Spartacist, édition française, numéro 37 |
été 2006 |
Correspondance avec Revolutionary History
La lettre de la Prometheus Research Library (PRL) ci-dessous, adressée à la revue Revolutionary History, a été publiée dans son numéro de 2005 (Vol. 9, no 1) avec la réponse reproduite à la suite. La PRL est la bibliothèque darchives et douvrages de référence de la Spartacist League/U.S. (section américaine de la Ligue communiste internationale [quatrième-internationaliste]). Notre article sur Dog Days [Les années noires] est paru dans Spartacist édition française no 35, printemps 2003.
Le 10 février 2005
A la rédaction,
Dans sa critique de notre livre, Dog Days : James P. Cannon vs. Max Shachtman in the Communist League of America, 1931-1933 [Les années noires : James P. Cannon contre Max Shachtman dans la Communist League of America, 1931-1933], Al Richardson nous accusait de ressortir « le mensonge depuis longtemps discrédité » que cétait James P. Cannon et Maurice Spector qui avaient, en 1928, fait sortir clandestinement dUnion soviétique deux des trois parties de la Critique du programme de lInternationale communiste de Trotsky. Richardson (Revolutionary History, Vol. 8, no 4, 2004) maintenait quau contraire : « Il est bien connu que cétait George Weston » qui avait fait sortir une partie du document qui avait été distribué en copies numérotées aux membres de la Commission sur le programme (y compris à Cannon et Spector) au Sixième Congrès mondial de lInternationale communiste en 1928.
Voici en réalité ce que nous avons écrit dans notre introduction à Dog Days : « Ayant pris la décision de se battre pour les conceptions de Trotsky, ils [Cannon et Spector] firent sortir clandestinement de Moscou un exemplaire incomplet de la Critique de Trotsky. » En nous accusant de répandre un « mensonge depuis longtemps discrédité », Richardson portait à un niveau qualitativement supérieur laccusation quil avait publiée dans une critique de notre premier livre, James P. Cannon and the Early Years of American Communism [James P. Cannon et les premières années du communisme américain]. Il avait écrit : « Les rédacteurs refusent toujours daccepter le fait que la Critique en question a été sortie clandestinement, non par Cannon mais par George Weston (p. 64), bien que cela soit totalement confirmé par les mémoires de Harry Wicks publiées récemment (Keeping My Head [Garder la tête froide], p. 158) » (Revolutionary History, Vol. 5, no 1 [automne 1993]).
Dans Keeping My Head (Londres, Socialist Platform Ltd, 1992), Wicks disait que George Weston, qui avait rejoint très tôt le PC britannique, avait été chargé de travailler avec le Secours rouge international à Moscou, où il vécut en 1928 avec sa femme. Ailleurs, il est dit que Weston était Irlandais (voir Revolutionary History, Vol. 6, no 2/3, été 1996). Wicks aussi était à Moscou à la fin des années 1920, où il étudiait à lEcole Lénine, et il a parlé de cet épisode de sa vie dans ses mémoires, qui nétaient pas terminées lorsquil est mort en 1989. Wicks connaissait les Weston et a rapporté que Weston était un partisan de Trotsky avant même que Cannon narrive à Moscou pour le Sixième Congrès de lIC. Wicks racontait :
« Lorsque jai rencontré la veuve de Weston à lappartement de Tamara Deutscher au début des années 1970 (en présence dun magnétophone quun camarade du nom de Ken Tarbuck avait amené), nous avons discuté de nos années à Moscou. Quand jai rencontré pour la première fois le couple Weston, ils avaient déjà une fille ; leur fils Vladimir est né pendant que jétais encore à Moscou. Comme le travail de Weston sest achevé avec la fin de ce congrès, il est retourné en Grande-Bretagne avec sa famille à peu près à cette époque-là. Madame Weston se souvient que cette Critique avait été insérée dans lours en peluche de Vladimir. Cest de cette manière quil a été transmis au groupe Fischer-Urbahns à Berlin. Je ne sais pas si la copie de Weston était celle de Cannon ou celle de quelquun dautre. »
Wicks ne prétendait nullement tenir linformation de première main sur les circonstances dans lesquelles le document a été sorti clandestinement de Moscou. Son récit se base sur des souvenirs de Madame Weston, bien des années après les faits. Il ne savait pas si Weston avait fait sortir le document pour Fischer-Urbahns (des partisans de Zinoviev) ou pour Cannon. Cest loin de faire autant autorité que ne le donne à entendre Richardson.
