Spartacist, édition française, numéro 36

été 2004

Campagne aux USA contre les immigrés, les femmes, la sexualité

Les USA et l'ONU partent en croisade contre la « traite des femmes »

TRADUIT DE SPARTACIST (EDITION ANGLAISE) nº 58, PRINTEMPS 2004

Faisant hommage à l'impérialisme américain au Jour de l'An cette année, le secrétaire d'Etat américain Colin Powell se félicitait, ainsi que son chef, George W. Bush, en ces termes : « En 2003 nous avons libéré des milliers de personnes de l'oppression grâce au programme du président Bush pour combattre le trafic d'êtres humains [...]. Nous avons sauvé des vies et racheté celles réduites à l'esclavage, et nous en ferons plus encore en 2004 » (New York Times, 1er janvier 2004). Les Etats-Unis ont effectivement intensifié leur croisade contre le trafic d'être humains, « en particulier l'esclavage sexuel », d'après Christopher H. Smith, membre du Congrès et auteur de la Loi pour la protection des victimes du trafic d'êtres humains. Etant donné que des mots comme « liberté » et « rachat » sont, en jargon impérialiste américain, synonymes de répression gouvernementale intensifiée et intervention militaire sanglante, de même que « libération » est le terme utilisé par Washington pour le viol colonial et l'occupation de l'Irak, la promesse d'en faire « encore plus » est une menace. Dans le cas présent, « racheter celles réduites à l'esclavage » signifie lâcher les flics et la justice en s'attaquant sans répit aux immigrés, aux femmes et à la sexualité.

Les sources gouvernementales prétendent que chaque année des milliers de femmes et d'enfants sont kidnappés, introduits clandestinement aux USA et forcés de se prostituer par des réseaux criminels. Au Département d'Etat américain le bureau de surveillance et de lutte contre le trafic des personnes, dirigé par l'ancien parlementaire républicain John R. Miller, affiche sur son site Internet des histoires de viol, d'abus sexuel, de violences et de prostitution forcée. Les médias donnent le ton à coups de titres à sensation, d'histoires et de photos scabreuses.

Ce que le gouvernement appelle « l'esclavage moderne » c'est en grande partie l'asservissement par les dettes exorbitantes qu'un travailleur a contractées pour obtenir et garder un boulot, et qu'il est contraint à rembourser. Le servage de la dette est en progression dans le monde entier. On ne peut jamais se fier aux statistiques en ce qui concerne les activités illégales : dans ce cas, elles reflètent aussi le parti pris du chercheur. Mais il y a effectivement un nombre incalculable d'immigrées clandestines travaillant comme prostituées qui doivent rembourser des dettes exorbitantes au passeur qui leur a fait traverser la frontière, ou qui sont prises au piège par un réseau criminel. Il est généralement reconnu que les travailleurs piégés par les dettes sont essentiellement des immigrés clandestins qui sont ouvriers agricoles, domestiques, nourrices, ou qui sont horriblement exploités dans de petites entreprises du tiers-monde.

Le kidnapping, l'asservissement par la dette, les agressions sexuelles, les coups – quelle qu'en soit la raison – sont d'horribles crimes. Mais il faut faire une distinction qualitative entre ce type de contrainte et l'acte clairement consenti d'échanger de l'argent contre un rapport sexuel entre une personne prostituée et son client. Un des buts de la campagne « contre l'esclavage sexuel » est de mélanger « trafic d'êtres humains », « esclavage sexuel » et prostitution, et de mettre dans la catégorie d'« esclavage » tout rapport sexuel échangé contre de l'argent et tout passage clandestin de frontière. Maintenant, toutes les immigrées seraient des « esclaves sexuelles ».

Le tour de passe-passe de l'administration Bush consiste ici à réinterpréter le péché et le sexe avec le vocabulaire des « droits de l'homme », pour satisfaire les conservateurs religieux tout en adoptant une tournure de langage plus moderne. Donc, au cours d'un discours sur ce sujet aux Nations Unies en septembre 2003, Bush prêchait : « Près de deux siècles après l'abolition du commerce transatlantique des esclaves, et plus d'un siècle après que l'esclavage a été officiellement aboli, le commerce des êtres humains, quelle qu'en puisse être la motivation, ne doit pas être autorisé à prospérer à notre époque » (www.usembassy.it). Ceci vient d'un homme dont le procureur général est ouvertement un admirateur des anciens confédérés sudistes propriétaires d'esclaves ! Cela n'empêche pas des pontes de la presse comme le chroniqueur du New York Times Nicholas Kristof de saluer l'impérialisme des « droits de l'homme » de Bush. Ce Démocrate de gauche, qui avait relaté son expérience d'acheter des « esclaves sexuelles » au Cambodge afin de pouvoir « les libérer » (sans beaucoup de succès : l'une d'entre elles est repartie au bordel et a insisté pour y rester), conclut l'une de ses chroniques en distribuant des louanges à l'administration réactionnaire actuelle : « La politique du président Bush envers les femmes a souvent été sans coeur – il a par exemple coupé les fonds pour des programmes en faveur d'accouchements sans risque en Afrique à cause de querelles idéologiques avec les groupes donateurs. Mais sur la question du trafic d'êtres humains, ce gouvernement a montré la voie » (New York Times, 31 janvier 2004).

Marchant au pas dans la croisade contre la « traite des femmes », on trouve des partenaires de longue date du gouvernement américain dans la chasse aux sorcières antisexe au nom des « valeurs familiales », comme la droite évangéliste et l'establishment féministe bourgeois. Le tour de passe-passe qui fait de toute prostitution de l'« esclavage sexuel » est gracieusement fourni par les organisations féministes conservatrices telles que la Coalition Against Trafficking in Women (CATW – Coalition contre la traite des femmes) qui assimile la prostitution au viol en série. La CATW a joué un rôle décisif dans l'écriture du projet de loi pour la protection des victimes du trafic d'êtres humains (2000) et du « Protocole pour la prévention, la répression et la punition du trafic d'êtres humains » (2001) des Nations Unies, lui-même un additif à la Convention de l'ONU contre le crime organisé transnational. Ces documents préparent le terrain à une chasse aux sorcières internationale des polices contre les immigrés clandestins, présentés soi-disant comme des « trafiquants sexuels », ce qui va inévitablement frapper les femmes le plus durement.

