Supplément au Bolchévik nº 175

29 mars 2006

« Casseurs » : mot de code raciste pour la répression républicaine - A bas le CPE ! Libération de tous les jeunes emprisonnés !

PCF, LCR, LO font le boulot pour une nouvelle « gauche plurielle » capitaliste

29 mars - Les grèves et manifestations d'hier ont porté à un nouveau palier la mobilisation des ouvriers et des jeunes pour le retrait du CPE. Mais de Villepin ne donne aucun signe de vouloir céder. Face à la lame de fond qui monte contre le gouvernement, les bureaucrates syndicaux n'ont d'autre choix pour le moment que de continuer à mettre la pression et ils viennent d'annoncer une nouvelle journée d'action le 4 avril. Ils ont jusqu'à présent la situation en main : après une journée de grève tout le monde a repris le travail de façon disciplinée. Nous mettons en garde contre la trahison que préparent les bureaucrates syndicaux et les réformistes : leur objectif dans cette lutte c'est en réalité de gagner les élections de 2007 en formant une nouvelle alliance bourgeoise des partis ouvriers réformistes (PS, PCF et peut-être LCR) avec de petits partis bourgeois comme les chevènementistes, les Radicaux de gauche et les Verts - un nouveau front populaire comme la « Gauche plurielle » de Jospin, relooké.

Aujourd'hui la collaboration de classes avec les capitalistes passe centralement par l'acceptation de la campagne raciste du gouvernement contre les jeunes des banlieues. Le front populaire qui se prépare joue dès aujourd'hui, alors qu'il est encore dans l'opposition, un rôle répugnant dans la campagne anti-« casseurs ». En fait la campagne du gouvernement de droite contre les « casseurs » n'est qu'un remake de celle du gouvernement Jospin-Buffet à l'automne 1998 contre un mouvement lycéen. A l'époque, de même qu'aujourd'hui, nous étions parmi les seuls à prendre la défense des jeunes arrêtés par les flics. « Casseurs » est un mot de code de la terreur raciste. La campagne contre les « casseurs » mine l'unité de la classe ouvrière en renforçant les divisions raciales en son sein, et notamment entre le secteur public et le privé qui a une forte composante d'origine immigrée. Elle dresse les jeunes des banlieues contre les syndicats eux-mêmes et contre les étudiants.

En réponse à la révolte des banlieues en novembre dernier, le gouvernement capitaliste a introduit la loi raciste sur l'« égalité des chances », dont le CPE constitue un amendement. Elle vise tous les jeunes, mais particulièrement les jeunes des banlieues issus de l'immigration du Maghreb et d'Afrique noire, soumis à un chômage et une précarité encore plus considérables que les jeunes d'origine européenne. Le CPE vise à accroître les profits des patrons pour améliorer la position de l'impérialisme français dans la concurrence avec ses rivaux en Europe et au-delà. S'il est mis en œuvre, le CPE accroîtrait qualitativement la précarité des jeunes travailleurs pour les dissuader de lutter, ce qui affaiblirait encore plus les syndicats. Avec la lutte contre le CPE il en va de l'unité de la classe ouvrière, avec sa forte composante d'origine immigrée, pères et fils. La bourgeoisie cherche aussi à alimenter les ressentiments racistes contre les sans-papiers et les travailleurs d’Europe de l’Est. Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés ! La LTF se bat pour le partage du travail entre toutes les mains, sans diminution de salaire. Pour les 30 heures payées 40 ! Le système capitaliste lui-même non seulement est incapable de résoudre le chômage, c'est lui-même qui le sécrète en permanence pour renforcer l'exploitation de l'ensemble des travailleurs. Aussi toute lutte sérieuse contre le chômage pose la question de renverser l'ensemble de ce système capitaliste par une révolution ouvrière.

La répression contre les jeunes ne fait que s'accroître. Une jeune femme montée pour la manif parisienne depuis Mantes-la-Jolie expliquait : « Depuis la gare de départ, il y avait des CRS pour nous filtrer et nous encadrer pendant le voyage jusqu'à Paris » (le Figaro, 28 mars). La casse est souvent provoquée par la férocité des flics dans les banlieues et les patrouilles racistes de Vigipirate dans les transports, avant même que les jeunes arrivent sur les manifestations où ils sont refoulés par les bureaucrates, matraqués et arrêtés. A bas Vigipirate ! Les flics ont adopté une méthode consistant à arroser des jeunes au « paint-ball » afin d'identifier ceux qu'ils veulent arrêter. Il y a eu près de 800 arrestations hier (2 500 depuis le début de la lutte contre le CPE), et le ministre des flics Sarkozy a exigé que les 150 personnes placées en garde à vue écopent toutes de prison ferme. Nous exigeons la libération immédiate de tous les jeunes emprisonnés ! Le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes des banlieues ! Levée de toutes les inculpations !

