Spartacist, édition française, numéro 40

Automne 2011

 

Sixième Conférence internationale de la LCI

La lutte pour l’intégrité programmatique en période de réaction

TRADUIT DE SPARTACIST (EDITION ANGLAISE) nº 62, PRINTEMPS 2011

La Sixième Conférence internationale de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste) s’est tenue fin 2010 en Amérique du Nord. Cette conférence, la plus haute instance de notre organisation révolutionnaire, avait été appelée par le Comité exécutif international (CEI) et elle a conclu trois mois de discussions intenses. Des délégués ayant droit de parole et vote décisif ont été élus dans toutes les sections sur la base de positions politiques exprimées dans diverses contributions écrites. Ces délégués ont discuté, amendé et adopté un document, « La lutte pour l’intégrité programmatique en période de réaction », dont le projet avait été rédigé par des camarades du Secrétariat international (SI), le sous-comité du CEI résidant au siège de notre internationale.

Une grande partie des discussions et débats qui ont précédé la conférence avait pour point de départ la répudiation de notre position lors de l’intervention des Etats-Unis et de l’ONU en Haïti. Cette position représentait une trahison des principes marxistes. Comme nous l’écrivions dans une déclaration du CEI le 27 avril 2010 :

« Workers Vanguard, le journal de la Spartacist League/U.S., a commis dans ses articles sur le tremblement de terre en Haïti une trahison du principe fondamental de l’opposition à son “propre” gouvernement impérialiste. Ces articles ont justifié la présence des troupes impérialistes américaines en la présentant comme essentielle pour fournir une aide humanitaire, et ont de plus polémiqué contre la position de principe correcte qui était d’exiger le retrait immédiat de ces troupes. »

– « Une capitulation devant l’impérialisme US », publié en français le 27 avril 2010, reproduit dans le Bolchévik nº 192, juin 2010

Comme le notait aussi la déclaration, le fait que nous ayons été capables de faire ce genre de correction était loin d’être une raison de se féliciter. Cela ne faisait que jeter les bases d’une rectification politique. La conférence internationale avait un objectif essentiel : réarmer le parti en examinant les racines de notre désorientation lors du tremblement de terre haïtien.

La discussion, avant et pendant la conférence, mit en évidence les pressions constantes, poussant à réviser le programme, qui pèsent sur les marxistes révolutionnaires, en particulier depuis la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique et des Etats ouvriers déformés d’Europe de l’Est au début des années 1990. Le gouffre entre notre programme communiste et le niveau de conscience politique prédominant est aujourd’hui énorme. Même les travailleurs les plus politiquement avancés et la jeunesse radicalisée ne voient dans le combat pour le socialisme, incarné dans la Révolution bolchévique de 1917, qu’une expérience qui a échoué – dans le meilleur des cas. La gauche réformiste abandonne de plus en plus toute prétention de se battre pour les idéaux libérateurs du communisme et elle se rallie ouvertement à la politique de la social-démocratie et/ou du populisme nationaliste bourgeois.

Le camarade James Robertson faisait remarquer il y a plusieurs années, lors d’une journée d’études de la Spartacist League/Britain :

« Nous nous trouvons aujourd’hui dans une période de creux d’une profondeur inhabituelle, et les expériences que nous pouvons faire personnellement ne sont pas très bonnes. Alors nous ferions mieux de nous référer beaucoup aux expériences du mouvement ouvrier quand il pouvait voir beaucoup plus loin : de 1918 à 1921. De plus, il y a cette citation de Lénine en janvier 1917. Dans un discours en Suisse, il dit : “Nous, les vieux, nous ne verrons peut-être pas les luttes décisives de la révolution imminente […].” Et aujourd’hui, je rencontre des colporteurs de panacées qui demandent : quelles sont vos perspectives immédiates ? Ne vous préoccupez pas tellement de vos perspectives immédiates parce que vous ne savez pas ce qui va se passer en février ! Quel est votre programme ? Voilà la vraie question. »

Workers Hammer nº 195, été 2006

Dans le même ordre d’idées, le document de conférence note qu’il n’existe pas de solution facile aux problèmes auxquels nous avons à faire face et que nos tâches centrales sont d’étudier assidûment l’histoire et les principes du mouvement marxiste ; d’examiner avec un esprit critique l’émergence de phénomènes nouveaux ; de reconsidérer dans cette optique les prévisions et les positions d’autrefois ; de former patiemment et pédagogiquement une nouvelle génération de cadres et de dirigeants ; le tout en intervenant activement avec notre propagande dans la lutte de classes et autres luttes sociales.

On a pu voir cette conception en action lors de la conférence elle-même. Une séance entière y a été consacrée à l’état du mouvement ouvrier international, et les conclusions de plusieurs discussions qui avaient eu lieu dans nos sections ont fait l’objet d’une réévaluation critique. Une commission sur l’Asie du Sud a discuté de propositions d’articles nous permettant d’étendre l’influence de la LCI dans le sous-continent indien, avec son immense prolétariat et sa gauche importante. Des camarades ont présenté, lors d’une réunion organisée par la commission femmes, les recherches approfondies que nous menons sur l’activité de la jeune Internationale communiste parmi les femmes (lire l’article page 72). Une commission sur Cuba a examiné plusieurs propositions d’articles, s’appuyant sur une analyse des récents événements et sur notre héritage programmatique sans pareil. Plusieurs groupes de travail, plus restreints, ont discuté d’autres aspects de notre activité, par exemple de la propagande sur la Chine ou de nos perspectives en général en Amérique latine ; la rédaction de Spartacist a eu une réunion de travail. De nombreux camarades n’ont pas manqué de relever que ces discussions – dont le but était de cultiver notre capacité d’analyser et comprendre de manière matérialiste et dialectique les événements mondiaux actuels – contrastaient fort avec la tendance de ces dernières années à créer des schémas abstraits et à nous inventer notre propre « réalité » pour en quelque sorte nous consoler en ces temps difficiles de l’ère postsoviétique.