Cette campagne qui se retourne contre les femmes a déjà dépassé le cadre de la répression policière. En janvier 2003 le gouvernement Bush a annoncé par le biais de l'USAID (Agence américaine pour le développement international) qu'il arrêtait le financement de projets internationaux qu'il considérait comme soutenant la décriminalisation de la prostitution et « la légalisation des drogues, de l'injection de drogues et de l'avortement ». De telles décisions ont un énorme impact, particulièrement dans les pays pauvres du tiers-monde où les femmes vivent dans des conditions d'arriération sociale, accablées par la réaction religieuse et le poids des traditions qui maintiennent le joug de l'oppression familiale. Comme le disait Anna-Louise Crago, membre fondateur du groupe d'action politique des travailleuses du sexe de Montréal :

« Déjà en 2001, le Conseil de la population et la Fondation Asie ont publié conjointement une étude qui a découvert qu'au Népal, un pays qui reçoit une bonne partie de l'argent de l'USAID contre le trafic d'êtres humains, "la pratique courante pour contrôler ce trafic est de limiter l'émigration des femmes". On a découvert que des ONG envoyaient des messages menaçants aux femmes pour les décourager de quitter leur village et il y a aussi des femmes et des jeunes filles qui ont témoigné qu'on les avait empêchées de traverser la frontière, en dépit de véhémentes protestations qu'elles le faisaient de leur plein gré. »

—Alternet, « Unholy Alliance » [Une alliance contre nature], 21 mai 2003

La Loi pour renforcer la protection des victimes du trafic d'êtres humains (Trafficking Victims Protection Reauthorization Act – TVPRA), adoptée par le Congrès en décembre 2003, a deux clauses opérationnelles essentielles : une augmentation du budget pour « les patrouilles de douaniers sur les trains transfrontaliers pour identifier les victimes de trafics d'êtres humains », autrement dit, renforcer la police aux frontières ; un durcissement des clauses permettant aux Etats-Unis de sanctionner les pays qui, selon le Département d'Etat, ne respectent pas sa législation contre le trafic d'êtres humains. On offre des visas spéciaux aux « victimes » de ce trafic, mais seulement à la condition qu'elles coopèrent avec les procureurs du gouvernement ; autrement, elles seront elles-mêmes l'objet de poursuites en tant que prostituées et immigrées clandestines. De plus, la TVPRA rajoute le « trafic d'êtres humains » sur la liste des crimes de la loi RICO, une loi scélérate qui permet au gouvernement de saisir tous les biens des suspects, qui ainsi n'ont plus les moyens de se défendre. La TVPRA spécifie aussi qu'« Aucun financement [ne doit] servir[...] à faire la promotion, soutenir ou défendre la légalisation ou la pratique de la prostitution. »

Pourtant le gouvernement américain ne semble même pas prendre tellement au sérieux son propre battage médiatique. Bush prévoit de dépenser 1,5 milliard de dollars pour la « promotion du mariage » ; mais le Congrès a voté de réserver seulement 20 millions de dollars par an à « la prévention » et « la protection et l'aide » aux « victimes », sur un budget total de 100 millions de dollars par an prévu pour lutter contre le trafic d'êtres humains. Ceci aussi montre bien l'objectif répressif et idéologique de la loi, qui est de renforcer la trinité de l'oppression capitaliste : l'Etat capitaliste, la religion officielle et l'institution de la famille, source principale de l'oppression des femmes dans cette société de classe.

L'offensive impérialiste s'acharne contre les femmes

Cette croisade répressive est parrainée par les forces mêmes qui sont responsables de la destruction des Etats ouvriers de l'ex-Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique, où, en dépit des déformations des bureaucraties staliniennes, les économies planifiées signifiaient que tout le monde pouvait accéder aux services sociaux élémentaires. Le niveau sans précédent d'immigration, légale et clandestine, à l'échelle mondiale, est largement la conséquence directe de la contre-révolution capitaliste dans ces pays-là. Non seulement elle a dévasté ces pays mais elle a aussi rendu le tiers-monde de plus en plus vulnérable au pillage de l'impérialisme mondial. L'aide financière que les impérialistes accordaient auparavant aux pays du tiers-monde, comme concession pour les garder dans leur giron dans le contexte de la guerre froide contre l'URSS, a été réduite à une peau de chagrin. L'intensification de l'exploitation des travailleurs, l'aggravation de la misère et la guerre signifient que les gens se déplacent comme jamais auparavant.

En Europe de l'Est et dans l'ex-Union soviétique, la contre-révolution capitaliste a rejeté les femmes des décennies en arrière. Elles qui avaient été éduquées et employées à un des plus hauts niveaux dans le monde, font face maintenant à un chômage massif et chronique tandis que la prostitution est montée en flèche. Dans la Russie post-soviétique, le produit intérieur brut a chuté de plus de 80 % entre 1991 et 1997 ; d'après les statistiques officielles, il y a eu une baisse de 90 % des investissements en capitaux. Au milieu des années 1990, 40 % de la population de la Fédération de Russie vivait au-dessous du seuil de pauvreté officiel, et 36 % à peine au-dessus. Des millions de personnes souffrent de la faim.

Parmi les fléaux qui continuent à se répandre à travers le monde dans ce climat économique et social réactionnaire, il y a le mariage forcé, l'achat et la vente d'enfants, la réclusion forcée sous un voile qui va de la tête aux pieds, l'excision et les « meurtres pour l'honneur ». La prostitution forcée, qui existe depuis des milliers d'années, est vraisemblablement en augmentation. Mais les mesures répressives adoptées par les Etats capitalistes au nom des « droits de l'homme » et de la « protection des femmes » ne vont faire qu'intensifier ces fléaux à cause de la répression de l'Etat. Les lois racistes contre les immigrés garantissent l'exploitation brutale des immigrés, privés de couverture sociale ainsi que de l'accès à l'éducation et à un avocat pour ceux qui sont victimes de crimes.

Le 1er mai, dix pays économiquement dévastés d'Europe de l'Est ont adhéré à l'UE dont les frontières sont soi-disant « ouvertes », et les gouvernements d'Europe de l'Ouest ont eu une réaction de panique anti-immigrés. La presse à sensation britannique a prétendu que 1,6 million de Tsiganes d'Europe de l'Est étaient en train d'attendre l'ouverture des frontières britanniques, ce qui a créé la peur générale d'un afflux massif d'émigrés d'Europe de l'Est, une peur tellement répandue que même le président du Parlement européen l'a dénoncée comme « exagérée » (Coventry Evening Telegraph, 19 février 2004). Tous les gouvernements européens actuels ont adopté des mesures spécifiques pour faire des personnes appartenant aux dix nouveaux pays membres des citoyens de seconde zone, en restreignant soit le droit aux avantages sociaux, soit le droit au travail, soit les deux à la fois. Ces lois racistes jettent les immigrés dans les griffes des passeurs, vu que c'est souvent l'unique moyen d'entrer aux Etats-Unis ou en Europe.