L'allégeance des bureaucrates syndicaux et des organisations réformistes à l'ordre bourgeois républicain s'est une nouvelle fois exprimée avec force hier dans les manifestations, avec leurs « services d'ordre » et « chaînes humaines », organisés explicitement pour « défendre » les manifestants non pas contre la violence croissante des flics et des fascistes, mais contre les jeunes des banlieues. Libération titre aujourd'hui : « Syndicats et policiers font ordre commun », et détaille entre autres comment le SO de la CGT du Livre allait jusqu'à livrer les jeunes aux gendarmes mobiles dans la manif du 28 mars. Si les jeunes « ont la haine », c'est de se voir isolés, trahis et frappés ainsi. Les syndicats devraient intégrer les jeunes dans leurs manifestations et se faire le champion de la lutte contre l'oppression raciste dont ils sont victimes, et lutter pour des boulots et une éducation dignes de ce nom.

La source principale de la violence, ce n'est pas les « casseurs » mais l'Etat bourgeois. Cyril Ferez, militant du SUD-PTT, est toujours dans le coma après une charge de flics le 18 mars, ce qui a provoqué beaucoup de colère parmi les postiers. Les bureaucrates syndicaux n'ont trouvé rien de mieux pour honorer ce militant SUD-PTT que de placer le SUD en tête des cortèges syndicaux dans la manif parisienne du 28 mars, alors que les mêmes dirigeants syndicaux collaboraient avec la police pour faire la chasse aux jeunes des cités. Il y avait y compris des flics en civil à l'intérieur des cortèges. Le SUD a beau protester contre la répression policière qui l'a frappé directement et avoir une banderole contre la « police partout » et contre la répression, le fait demeure que le SUD syndique également des flics ! Les flics ne sont pas des « travailleurs en uniforme », mais les chiens de garde de l'ordre capitaliste ; ils l'ont encore sauvagement prouvé hier. Flics, vigiles et matons, hors des syndicats !

Les bureaucrates syndicaux et les réformistes partagent la propagande du gouvernement que les jeunes des banlieues sont leurs ennemis qui mettent en danger leur respectable mouvement social-démocrate anti-CPE. Parmi les plus explicites on trouve Lutte ouvrière, dont l'éditorial du 26 mars, signé Arlette Laguiller, proclamait :

« Il ne faut pas que les lycéens et les étudiants se laissent arrêter par le bruit fait autour des agissements de quelques centaines d'inconscients, plus soucieux de ‘faucher’ et de casser que de s'en prendre aux responsables de la misère des banlieues. »

Et LO est particulièrement active dans les manifestations pour littéralement enchaîner les cortèges contre les jeunes des banlieues.

Nous sommes intervenus notamment dans les assemblées générales d'étudiants pour chercher à briser l'union des travailleurs et des jeunes anti-CPE avec le gouvernement capitaliste contre les « casseurs ». Le 24 mars sur la fac de Rouen nos camarades ont soumis au vote une motion disant : « Les étudiants de Rouen réunis en AG le 24 mars 2006 - amphi Axelrad - appellent à la libération immédiate de tous les étudiants et jeunes des banlieues emprisonnés ainsi qu’à la levée de toutes les inculpations !!! » Cette motion a d'abord reçu un accueil favorable de la plupart des 150 étudiants présents. C'est l'« extrême gauche », agissant comme l'avant-garde militante du front populaire raciste, qui a assuré la défaite de cette déclaration élémentaire d'unité entre les étudiants et les jeunes des cités. Un représentant de la Gauche révolutionnaire (GR) a appelé les étudiants à porter notre motion devant « les autres UFR, les syndicats et la police » ! Effectivement pour ces sociaux-démocrates les flics sont tout simplement des « travailleurs en uniforme ». L'appel de la GR a donné une ouverture à la déléguée de l'UNEF qui a pris la parole pour dire que les flics étaient d'abord des êtres humains et qu'ils n'avaient fait que leur devoir face aux « casseurs » et que les flics étaient les représentants de la République. Finalement une motion évitant soigneusement de défendre les jeunes des banlieues a été adoptée en opposition à la nôtre, avec le soutien de toute l'« extrême gauche », y compris de certains anarchistes. Nos camarades ont soumis des motions similaires à celle du 24 à Rouen dans des AG sur Paris 8 (Saint-Denis) et Jussieu.

