Traduit de Spartacist Canada n°145, été 2005.

 

Le NPD appuie les gangsters du Parti libéral

Corruption, capitalisme et « unité canadienne »

Pour l’indépendance du Québec !

Le spectacle d’ex-pontes fédéraux et agents publicitaires du Parti libéral qui craquent et se mettent à tout déballer lors des audiences quotidiennes de la commission Gomery a connu un succès immédiat à la télévision québécoise. Après avoir été intimidés au point de voter non à deux référendums sur la souveraineté, les Québécois ne savent pas s’ils doivent s’étrangler de rage ou de rire en voyant comment l’argent du gouvernement est utilisé pour acheter leur patriotisme avec des annonces publicitaires, des t-shirts et des balles de golf « pro-Canada ». Les histoires de conciliabules de personnages interlopes dans des restaurants italiens et d’enveloppes pleines de billets de banque, avec en prime un attentat à la voiture piégée non élucidé, sont l’expression de la corruption et du patronage inhérents à la « démocratie » capitaliste. Mais en fin de compte, le scandale des commandites montre jusqu’où les dirigeants de ce pays sont prêts à aller pour empêcher l’indépendance du Québec.

Le 19 mai, le Parti libéral minoritaire a réussi à faire passer une motion de confiance avec une voix de majorité, ce qui a temporairement restabilisé le gouvernement libéral de Paul Martin. Le soutien des 19 députés du NPD a été crucial pour cela, et a permis au gang antiouvrier du Parti libéral d’arriver à convaincre les vrais détenteurs du pouvoir de l’argent – les capitalistes de Bay Street à Toronto et la myriade d’affairistes qui gravitent autour de la Power Corporation à Montréal – de les laisser essayer une fois encore de surmonter une crise de l’« unité nationale ». Le pouvoir de l’argent a accepté, et la députée conservatrice Belinda Stronach, héritière du géant de l’équipement automobile et champion de la répression antisyndicale Magna, a fait défection à la veille du vote de la motion de confiance pour donner aux libéraux la voix décisive.

Le rôle du NPD, qui permet au régime libéral chancelant de se maintenir, en dit long sur ce parti social-démocrate procapitaliste servile. Il montre aussi clairement le rôle de la bureaucratie syndicale, qui enchaîne la classe ouvrière aux capitalistes et à leur État. C’est Ken Georgetti, le président du Congrès du travail du Canada, et Buzz Hargrove, celui du syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile, qui d’après la presse ont exigé que le NPD signe le pacte avec les libéraux en menaçant de ne pas lui accorder le soutien officiel du mouvement syndical aux prochaines élections. Le NPD est un habitué de longue date des « coalitions de couloir » avec les libéraux en échange de « réformes » largement fantomatiques. La dernière mouture est spécialement grotesque, même pour le NPD ; son chef, Jack Layton, s’est vautré dans la démagogie anti-québécoise la plus grossière en critiquant les conservateurs pour s’être « mis au lit » avec les « séparatistes » du Bloc Québécois (Toronto Star, 29 avril). Le NPD s’est toujours opposé de façon chauvine aux droits nationaux du Québec, mais il a rarement exprimé cette position aussi crûment.

Même avec le répit temporaire du vote du budget, Martin et les libéraux continuent à traîner la casserole des commandites, et les fédéralistes sont en très mauvaise posture aux Québec. 54% des gens sont favorables à la souveraineté. On prédit qu’aux prochaines élections les libéraux vont se faire ravir les quelques sièges francophones qui leur restent par Gilles Duceppe et le Bloc (les conservateurs purs et durs et les anglo-chauvins du NPD sont facteur négligeable). De son côté, le régime provincial libéral de Jean Charest vacille de crise en crise. La plus récente a vu une grève de près de 200 000 étudiants – la plus importante de l’histoire du Québec – réussir à tenir tête au gouvernement et à stopper beaucoup des coupes claires qu’il voulait effectuer dans le budget de l’éducation. Même les amis de Charest au Conseil du patronat s’interrogent sur sa capacité à gouverner. Actuellement au Québec, aucun fédéraliste ne pourrait être élu ramasseur de chiens.