Les lois qui régissent les moeurs en Europe sont généralement plus souples qu'aux Etats-Unis, mais chaque pays a une forme ou une autre de limitation, de réglementation ou d'interdiction au niveau de la loi qui permet le harcèlement policier. La majorité des prostituées du continent sont maintenant des immigrées. Comparé aux dizaines de milliers d'expulsions pratiquées chaque année dans la « forteresse Europe », le nombre de prostituées déportées est minuscule, mais les lois qui régissent les moeurs donnent à la police encore une arme supplémentaire et servent à justifier de nouvelles lois qui interdisent l'asile aux femmes immigrées qui fuient les persécutions de leur pays d'origine.

En France, 40 % des prostituées viennent des Balkans et 37 % sont d'origine africaine. En Italie, on estime que 90 % des femmes qui font le trottoir sont des immigrées sans papiers. En 2002, l'Italie a lancé un coup de filet à l'échelle du pays, ce que le Premier ministre Silvio Berlusconi a appelé un combat entre le bien et le mal. Pour l'Etat italien, les grands sauveurs d'« esclaves sexuelles » ce sont le Vatican et les carabinieri (la police). Entre-temps, les autorités italiennes laissent périr noyés des femmes et des enfants d'Albanie et d'ailleurs qui tentent d'atteindre la côte est de la péninsule italienne.

Le harcèlement policier de la prostitution a augmenté, mais il n'a pas fait apparaître de solides preuves d'un « esclavage sexuel » en expansion. Le 11 octobre 2003, l'Agence France-Presse rapportait qu'une descente de police massive avait eu lieu sur tout le territoire de la République tchèque, que les Nations Unies appellent la plaque tournante du trafic sexuel, visant « le trafic de femmes vendues comme prostituées et la prostitution forcée ». Quelque 4500 policiers ont perquisitionné 435 clubs érotiques et autres locaux du même type à travers tout le pays, à la recherche de femmes « forcées à travailler comme prostituées ». Sur les 96 personnes retenues pour interrogation, 17 ont été accusées de proxénétisme et 16 de « trafic de femmes vendues comme prostituées ». Mais sur les 1391 personnes non tchèques qui ont été interrogées pendant ces rafles, la police n'a trouvé que trois prostituées étrangères qui aient demandé à être rapatriées.

Les prostituées européennes ont réagi contre le harcèlement policier et les sévices qui leur sont infligés par les criminels. En Espagne, où la majorité des prostituées viennent d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Europe de l'Est, le Collectif pour la défense des droits des prostituées a organisé une manifestation à Madrid pour exiger les mêmes droits que les autres travailleurs, comme la sécurité sociale payée par le patron, ce qui va les aider, d'après une porte-parole, à « tenter de rembourser les énormes dettes contractées envers les mafias qui les ont fait entrer clandestinement dans le pays » (New York Times, 19 janvier 2004).

USA, ONU, OTAN : retrait immédiat des Balkans !

L'une des conséquences désastreuses du battage médiatique, c'est qu'il empêche de voir les vrais crimes : la prostitution forcée qui existe réellement. La situation est probablement la pire dans les Balkans, où la dévastation de la contre-révolution capitaliste a été amplifiée par les destructions de la guerre impérialiste des USA et de l'OTAN contre la Serbie en 1999. Il y a constamment des éruptions meurtrières de haine ethnique, provoquées par l'éclatement de l'ancien Etat ouvrier déformé de Yougoslavie selon des lignes de fracture nationales. Des réfugiés fuyant les guerres et les conflits ethniques tentent désespérément de quitter la région. En même temps, l'occupation militaire, avec ses milliers de soldats des USA et de l'ONU, est une source fertile de clients pour la prostitution.

Ces éléments convergent pour faire des Balkans l'endroit où le trafic d'êtres humains est le pire en Europe. Les trafiquants y amènent des femmes de Russie et d'autres pays d'Europe de l'Est pour remplir les bordels, pendant que les Albanaises et d'autres femmes tentent de se faire un chemin jusque dans les grandes villes d'Europe de l'Ouest. Le gouvernement américain prétend que ce sont des réseaux criminels qui dirigent le trafic d'« esclaves sexuelles » mais, dans les Balkans, ce trafic remonte directement au personnel des USA, de l'ONU et de l'OTAN. Lors d'une déclaration faite le 24 avril 2002 devant la Commission parlementaire sur les relations internationales, David Lamb, enquêteur des droits de l'homme dans les Balkans, qui avait fait une recherche sur la prostitution forcée là-bas, dénonçait la collusion et la duplicité de l'ONU : « Le trafic d'esclaves sexuelles en Bosnie existe en grande partie à cause de l'opération de maintien de la paix de l'ONU [...]. Ce trafic de femmes forcées à se prostituer et le commerce de la prostitution sont contrôlés par les seigneurs de guerre du crime organisé, dont la plupart sont arrivés au pouvoir en tant que chefs de guerre agressifs et sans pitié dans des armées ou des milices pendant la guerre. » En décrivant les difficultés qu'il a rencontrées dans son enquête sur ces mauvais traitements, il disait : « Toutes les fois que l'implication du personnel de l'ONU apparaissait à la surface dans l'enquête, le soutien du quartier général de l'ONU a stoppé [...]. Mes enquêteurs et moi-même avons été les témoins d'une incroyable tentative pour étouffer l'affaire qui semblait atteindre les plus hauts échelons du quartier général de l'ONU. »

Des articles de presse ont donné des détails sur l'implication tant du personnel des Nations Unies que de celui de la société DynCorp, une agence qui fournit des mercenaires au Pentagone, dans l'organisation des réseaux de proxénétisme dans les Balkans ; des femmes de l'Europe de l'Est étaient emmenées en Bosnie et se faisaient confisquer leur passeport (« L'armée secrète de l'Amérique pour le profit », New York Times, 13 octobre 2002 ; « Bosnie : La police de l'ONU accusée d'implication dans la prostitution », Associated Press, 19 juin 2001). Pour ce qui est des autres forces de l'OTAN, un article dans Junge Welt, « Le bordel d'enfants prostitués à Tetovo : scandale sexuel étouffé parmi les soldats de la Bundeswehr dans les Balkans » (1er mars 2001), a révélé que la question de « bordels militaires de campagne » organisés par l'armée avait été discutée au sein du gouvernement de coalition du SPD et des Verts allemands. La porte-parole des Verts, Angelika Beer, aurait dit que le gouvernement se souciait « du bon état psychologique et donc de l'aptitude au combat » des troupes allemandes à l'étranger, et que c'était une bonne raison pour organiser des bordels de Mädchen [jeunes filles] allemandes pour protéger les soldats des femmes mineures et présumées malades des Balkans. Cette proposition rappelle fort le système des bordels contrôlés par l'Etat dans le système concentrationnaire de la Wehrmacht de l'Europe occupée par les Nazis.

