour « l’Euromarche » de 1997 à Amsterdam, « Pour une Europe ouvrière ! Pour la révolution socialiste ! » (Le Bolchévik no 143, été 1997) est le dernier article formellement orthodoxe que nous avons écrit pour un bon nombre d’années, et il est souvent cité dans notre propagande récente. Nos positions fondamentales y sont réaffirmées en termes généraux, mais l’article présente déjà des faiblesses notables. L’« Euromarche » fut, pour la gauche européenne, un tournant important à partir duquel elle s’est mobilisée ouvertement pour l’UE. Mais l’article ne dénonce pas en termes tranchants ce rassemblement pro-UE, ce qui reflète un relâchement opportuniste de notre opposition à l’UE. La déclaration contient une autre grave erreur politique : elle dit qu’« avec ou sans le traité de Maastricht, l’ennemi principal des travailleurs dans chaque pays est “leur” bourgeoisie ». Cette application inappropriée du mot d’ordre avancé par Karl Liebknecht pour une guerre interimpérialiste fait disparaître le rôle dominant du capital financier étranger dans les pays dépendants. C’est nier que, pour un travailleur d’un pays opprimé, la bourgeoisie du pays impérialiste oppresseur est une ennemie. Par exemple, les ouvriers grecs sont horriblement opprimés par le capital allemand. Cette phrase de la déclaration minimise aussi notre opposition au traité de Maastricht, qui est oppressif pour les travailleurs y compris dans les centres impérialistes.
En 1999, une discussion sur la participation au pseudo « parlement » européen a marqué le début d’une offensive ouverte contre notre opposition de principe à l’UE elle-même. Dans les années qui ont suivi cette discussion, nous avons, dans notre propagande, à peine abordé l’UE, qui était pourtant devenue une question centrale pour toutes nos sections en Europe. L’introduction de l’euro, imposé de force aux pays opprimés dans l’UE, a été dévastatrice pour les ouvriers et les opprimés dans toute l’Europe, mais nous n’en avons pas parlé dans notre propagande à l’époque. Lorsque nous mentionnions l’UE, nous la traitions comme un « super-État ». Dans ces articles, nous avons jeté à la poubelle notre compréhension passée de la nature de l’UE, et notre opposition à celle-ci se limitait en général à un libéralisme antiraciste souvent dirigé vers le milieu pro-UE des forums sociaux. L’article « La guerre de l’Europe capitaliste contre les immigrés est une guerre contre tous les ouvriers » (Le Bolchévik no 160, été 2002) a été écrit dans le contexte du sommet de l’UE à Séville mais il ne dit même pas que nous sommes opposés à l’Union européenne. Cet article était totalement libéral ; une cadre européenne de longue date se souvient que le camarade Robertson le détestait, disant qu’il aurait pu être écrit par un travailleur social marxiste.
En 2004, deux membres centraux du CEI en Europe ont lancé une discussion révisionniste qui visait à répudier notre conception de l’UE de façon explicite, contrairement à l’hypocrisie centriste qui était devenue notre pratique établie. Ils argumentaient que l’Allemagne et la France avaient transcendé leurs rivalités ; ils considéraient que l’UE et l’euro étaient stables et ils présentaient l’UE comme un super-État. Cependant, cette discussion n’a pas conduit le parti à réviser officiellement notre programme. L’un des premiers réexamens de nos problèmes sur l’UE, dans le mémorandum du plénum du CEI de 2014, montre du doigt uniquement les documents de ces camarades, comme si c’était eux la source de nos déviations sur l’UE et l’euro. En fait, il y avait un accord général avec leurs arguments parce qu’ils exprimaient une impulsion de capituler à l’UE qui était très répandue dans le parti à l’époque. La discussion profondément révisionniste de 2004 n’a pas qualitativement changé notre propagande.