Le programme des commandites faisait partie du « plan B » de l’ex-premier ministre Jean Chrétien contre le droit à l’autodétermination du Québec. Il y a trois ans, confronté à l’accumulation de preuves de corruption et de pots de vin, Chrétien avait répliqué : « Peut-être y a-t-il eu quelques millions de dollars qui ont pu être volés en cours de route, mais combien de millions et de millions de dollars avons-nous sauvés parce que nous avons rétabli la stabilité du Canada en le préservant comme un pays uni ? » « Mission accomplie », proclamait-il quand, un an plus tard, il se retirait du pouvoir, ajoutant : « Nous pouvons être fiers que ce pays est maintenant plus uni que jamais ».

Moins de deux ans plus tard, tout l’édifice branlant s’est écroulé. Un éditorial de Richard Gwyn dans le Toronto Star (29 avril) résume bien la situation :

« Même s’il est pénible de devoir le citer comme une autorité en la matière, Alphonso Gagliano, l’ancien ministre du cabinet libéral tombé en disgrâce, a probablement raison quand il dit que la séparation du Québec est maintenant ‘inévitable’ […].

« Les élections de 2007 au Québec seront très probablement remportées par les séparatistes du Parti québécois, avec à leur tête ce même plaisant Duceppe à la place de l’actuel dirigeant du PQ, le déplaisant Bernard Landry.

« Après quoi un référendum s’ensuivra comme la nuit succède au jour.

« À un degré considérable, nous nous sommes déjà divisés. Toutes les entreprises qui pourraient quitter un Québec séparé l’ont déjà fait.

« Les Anglo-québécois soit sont partis, soit ont accepté d’être une minorité au sein d’une autre nation [ …].

« Le Québec est déjà séparé, sauf que nous n’arrivons pas à l’admettre. »

Le Québec est une nation, avec sa langue et sa culture propres, et une économie politique de plus en plus distincte. Le maintien d’un « Canada uni » artificiel, où une nation domine et opprime l’autre, envenime les animosités et les tensions nationales, y compris dans la classe ouvrière. Au Canada anglais, le patriotisme « pro-Canada » colporté par le NPD et les pontes syndicaux enchaîne les travailleurs aux intérêts de leurs propres exploiteurs. Tandis qu’au Québec, les dirigeants syndicaux traîtres poussent les travailleurs à soutenir leurs capitalistes nationaux, via les formations nationalistes bourgeoises que sont le Bloc et le PQ. La Trotskyist League/Ligue trotskyste préconise l’indépendance du Québec, afin de supprimer cette source de division entre travailleurs, et de faire passer au premier plan la nécessité pour eux de lutter contre les exploiteurs capitalistes de chaque nation, et non les uns contre les autres.

Le chauvinisme anti-québécois, poison pour les travailleurs

La classe capitaliste canadienne, d’origine britannique, a construit son pouvoir et ses immenses richesses sur l’exploitation de travailleurs de nombreuses nationalités et races. Elle est aussi passée maître au jeu de « diviser pour régner », en manipulant adroitement les divisions religieuses, ethniques et nationales à l’intérieur de la classe ouvrière – protestants contre catholiques, Anglais contre Français, Canadiens d’origine contre immigrés, Blancs contre Asiatiques et Noirs.

Mais rien dans ce pays n’empoisonne davantage l’unité de combat des travailleurs que les crises sans fin de l’« unité nationale ». Au Canada anglais, celles-ci s’accompagnent invariablement d’invectives contre le Québec ou « les Français » dans les médias « populaires » de droite – les tabloïdes, les stations de rock, etc. où les travailleurs trouvent leurs informations. Ce même fatras sur le thème « sauver le Canada », plus habilement emballé, est diffusé par les dirigeants du NPD, le soi-disant bras politique du mouvement syndical. Dès lors, il n’est pas surprenant que tant de travailleurs québécois adhérent au dogme nationaliste comme quoi le Canada anglais serait une masse de lourdeaux rétrogrades et ignorants, tous hostiles à leur égard.