Les USA font un esclandre à propos de « l'esclavage sexuel » alors que les pires cas de prostitution forcée existent précisément dans la zone militairement occupée par les USA et par l'ONU. Lorsqu'en 1993, en plein massacre intercommunautaire tous azimuts, le Démocrate Bill Clinton avait menacé les Serbes d'intervenir militairement, c'était les féministes pro-impérialistes qui appelaient le plus fanatiquement à la guerre, en manipulant des rapports de viols en masse et de violences sexuelles en Bosnie pour demander que la soldatesque américaine vienne « sauver » les femmes musulmanes bosniaques. NOW (Organisation nationale pour les femmes) avait même réclamé des sanctions du Fonds monétaire international, cet infâme cartel international de banquiers qui depuis des décennies soumet des centaines de millions de pauvres du tiers-monde à une politique de famine brutale.

La guerre fait inévitablement surgir la prostitution, c'est seulement une question de degré dans la brutalité. Du général Joe Hooker de la guerre civile américaine, dite de Sécession, à qui on attribue communément d'avoir apporté aux Anglo-américains un nouveau mot pour le plus vieux métier du monde [« hooker » signifie « prostituée » en anglais], jusqu'aux lieux de « villégiature » en Thaïlande pour les permissionnaires américains pendant la sale guerre impérialiste contre le Vietnam, la prostitution fait inévitablement partie des bagages de l'armée.

Parlant d'une guerre impérialiste du passé, l'auteur Lujo Basserman écrivait :

« Lorsqu'on rapporta à Berlin la remarque arrogante de la reine Victoria disant que l'existence de prostituées était un affront à Sa Majesté, une prostituée inscrite au registre de la police, du nom de Christine Leichluss, répondit [...], "Je préfère être la débauchée que je suis que d'avoir la responsabilité de la guerre des Boers comme Victoria." »

The Oldest Profession : A History of Prostitution [Le plus vieux métier du monde : une histoire de la prostitution] (New York, Donet Press, 1967)

Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés !

La classe capitaliste ne veut pas éliminer la main-d'oeuvre constituée par les immigrés, son but est plutôt de profiter de l'immigration par n'importe quel moyen. Par exemple, aux USA, les immigrés du Mexique servent d'armée de réserve des travailleurs ; ils sont indispensables particulièrement pour l'agriculture californienne, mais quand on n'a plus besoin d'eux, on peut très vite les expulser. Les immigrés font aussi les travaux pénibles et mal payés, parce que ceux qui ont une autorisation de travailler légalement aux Etats-Unis ne veulent pas de ces emplois à cause des salaires de misère qu'on y paie. Le niveau de leur désespoir est le sujet du film Dirty Pretty Things, où l'on voit des immigrés clandestins vendre leur rein contre un passeport et des jeunes femmes tailler une pipe à leur fumier de patron pour garder leur travail dans d'horribles ateliers clandestins. Beaucoup d'immigrés envoient une grande partie, sinon la majeure partie de ce qu'ils gagnent à leur famille dans leur pays d'origine. La moitié des 120 millions d'immigrés légaux ou clandestins du monde sont des femmes qui généralement travaillent comme nourrice, femme de ménage ou domestique en tout genre, et quelquefois dans le commerce sexuel.

Dans Global Woman : Nannies, Maids, and Sex Workers in the New Economy [La femme dans le monde : nourrices, femmes de ménage, et travailleuses du sexe dans la nouvelle économie] publié par Barbara Ehrenreich et Arlie Russel Hochschild (New York, Henry Holt, 2002), l'introduction décrit une politique du gouvernement au Sri Lanka qui encourage les femmes à émigrer pour chercher un travail de domestique, laissant derrière elles leurs enfants chez des membres de la famille. Un auteur signale que 34 à 54 % de la population des Philippines survit grâce à l'argent que leur envoient les ouvriers émigrés, dont les revenus constituent la source en devises étrangères la plus importante de l'économie, presque 7 milliards de dollars en 1999. Les deux tiers des ouvriers émigrés philippins sont des femmes.

Bush dit que c'est « un mal spécial », mais le fait reste que pour beaucoup de femmes la prostitution est peut-être une meilleure perspective de travail que d'être forcée de travailler aux champs au pays, de se casser les reins à travailler dans une usine ou de subir un autre sort tout aussi lamentable en tant qu'immigrée « clandestine » à l'étranger. Des millions de femmes immigrées nettoient les toilettes et les sols, changent les lits et les pots de chambre, nourrissent les bébés et les personnes âgées et travaillent dans les ateliers les plus misérables à faire les tâches les plus ingrates et les plus méprisées, tout en subissant des mauvais traitements racistes et sexuels. Des salaires de famine, aucune couverture sociale, de longues journées de travail et les coups et les agressions sexuelles ne sont que trop courants.

Certaines des ouvrières les plus horriblement exploitées sur le continent américain travaillent dans les maquiladoras, les zones frontalières de « libre-échange » au Mexique qui ont été et sont une source de profits mirobolants pour les entreprises impérialistes. Là-bas, les femmes, dont beaucoup n'ont que 16 ans, sont exposées à des produits chimiques toxiques, souffrent de douleurs et de déformations aux doigts provoquées par les gestes mécaniques répétitifs sur les chaînes de montage. Beaucoup sont soumises à des fouilles au corps humiliantes ; certaines ont été obligées pour se faire embaucher de fournir la preuve qu'elles n'étaient pas enceintes. Il est urgent que les ouvriers des deux côtés de la frontière luttent ensemble contre les capitalistes américains qui continuent à violer le Mexique avec leur « libre-échange ».

La prostitution : que diable est-ce donc ?

La plupart des gens vous diront qu'ils savent ce que c'est, mais la définition de la prostitution qui est donnée dépend de l'opinion de celui qu'on interroge. H. Masters et Virginia E. Johnson, experts réputés en sexualité humaine, font le commentaire suivant : « La prostitution est difficile à définir, étant donné que les êtres humains ont toujours utilisé le sexe pour obtenir ce qu'ils voulaient, comme par exemple la nourriture, l'argent, des objets de valeur, une promotion et le pouvoir » (Sex and Human Loving [Le sexe et l'amour humain], Boston, Little, Brown, 1988).