Dans le sillage de la crise économique mondiale de 2008, alors que les impérialistes imposaient une austérité dévastatrice aux pays européens opprimés, notre propagande présentait les impérialistes comme s’ils « venaient en aide » aux pays dépendants et elle faisait porter toute la responsabilité de l’austérité aux bourgeoisies des pays opprimés. Quand la question de prendre le côté des opprimés contre les oppresseurs a été clairement posée, notre opportunisme par rapport à l’UE est devenu du social-chauvinisme. Comme l’expliquait Lénine dans « L’opportunisme et la faillite de la IIe Internationale » (1915) : « Le social-chauvinisme est l’opportunisme achevé. C’est indiscutable. L’alliance avec la bourgeoisie était d’ordre idéologique, secrète. Elle est devenue ouverte, brutalement affirmée. »
Après un plénum du CEI en 2011, un cadre expérimenté du CEI a écrit un document rapportant que le camarade Robertson était préoccupé par le fait que « les camarades pensent que notre ligne d’opposition à l’UE est hypothétique, alors qu’en fait nous devrions utiliser nos observations du passé pour montrer que ce qui se passe aujourd’hui prouve que notre ligne est correcte ». Nous avons alors commencé à corriger notre opportunisme persistant concernant l’UE. Les batailles sur le référendum en Grèce, le Grexit et le libéralisme sur « l’ouverture des frontières », de même que la bataille sur la question nationale, ont toutes été essentielles pour notre réarmement programmatique. Ces batailles ont été codifiées dans le document de conférence de 2017. Depuis 2017, notre compréhension politique s’est améliorée grâce à de nombreuses batailles sur l’UE, qui se poursuivent encore.
L’UE : instrument de pillage impérialiste
Une des raisons essentielles pour lesquelles nous nous opposons à l’UE, c’est que nous sommes contre l’oppression nationale des pays européens dépendants par les impérialistes. Mais, pendant des années, nous avons fait comme si l’UE était une union entre égaux. À l’origine, nous soulignions que l’UE était un instrument de domination pour l’impérialisme allemand, et français dans une moindre mesure, mais cela a disparu de notre propagande au début des années 2000. Comme le disait une camarade du CEI en Europe dans un document écrit avant le plénum : « Nos articles sont mauvais ou faibles parce que nous pensions que l’UE est pacifique et progressiste et nous n’avons pas réalisé dès le début que l’Allemagne, et dans une moindre mesure la France, piétinent la souveraineté nationale des pays capitalistes plus petits. » Il est significatif à cet égard que l’Accord pour un travail commun entre la LCI et le Groupe trotskyste de Grèce, conclu en 2004, ainsi que l’article de 2007 annonçant la refondation du Groupe spartaciste de Pologne, ne mentionnent même pas l’UE.
Un cadre de longue date argumentait aussi à tort en 1999, même s’il défendait partiellement notre position sur l’UE, que « l’Italie n’est pas, vis-à-vis de l’Allemagne, ce qu’est le Mexique vis-à-vis des États-Unis. L’Union européenne n’est pas l’équivalent européen de l’ALENA. Il s’agit ici de rapports entre des pays capitalistes impérialistes forts et d’autres plus faibles ». L’Italie mise à part, l’idée que des pays comme l’Irlande, le Portugal ou la Grèce seraient « impérialistes » défie la réalité. Ce ne sont pas des semi-colonies mais des pays dépendants. Comme l’expliquait Lénine dans L’impérialisme :
« Il faut noter que le capital financier et la politique internationale qui lui est conforme, et qui se réduit à la lutte des grandes puissances pour le partage économique et politique du monde, créent pour les États diverses formes transitoires de dépendance. Cette époque n’est pas seulement caractérisée par les deux groupes principaux de pays : possesseurs de colonies et pays coloniaux, mais encore par des formes variées de pays dépendants qui, nominalement, jouissent de l’indépendance politique, mais qui, en réalité, sont pris dans les filets d’une dépendance financière et diplomatique. »
En fait, tout comme l’ALENA/ACEUM, l’UE est un accord pour piller les pays opprimés.