L’opposition à l’oppression nationale alimente depuis des décennies les luttes de classe et les luttes sociales au Québec, particulièrement depuis qu’il y a quarante ans le Québec a secoué les chaînes de l’Église catholique et a émergé comme une société moderne avec la « révolution tranquille » des années 1960 et du début des années 70. Ce fut une période de protestations sociales et de luttes ouvrières tumultueuses, avec comme point culminant la grève générale de mai 1972, quand des syndicalistes avaient occupé des stations de radio, des usines et même des villes entières. Loin de leur offrir fût-ce une « solidarité » symbolique, le dirigeant du NPD, David Lewis, avait soutenu l’emprisonnement des dirigeants syndicaux québécois, tandis que le Congrès du travail du Canada profitait de l’occasion pour condamner les droits nationaux du Québec comme « égoïstes ». Confrontés à cette hostilité, les travailleurs québécois se sont de plus en plus tournés vers le nationalisme et le Parti québécois.

Depuis cette époque, la classe dirigeante canadienne est obsédée par comment « stopper le séparatisme ». Depuis 1968, tous les premiers ministres de quelque importance ont été des fédéralistes originaires du Québec, chacun d’eux promettant de « résoudre » la question du Québec – et chacun d’eux a échoué.

La classe dirigeante a d’abord essayé d’enrayer la montée du mécontentement social et national au Québec avec Pierre Trudeau, couronné premier ministre en 1968. Aujourd’hui, au Canada anglais, et particulièrement dans l’Ontario urbanisé, toute une génération de jeunes a grandi en croyant que Trudeau était un réformateur libéral qui a fait du Canada un pays plus juste et plus tolérant. Derrière cette légende, la réalité est très différente. Malgré ses proclamations de « bilinguisme » et de « multiculturalisme », Trudeau est arrivé au pouvoir pour remettre le Québec « à sa place ». En 1970, il a envoyé l’armée à Montréal pour arrêter des centaines de nationalistes de gauche pendant la « crise d’octobre », et pendant les années qui ont suivi il a établi des plans pour une occupation militaire de longue durée, l’« Exercise Neat Pitch » (pour plus de détails, voir « Indépendance pour le Québec ! », le Bolchévik n° 166, décembre 2003). Trudeau et les libéraux ont menacé de ne pas tenir compte d’un éventuel vote populaire en faveur de la souveraineté du Québec ; ils ont intimidé, triché et menti pour s’assurer que les Québécois voteraient non au référendum de 1980.

À la fin des années 1980 et au début des années 1990, la ferveur nationaliste et indépendantiste s’est ranimée au Québec. C’était dans une large mesure une réaction au chauvinisme anglo-canadien, qui s’était déchaîné après la tentative du premier ministre conservateur Brian Mulroney d’amadouer les nationalistes québécois avec un amendement constitutionnel reconnaissant le Québec comme une « société distincte » (l’accord du Lac Meech). Tandis qu’en Ontario la racaille chauvine piétinait le drapeau québécois, et que les bouseux de l’Ouest dénonçaient les « privilèges » accordés aux Français, des dizaines de milliers de Québécois descendaient dans la rue pour réclamer la souveraineté. Le Parti progressiste-conservateur de Mulroney explosa, produisant à la fois, à l’ouest, les excités réactionnaires du Parti réformiste, qui formeront ensuite le noyau du Parti conservateur nouvelle mouture d’aujourd’hui, et les nationalistes du Bloc québécois.

Le monde des affaires canadien fut contraint de se rabattre sur les libéraux en embauchant Jean Chrétien – une sorte de version arriérée de Trudeau – comme dernier espoir de « sauver le Canada ». Comme son mentor, Chrétien a été propulsé au sommet de l’État par une détestation quasi-psychotique des « séparatistes », incluant une opposition inflexible à tout statut spécial pour le Québec. C’est de cette façon qu’il avait initialement pris les rênes du Parti libéral, en dénonçant sont principal adversaire, Paul Martin, pour son soutien au miroir aux alouettes de la « société distincte ».