Le statut de la prostituée est lié au statut général des femmes dans la société, lui-même une mesure du degré de développement d'une société. La situation dans laquelle sont les prostituées varie donc beaucoup avec l'époque, le lieu et la classe sociale. Dans le monde industrialisé, où les femmes ont plus facilement accès à l'éducation et au travail, les prostituées ont tendance à se recruter parmi les femmes les plus pauvres et les plus désespérées. Les statistiques varient énormément, mais on peut dégager quelques courants : aux Etats-Unis au moins, un fort pourcentage des prostituées n'ont aucune formation et n'ont qu'une éducation primaire. Etant donné le racisme de la société américaine, il n'est aucunement surprenant que les femmes noires soient surreprésentées dans la prostitution – particulièrement parmi celles qui ont été arrêtées et mises en prison. A San Francisco, d'après le Sex Workers Outreach Project (groupe d'aide aux prostituées), 57 % des prostituées sont noires (la ville elle-même n'a que 8 % de Noirs). Il y a un fait frappant qui est confirmé par la plupart des sources : les adolescentes en fugue qui fuient une situation de famille misérable n'ont guère d'autre choix et deviennent souvent prostituées.

Il y a une différence énorme entre une tenancière de bordel à Hollywood qui mène une vie de luxe facile, comme Heidi Fleiss (ce qui ne l'empêche pas d'avoir été jetée en prison), et celle d'une femme toxicomane et malade du SIDA, qui fait le trottoir dans un misérable ghetto, sans autre choix et sans moyen de s'en sortir. Néanmoins, toutes les prostituées sont soumises à la vindicte sociale générale de la moralité et de l'hypocrisie bourgeoises, ce qui en fait la cible de mauvais traitements, de viols et de vols. Ce sont les prostituées qui payent le prix fort de la haine contre les femmes. Par exemple, dans les années 1980, le « tueur de la Green River », Gary Leon Ridgway, a assassiné 48 femmes à Seattle, dans l'Etat de Washington, la plupart étant des prostituées faisant le trottoir, qu'il avait choisies parce qu'il pensait qu'il pourrait ainsi s'en tirer à bon compte.

Dans les sociétés économiquement arriérées, dans la mesure où le statut des femmes est plus bas et que leurs choix sont plus limités, la prostitution en est devenue d'autant plus attrayante comparée à la vie familiale qui revient pratiquement à de l'esclavage. Dans le Japon ancien par exemple, seules les femmes les plus belles et les plus cultivées devenaient geishas.

Un « crime sans victime »

Comme la prostitution est généralement illégale ou fortement réglementée par la loi capitaliste, les marxistes la considèrent comme un « crime sans victime », comme l'usage de la drogue, les jeux d'argent, la pornographie, les rapports homosexuels et le « détournement de mineur ». De telles activités sont considérées comme des délits aux USA car ce sont des péchés selon la moralité chrétienne bourgeoise. Du point de vue de la classe ouvrière, avoir des rapports sexuels contre de l'argent n'est un crime ni de la part de la prostituée ni de celle du client. Nous reconnaissons que la prostitution est le plus souvent dégradante et que c'est de l'exploitation, mais nous ne portons aucun jugement moral sur celle-ci, qu'elle soit pratiquée par une call girl de luxe ou par une femme qui y est forcée par une dette envers un réseau criminel ou par la réalité dure, raciste et odieuse du capitalisme.

Certains argumentent que la prostitution n'est pas un « crime sans victime » parce que les prostituées elles-mêmes sont les victimes. Le dirigeant de la Révolution russe, V.I. Lénine expliquait d'où venait le fait que les prostituées sont des victimes : « Ces femmes sont à double titre les lamentables victimes de la société bourgeoise : d'abord, de son système fondé sur la propriété et, ensuite, de sa maudite hypocrisie morale » (Clara Zetkin, Souvenirs sur Lénine, dans Bataille pour les Femmes [Paris, Editions sociales, 1980]). Mais les prostituées ne sont pas les victimes de l'acte de prostitution lui-même. Comme l'expliquent Masters et Johnson : « Le côté nocif de la prostitution des femmes n'est pas l'activité sexuelle en elle-même mais les maux qui accompagnent souvent la prostitution : l'exploitation par le crime organisé et/ou les proxénètes, les maladies sexuellement transmissibles, la toxicomanie, les risques physiques liés à certaines pratiques "spéciales", le client qui vous agresse, l'impossibilité d'économiser de l'argent pour des besoins futurs. » Nous ajouterions que dans beaucoup de sociétés le déshonneur d'avoir des rapports sexuels « immoraux » (ce qui signifie tous les rapports en dehors du mariage) peut mener à un ostracisme permanent ou même au meurtre, comme le « meurtre pour l'honneur » de femmes qui ont « déshonoré » leur famille.

La criminalisation même de la prostitution force la prostituée à vivre en marge de la société, ce qui lui ferme ou gêne l'accès aux services sociaux, et la rend plus vulnérable aux réseaux criminels et aux caprices de son proxénète. C'est aussi une source de corruption policière et elle sert à persécuter certains individus. Nous sommes contre toutes les lois visant les « crimes sans victimes » et luttons pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Nous nous opposons à ce que le gouvernement s'immisce dans la vie privée et sexuelle des gens ; nous sommes contre toute criminalisation de certaines catégories de rapports sexuels, comme c'est le cas avec les lois réactionnaires sur l'« âge de consentement » qui tentent d'imposer une vie asexuée aux adolescents. Notre critère est celui du consentement effectif, autrement dit, ce qui importe dans tous les rapports sexuels c'est qu'il y ait compréhension et accord mutuel.

Nous appelons à l'abrogation de ces lois, ce qui ne veut pas dire que nous pensons que le mouvement socialiste doive se désintéresser de ces pratiques. L'usage de drogue pour le plaisir ne regarde personne, mais la toxicomanie et l'alcoolisme à grande échelle sapent l'énergie révolutionnaire de la classe ouvrière et d'autres couches d'opprimés. Mais c'est avec l'autorité morale du mouvement socialiste prolétarien, et non par la contrainte de l'Etat, que l'on doit combattre l'oppression sociale qui engendre l'alcoolisme et la toxicomanie dans les milieux pauvres. Avec sa chasse aux sorcières antidrogue le gouvernement [américain] s'est lancé dans une campagne de terreur policière massive dans les ghettos et les quartiers latinos, et a jeté en prison des centaines de milliers de personnes.