Les anarchistes peuvent sembler radicaux par rapport aux sociaux-démocrates de la LCR et de la GR qui sont les porteurs d'eau de Ségolène Royal et Marie-George Buffet, mais ils finissent par se retrouver aussi à la traîne de ces dernières parce qu'ils détestent la dictature du prolétariat plus que la dictature (« démocratique ») de la bourgeoisie. Pourtant le CPE n'est qu'un aspect d'une offensive beaucoup plus large qui se déchaîne comme conséquence de la contre-révolution capitaliste en Europe de l'Est et en Union soviétique entre 1989 et 1992. Notamment depuis la contre-révolution en URSS, les bourgeoisies de l'Union européenne se sont embarquées dans un assaut systématique contre le mouvement ouvrier afin d'augmenter leur taux de profit et mieux faire concurrence à leurs rivaux impérialistes, comme les USA.

La crise sociale en France a des réverbérations internationales croissantes car, dans toute l'Europe de l'Ouest, les gouvernements capitalistes travaillent à liquider ce qui reste de l'« Etat-providence », c'est-à-dire les acquis sociaux qui avaient été introduits notamment après la Deuxième Guerre mondiale par des bourgeoisies qui craignaient le spectre d'une révolution sociale. Hier aussi plus d'un million de travailleurs des services municipaux étaient en grève en Grande-Bretagne pour défendre leurs retraites. En Allemagne il y a des grèves tournantes depuis deux mois chez les employés des services publics, organisés dans le syndicat Ver.di, qui sont menacés de revenir à la semaine de 40 heures (contre 38,5 aujourd'hui). Le chef de Ver.di dans le Bade-Würtemberg a envoyé un message de solidarité aux travailleurs et aux jeunes de France en disant « Nos ennemis travaillent déjà ensemble. Faisons de même ! »

Les réformistes font appel à une « Europe sociale » capitaliste. Par contre nous nous opposons à l'Union européenne sur la base d'une perspective prolétarienne, internationaliste et révolutionnaire. Seule la prise du pouvoir d'Etat par la classe ouvrière et l'établissement de la dictature du prolétariat au moins dans plusieurs pays capitalistes avancés permettra la mise en place d'une économie rationnellement planifiée qui mettra la capacité productive de l'Europe au service des peuples du monde entier. C'est seulement sur cette base que nous pouvons parler d'Etats-Unis socialistes d'Europe.

Aussi longtemps que les luttes seront canalisées dans l'impasse de la collaboration de classes et des gouvernements de front populaire, les attaques des capitalistes et de leur gouvernement ne feront que s'amplifier. Les grèves de décembre 1995 ont trouvé leur débouché sur le terrain parlementaire dans le front populaire de Jospin en 1997, et les cinq ans d'austérité et de racisme qui ont suivi. Les réformistes, qui tentent la même opération aujourd'hui pour le compte d'une Ségolène Royal ou d'un Fabius, ont poussé la collaboration de classes en 2002 jusqu'à voter pour Chirac, le dirigeant de l'UMP bourgeoise. La classe ouvrière paie maintenant cette trahison avec les attaques du même Chirac et de son Premier ministre Villepin. Et pourtant les bureaucrates continuent à se tourner vers le même Chirac pour lequel, de la CGT au SUD (et du PS et du PCF à la LCR) ils avaient voté en 2002. Thibault a ainsi déclaré : « S'il y en a un qui doit être soucieux de la cohésion nationale, c'est celui qui a été élu par 82% des Français en 2002 […]. Ce qui serait attendu aujourd'hui c'est que, fort de cet appui républicain, il demande à son Premier ministre de revenir à la raison. »

Il faut rompre avec le cycle infernal des gouvernements capitalistes de droite et des gouvernements capitalistes « de gauche ». Il faut rompre avec la collaboration de classes avec la bourgeoisie. Il faut un parti léniniste d'avant-garde, se faisant le héraut de la lutte contre toutes les formes de l'oppression sous le capitalisme et appelant la classe ouvrière à défendre toutes les victimes de l'ordre capitaliste raciste. Libération immédiate de tous les jeunes emprisonnés ! A bas la répression républicaine ! Pour une révolution socialiste pour balayer tout ce système capitaliste pourri !