Contre l’idéalisme subjectif

Deux séances ont été consacrées à la discussion du document de conférence, présenté par les camarades J. Bride et L. Markow du CEI sortant. Le document, qui esquisse les contours du monde actuel, fournissait un cadre aux délibérations. Deux ans après l’explosion de la plus grave crise économique depuis la crise de 1929, les capitalistes cherchent à en faire payer le coût par les travailleurs, à grands coups de licenciements et de coupes sombres dans les dépenses sociales. La théorie de Karl Marx sur l’accroissement de la misère se manifeste de plus en plus concrètement avec, dans les pays capitalistes avancés, la montée du chômage, la multiplication des saisies immobilières et la déportation en masse des immigrés, et, dans le monde néocolonial, la progression de la famine et des épidémies. Pendant ce temps les impérialistes américains, actuellement sous le gouvernement d’Obama et du Parti démocrate, occupent toujours l’Irak, intensifient la guerre en Afghanistan, brandissent toujours davantage de sanctions et de menaces militaires contre l’Iran, et sont toujours aussi déterminés à essayer de renverser les acquis anticapitalistes des Etats ouvriers bureaucratiquement déformés qui restent (Chine, Cuba, Corée du Nord, Vietnam et Laos).

Le document montre comment les capitalistes cherchent à détourner la colère des travailleurs en encourageant délibérément des comportements politiques et sociaux rétrogrades, montant différentes couches de la classe ouvrière les unes contre les autres et fomentant les divisions raciales, religieuses, ethniques et sexuelles ; on dresse les ouvriers « de souche » contre les immigrés, les jeunes contre ceux qui ont de l’ancienneté. Dans ce contexte, la « guerre contre le terrorisme » se fait de plus en plus âpre ; elle sert à mettre au pas la population et à justifier de nouvelles aventures militaires comme au Pakistan. Plus récemment, l’OTAN a lancé une guerre contre la Libye. Le nationalisme économique, dans l’Occident impérialiste comme au Japon, est en premier lieu tourné contre la Chine, le plus puissant des Etats ouvriers déformés existants. Les performances économiques relativement bonnes de la Chine témoignent du fait qu’elle n’est pas capitaliste, quoi qu’en disent la plupart des idéologues bourgeois et la majeure partie de la gauche réformiste. Mais, malgré son succès relatif, la Chine reste très en retard économiquement par rapport aux puissances impérialistes. Celles-ci n’auront pas de répit tant qu’une contre-révolution capitaliste n’aura pas eu lieu et que le pays le plus peuplé du monde ne sera pas soumis à nouveau à une exploitation sans entraves.

La Sixième Conférence de la LCI a approuvé cette conclusion de la Conférence nationale de la SL/U.S. de 2009 : nous ne surmonterons pas les difficultés objectives auxquelles nous sommes confrontés en ces temps de « mort du communisme » à coups de raccourcis opportunistes et de plans pour s’enrichir du jour au lendemain, dont les régimes à la tête du parti n’ont que trop abusé par le passé (voir « Dog Days in the Post-Soviet Period » [Années difficiles dans la période postsoviétique], Workers Vanguard nº 948, 4 décembre 2009). Les deux conférences ont rejeté l’approche idéaliste subjective qui est derrière tous ces raccourcis, poussant à inventer des percées organisationnelles importantes au mépris de la réalité.

Ce genre de méthodologie était à l’œuvre lors de la campagne pour libérer Mumia Abu-Jamal, un prisonnier politique noir condamné à mort. Après la Conférence de la SL/U.S. de 2004, nous avons essayé de devenir les meilleurs bâtisseurs d’une campagne pour « revitaliser » un mouvement de masse qui n’existait pas. A la conférence internationale, nous avons aussi désavoué une affirmation fausse faite dans notre rapport sur la précédente conférence de la LCI en 2007, d’après laquelle nous aurions abandonné le « combat politique et polémique avec nos opposants réformistes sur la question de Mumia » (« Maintenir un programme révolutionnaire dans la période postsoviétique », Spartacist édition française nº 38, été 2008). Nous avons confirmé notre engagement à « continuer notre lutte pour la libération de Mumia […] en rapport avec nos ressources actuelles et avec les hauts et les bas de cette affaire ». Nous avons vivement critiqué le conciliationnisme de l’ancienne direction du parti envers des forces hostiles à nos objectifs prolétariens et révolutionnaires, notamment les nationalistes noirs ou certains éléments du Parti démocrate aux Etats-Unis, un parti capitaliste. Ce conciliationnisme nous avait menés en 2008 au bord de la liquidation politique et organisationnelle : l’enthousiasme des réformistes pour Obama trouva un écho parmi certains membres de la direction centrale du parti à New York qui eurent une réaction alarmante au discours d’Obama sur « une union plus parfaite ». C’était un discours électoral pour le poste de commandant en chef de l’impérialisme américain, un discours que certains camarades qualifièrent néanmoins de « magistral » et de « tournant décisif » car, selon eux, il « prenait acte de l’existence des races et de l’oppression raciale aux Etats-Unis ». Si nous avions publié cette ligne, cela aurait constitué une trahison de notre principe prolétarien d’indépendance de classe.