Dans le cas des prostituées immigrées, il faut aussi se battre contre les expulsions racistes et pour les pleins droits de citoyenneté pour toutes, dans le pays où elles vivent, quels que soient les moyens par lesquels elles ont pu arriver. Les domestiques et les prostituées sont particulièrement vulnérables, étant donné qu'elles sont isolées dans la maison de ceux qui les emploient ou dans la rue, séparées de la production sociale et du mouvement ouvrier. Pourtant les femmes immigrées forment une partie de plus en plus importante et combative du secteur immigré de la classe ouvrière américaine. Ken Loach en saissisait bien la contradiction dans son film Bread and Roses [Du pain et des roses], qui raconte l'histoire de la lutte pour organiser et syndiquer des travailleurs, pour la plupart sans papiers, qui font le ménage dans les bureaux des immeubles des grandes sociétés de Los Angeles. Le film se concentre sur des soeurs immigrées latino-américaines ; l'une couche avec le patron afin d'obtenir du travail pour sa soeur, et l'autre dirige la campagne de syndicalisation « Justice for Janitors » [Justice pour le personnel d'entretien] pour le Service Employees International Union (SEIU – Syndicat international des employés de l'entretien). Les ouvrières immigrées, loin d'être des victimes sans défense, joueront un rôle important en tant que combattantes révolutionnaires dans le parti internationaliste multiracial de la classe ouvrière que nous, marxistes, nous efforçons de construire. Ce parti luttera aussi contre toutes les expressions de l'oppression des femmes, car une partie de sa mission est de faire le lien entre les besoins des victimes les plus opprimées et avilies du capitalisme, et la puissance sociale du prolétariat.

Une institution indispensable à la société capitaliste

Dans son ouvrage marxiste classique sur l'oppression des femmes, l'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat (Editions sociales/Messidor, Paris, 1983), Friedrich Engels, en parlant du statut de la femme dans la Grèce antique, dit :

« Dans Euripide, la femme est qualifiée d'oikourema, "objet pour l'entretien du ménage" (le mot est neutre) et, mis à part le soin de procréer des enfants, elle n'était pour l'Athénien que la servante principale. L'homme avait ses exercices gymniques, ses débats publics dont la femme était exclue. De plus, il avait souvent aussi des femmes esclaves à sa disposition et, à l'apogée d'Athènes, une prostitution fort étendue et à tout le moins favorisée par l'Etat. Ce fut précisément sur la base de cette prostitution que se développèrent les seuls caractères de femmes grecques qui, par l'esprit et l'éducation du goût artistique, dominaient d'aussi haut le niveau général du monde féminin antique que les femmes spartiates le dominaient par le caractère. Mais si, pour devenir femme, il fallait d'abord se faire hétaïre, c'est bien la plus sévère condamnation de la famille athénienne. »

Dans son livre, Engels, se basant sur l'information scientifique dont il disposait à l'époque, retrace l'histoire du développement de l'institution de la famille depuis les tribus et les clans communistes primitifs jusqu'à la division de la société en classes. La société primitive reposait sur la chasse et la cueillette ; il y avait une égalité entre hommes et femmes, et la division nécessaire du travail, basée sur le fait que la femme porte l'enfant, n'impliquait aucune subordination selon le sexe. Etant donné que seule la mère de l'enfant était connue, la parenté était généralement déterminée de façon matrilinéaire. Mais avec le développement d'une classe possédante patriarcale, il fallut trouver les moyens d'assurer l'héritage de la propriété et du pouvoir, et cela signifia que pour déterminer la paternité des enfants, il fallait imposer la fidélité à l'épouse. L'Etat apparut pour imposer la domination de la classe possédante par la force. C'est ainsi que naquit la famille monogamique, au sein de laquelle le mariage signifiait soumission des femmes aux hommes et destruction du droit maternel. Comme le disait Engels, « la victoire de la propriété privée sur la propriété commune primitiveet spontanée » amena « la grande défaite historique du sexe féminin ».

Engels fait la critique des usages du mariage bourgeois à son époque, où ceux qui offraient le meilleur prix arrachaient les filles pubères de la bourgeoisie mises aux enchères sur le marché matrimonial (le sujet de nombreux romans européens du XIXe siècle). Il fait le commentaire suivant :

« [...] ce mariage de convenance se convertit assez souvent en la plus sordide prostitution – parfois des deux parties, mais beaucoup plus fréquemment de la femme ; si celle-ci se distingue de la courtisane ordinaire, c'est seulement parce qu'elle ne loue pas son corps à la pièce, comme une salariée, mais le vend une fois pour toutes, comme une esclave. A tous les mariages de convenance s'applique le mot de Fourier : "De même qu'en grammaire deux négations valent une affirmation, en morale conjugale, deux prostitutions valent une vertu." »

C'est l'institution de la famille qui introduit l'argent dans les relations sexuelles. Que ce soit louer les services d'une prostituée à l'heure ou d'une épouse pour la vie, la famille et l'oppression des femmes sont fondées sur la propriété privée ; les codes religieux de moralité et la loi capitaliste sont tout ce qui distingue l'épouse de la prostituée de ce point de vue fondamental. Les statistiques montrent que le niveau de vie de beaucoup de femmes divorcées baisse après leur divorce, et l'accès à l'assurance maladie aux USA dépend d'un emploi ou du fait d'être marié à quelqu'un qui a un emploi. La dot et le prix de l'épousée sont devenus une rareté dans les sociétés occidentales, mais il existe aujourd'hui des exemples évidents de lien entre argent et mariage, comme la pension alimentaire à son ex-concubine, les arrangements prénuptiaux et tout le commerce juridique autour du divorce ; ceci a d'ailleurs été le sujet d'une comédie légère intitulée Intolerable Cruelty [Cruauté intolérable].

Dans la société capitaliste d'aujourd'hui, un des buts de l'institution de la famille est de mettre sur le dos de la classe ouvrière la charge d'élever la nouvelle génération. La mère est l'esclave des tâches domestiques, de l'entretien et du soin des enfants, des vieux et des malades, et les enfants sont élevés pour devenir la prochaine génération d'ouvriers et apprendre le respect de l'autorité. La famille a un effet conservateur sur l'homme, qui est censé subvenir aux besoins de sa famille, ce qui fait partie de la définition même de la virilité. Une partie importante de la population, si ce n'est la majorité, ne vit pas de cette façon mais cela ne fait que pousser la bourgeoisie à faire fanatiquement campagne pour les « valeurs familiales » afin de tenter de replâtrer son institution chancelante.