Pendant la décennie où Chrétien a été au pouvoir, les entreprises canadiennes ont fait d’énormes profits, tandis que les ouvriers et les opprimés encaissaient coup sur coup. Le ministre des finances Martin procédait à des coupes claires dans les programmes sociaux, y compris en dérobant des milliards du compte d’assurance-emploi pour « combattre le déficit » (autrement dit rembourser ses petits copains banquiers). Les immigrés, en particulier arabes et musulmans, ont subi des attaques féroces contre leurs droits. Les protestations sociales, sous le règne de Chrétien et souvent contre lui, se heurtaient à la répression policière, ordinairement suivie d’un commentaire arrogant dans un français ou un anglais affreusement estropié. Pourtant, c’est un scandale autour d’une somme relativement ridicule d’environ 300 millions de dollars de dépenses de publicité qui menace maintenant de faire mordre la poussière à des libéraux apparemment invincibles – parce que ça concerne le Québec.

La classe dirigeante de ce pays était consternée après sa quasi-défaite dans le référendum sur la souveraineté qui s’est tenu à l’initiative du PQ en 1995. Après s’être initialement convaincus avec arrogance que les Québécois ne voteraient jamais oui, Chrétien et sa bande avaient paniqué face aux indications d’une tendance contraire. Comme Trudeau l’avait fait avant eux, ils envoyèrent l’armée procéder à de mystérieuses « manœuvres » sur les autoroutes québécoises, et préparèrent en secret une intervention militaire en cas de victoire du oui. La presque totalité de la flotte de chasseurs CF-18 fut retirée de ses bases au Québec à la veille du vote.

Suivis par les conservateurs et le NPD, les libéraux eurent recours à tous les mauvais coups possibles pour arracher un vote pour le non. L’exemple le plus tristement représentatif fut la mascarade du « love-in » organisé juste avant le référendum, quand des dizaines de milliers de Canadiens anglais sont « spontanément » descendus sur Montréal sous le prétexte écoeurant d’un épanchement d’affection, sur le thème « mon Canada inclut le Québec ». Les ressources pour cet événement de masse, destiné à intimider les Québécois pour les forcer à voter non, avaient été fournies par certaines des plus grandes entreprises canadiennes, qui offrirent des jours de congé, des billets d’avion et de train, des appels téléphoniques à longue distance et une foule d’autres largesses. Tout ceci était bien sûr complètement illégal au regard des lois qui encadraient la campagne pour le référendum au Québec. Dans son témoignage devant la commission d’enquête Gomery, l’ancien organisateur du Parti libéral au Québec Benoît Corbeil reconnaîtra plus tard que sans ses fonds « secrets » malpropres, les fédéralistes auraient perdu le référendum.

Ces tactiques ont à leur tour inspiré le célèbre « plan B » des libéraux, suite à la défaite évitée de justesse au référendum. La « loi sur la clarté » adoptée en 1999 (avec comme de bien entendu le soutien du NPD) a codifié le déni du droit démocratique du Québec à l’autodétermination, en exigeant que pour accéder à l’indépendance la nation minoritaire opprimée devra obtenir l’approbation quasi-inconcevable de l’oppresseur. Les magouilles autour de la campagne des commandites faisaient partie de tout ce schéma.

Pour mesurer à quel point la question nationale québécoise domine la politique bourgeoise canadienne, il suffit de considérer la position du gouvernement Chrétien vis-à-vis de la guerre contre l’Irak de 2003, sous la bannière américaine. Les Québécois étaient dans leur écrasante majorité opposés à une participation canadienne à cette agression brutale – avec des manifestations qui ont réuni dans la province jusqu’à un quart de millions de personnes en plein cœur de l’hiver, le Québec a peut-être été le théâtre des plus grosses manifestations antiguerre du monde, relativement à la population. C’est dans une large mesure parce que l’armée canadienne est perçue au Québec comme un instrument de l’oppression nationale.