Résistant à nos efforts pour corriger la trajectoire opportuniste, une clique minuscule, menée par Rachel Wolkenstein, se proclama « Fraction minoritaire » quelques temps avant la conférence. C’était exactement le même groupe – Wolkenstein, son frère et sa compagne, ainsi que leur meilleur ami – qui s’était constitué en opposition lors de la Conférence de la SL/U.S. en 2009, où leurs positions avaient été catégoriquement rejetées. Aucun autre camarade de la LCI, ni avant ni pendant la conférence internationale, ne se solidarisa avec leur long document oppositionnel, qui fut publié dans un de nos bulletins intérieurs. Tous les quatre démissionnèrent quelques jours après la conférence.

L’idée qu’on pourrait surmonter des conditions objectives difficiles simplement par un effort de volonté était une conception idéaliste qui allait de pair avec un activisme frénétique et un profond dédain pour l’histoire et la théorie marxiste. Comme le notait le document de conférence, cela « nous a rendu plus bêtes et a miné notre capacité d’analyser en marxistes la marche du monde, nous rendant ainsi plus susceptibles aux pressions de classes ennemies ». Plusieurs délégués ont fait remarquer que cela a joué un rôle non négligeable dans l’enchaînement d’événements qui a abouti à la trahison d’Haïti.

La conférence a réaffirmé l’importance pour la LCI de Spartacist, notre revue théorique en quatre langues, notant que sa production est l’une des responsabilités principales du nouveau CEI et surtout des camarades affectés au SI. Le travail de la Prometheus Research Library (PRL), les archives de référence du comité central de la SL/U.S., y est aussi étroitement associé. Dans son rapport à la conférence, la camarade responsable de la PRL soulignait que ses collections et les recherches qui y sont menées sont indispensables à notre propagande, et à Spartacist en premier lieu. La PRL joue aussi un rôle important dans l’assimilation et la transmission de l’histoire du mouvement marxiste et celle de notre parti en particulier. Le document de cette conférence réitérait ce que nous avions déjà dit avec force dans le document de la Quatrième Conférence internationale en 2003 – avant de le rejeter en pratique : « Pour être un groupe de propagande de combat efficace, nous devons être un groupe de propagande qui réfléchit. »

Haïti : racines d’une trahison

Lorsque la conférence s’est tenue, il y avait déjà un large consensus sur ce qui nous avait conduits à renier nos principes lors du tremblement de terre en Haïti. Reconnaissant qu’il n’y avait pas d’explication toute simple, nous avons identifié plusieurs problèmes préexistants. Un certain nombre de contributions avant la conférence avaient souligné qu’au moins depuis le tsunami dans l’océan Indien en 2004 et l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005, la SL/U.S. avait dans sa propagande une ligne implicite consistant à ne pas appeler au retrait des troupes dans les jours qui suivent une catastrophe naturelle. Cette ligne n’avait jamais été formellement discutée ou codifiée par une quelconque instance du parti.

L’article de Workers Vanguard « La catastrophe du tsunami en Asie du Sud » (nº 839, 7 janvier 2005) dénonce bien l’impérialisme américain, mais il ne mentionne pas l’énorme déploiement militaire australien et américain en Indonésie et dans la région dans les jours qui suivirent le tsunami. Cela dégageait l’armée indonésienne qui put ainsi se déployer dans les montagnes d’Aceh afin de liquider les rebelles du Mouvement pour un Aceh libre. Par omission, Workers Vanguard prêtait foi aux prétentions « humanitaires » des opérations de logistique et de sauvetage menées par les Etats-Unis le long de la côte, et passait sous silence le véritable objectif de cette démonstration de force américaine qui s’étendait jusqu’au Sri Lanka, où la rébellion tamoule faisait rage à l’époque. Par contre, comme nous le notions dans la répudiation de notre position sur Haïti, l’article de la Spartacist League/Australia exigeait sans ambiguïté le retrait immédiat des troupes australiennes et indonésiennes d’Aceh et mettait en garde contre toute illusion dans les programmes impérialistes d’aide étrangère, dont le but est de renforcer l’asservissement néocolonial (« Les impérialistes australiens profitent de la catastrophe du tsunami », Australasian Spartacist nº 190, automne 2005).

Après le passage de l’ouragan Katrina, Workers Vanguard expliquait à juste titre que la Garde nationale avait été envoyée à la Nouvelle-Orléans « avant tout pour rétablir le contrôle sur la ville, pour désarmer ce qu’il reste de la population et pour s’assurer que les mensonges du gouvernement sur le nombre de morts ne puissent être vérifiés » (« Nouvelle-Orléans : une atrocité raciste », Workers Vanguard nº 854, 16 septembre 2005). Pourtant l’article ne demandait le retrait ni des troupes ni des flics, alors que nous l’avions fait à maintes reprises dans le passé lorsque la police et/ou la Garde nationale occupaient les ghettos.

Le document de conférence notait aussi « une tendance à dépeindre les intérêts de l’impérialisme US en Haïti comme étant conjoncturellement bénins, plutôt que dictés par le besoin de contrôler, subjuguer, et exploiter la région ». Comme le relevait la répudiation du CEI : « On peut douter que nous aurions aussi facilement adopté une telle position si l’administration républicaine de Bush était toujours à la Maison Blanche. » Etant donné l’importance stratégique des très nombreux travailleurs haïtiens résidant en République dominicaine, aux Etats-Unis et au Canada, le document met en avant notre perspective internationaliste pour un gouvernement ouvrier et paysan en Haïti dans le cadre d’une fédération socialiste des Caraïbes, ce qui est inextricablement lié à la lutte pour le renversement révolutionnaire de l’impérialisme américain.