Au début des années 2000, nous avons abordé dans un certain nombre d’articles, en particulier dans Workers Hammer, l’élargissement de l’UE à l’Europe de l’Est et la possibilité de son extension à la Turquie sans nous y opposer, et certains articles se montrent favorables à l’élargissement de l’UE. Néanmoins, au plénum du CEI en 2004, nous avions réaffirmé que « nous nous opposons à l’Union européenne et donc à son élargissement en Europe de l’Est. Cela vaut aussi pour la Turquie ». Ainsi, juste après ce plénum, nous nous sommes opposés à l’élargissement de l’UE à l’Europe de l’Est dans un article du Bolchévik (no 171, mars 2005), « Non à l’Union européenne capitaliste et sa “Constitution” ! », reproduit dans Workers Vanguard (no 848, 13 mai 2005). Dans le cas de Workers Hammer, ce n’est pas avant l’été 2006 que nous avons rétrospectivement affirmé que nous nous étions opposés à l’élargissement de l’UE à l’Est (« Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés ! », Workers Hammer no 195, été 2006).
Dans nos articles de 2010-2011 sur la crise économique en Grèce, nous avons fait porter toute la responsabilité de l’austérité aux gouvernements grecs, tout en présentant l’UE et le FMI sous des couleurs progressistes. L’article « Grèce : À bas le “programme de stabilité” du gouvernement PASOK » (Workers Vanguard no 959, 21 mai 2010) est un exemple de ce chauvinisme de grande puissance : nous y disons que « la contribution de l’UE et du FMI au plan de sauvetage comprend l’engagement de débloquer une somme sans précédent – près de 1 000 milliards de dollars – pour accorder des prêts à la Grèce, et potentiellement aussi à d’autres pays de l’UE fortement endettés comme le Portugal et l’Espagne, afin de les aider à couvrir leur déficit budgétaire et à refinancer leur dette » (italiques ajoutés).
Comme l’expliquait une camarade du CEI dans un document de mai 2019, l’article « Grèce : Colère des masses contre une austérité barbare » (Le Bolchévik no 197, septembre 2011) accuse de façon grotesque les travailleurs grecs de nationalisme, parce qu’ils se battaient contre l’UE. Nous établissions ainsi une fausse opposition entre cela et la lutte contre la bourgeoisie grecque : « Aussi longtemps que les travailleurs grecs seront mobilisés en priorité contre les diktats étrangers du FMI ou de l’UE, ils seront incapables de voir que s’opposer aux impérialistes est indissolublement lié au renversement de la bourgeoisie grecque. »
Une camarade du CEI en Grande-Bretagne a montré, dans un document, qu’on retrouve les mêmes problèmes dans notre propagande sur l’Irlande. La brochure Permanent Revolution (2008) affirme ainsi : « Depuis bien plus d’un siècle, l’Irlande est intégrée à l’économie des Îles britanniques et une partie importante du prolétariat irlandais travaille dans les usines et sur les chantiers de Londres et d’autres villes. Et, ces dernières décennies, l’appartenance de l’Irlande à l’Union européenne a largement contribué à favoriser la poursuite du développement économique de ce pays. » Nulle part dans l’article n’est mentionnée l’oppression nationale de l’Irlande ; l’impérialisme britannique et l’Union européenne sont présentés, de façon scandaleuse, comme s’ils jouaient un rôle progressiste dans le développement de l’économie irlandaise. L’article « Le gouvernement de Dublin lance une attaque sauvage contre la classe ouvrière » (Le Bolchévik no 194, décembre 2010), écrit par la SL/B, fait porter sur le seul gouvernement de Dublin la responsabilité des mesures d’austérité imposées par l’UE, comme l’indique déjà le titre ; il présente l’UE comme un facteur de stabilité qui « aide » l’Irlande en renflouant les banques. Cet article se range aussi du côté des impérialistes en dénonçant le « concert d’indignation nationaliste » sur la souveraineté irlandaise lorsque la Banque centrale européenne a envoyé une équipe permanente d’« observateurs » au Département des finances de la République d’Irlande.