Ces manifestations ont fait réfléchir la classe dirigeante canadienne, qui redoutait qu’en soutenant ouvertement les Etats-Unis elle apporterait de l’eau au moulin des nationalistes québécois, dont les frasques de la campagne des commandites de Chrétien avaient déjà aiguisé les appétits. Comme Pierre Dubuc, rédacteur en chef du journal nationaliste de gauche l’aut’journal, le faisait remarquer le 18 mai dans sa « Lettre aux progressistes du Canada anglais : non, ce n’est pas une tempête dans une tasse de café ! » :

« Les mémoires du premier ministre Chrétien nous apprendront sans doute un jour qu’elles ont joué un rôle crucial dans sa décision de ne pas participer à la guerre. M. Chrétien craignait que le gouvernement de Bernard Landry profite de l’occasion pour mettre à l’ordre du jour la question de l’indépendance du Québec. MM. Chrétien et Landry ne pouvaient pas ne pas se rappeler que la première résolution favorable à l’indépendance fut déposée à l’Assemblée nationale du Québec par le député J. N. Francoeur lors de la crise de la conscription en 1917. »

Le nationalisme canadien (et son substrat, le chauvinisme anti-québécois) aveugle les travailleurs du Canada anglais à la réalité : la véritable source de leur exploitation et de leur oppression quotidiennes est la soif de profits sans limites de « leur » classe capitaliste canadienne – ces mêmes gros bonnets qui financent les campagnes des libéraux pour l’« unité nationale ». C’est un crime que la classe ouvrière vibrante et multiraciale du Canada anglais soit entraînée dans ces campagnes, au lieu de diriger sa colère vers le gang de criminels capitalistes qui les volent comme dans un bois. C’est aussi un crime que le chauvinisme des dirigeants syndicaux traîtres du Canada anglais continuent à pousser les travailleurs québécois dans les bras de leurs propres ennemis de classe du Bloc et du PQ. L’indépendance du Québec supprimerait cette source fondamentale de tensions et de divisions dans les rangs de la classe ouvrière.

L’anglo-chauvinisme, le nationalisme québécois et la gauche

Notre approche marxiste de la question nationale est modelée sur celle du Parti bolchévique de V.I. Lénine et Léon Trotsky, qui en 1917 ont dirigé la seule révolution ouvrière victorieuse de l’histoire. Un ingrédient crucial de cette victoire avait été la défense inflexible par les bolchéviks des droits des nationalités opprimées dans l’empire tsariste, en même temps qu’ils cherchaient la meilleure manière d’unir les travailleurs au-delà des divisions nationales. Dans « Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes » (juillet 1916), Lénine expliquait comment, dans le cadre d’un programme révolutionnaire commun, les marxistes des nations oppressives et des nations opprimées sont confrontés à des tâches spécifiques différentes :

« L’éducation internationaliste des ouvriers des pays oppresseurs doit nécessairement consister, en tout premier lieu, à prêcher et à défendre le principe de la liberté de séparation des pays opprimés. Sinon, pas d’internationalisme. Nous avons le droit et le devoir de traiter d’impérialiste et de gredin tout social-démocrate d’une nation oppressive qui ne fait pas cette propagande […].

« Au contraire, le social-démocrate d’une petite nation doit reporter le centre de gravité de son agitation sur le premier mot de notre formule générale : ‘union librement consentie’ des nations. Il peut, sans faillir à ses obligations d’internationaliste, être à la fois pour l’indépendance politique de sa nation, et pour son intégration à un État voisin X, Y, Z, etc. Mais il doit en tout état de cause lutter contre la mentalité étriquée de petite nation, la tendance à s’isoler et à se replier sur soi-même […]. »

Aujourd’hui, au Canada anglais, les révolutionnaires prolétariens doivent combattre sans relâche l’emprise du chauvinisme sur les travailleurs. Au Québec, tout en soutenant l’indépendance et en s’opposant à toutes les manifestations d’oppression nationale, la tâche centrale des révolutionnaires doit être de combattre le nationalisme bourgeois qui domine chez les travailleurs.