La révolution permanente et le rôle central du prolétariat

En défendant la ligne social-impérialiste sur Haïti, Workers Vanguard (nº 952, 12 février 2010) avait affirmé catégoriquement qu’il y avait « une absence virtuelle de prolétariat industriel en Haïti ». Comme l’explique le document de conférence :

« Savoir s’il y a en Haïti une classe ouvrière suffisante pour instaurer la dictature du prolétariat est une question empirique qui peut être débattue. Ce qui est plus fondamental, c’est la question : quelles conclusions politiques avons-nous tirées de cette affirmation ? Nous avons utilisé des éléments concernant la pauvreté économique d’Haïti, l’absence d’infrastructures et la faiblesse relative du prolétariat à l’appui de nos justifications pour l’intervention impérialiste. »

Quand l’Irlande était encore essentiellement un pays agricole, Lénine avait critiqué sans pitié les soi-disant marxistes qui avaient traité de « futile » l’insurrection de Pâques 1916 à Dublin : « La dialectique de l’histoire fait que les petites nations, impuissantes en tant que facteur indépendant dans la lutte contre l’impérialisme, jouent le rôle d’un des ferments, d’un des bacilles, qui favorisent l’entrée en scène de la force véritablement capable de lutter contre l’impérialisme, à savoir : le prolétariat socialiste » (« Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », 1916). Quatre ans plus tard, le Deuxième Congrès de l’Internationale communiste soulignait que les ouvriers des pays capitalistes avancés devaient, pour trouver le chemin de la révolution dans leur propre pays, soutenir activement la lutte pour l’émancipation des colonies et des nations opprimées. Trotsky, avec la théorie de la révolution permanente, a associé la lutte pour l’émancipation sociale et nationale dans le monde colonial et semi-colonial à la lutte pour la prise du pouvoir d’Etat par le prolétariat, tout en insistant que la marche vers le socialisme lui-même ne pourra commencer qu’avec l’extension de la révolution aux pays capitalistes avancés.

Le document de conférence maintient, en réponse aux objections de certains camarades, qu’on ne peut pas appliquer la théorie de la révolution permanente à tous les pays sans prendre en considération leur niveau de développement : « Il y a aussi des pays, comme l’Afghanistan, le Népal ou le Timor oriental, où il n’y a pas de prolétariat ayant un poids social suffisant pour prendre la direction des masses opprimées et accomplir une révolution socialiste. » Mais on ne peut pas pour autant être indifférent aux luttes dans ces pays sans remettre en cause notre raison d’être, la révolution socialiste. Le document se réfère à notre position par rapport à l’Afghanistan à l’époque où le Parti démocratique du peuple (PDPA), soutenu par l’Union soviétique, était au pouvoir à la fin des années 1970 et dans les années 1980 : « Nous reconnaissions qu’il y avait plus de mollahs que de prolétaires en Afghanistan, mais nous ne considérions pas pour autant comme sans valeur ou sans importance les luttes et les aspirations des couches avancées de cette société. » Lorsque la bureaucratie soviétique avait traîtreusement retiré l’Armée rouge d’Afghanistan en 1988-1989, nous avions essayé d’entamer des discussions politiques avec certains cadres du PDPA et leur avions conseillé de lire Georgi Plekhanov, le pionnier du marxisme russe, qui était confronté à l’empire tsariste à une époque où l’industrialisation commençait tout juste à changer la situation.

Plusieurs problèmes relatifs à des pays où la révolution permanente s’applique avaient été résolus avant la conférence, qui les passa en revue. En 2001, le SI et la section sud-africaine avaient formellement abandonné le mot d’ordre de gouvernement ouvrier centré sur les Noirs que nous avions longtemps avancé, arguant qu’il y avait déjà un gouvernement à majorité noire, dominé par les nationalistes bourgeois du Congrès national africain (ANC). Ce mot d’ordre fut rétabli en 2007, car il souligne que la révolution socialiste en Afrique du Sud sera un acte de libération à la fois nationale et sociale. Notre propagande n’a jamais cessé d’insister sur le fait que la libération nationale ne peut être accomplie que par une révolution prolétarienne, mais la conférence de Spartacist South Africa l’année dernière a néanmoins souligné que l’abandon de ce mot d’ordre était une concession à l’Alliance tripartite dirigée par l’ANC, qui continue à propager le mythe que l’oppression nationale de la majorité noire peut être éliminée dans le cadre du capitalisme.

En 2006, le Grupo Espartaquista de México a rétabli le mot d’ordre de gouvernement ouvrier et paysan qui n’était pas apparu dans sa propagande depuis un certain temps. Ce mot d’ordre avait été explicitement remis en cause en 2005 par des camarades du SI, sur la base que le poids de la paysannerie mexicaine avait relativement décliné dans les dernières décennies. Le GEM, tout en prenant note de cette évolution, a établi lors de sa conférence en 2010 qu’il n’en reste pas moins une paysannerie pauvre numériquement importante que le prolétariat doit chercher à mobiliser, et que la question paysanne demeure une question stratégique de la révolution ouvrière.

La lutte du prolétariat contre la paupérisation capitaliste

La séance sur l’état du mouvement ouvrier international fut introduite par les rapports de trois camarades : T. Themba de Spartacist South Africa, A. Hakki de la Ligue trotskyste de France et S. Hendricks de la SL/U.S. Tous les trois se sont adressés aux contradictions auxquelles nous sommes confrontés dans différents pays en ces temps de crise économique. D’un côté le nationalisme économique s’accentue considérablement ainsi que son corollaire, la collaboration de classes mise en avant par les bureaucraties syndicales, tandis que les syndicats perdent leurs adhérents. Mais d’un autre côté, il y a d’importantes luttes défensives contre les attaques capitalistes, notamment en Europe.