Dans sa contribution au livre James P. Cannon as We Knew Him [James P. Cannon tel que nous lavons connu] (New York, Pathfinder Press, 1976), Sam Gordon, un des premiers membres de la Communist League of America, qui a été personnellement très proche de Cannon et qui a vécu en Grande-Bretagne après la Deuxième Guerre mondiale, a aussi raconté comment le document avait été sorti clandestinement dURSS dans lours en peluche du fils de Weston. Gordon disait quil tenait cette histoire de Wicks et de Madame Weston.
En 1963, au cours dun entretien dans le cadre du programme dhistoire orale de Columbia University, Max Shachtman, qui était lun des collaborateurs personnels et politiques les plus proches de Cannon en 1928, avait dit que Cannon et Spector avaient volé une copie du document dun délégué australien, et que cétait Spector en personne qui lavait fait sortir clandestinement dans ses bagages (p. 153-154). Tout comme la version de Wicks, cest un récit de seconde main, raconté bien des années après les faits. Cannon lui-même na jamais rien dit publiquement ni écrit sur ce sujet, même des années après. Tout ceci nous a amenés à écrire, dans lintroduction de James P. Cannon and the Early Years of American Communism : « On ne sait pas très bien comment Cannon et Spector réussirent à faire sortir une copie dUnion soviétique. »
Les moyens physiques réels utilisés pour faire sortir le document dURSS sont loin dêtre la question principale. Cannon et Spector, qui faisaient partie de la direction de deux des sections du Comintern, avaient compris limportance cruciale du document de Trotsky. Ils avaient décidé que le combat de Trotsky était le leur, et ils se sont arrangés pour faire sortir dURSS la Critique de Trotsky, qui a été dans les faits le document fondateur du trotskysme mondial. Pensant que cétait la version complète, la Communist League of America a publié le document incomplet, dabord sous la forme dune série en plusieurs parties dans les pages du Militant, puis en 1929 sous forme de brochure. Lorsque la CLA a obtenu une copie de la partie du milieu, « La stratégie et la tactique de lépoque impérialiste », elle la publiée séparément en 1930 sous le titre « La stratégie de la révolution mondiale ». Une nouvelle version, mieux traduite, du document intégral a été publiée par les trotskystes américains en 1936, sous le nom de lInternationale communiste après Lénine. Daprès la bibliographie complète des écrits de Trotsky faite par Louis Sinclair, aucune version de la Critique de Trotsky na été publiée en Grande-Bretagne avant 1954.
Richardson lui-même admettait dans le passé que Cannon avait aidé à faire sortir clandestinement le document. Dans Against the Stream, A History of the Trotskyist Movement in Britain 1924-38 [A contre-courant, une histoire du mouvement trotskyste en Grande-Bretagne 1924-1938] (Londres, Socialist Platform Ltd, 1986), Richardson et son collaborateur Sam Bornstein écrivaient que la Critique avait été « sortie clandestinement du pays par Weston et Cannon, et publiée aux Etats-Unis au début de lannée suivante » (p. 37). Pourquoi Richardson insiste-t-il, près de 20 ans plus tard, que le fait décrire que Cannon ait aidé à faire sortir le document dURSS, cest répéter un « mensonge depuis longtemps discrédité » ? On peut supposer que cette calomnie sert peut-être à accréditer sa thèse selon laquelle des cadres communistes durs comme Cannon nétaient que des hommes de main zinoviévistes. Daprès Richardson, les véritables trotskystes cétait ceux qui ont rapidement quitté lOpposition de gauche : Ludwig Lore, qui a défendu non seulement Trotsky mais Paul Levi et Serrati ; Boris Souvarine, que Trotsky a accusé dêtre un dilettante petit-bourgeois ; Kurt Landau, qui faisait passer ses relations personnelles et sa position dans lorganisation avant le programme, et Alfred Rosmer qui sest montré intrinsèquement incapable de mener les batailles politiques internes pour forger une organisation trotskyste internationale. Richardson a entièrement le droit (comme cest le cas de toute personne qui publie une critique) de ne pas aimer notre livre. Mais il a abusé de ce droit en nous accusant à tort de mentir.
Emily Turnbull, James Robertson pour la Prometheus Research Library
cc : Spartacist, organe théorique de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste)
Spartacist League/Britain
Le comité de rédaction de RH répond :
Le regretté camarade Richardson nest pas en position de se défendre. Autant que le sache le comité de rédaction de Revolutionary History, tous les témoignages non concluants sur la façon dont la Critique a été clandestinement sortie dURSS correspondent à ce qui est exposé dans la lettre ci-dessus. Si quelquun a davantage de renseignements sur cette affaire, nous nous ferons un plaisir de les publier.