Engels nous dit que la monogamie « n'apporte à la communauté conjugale qu'un pesant ennui qu'on désigne du nom de bonheur familial », et que cela a une autre conséquence : « A côté du mariage conjugal et de l'hétaïrisme, l'adultère devint une institution sociale inéluctable, – proscrite, sévèrement punie, mais impossible à supprimer. » Le problème c'est qu'il est aussi difficile pour notre espèce de mammifères vivant en groupe de s'adapter à la monogamie hétérosexuelle pour la vie, que d'empêcher un volcan d'entrer en éruption. Malgré des punitions aussi cruelles que la lapidation à mort (par exemple, comme il est prescrit dans la Bible), les gens persistent à transgresser le comportement sexuel « correct » requis, et ils sont particulièrement imaginatifs pour le faire. C'est de ce conflit entre les exigences de la société de classe et les sentiments et désirs personnels les plus intimes, que naissent l'aliénation, l'hypocrisie, le malheur et la frustration, ainsi que les histoires d'amour passion qui sont le sujet d'oeuvres d'art depuis Lancelot et Guenièvre jusqu'à La Traviata et The Hours.

La prostituée joue un rôle à tous les niveaux. Au niveau sexuel, elle est là pour compenser les blocages et les peurs qui peuvent empêcher les femmes en particulier de prendre plaisir aux activités sexuelles. Beaucoup de clients sollicitent des prostituées pour assouvir leurs fantasmes sexuels – des choses qu'ils veulent cacher à leur épouse, leurs voisins, leur famille et leurs collègues. En la matière, il est certain que la prostitution homosexuelle masculine est un exemple de choix. L'historienne et sociologue Hilary Evans écrit dans Harlots, Whores and Hookers : A History of Prostitution [Prostituées, putains et traînées : une histoire de la prostitution] (New York, Dorset Press, 1979) qu'il est nécessaire de « reconnaître ce que les maquerelles et les prostituées perspicaces ont toujours su : que, hormis au plus bas niveau, la prostituée fournit bien plus qu'un corps physique répondant à un besoin physique ».

Le marxiste allemand August Bebel disait dans son oeuvre classique La femme dans le passé, le présent et l'avenir : « La prostitution devient une institution sociale nécessaire, tout comme la police, l'armée permanente, l'Eglise, le patronat. » Nous nous opposons à la pénalisation de la prostitution par la loi capitaliste, mais nous voyons la prostitution comme faisant partie de l'oppression des femmes, quelque chose d'analogue à l'institution de la famille. Sous le socialisme, la famille sera remplacée par la collectivisation du soin des enfants et des tâches ménagères, ce qui donnera aux femmes la possibilité de participer pleinement à la vie politique, sociale et économique. L'éducation et l'apprentissage professionnel seront accessibles à tous, avec une rémunération pour tous les étudiants, ce qui permettra aux adolescents de vivre indépendamment de leur famille. La contraception et l'avortement seront gratuits et accessibles sur simple demande, et les soins médicaux, de qualité, seront gratuits pour tous. La sexualité sera débarrassée des regards inquisiteurs ainsi que des flics corrompus. L'émancipation des prostituées est inséparable de l'émancipation des femmes en général et la prostitution disparaîtra seulement quand l'institution de la famille sera remplacée. Pour la libération des femmes par la révolution socialiste !

La grand-peur de la « traite des blanches » aux USA et le statut des femmes

Dans un article à sensation étalé en page de couverture du New York Times Magazine du 25 janvier 2004, intitulé « Sex Slaves on Main Street : The Girls Next Door » [Esclaves pour le sexe dans la grand-rue : les filles de la porte à côté], Peter Landesman donnait l'impression qu'à chaque coin de rue, des maisons d'habitation d'apparence ordinaire cachaient des femmes retenues en « esclavage sexuel » et « parfois même assassinées ». Il s'est avéré que Landesman avait manipulé ou laissé de côté certains faits. Entre autres problèmes, il avait négligé de mentionner qu'une de ses principales sources, l'ex-« esclave sexuelle » Andrea, qui ne se souvient même pas de son vrai nom et de son âge, est en convalescence car elle souffrait de dédoublement de la personnalité. La controverse autour de l'article de Landesman a eu pour conséquence que le New York Times a dû formellement reconnaître que des erreurs avaient été commises. Le récit à sensation du magazine, montrant le corps et les jambes d'une écolière en chaussettes, était trompeur : le Times a admis que la fille a en fait 19 ans et que la photo a été retouchée pour enlever son insigne scolaire, en violation de la politique du Times contre la pratique de trafiquer les photos. Cependant, le Times a déclaré qu'il défendait les faits relatés dans l'article de Landesman. Maintenant, un film tiré de l'article est en train d'être produit sur un scénario de Landesman, avec pour réalisateur Roland Emmerich, connu pour ses films de science-fiction comme Independence Day.

Le sensationnalisme outrancier de Landesman ressemblait comme deux gouttes d'eau à l'hystérie sur la « traite des blanches » qui a balayé l'Europe et les Etats-Unis il y a une centaine d'années. Les populations immigrant aux USA commençaient à être de moins en moins souvent de souche protestante originaire d'Europe du Nord, ce qui provoqua des réactions racistes anti-immigrés s'accompagnant d'hystérie touchant la sexualité, la religion et la culture. Ainsi, même si la politique officielle du gouvernement envers l'immigration est en grande partie déterminée par les besoins en main-d'oeuvre de l'économie, les questions sociales et culturelles jouent un rôle important.

C'est la réaction à l'immigration chinoise dans l'Ouest américain, particulièrement vis-à-vis des femmes, qui l'a spectaculairement démontré. La loi fédérale Page de 1875 a interdit l'entrée aux ouvriers chinois, japonais et « mongols », ainsi qu'aux femmes qui avaient l'intention de se prostituer. Cette exclusion empêcha dans les faits toutes les femmes chinoises de rejoindre leur mari à partir de 1882, à l'exception des familles de commerçants, et ceci jusqu'en 1943, lorsque la loi a été enfin modifiée. Un commerce florissant de prostituées d'origine chinoise s'est donc développé grâce auquel on pouvait acheter une fille et l'envoyer dans un bordel aux Etats-Unis – de l'esclavage sexuel véritable.