L’augmentation considérable du travail temporaire et de la sous-traitance a été un thème de discussion important ; ce phénomène a affaibli le mouvement ouvrier mais il a aussi provoqué des mobilisations syndicales de diverses sortes. Il est urgent de syndiquer les travailleurs non syndiqués et de combattre partout, dans une lutte de classe unitaire, la stratégie patronale du « diviser pour régner », que ce soit avec les labour brokers (sorte d’intérim ou de prêt de main-d’œuvre) en Afrique du Sud et ailleurs, ou que ce soit avec la prolifération des contrats temporaires pour les jeunes en Europe. Autre exemple : aux Etats-Unis, les patrons d’une entreprise où tout le monde est syndiqué confient une partie du travail à des entreprises de sous-traitance où il n’y a pas de syndicats. Mais, comme l’ont fait remarquer plusieurs intervenants, il faut examiner chaque situation concrètement. Nous nous opposons à juste titre aux manifestations et grèves ouvrières protectionnistes réactionnaires, mais nous avons à tort eu tendance à généraliser cette opposition à des situations où c’est d’abord la défense des syndicats qui est en jeu. Une grande partie de la discussion a porté là-dessus.

Le camarade Themba brossa un tableau saisissant des contradictions explosives qui caractérisent le régime de néo-apartheid en Afrique du Sud. Il décrivit les conditions terribles dans lesquelles vit la population depuis la fin de l’apartheid : le chômage est massif, plus de la moitié des jeunes Noirs sont sans emploi et des millions de personnes n’ont pas de quoi se nourrir. L’Alliance tripartite au pouvoir, composée de l’ANC, du Parti communiste (SACP) et du Congrès des syndicats sud-africains (COSATU), est incapable de tenir sa promesse de « vie meilleure pour tous ». Les manifestations contre le manque d’accès aux services de base continuent à embraser les townships dans tout le pays.

Le camarade expliquait que la classe ouvrière reste certes soumise à l’influence du nationalisme bourgeois, essentiellement par l’entremise du front populaire ANC/SACP/COSATU, mais qu’elle n’a pas subi de défaite majeure. Les travailleurs ont encore leurs organisations avec leur histoire héroïque de lutte contre l’apartheid, et ils continuent à se battre malgré la perfidie de la bureaucratie syndicale, qui est un pilier du régime de néo-apartheid. Themba a parlé aussi des mobilisations contre le recours aux labour brokers, qui sont utilisés pour affaiblir les syndicats. Il a cité ainsi la grève des travailleurs de l’automobile organisés dans le National Union of Metalworkers en 2010, à l’issue de laquelle l’entreprise avait dû accepter de ne plus conclure de nouveaux contrats avec des labour brokers. Le document de conférence conclut, dans l’esprit du rapport du camarade Themba : « Les labour brokers sont des parasites dont l’objectif est de faire obstruction à l’organisation syndicale et, en dernière analyse, de détruire les syndicats, pour le compte des gros capitalistes. Nous voulons détruire l’institution des labour brokers par la lutte des classes. »

Le rapporteur de la LTF a fait observer qu’en France, 80 % des nouvelles embauches se font avec des contrats temporaires, et qu’en France comme en Espagne le taux de syndicalisation des moins de 30 ans est extrêmement faible. Si quelques tentatives ont été faites pour syndiquer ces travailleurs temporaires, en règle générale la bureaucratie syndicale ne montre guère d’empressement à le faire, contribuant ainsi à répandre l’impression que les syndicats sont réservés aux travailleurs plus âgés et privilégiés. Le plan de sauvetage économique de l’Union européenne (UE), qui n’est en réalité qu’un mécanisme pour contraindre les travailleurs de Grèce, d’Irlande, d’Espagne et d’autres pays endettés à rembourser les banques allemandes (et françaises), a provoqué un certain nombre de luttes. La relative supériorité économique de la bourgeoisie allemande est dans une large mesure le fruit du rôle perfide des sociaux-démocrates qui avaient imposé des réductions salariales et autres mesures d’austérité.

Comme l’on fait remarquer des camarades, dans deux des pays où les luttes sont les plus intenses, la Grèce et l’Afrique du Sud, subsistent encore des partis communistes de masse d’origine stalinienne qui n’ont jamais renié leur ancienne allégeance à l’Union soviétique. Le Parti communiste de Grèce, le KKE, jouit d’une autorité accrue auprès des ouvriers car il est vu comme l’aile la plus combative de l’opposition au gouvernement du PASOK, alors que la bureaucratie de la principale centrale syndicale soutient ce dernier. Néanmoins, le KKE s’oppose au FMI et à l’UE dans un cadre chauvin, sur la base que ces derniers empiètent sur la souveraineté nationale grecque. Le tract publié par le Groupe trotskyste de Grèce le 28 avril 2010 a été cité comme modèle pour d’autres interventions dans les luttes ouvrières, en particulier parce qu’il avance de manière efficace des revendications transitoires qui montrent la nécessité d’un gouvernement ouvrier (voir « Grèce : A bas le “programme de stabilité” du gouvernement PASOK ! », le Bolchévik nº 192, juin 2010).