Le gros de la gauche pseudo-socialiste du Canada fait exactement l’inverse : au Canada anglais, elle promeut l’« unité canadienne » et/ou les anglo-chauvins du NPD, tandis qu’au Québec elle peint le nationalisme québécois sous des couleurs « progressistes ». Le Parti communiste du Canada est l’exemple le plus clair. Alors que sa direction canadienne anglaise appuie ouvertement le statu quo d’un « Canada uni », son aile québécoise, le PCQ, est une composante clé de l’Union des forces progressistes (UFP), une formation nationaliste de gauche, et vient juste de se déclarer favorable à la souveraineté du Québec. Sans surprise, et pas pour la première fois, ces « communistes » bien mal nommés semblent sur le point de se scissionner officiellement suivant une ligne de fracture nationale. Des groupes comme Socialisme international et la Ligue pour l’action socialiste ne valent guère mieux. Au Canada anglais, ils sont simplement des appendices de gauche du NPD, tandis qu’au Québec ils travaillent à construire l’UFP.

Le kaléidoscope des groupes nationalistes de gauche au Québec – UFP, Option citoyenne, etc. – colportent tous la fable que l’indépendance, par elle-même, inaugurera une société juste et libre au Québec. Dubuc, de l’aut’journal, qui est aussi un porte-parole des SPQ-Libre (Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre), parle dans sa « Lettre aux progressistes » de « la nécessité pour le Québec de se doter de son propre projet de société, lequel n’est envisagé que dans le cadre d’un Québec indépendant ». En fait, le mythe d’un Québec indépendant socialement progressiste sous le capitalisme est aussi colporté par le PQ, dont les gouvernements attaquent régulièrement les syndicats, les immigrés et les pauvres.

L’exploitation et l’oppression sont inhérents au capitalisme, et ne peuvent être éliminées qu’en mobilisant la puissance sociale de la classe ouvrière dans une révolution socialiste. Comment en arriver là ? Les éléments les plus radicaux de la gauche québécoise, regroupés autour des anarchistes et des maoïstes, dénoncent les illusions nationalistes de l’UFP, de SPQ-Libre et consorts, mais c’est pour mieux « rejeter » carrément l’indépendance comme « facteur de division », comme si le statu quo fédéraliste ne l’était pas. Cela ne peut mener nulle part. Pour briser l’emprise du nationalisme bourgeois sur la classe ouvrière québécoise, et lui faire prendre conscience de sa tâche historique, qui est d’entraîner derrière elle les opprimés dans la lutte anticapitaliste, les révolutionnaires doivent reconnaître le poids de la question nationale et préconiser l’indépendance, afin de la retirer de l’ordre du jour politique. Ceci doit s’accompagner d’une opposition à la politique pro-PQ des pontes syndicaux québécois, qui ont trahi tant de luttes sur l’autel de la « solidarité nationale » et de la « concertation » avec les gouvernements et les patrons québécois.

Au Canada anglais, il faut mener un combat pour arracher les travailleurs à l’emprise des sociaux-démocrates du NPD qui veulent « sauver notre Canada » et colportent le mensonge que le travail et le capital ont des intérêts communs. Pour cela, il est essentiel de s’opposer avec intransigeance à l’anglo-chauvinisme de la classe dirigeante. C’est seulement en montrant en pratique qu’ils sont fidèles à leurs principes, en s’opposant à la classe dirigeante canadienne et en défendant les opprimés, que les révolutionnaires prolétariens du Canada anglais démontreront aux travailleurs québécois la nécessité de l’unité de classe contre le capitalisme.

