Spartacist, édition française, numéro 40

Automne 2011

 

Préface à la Déclaration de principes de la LCI

La Sixième Conférence internationale de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste), qui s’est tenue fin 2010, a voté d’introduire certains amendements à la « Déclaration de principes et quelques éléments de programme » de la LCI, adoptée en 1998 lors de la Troisième Conférence de la LCI. Nous présentons ces amendements sous la forme d’une préface plutôt que d’une édition révisée de la Déclaration, dans la tradition de nos prédécesseurs marxistes quand ils devaient développer ou compléter des documents historiques du mouvement ouvrier révolutionnaire.

Le changement le plus important a été adopté à la Cinquième Conférence de la LCI en 2007 : nous refusons désormais, par principe, de présenter des candidats à des postes exécutifs de l’Etat capitaliste. C’est une extension logique de la position exprimée dans la section 11 de la Déclaration de principes : « Les gouvernements parlementaires formés par les partis ouvriers réformistes (définis comme “partis ouvriers-bourgeois” par Lénine) sont des gouvernements capitalistes qui gèrent l’Etat capitaliste. » Ce qui distingue fondamentalement réforme et révolution, c’est l’attitude envers l’Etat bourgeois ; il y a d’un côté la conception réformiste selon laquelle on peut se saisir de l’appareil d’Etat existant et l’administrer dans l’intérêt des ouvriers, et de l’autre la conception léniniste qu’il faut détruire l’appareil d’Etat capitaliste par la révolution prolétarienne. Les marxistes peuvent se présenter aux élections pour être députés dans les parlements bourgeois, en tant qu’oppositionnels qui cherchent à utiliser leur poste comme tribune de propagande révolutionnaire. Par contre, le problème quand on se présente à des postes exécutifs – même si, comme nous le faisions avant 2007, on déclare par avance qu’on refusera d’occuper le poste si on y est élu – c’est que cela tend à légitimer les conceptions réformistes prédominantes sur l’Etat. Nous avons publié dans Spartacist (édition française nº 39, été 2009) un article intitulé « A bas les postes exécutifs de l’Etat capitaliste ! Principes marxistes et tactiques électorales », où nous expliquons l’évolution historique de cette position et indiquons en quoi elle est différente de la pratique de nos prédécesseurs léninistes et trotskystes qui provenait notamment d’une discussion partielle et confuse sur la question du parlementarisme au Deuxième Congrès de l’Internationale communiste (IC) en 1920. Comme le notait le document de la Cinquième Conférence de la LCI : « En adoptant cette position contre présenter des candidats à des postes exécutifs, nous reconnaissons et codifions ce qu’il faut voir comme le corollaire de l’Etat et la révolution et la Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky de Lénine, qui sont en fait les documents fondateurs de la Troisième Internationale. […] Ainsi, nous continuons à compléter le travail programmatique et théorique des quatre premiers congrès de l’IC. »

Nous avons également fait un deuxième ajout : nous incluons désormais le Laos parmi les Etats ouvriers bureaucratiquement déformés encore existants (les autres étant la Chine, la Corée du Nord, le Vietnam et Cuba). Pendant la guerre du Vietnam, nous avions le mot d’ordre « Toute l’Indochine doit devenir communiste ! » pour montrer notre opposition à toutes les variantes du pacifisme petit-bourgeois, de la collaboration de classes et du nationalisme stalinien. La prise de Saïgon le 30 avril 1975 par les forces de la République démocratique du [Nord-]Vietnam et du Front national pour la libération du Sud-Vietnam a marqué la victoire de la Révolution vietnamienne contre l’impérialisme US et son régime fantoche de capitalistes et propriétaires terriens au Sud-Vietnam. Lorsque le Pathet Lao – des insurgés guérillistes basés sur la paysannerie et dirigés par des staliniens – prit le pouvoir au Laos plusieurs semaines plus tard, l’organisation de jeunesse de la Spartacist League des Etats-Unis écrivit dans son journal : « Etant donné ses rapports de production essentiellement féodaux et même pré-féodaux et tribaux, un Etat laotien créé par les staliniens tendrait à s’appuyer sur les Etats ouvriers déformés vietnamien et chinois, et à adopter le caractère social de ces Etats voisins plus avancés » (Young Spartacus nº 33, juin 1975). Néanmoins, dans les années qui suivirent, nous n’avions pas codifié la notion que le Laos est un Etat ouvrier déformé, et ce depuis la victoire de la révolution indochinoise. Les communistes laotiens avaient toujours été étroitement liés à ceux du Vietnam. Une fois au pouvoir, les staliniens laotiens établirent un régime reposant sur des formes de propriété prolétariennes, en conjonction avec l’Etat ouvrier déformé vietnamien, relativement plus puissant et économiquement plus avancé, et sous l’influence de celui-ci.