Le camarade Hendricks a fait l’analyse des pressions et des problèmes que nous rencontrons dans notre approche des luttes ouvrières aux Etats-Unis, dans un contexte où le niveau des luttes est très bas. Il y avait par exemple une tendance à présumer que les bureaucrates syndicaux sont incapables de diriger la moindre lutte. Autre problème : la résolution adoptée par la Conférence nationale de la SL/U.S. en 2009 affirmait à tort que le mot d’ordre « Tout travail doit être payé au tarif syndical correspondant, quels que soient les ouvriers qui font le travail » s’appliquait « autant aux conflits entre travailleurs syndiqués et non syndiqués dans un même pays qu’entre travailleurs de différentes nations ». Ce mot d’ordre avait été utilisé par la Spartacist League/Britain en 2009 à propos de plusieurs grèves réactionnaires des ouvriers du bâtiment dans les raffineries pétrolières pour réclamer que « les emplois britanniques » aillent aux « ouvriers britanniques » ; ces grèves dressaient les ouvriers britanniques contre des ouvriers étrangers qu’on avait fait venir temporairement.

Cette ligne de la Conférence de la SL/U.S. en 2009, qui revient à dire qu’il nous est indifférent que les travailleurs soient syndiqués ou pas, a été rejetée par la conférence internationale. Comme l’expliquait un camarade :

« Nous nous battons contre les réactions nationalistes ou protectionnistes et contre les privilèges de type corporatiste pour certains emplois, mais cela ne veut pas dire que nous soyons indifférents au fait que la sous-traitance fait disparaître des emplois syndiqués ! Nous voulons défendre les emplois où les travailleurs sont syndiqués, mais par les méthodes de la lutte de classe qui unissent la classe ouvrière au-delà des frontières nationales. »

Nous ne sommes pas là pour faire des critiques de gauche en restant à l’extérieur des syndicats existants : nous voulons être le pôle lutte de classe à l’intérieur du mouvement ouvrier, luttant pour construire des syndicats industriels qui soient des organisations de lutte rassemblant, dans chaque branche d’industrie, la totalité des travailleurs. Plusieurs questions mandatées par la conférence doivent encore être discutées au niveau des sections, mais la conférence a souligné combien il est important de préserver et d’étendre nos modestes liens avec le prolétariat.

Mieux comprendre la régression du niveau de conscience

Nous avons du mal à reconnaître que le reste de la gauche ne partage pas notre but ultime, celui d’une société communiste ; c’est là un facteur sous-jacent aux problèmes récurrents que nous avons dans la période postsoviétique. Dans ses « Notes critiques sur la “mort du communisme” et les conditions idéologiques du monde postsoviétique », le camarade Joseph Seymour observe qu’« au cœur de la “mort du communisme”, il y a juste cela : l’incrédulité en la possibilité historique d’une civilisation communiste mondiale, au sens marxiste. C’est là un cadre fondamental que partagent des tendances politiques diverses, alors qu’elles ont souvent des attitudes aux antipodes l’une de l’autre vis-à-vis de l’impérialisme occidental, de la démocratie parlementaire, de l’économie de marché capitaliste et autres questions controversées ».

La régression du niveau de conscience depuis la chute de l’Union soviétique est toutefois inégale : en Afrique du Sud de nombreux travailleurs ont toujours des sympathies pour l’idée du communisme, du moins tel qu’ils le conçoivent. De plus, il ne faut pas considérer que cette régression soit absolue et immuable : cela nous empêcherait de voir l’éclatement des contradictions inhérentes à la société capitaliste alors qu’il peut créer pour nous des occasions d’intervenir de façon sobre et mesurée avec notre programme. La conférence a approuvé la conclusion de Seymour :

« La question très importante à laquelle nous sommes confrontés peut être formulée de la manière suivante : est-il possible qu’un soulèvement spontané contre un gouvernement de droite, impliquant une partie substantielle de la classe ouvrière, puisse mener à une situation pré-révolutionnaire et même révolutionnaire (c’est-à-dire avec des organes de double pouvoir), alors que la majorité des ouvriers et autres travailleurs n’aspirent pas au socialisme ? Je pense que la réponse est oui. Si nous n’avons pas fait l’expérience d’un tel phénomène, nous ne devons pas l’exclure. Pour l’instant, notre tâche première est de propager la vision marxiste du monde, avec l’objectif de recruter un nombre relativement petit d’intellectuels de gauche et d’ouvriers avancés. Pour paraphraser John Maynard Keynes : quand les faits changeront, nos perspectives changeront aussi. »

le Bolchévik nº 191, mars 2010

Il y a néanmoins une condition essentielle pour que la classe ouvrière dans une situation de double pouvoir parvienne à la victoire : un parti révolutionnaire d’avant-garde doit en prendre la tête. C’est ce qu’ont démontré la révolution d’Octobre et, a contrario, d’innombrables défaites du prolétariat.

Le document de conférence explique que « le système capitaliste impérialiste continuera obligatoirement, de par son fonctionnement même, à pousser les ouvriers et autres couches d’exploités et d’opprimés à lutter en masse contre l’ordre capitaliste ». Nier que des situations révolutionnaires puissent surgir dans la période actuelle mènerait à rejeter le programme de transition trotskyste, le programme fondateur de la Quatrième Internationale, qui cherche précisément à introduire des éléments de double pouvoir (comités d’usines, contrôle ouvrier sur la production, milices de défense ouvrières, etc.) dans les luttes prolétariennes et autres mouvements sociaux progressistes afin de forger un parti léniniste qui puisse conduire le prolétariat au pouvoir.