Tout comme l’ECU (European Currency Unit), l’euro est un « deutsche Mark maquillé ». C’est seulement après la crise financière mondiale que nous avons écrit quelque chose de sérieux sur l’euro, et nous ne nous sommes pas davantage opposés aux conséquences dévastatrices de sa mise en place. Les premiers articles qui abordent cette question, écrits alors que l’économie grecque se faisait broyer par l’Allemagne, ne caractérisaient pas l’euro comme l’instrument financier de l’impérialisme allemand, ni ne dénonçaient sa nature oppressive. On pouvait par exemple lire ceci dans « La crise financière ébranle l’UE impérialiste », un article écrit par le SpAD (reproduit en partie dans Le Bolchévik no 193, septembre 2010) :
« L’attitude de la bourgeoisie allemande envers l’introduction de l’euro balançait entre hésitation et hostilité, parce qu’elle voyait le danger d’abandonner des éléments de souveraineté pour obtenir une monnaie qui aurait tendance à se déprécier. »
Tout en présentant grotesquement les impérialistes allemands comme des victimes, l’article n’a rien à dire sur comment la Grèce est opprimée grâce à l’euro !
Pour les États-Unis socialistes d’Europe, unis de leur plein gré !
Pendant les années 2000, nous appelions dans notre propagande à des États-Unis socialistes d’Europe sans expliquer clairement que l’opposition à l’UE est une condition préalable à cette perspective. Nous écrivions par exemple dans l’article « La France secouée par des manifestations de masse » (Workers Vanguard no 867, 31 mars 2006) : « Contre les appels des réformistes à une “Europe sociale” capitaliste, nous appelons à des révolutions prolétariennes pour instaurer des États-Unis socialistes d’Europe ». Nous ne disons nulle part dans cet article que nous sommes contre l’Union européenne. Ce n’est pas très différent de la manière dont les réformistes utilisent ce mot d’ordre pour exprimer leur conception que l’UE serait un pas vers le « socialisme ».
Contrairement à cela, nos articles des années 1970 polémiquaient contre nos opposants sur ce point précis. Nous disions ainsi dans notre déclaration « À bas le Marché commun de l’Europe de l’OTAN ! » (Le Bolchévik no 12, mai-juin 1979) :
« Le principal mot d’ordre du SU dans ces élections est “Pour des États-Unis socialistes d’Europe !”. Soulever ce mot d’ordre tout en se présentant au “Parlement” de Strasbourg implique que le Marché commun est d’une quelconque façon historiquement progressiste, autrement dit qu’il fournit une base objective pour l’unification socialiste de l’Europe. Mais le Marché commun n’est pas une étape progressiste vers l’unification socialiste de l’Europe, pas plus que ne le fut la conquête de la plus grande partie de l’Europe en 1939-44 par l’Allemagne nazie. La plateforme électorale du SU ne dit nulle part clairement que la CEE ne peut pas être transformée en Europe socialiste, mais doit être détruite. »
Quand nous appelons à des États-Unis socialistes d’Europe, nous devons dire explicitement que ceux-ci ne pourront être instaurés que par une série de révolutions prolétariennes dans les différents pays d’Europe et nous devons affirmer clairement notre opposition à l’UE.
À la suite d’une discussion dans la Lega trotskista d’Italia en 2017, il a été proposé de modifier notre mot d’ordre pour des États-Unis socialistes d’Europe en ajoutant « unis de leur plein gré ». C’est un ajout important, parce que cela prend en compte le fait que l’Europe inclut à la fois des nations oppressives et des nations opprimées, dont certaines luttent pour leur indépendance. Cela souligne le fait que la question nationale ne disparaîtra pas immédiatement après la révolution, et que les nations historiquement opprimées ne seront pas contraintes de s’unir avec leurs anciens oppresseurs.
Contre l’idée kautskyste d’un « super-État » !
Un problème qui affecte toute notre propagande, c’est que nous traitons l’UE comme un « super-État ». L’UE n’est pas un État. Elle ne promulgue pas de lois et n’a pas ses propres détachements d’hommes armés. C’est une alliance de pays capitalistes dont les bourgeoisies ont toutes des intérêts distincts et opposés. Beaucoup de nos articles ont utilisé des formulations erronées qui laissent entendre le contraire : « capitalistes de l’UE », « Europe capitaliste », « unités militaires européennes », « les dirigeants de l’Union européenne », « mesures d’État-policier supranationales », « citoyens de l’UE », etc. Nous ne devons pas utiliser ce genre de formulations.