C’est ça la démocratie capitaliste

En réaction à la commission Gomery, les commentateurs bourgeois du monde politique et des médias nous expliquent comment ils sont « choqués, choqués, choqués » par la corruption apparemment sans limites du « parti de gouvernement naturel » du Canada. Ce qui est choquant, c’est que ces bouffons ne soient pas étouffés par leur propre hypocrisie. Quiconque a jamais vu de près un homme d’affaires ou un politicien à succès connaît la règle d’or : manger ou être mangé. Dans ce contexte, les soucis « éthiques » sont l’hommage du vice à la vertu.

Utilisant le savoir-faire bien rôdé de leurs spécialistes en « marketing » et en « relations publiques », les capitalistes et leurs porte-parole politiques déblatèrent sur la « démocratie » et la « justice » pour mieux dissimuler les crimes quotidiens de leur système – l’exploitation, l’oppression des femmes et des minorités, la pauvreté, la violence, etc. Même le plus « démocratique » des États bourgeois est un appareil de répression des travailleurs et des opprimés. Ses différentes institutions – flics, juges, prisons, armée – ne sont pas des arbitres « neutres », mais les hommes de main stipendiés de la classe capitaliste. En plein milieu des révélations de la commission Gomery, le Juge en chef du Québec Michel Robert a laissé échappé le secret de Polichinelle que des « séparatistes » ne peuvent en aucun cas être nommés juges, provoquant au Québec des réactions d’indignation. Quant aux élections législatives, les liasses de billets de cent dollars qui ont aidé à graissé des pattes pour le compte des candidats libéraux au Québec sont simplement des symboles d’un système vénal, où à intervalles réguliers de quelques années les travailleurs sont amenés à « choisir » quel gang de voleurs va les opprimer et les exploiter.

Comme l’expliquait Lénine en 1918 :

« Mille barrières s’opposent à la participation des masses travailleuses au parlement bourgeois (lequel, dans une démocratie bourgeoise, ne résout jamais les questions majeures ; celles-ci sont tranchées par la Bourse, par les banques). Et les ouvriers savent et sentent, voient et saisissent à merveille que le parlement bourgeois est pour eux un organisme étranger, un instrument d’oppression des prolétaires par la bourgeoisie, l’organisme d’une classe hostile, d’une minorité d’exploiteurs. »

La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky

Le vrai scandale, c’est le capitalisme, un système corrompu et pourri du haut jusqu’en bas. De John A. Macdonald à Brian Mulroney et Jean Chrétien, de Maurice Duplessis à Mike Harris, tous les gouvernements canadiens – fédéraux et provinciaux, libéraux et conservateurs, NPD et PQ – ont défendu le pouvoir brutal du capital, habituellement avec une généreuse dose de patronage. Et ce n’est pas l’apanage du Canada. Aux États-Unis, qui se présentent comme un modèle démocratique pour le « monde libre », l’argent, les trafics d’influence et le pouvoir ont toujours été étroitement imbriqués, comme c’est magistralement décrit dans beaucoup des romans de Gore Vidal.

À chaque occasion, les dirigeants traîtres du mouvement syndical s’emploient à enchaîner les travailleurs aux intérêts de « leurs » capitalistes nationaux, contre les intérêts plus larges de l’ensemble des travailleurs. En même temps, le statut de nation opprimée piégée dans un Canada « uni » qui est celui du Québec ne fait qu’exacerber au sein de la classe ouvrière la méfiance et les divisions attisées par les capitalistes et leurs larbins syndicaux. L’indépendance du Québec ne sera pas la panacée : elle ne mettra pas un terme aux oppressions multiformes exercées chaque jour par les pouvoirs capitalistes de Washington et de Wall Street, d’Ottawa et de Bay Street, de Québec et de la rue St-Jacques. Mais elle supprimera un obstacle qui empêche les travailleurs de prendre conscience de leurs intérêts de classe propres, et facilitera de ce fait leurs luttes. La classe ouvrière de ce pays a désespérément besoin d’un parti ouvrier, afin de diriger le combat pour la révolution socialiste.