Autres discussions

Un autre rapport, présenté à la séance principale par M. Coates de la section canadienne, visait à motiver l’ajout d’une préface (voir p. 11) à notre « Déclaration de principes et quelques éléments de programme », qui avait été adoptée en 1998 (voir Spartacist édition française nº 32, printemps 1998). Cette préface traite entre autres d’une importante extension des principes marxistes, adoptée en 2007 lorsque nous avons décidé de refuser par principe de présenter des candidats à des postes exécutifs de l’Etat capitaliste (Spartacist édition française nº 39, été 2009). La préface fait aussi quelques corrections et ajouts. Nous avons notamment inclus le Laos dans la liste des Etats ouvriers déformés existants. Nous sommes arrivés à cette conclusion après étude et discussion interne, et elle a été confirmée par la conférence.

La préface corrige aussi une formulation idéaliste qui apparaît dans la Déclaration de principes, sous-entendant que la contre-révolution politique en URSS sous Staline aurait pu être évitée si seulement les bolchéviks avaient formellement reconnu que la théorie de la révolution permanente de Trotsky avait été confirmée par la révolution d’Octobre. Le même argument idéaliste avait été avancé dans « Les origines du trotskysme chinois » (Spartacist édition française nº 31, automne 1997) et dans « Bilan critique : Trotsky et l’Opposition de gauche russe » (Spartacist édition française nº 34, automne 2001). Cette correction doit beaucoup à un excellent document du camarade V. Alexander de la SL/U.S. résultant de ses recherches dans les archives soviétiques.

La conférence a généreusement accordé un temps de présentation lors de la séance principale à un représentant de la fraction Wolkenstein, qui pourtant n’avait même pas un délégué. Des camarades venus de toute la LCI ont ainsi eu l’occasion de voir en direct la grandiloquence creuse, le moralisme philistin et l’égocentrisme de ces éléments démoralisés. Leur politique a été qualifiée de néo-bernsteinienne, en référence au social-démocrate révisionniste allemand Eduard Bernstein, pour qui « le but final, quel qu’il soit, n’est rien, le mouvement est tout ». Leurs contributions à la discussion, en grande partie motivées par des récriminations d’ordre personnel, allaient même jusqu’à défendre vigoureusement des pseudo-médecines charlatanesques comme la chiropraxie et l’acupuncture.

Wolkenstein et ses copenseurs avaient totalement soutenu la ligne social-impérialiste sur Haïti. Mais après la correction de cette trahison par d’autres camarades, la clique Wolkenstein essaya cyniquement de se faire passer pour plus anti-impérialiste dans le monde néocolonial que n’importe qui. Ils réclamaient un « anti-impérialisme » simpliste qui absoudrait la bourgeoisie des néocolonies et leurs laquais de gauche de tout crime, et ouvrirait grand la porte à la collaboration de classes du « front unique anti-impérialiste ». Lorsque des camarades leur rappelèrent qu’en 1973, lors du coup d’Etat chilien, nous ne nous contentions pas de dénoncer le rôle des USA, contrairement au reste de l’extrême gauche qui amnistiait ainsi la bourgeoisie et les réformistes chiliens, Wolkenstein rétorqua dédaigneusement que notre opposition au front populaire chilien de 1971-1973 n’avait essentiellement aucun rapport avec le monde actuel.

Comme le faisait remarquer le camarade Bride dans son rapport, la véritable politique de cette clique, c’est « débarrassons-nous du spartacisme d’autrefois ! » Une des choses qui exprimaient le plus clairement leur politique était cette insistance depuis longtemps à dénigrer la Déclaration de principes de la LCI, qui selon eux est tellement défectueuse et partielle qu’elle ne représente pas correctement ce qu’est la LCI et ce pour quoi nous luttons. N’ayant pas reçu une seule voix en dehors de leur petite clique, ils mirent un terme à leur combat pour « retourner sur la voie du spartacisme » … en quittant la LCI.

Par contre, une autre fraction très petite qui s’était déclarée, lors de la période de discussion pré-conférence, en opposition notamment à la ligne adoptée en 2009 par la conférence de la SL/U.S. sur la sous-traitance, eut une attitude fort différente. Lorsque la conférence vota de corriger cette ligne, le fondateur de la fraction annonça sa dissolution – sans renoncer à ses opinions concernant d’autres questions controversées.

Défense de notre intervention en RDA

Wolkenstein prétendait aussi que la LCI n’avait pas su tirer le bilan de notre intervention de 1989-1990 dans la révolution politique naissante en RDA, l’Etat ouvrier déformé est-allemand, et que c’était à l’origine des problèmes actuels de la LCI. La conférence a rejeté ces accusations, qui avaient été précédemment acceptées par la Conférence nationale de la SL/U.S. en 2004, puis par la Conférence de la LCI en 2007. En réalité nous avions abondamment discuté et évalué cette intervention, ainsi que peuvent en témoigner les nombreux bulletins intérieurs publiés à ce sujet et le document principal, très solide, de notre Deuxième Conférence internationale en 1992 (publié dans Spartacist édition française nº 27, été 1993). Le véritable objectif de la minorité était de déclencher une campagne démagogique pour déterminer qui, dans la direction de la LCI, avait « perdu l’Allemagne ». Au cœur de cette croisade pour discréditer des dirigeants de longue date du parti il y avait le « front unique stratégique », c’est-à-dire la liquidation du parti dans un « mouvement » aussi large qu’amorphe. Cette politique liquidationniste était allée jusqu’au bout de sa logique opportuniste dans la campagne Mumia, et Wolkenstein prônait rétrospectivement une approche similaire pour l’intervention de la LCI en RDA. Ainsi, nos camarades avaient démontré avec éclat la faillite des staliniens au pouvoir lors de la grande manifestation de front unique à Treptow, Berlin-Est, le 3 janvier 1990 ; mais Wolkenstein argumenta il y a quelques années que nous aurions dû renoncer à l’un de nos deux intervenants afin de laisser la parole à un soldat dissident dont nous ne connaissions pas les opinions politiques.