L’article sur l’Euromarche de 1997, « Pour une Europe ouvrière ! Pour la révolution socialiste ! », a souvent été cité dans notre propagande et utilisé comme référence sur la question du « super-État » et de l’euro. Il expliquait ceci :
« Le contrôle de la quantité de monnaie à l’intérieur de ses frontières est une prérogative économique fondamentale d’un État bourgeois, prérogative qui est étroitement liée à d’autres instruments de politique économique. Un système monétaire stable basé sur l’“euro” nécessiterait des restrictions sévères et permanentes des impôts et des dépenses gouvernementales dans tous les États membres de l’Union européenne. C’est précisément ce qu’exigent aujourd’hui Kohl et la Bundesbank. Mais comme le capitalisme est organisé sur la base d’États nationaux distincts, ce qui constitue en soi la cause des guerres impérialistes à répétition pour rediviser le monde, il est impossible de mettre en place un État bourgeois pan-européen stable. Un “super-État” impérialiste européen ne peut être réalisé que par les méthodes d’Adolf Hitler, et non par celles de Jacques Delors, l’architecte social-démocrate français de Maastricht. Si le projet de monnaie commune européenne de Maastricht devait voir le jour, ce serait seulement une péripétie brève et conflictuelle. »
Cette déclaration souligne à juste titre l’instabilité inhérente de l’euro, et elle fait le lien entre souveraineté monétaire et souveraineté nationale, mais elle comporte aussi un certain nombre de faiblesses. La plus importante, c’est qu’en affirmant qu’il est impossible d’avoir « un État bourgeois paneuropéen stable », l’article laisse faussement entendre qu’il pourrait y avoir un État bourgeois paneuropéen instable, et que cela pourrait être le cas de l’UE.
Autre faiblesse de cet article : nous déclarons qu’« un “super-État” impérialiste européen ne peut être réalisé que par les méthodes d’Adolf Hitler ». Bien qu’évocatrice, cette affirmation est imprécise. Hitler avait imposé occupation militaire et régimes fantoches, mais pas un « super-État ».
« Forteresse Europe » : un concept libéral
Nous ne devons pas utiliser l’expression « forteresse Europe ». Ce terme purement libéral, qui a fait son apparition dans nos articles dans les années 1990, est simplement un appel à l’ouverture des frontières. Comme l’expliquait une camarade, cela revient aussi à accepter l’idée fausse que l’UE serait un « super-État » avec une frontière extérieure commune, une politique migratoire commune et la « libre circulation » à l’intérieur du bloc.
Nous ne devons pas présenter la répression contre les immigrés comme une seule politique commune, partagée par tous les pays de l’UE. Notre point de départ doit être de nous opposer aux mesures répressives particulières prises par des pays particuliers. Cela ne signifie pas pour autant nier que des États capitalistes mènent effectivement une répression coordonnée, y compris par l’intermédiaire de l’UE.
Notre adoption du mot d’ordre « À bas la forteresse Europe raciste » allait de pair avec des revendications libérales appelant en fait à l’ouverture des frontières. Jusqu’à la bataille de 2015 sur cette question, nous utilisions souvent des formulations comme « pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés et les demandeurs d’asile » (souligné par nous). Cela implique que la classe ouvrière devrait lutter pour les pleins droits de citoyenneté pour quiconque, dans le monde, voudrait entrer dans un pays donné : c’est le libéralisme de l’« ouverture des frontières ».
La prétendue « liberté de circulation » des personnes dans l’UE est un mensonge. Une ribambelle de restrictions détermine qui peut vivre et travailler dans quel pays. Les États fixent, y compris par des traités, qui peut passer leur frontière mais cela ne signifie pas que les frontières « disparaissent », ce qui ne peut se produire qu’avec le dépérissement de l’État. Comme l’expliquait Lénine :
« Nous affirmons la nécessité de l’État ; et l’État suppose des frontières. L’État peut, il est vrai, contenir un gouvernement bourgeois, alors qu’il nous faut les Soviets. Mais la question des frontières se pose aussi pour ces derniers. Que veut dire : “À bas les frontières” ? Ici commence l’anarchie […]. Le mot d’ordre “À bas les frontières” sera juste quand la révolution socialiste deviendra une réalité, au lieu d’être une méthode ».