La troisième section de la Déclaration de principes, qui souligne à juste titre combien il était important de combattre la contre-révolution capitaliste en Union soviétique, patrie de la révolution d’Octobre, parle de « notre intervention active pour la réunification révolutionnaire de l’Allemagne » en 1989-1990. Nous nous sommes battus pour la révolution politique prolétarienne contre les forces de la réunification capitaliste avec l’Allemagne de l’Ouest, qui ont fini par prendre le dessus. Ce fut l’intervention la plus importante et la plus soutenue de l’histoire de notre tendance. Faisant le bilan de cette intervention dans le document de la Deuxième Conférence de la LCI de 1992 (Spartacist édition française nº 27, été 1993), nous faisions remarquer : « Il y eut en fait un affrontement, marqué toutefois par la disproportion des forces, entre le programme de la révolution politique de la LCI et le programme stalinien de capitulation et de contre-révolution. »

Nous profitons aussi de cette occasion pour rappeler des corrections précédemment portées à plusieurs affirmations impressionnistes de la Déclaration de principes. La référence à « la contre-révolution des “réformes de marché” en Chine » dans la troisième section confond l’introduction de ces mesures avec l’imminence de la contre-révolution capitaliste. Dans la même veine, nous disions que la bureaucratie stalinienne chinoise « envisage la destruction à grande échelle de l’industrie d’Etat, ce qui implique le démantèlement de ce qui reste de l’économie planifiée de l’Etat ouvrier déformé ». En fait, malgré l’incursion massive de la propriété capitaliste, la Chine demeure un Etat ouvrier déformé dans lequel le noyau industriel et financier de l’économie est fondé sur la propriété d’Etat collectivisée. La bureaucratie stalinienne est une caste parasitaire fragile qui repose sur la propriété socialisée : elle est incapable d’opérer une restauration graduelle du capitalisme à froid et d’en haut. Toutefois, la bureaucratie se fracturera tôt ou tard, et il n’y aura pas d’autre solution que la restauration capitaliste ou la révolution politique prolétarienne.

La Déclaration (dans la septième section) exagère aussi l’importance des courants centristes, anarchistes et syndicalistes dans la période postsoviétique. Lorsque Trotsky écrivit « Centrisme et Quatrième Internationale » en 1934, il y avait une radicalisation au sein du mouvement ouvrier à la suite de la crise économique de 1929 et de la faillite du Comintern stalinisé face à la montée au pouvoir de Hitler en 1933 ; cette radicalisation avait engendré d’importants courants centristes de gauche dans les partis sociaux-démocrates. La situation est très différente aujourd’hui : dans l’éventail politique, il n’y a guère d’organisations qui soient classiquement centristes, autrement dit qui soient en rupture politique soit avec le réformisme pour aller vers la gauche, soit avec la révolution pour aller vers le réformisme. Nos opposants dans la gauche aujourd’hui sont presque exclusivement des réformistes invétérés, adversaires du mouvement ouvrier révolutionnaire internationaliste. De même, la marque de fabrique des anarchistes d’aujourd’hui, qui sont en fait des libéraux petits-bourgeois, n’est pas la répulsion face aux trahisons parlementaristes et à la collaboration de classes des staliniens et des sociaux-démocrates, mais un anticommunisme fervent. Aucun courant du mouvement ouvrier actuel ne rappelle non plus même de loin le syndicalisme révolutionnaire anti-parlementariste qui existait du temps de la Révolution russe.

Enfin, nous noterons qu’il est plutôt trompeur et anhistorique de dire que « le fait que le Parti bolchévique n’ait pas reconnu de façon explicite la confirmation, par la révolution d’Octobre, de la justesse de la théorie de la Révolution permanente de Trotsky et n’ait pas rejeté de manière explicite la “dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie” a servi, par la suite, aux forces qui se faisaient passer pour “la vieille garde” bolchévique (par exemple, Staline) à attaquer Trotsky » (section 10). Tout d’abord, il était généralement reconnu dans le Parti bolchévique du temps où Lénine le dirigeait que la révolution s’était conformée à la théorie de la révolution permanente de Trotsky et à la perspective avancée par Lénine dans ses « Thèses d’avril » de 1917 et qui allait dans le même sens. Ensuite, il est idéaliste de présumer que les révolutionnaires peuvent, par la simple codification d’une théorie correcte, bloquer une voie conduisant au révisionnisme dans une période réactionnaire ultérieure. Comme Trotsky l’a expliqué plus tard dans la Révolution défigurée, quand la « vieille garde » bureaucratique et conservatrice s’est attaquée en 1924 au « trotskysme » (c’est-à-dire aux principes internationalistes d’Octobre), elle ne s’est laissé arrêter par rien de ce que Trotsky et Lénine avaient écrit ou fait en 1917. Trotsky a fait remarquer plus tard que la réaction thermidorienne avait vaincu « l’opposition, le parti de Lénine – non à l’aide d’arguments et d’idées, mais en les écrasant sous son propre poids social. L’arrière-train plombé s’est trouvé plus lourd que la tête de la révolution » (la Révolution trahie).

Tout comme hier les staliniens et autres révisionnistes, aujourd’hui de nombreux dilettantes et bandits politiques, bien calés dans la réalité virtuelle du cyberespace, passent d’une position programmatique à son contraire selon les fluctuations de leurs appétits opportunistes – ils changent même de soi-disant « principes ». Mais les marxistes authentiques attachent une grande importance à la continuité révolutionnaire et à la cohérence programmatique. C’est la raison pour laquelle la LCI met à disposition les volumes reliés de ses publications passées, ce qui est exceptionnel dans la gauche. Lorsque nous affinons ou rejetons des positions antérieures parce que nous les jugeons insuffisantes ou erronées à la lumière d’expériences ultérieures ou de nouvelles recherches, nous nous efforçons de le faire franchement et explicitement. C’est une démarche essentielle eu égard à nos responsabilités : nous sommes gardiens de la mémoire collective du prolétariat international, et nous devons agir en conséquence.

– Décembre 2010