La conférence a aussi corrigé un passage prêtant à confusion dans l’évaluation, excellente par ailleurs, de notre intervention en RDA qui apparaît dans le document de la Conférence internationale de 1992. Ce passage disait : « Des groupes d’opposition penchant à gauche prenaient forme pendant l’été 1989. Etant donné le contrôle extrêmement étroit qu’exerçait la sécurité d’Etat est-allemande (la Stasi), tenter de commencer un travail en RDA aurait bien pu s’avérer complètement infructueux, mais il aurait néanmoins fallu le faire. »

Peu de temps avant la conférence, un petit nombre de camarades exprimèrent leur désaccord avec la correction proposée. En fait la situation politique ne s’ouvrit qu’en octobre 1989, lorsqu’il devint clair que la police n’allait pas attaquer les manifestations de masse ; auparavant, les seuls groupes politiques « indépendants » tolérés par la Stasi opéraient sous le parapluie de l’Eglise luthérienne et dans le cadre de la politique de « coexistence pacifique » de la bureaucratie. Il aurait été stupide et dangereux de supposer que nous aurions été traités de la même manière que la gauche opportuniste qui fouinait dans ce milieu, comme par exemple les pablistes du Secrétariat unifié, dont le programme ne menaçait ni la bureaucratie stalinienne ni les impérialistes ouest-allemands. Un dirigeant de notre section allemande fit remarquer fort justement qu’une intervention aventuriste et prématurée en RDA aurait bien pu rendre impossible d’intervenir avec les cadres qu’il fallait, quand la situation aurait changé. Lorsque nous avons pu intervenir, nous avons eu un impact considérable avec notre programme pour une « Allemagne rouge des conseils ouvriers ». Nous rencontrions un certain écho auprès d’une couche d’ouvriers est-allemands avancés, mais cette situation fut brusquement refermée par Mikhaïl Gorbatchev, dirigeant de l’Union soviétique, et les staliniens est-allemands, qui se précipitèrent pour livrer la RDA à l’impérialisme ouest-allemand.

La lutte pour la continuité révolutionnaire

La continuité que nous revendiquons, ce sont les enseignements et l’expérience révolutionnaire de Marx et Engels, de la Première et la Deuxième Internationale, de la Troisième Internationale (communiste) et des bolchéviks de Lénine et Trotsky, ainsi que du combat, qui culmina dans la formation de la Quatrième Internationale, de l’Opposition de gauche trotskyste contre la trahison stalinienne. La tendance politique incarnée aujourd’hui par la LCI a son origine dans la Revolutionary Tendency (RT) au sein du Socialist Workers Party américain en 1961-1963. Les membres de la RT voulaient poursuivre et mener à bien la bataille contre le révisionnisme pabliste dans la Quatrième Internationale, une bataille qui avait été prise en main, quoique tardivement, en 1953 par James P. Cannon, le fondateur du trotskysme américain, et qui n’avait pas été menée jusqu’au bout. Le pablisme signifiait la dissolution du parti d’avant-garde trotskyste dans diverses formations nationalistes bourgeoises, staliniennes ou social-démocrates (voir « Genèse du pablisme », supplément au Bolchévik nº 186, février 2009).

Beaucoup des cadres actuels de la LCI furent gagnés au trotskysme dans une période de radicalisation convulsive qui commença avec la Révolution cubaine en 1959-1960 et s’acheva avec la victoire finale de la Révolution vietnamienne, dirigée par les staliniens, en 1975. A quelques exceptions près, la période qui a suivi n’a guère vu que stagnation et défaites pour le prolétariat international. La tendance spartaciste est néanmoins parvenue à préserver un programme révolutionnaire pendant près de cinq décennies, plus qu’aucune autre formation marxiste dans l’histoire. Transmettre cet héritage aux jeunes générations du parti est une de nos tâches les plus importantes ; à cet effet la LCI a entrepris un vaste programme d’éducation sur l’histoire des premières années de notre tendance.

Le fait que la plus grande partie de notre direction internationale soit aux Etats-Unis pose des problèmes. Les Etats-Unis sont la première puissance impérialiste, mais le prolétariat y est le plus arriéré politiquement des pays capitalistes avancés. Depuis la création de notre tendance nous avons toujours eu conscience qu’un parti révolutionnaire ne peut pas résister à la pression déformante de l’isolement national sans la discipline de la collaboration internationale. Pour essayer de contrer ces pressions sur le plan organisationnel, le CEI élu par la conférence comprend une plus grande proportion de membres des sections non américaines. Cela reflète aussi un certain changement générationnel dans la direction du parti. La conférence a également résolu de prendre des mesures pour consolider un collectif du CEI en Europe. Le document de conférence souligne que « nous pouvons et nous devons utiliser le CEI comme une instance composée de pairs, dont les différentes expériences nationales doivent se compléter afin d’affiner notre ligne et notre compréhension des événements, à l’échelle du globe comme à celle de chaque pays ».

Cette Sixième Conférence internationale marque un grand pas en avant dans le réarmement programmatique et théorique de la LCI que nous nous efforçons continuellement de mettre au centre de nos préoccupations. Nos racines restent très fragiles, et il n’y pas de réponses toutes faites aux difficultés auxquelles sont aujourd’hui confrontés les marxistes révolutionnaires. Malgré tout, comme le conclut notre document de conférence : « S’il doit y avoir un avenir communiste pour l’humanité, il n’y a pas d’autre choix que de persévérer dans la lutte pour maintenir notre continuité révolutionnaire, indispensable pour reforger une Quatrième Internationale authentiquement trotskyste. »