– « Discours sur la question nationale » (avril 1917)
Contrairement à la conception libérale de l’« ouverture des frontières », notre ligne se résume toujours dans le mot d’ordre « pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés » qui sont parvenus à entrer dans le pays en question. Nous sommes contre les expulsions et nous luttons pour une direction lutte de classe dans les syndicats, contre la politique anti-immigrés de diviser pour régner que pratiquent les patrons. Il faudra des révolutions socialistes au niveau international pour mettre fin à la dévastation impérialiste qui pousse les émigrants à quitter leur pays.
Faire des ajustements aux traités de l’UE
Une réunion du SI en 2018 a adopté la position que « nous sommes contre la Directive sur les travailleurs détachés (DTD), l’un des nombreux mécanismes de l’Union européenne pour attaquer les syndicats et réduire les salaires et les prestations sociales de tous les travailleurs ». Même si cette motion déclarait que notre opposition à la DTD « fait partie intégrante de notre opposition à l’UE elle-même », elle avalisait en réalité une méthode déviante consistant à s’opposer à certains règlements particuliers de l’UE, méthode que par le passé nous avions à juste titre rejetée.
En 2015, le SI s’était opposé à juste titre aux camarades qui voulaient s’opposer spécifiquement à l’accord Dublin III, parmi tous les autres traités de l’UE. Cet accord stipule que le pays de l’UE où les réfugiés entrent en premier doit être celui qui examine leur demande d’asile. Mais notre position erronée sur la Directive sur les travailleurs détachés a de nouveau encouragé ceux qui avaient une inclination libérale à cibler spécifiquement l’accord de Dublin, ce qui a conduit le SI à rouvrir la discussion.
Dans une lettre au SI du 18 août 2018, une camarade de longue date expliquait comment le camarade Robertson l’avait convaincue que
« S’opposer à Dublin III, ou de même à n’importe quel autre règlement de l’UE, c’est accepter que l’UE est une sorte de “super-État” et non un conglomérat instable d’États-nations impérialistes et de pays dépendants plus faibles. Comme il l’a fait remarquer, quels que soient les mécanismes particuliers de l’UE pour réglementer les flux de personnes et de main-d’œuvre, les bourgeoisies des pays de l’UE font bel et bien respecter leur propre loi (même si, dans le cas des pays plus faibles, cette faculté est grandement diminuée par la puissance dominante de l’impérialisme allemand, au point que la Grèce a été virtuellement réduite à l’état de néocolonie, un fait qui, à son tour, est largement dû à la servitude du gouvernement Syriza). De plus, s’opposer sélectivement à des règlements particuliers de l’UE, c’est accepter l’idée que l’UE peut être réformée, autrement dit cela relève du mythe de “l’Europe sociale”. Soyons clairs : ces arguments ne s’appliquent pas seulement à la question de Dublin III, mais aussi à la Directive sur les travailleurs détachés à laquelle nous avons récemment décidé de nous opposer. »
Sur la base de cette intervention, le SI a par la suite adopté une motion pour corriger ces problèmes.
Aucune participation au pseudo « parlement » européen !
Parmi nos récentes batailles pour réaffirmer notre opposition à l’UE, il était nécessaire de nous réapproprier la ligne qu’il est contraire à nos principes de se présenter aux élections au « parlement » européen ou d’accorder un soutien critique à nos opposants qui s’y présentent. Comme le dit une motion du SI de 2019 :
« Le “parlement” européen est utilisé par les impérialistes dans l’UE pour faire passer leur consortium pour une union des peuples “libre” et “démocratique” transcendant l’État-nation. Le parlement européen n’est qu’un forum diplomatique pour se chamailler sur des traités, essentiellement au profit du Quatrième Reich, au détriment des pays européens plus faibles et de la classe ouvrière de toute l’Europe. La participation de la gauche aux élections européennes légitime nécessairement cette comédie. Siéger au parlement européen, c’est être un représentant diplomatique d’un État capitaliste, ce qui est une trahison des intérêts du prolétariat. »
En fait, l’article de 1979 « À bas le Marché commun de l’Europe de l’OTAN ! » avait la position correcte qu’il fallait s’opposer au « parlement » européen. Mais l’appel à boycotter les élections exprimait de façon erronée cette position. Le boycott est une tactique électorale qui contredit l’opposition, correcte et conforme aux principes, au parlement européen. En effet, elle implique que nous pourrions participer à ces élections dans d’autres circonstances. Cependant, l’article établissait la conception clé que se présenter au « parlement » de la CEE d’alors, c’était chercher à être représenté dans une alliance impérialiste réactionnaire. Il affirmait nettement que des marxistes révolutionnaires « ne participerai[en]t pas à cette farce euro-impérialiste ».
En 1999, il y a eu une discussion internationale où a été critiqué notre article de 1979 s’opposant à la participation au « parlement » de la CEE. La motion du SI adoptée à l’époque ne répudie pas explicitement notre opposition de principe à la participation au « parlement » européen, mais tout l’axe de la discussion consistait à ouvrir la voie à la participation en présentant cela comme une question tactique. Après cette discussion, nous avons cessé de critiquer nos opposants pour le simple fait qu’ils participent aux élections européennes. À la place, nous avons polémiqué sur le contenu de leur plateforme électorale. La plupart de nos polémiques sur les élections européennes visent des groupes britanniques prétendant être contre l’UE : le SLP (Parti travailliste socialiste) d’Arthur Scargill et No2EU. Nous critiquons à juste titre ces groupes pour leur nationalisme, mais nous minimisons la manière dont l’UE est utilisée contre les ouvriers britanniques, ainsi que notre propre opposition à l’UE. Dans l’article « Aucun vote pour No2EU » (Workers Hammer no 207, été 2009), nous argumentons contre le vote pour No2EU aux élections européennes. Mais tout l’article repose sur l’idée que nous pourrions éventuellement voter dans des élections européennes.
Dans le contexte des élections européennes de 2019, nous avons dû clarifier notre position. La Secrétaire du SI a argumenté que nous devions défendre la position de notre article de 1979 et ne pas participer ni donner de soutien critique à nos opposants se présentant aux élections de l’UE. Il y a eu beaucoup de divergences sur cette question dans le CEI. Un membre du CEI les a exprimées le plus fortement dans deux documents argumentant que la participation aux élections de l’UE est une question tactique, et traitant le « parlement » européen comme un vrai parlement.
Le projet de déclaration sur le « parlement » européen qui a été envoyé au CEI pour approbation montrait la persistance du conciliationisme sur cette question. Le projet n’exprimait pas la politique exposée dans la motion initiale du SI et il présentait notre opposition à participer au « parlement » européen comme s’il s’agissait des pouvoirs qu’a ou non cette instance, et non pas de sa nature même. Participer au « parlement » européen signifie participer à l’alliance réactionnaire qu’est l’UE. S’opposer à y participer parce que le « parlement » est « impuissant » ou qu’il n’a « aucun pouvoir » donne à entendre que s’il avait du pouvoir, nous pourrions y participer ! Cette méthodologie ressemble à celle de l’appel de Workers Power en 1997 :
« Dissoudre le parlement européen, qui n’a aucun pouvoir, et convoquer une assemblée constituante de toute l’Europe (organisée et défendue par les organisations ouvrières) pour déchirer le traité de Maastricht et pour élaborer un nouveau plan ouvrier de convergence économique et politique, destiné à satisfaire les besoins des travailleurs, non ceux de la classe dirigeante. »
– Workers Power, janvier 1997 (cité dans Le Bolchévik no 143, été 1997)
De plus, le projet de déclaration ne disait pas clairement que participer au soi-disant « parlement » européen signifie en soi faire office de représentant diplomatique d’un État capitaliste. Et il n’argumentait pas non plus contre les opposants pour le fait même qu’ils faisaient campagne pour siéger à cette instance.