Dans certains cas, lorsque des familles chinoises dans la misère vendaient leurs filles sur le marché de la prostitution américaine, ces dernières envoyaient fidèlement des centaines de dollars en Chine pour aider leur famille. Ces femmes stupéfiaient souvent les assistantes sociales quand elles refusaient de quitter leur servitude sexuelle pour des missions chrétiennes. Les prostituées de chair et de sang ont toujours eu des espoirs et des angoisses bien plus compliqués que les créatures mythiques dont les prédicateurs de morale cherchaient à sauver l'âme.

La prostitution est devenue une obsession nationale pendant l'Ere progressiste, en gros entre 1900 et 1920, pendant laquelle une série de réformes capitalistes ont fait des lois sur les moeurs ce qu'elles sont aujourd'hui. Les réformateurs progressistes cherchaient à se débarrasser de ce qu'ils considéraient comme les pires excès de l'exploitation capitaliste dans les centres urbains : manque de soins médicaux, taudis, conditions de travail dangereuses. C'est la campagne contre la prostitution qui éclaire le mieux certains des aspects politiques du progressisme ; c'était en fait un débat sur le statut des femmes dans la société, qui est documenté dans Intimate Matters : A History of Sexuality in America [Affaires intimes : une histoire de la sexualité en Amérique], de John D'Emilio et Estelle B. Freedman (New York, Harper & Row, 1988).

Après 1900 la nouvelle vague d'immigration venait en grande partie de l'Europe méridionale et orientale (Italiens, Juifs polonais et Russes). En même temps, le taux de natalité baissait parmi les blancs protestants alors que le taux de divorce augmentait (ce qui fit que certains crièrent au « suicide de la race »). C'était aussi une période où les femmes ont commencé à travailler à un niveau sans précédent dans des professions autres que celle de domestique. De 1900 à 1910, le nombre de femmes salariées est passé de 5,3 à 7,6 millions, soit une augmentation de 43 % ; elles étaient surtout employées dans les bureaux, l'industrie du téléphone et les usines. En même temps, le syndicalisme et l'activisme politique se développaient parmi les ouvrières – et ce n'était certainement pas grâce à la bureaucratie syndicale corporatiste, anti-femmes et raciste de la fédération syndicale de l'AFL. C'est dans la ville de New York, par exemple, que le 8 mars 1908, les ouvrières du quartier sud-est de Manhattan fêtèrent ce qui allait devenir plus tard la Journée internationale des femmes. En 1909, les ouvrières de la confection se mirent en grève à New York.

Avec ce développement du travail salarié on vit émerger dans les villes une couche de jeunes ouvrières indépendantes. C'est un argument marxiste élémentaire que l'entrée des femmes dans la population active représente le premier pas vers leur libération du joug de la famille. En 1914, un rapport de la Commission des moeurs du Massachusetts l'exprimait de la manière suivante : « L'indépendance économique précoce des jeunes travailleuses apporte son lot de tentations et les rend intolérantes aux contraintes. Il est devenu habituel de voir des jeunes femmes déambuler librement, sans être accompagnées. »

A cette époque-là, la prostitution était en principe illégale mais généralement tolérée dans la plupart des villes américaines. Chaque ville avait son quartier chaud – Storyville à la Nouvelle-Orléans, le Levee à Chicago, la Barbary Coast à San Francisco – où la prostitution florissait. Bien sûr, le mouvement réformateur s'en prit d'abord à eux. Les croisés anti-prostitution organisèrent des manifestations et des réunions de prières en plein air dans les quartiers chauds.

En 1909, il y eut une grande vague de panique, lancée par le magazine de Chicago McClure, qui avait parlé dans ses pages d'une « organisation juive internationale de la traite des blanches ». L'hystérie se propagea à la vitesse d'un éclair. Il y eut un déluge d'articles et de livres aux titres aguicheurs et aux illustrations scabreuses accusant une bande de malfaiteurs de kidnapper des femmes pour les forcer à se prostituer. Cette « traite des blanches » était soi-disant le fait d'une mafia internationale dirigée par des étrangers, qui faisait venir des prostituées étrangères aux Etats-Unis et qui kidnappait aussi des milliers de jeunes Américaines innocentes pour les jeter dans une vie d'esclavage et de péché.

Des dizaines de villes se mirent à enquêter sur la prostitution et la « traite des blanches ». Le rapport de la Commission sur la prostitution de Chicago de 1911 intitulé « Le mal social à Chicago » en est un exemple de choix. Sa devise était : « Méthode immédiate : répression constante et tenace de la prostitution. Notre idéal ultime : annihilation totale. » L'historien Mark Thomas Connelly dit que ces rapports assimilent à de la « prostitution clandestine », « presque toute activité sexuelle féminine avant le mariage ou non monogamique », c'est-à-dire tout rapport sexuel jugé comme transgressant la moralité bourgeoise (The Response to Prostitution in the Progressive Era [La réaction à la prostitution durant les années de l'Ere progressiste], Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1980). La solution était de décourager les femmes de s'éloigner de leur rôle traditionnel, et on employa toute une série de mesures pour s'assurer qu'il en soit ainsi. Les partisans de cette campagne s'attaquèrent aux salons de thé, restaurants, bals, cafés ; ils s'attaquèrent à l'automobile et exigèrent la censure de certains films ; en même temps, ils conseillaient vivement aux familles de garder leurs filles à la maison et de ne pas les envoyer travailler. Etant donné que le « mal social » était, dans l'esprit des réformateurs, lié à l'alcool, le mouvement pour la Prohibition, qui devint la loi en 1920, gagna du terrain. Malgré l'hystérie, on trouva très peu de preuves d'une « traite des blanches », et rien du tout qui prouve que la fameuse mafia internationale avait réellement existé.

L'intimidation, l'exploitation et la violence auxquelles devaient faire face les prostituées n'a fait que s'intensifier avec cette persécution. Celles qui étaient immigrées souffraient encore davantage. Les réformateurs racistes mettaient en garde les femmes « respectables » et leur conseillaient de n'entrer dans ces « dangereuses » blanchisseries chinoises qu'accompagnées, de peur qu'elles ne soient piégées dans une maison de prostitution chinoise (James A. Morone, Hellfire Nation : The Politics of Sin in American History [La nation des feux de l'enfer : la politique du péché dans l'histoire américaine], New Haven, Yale University Press, 2003). Ce qui fait qu'en 1920 toute une panoplie de lois avait fermé les maisons closes et repoussé la prostitution dans la clandestinité et sur le trottoir. Le contrôle de la prostitution était passé des mains des maquerelles et des prostituées aux proxénètes, mafias et flics. Il y eut une montée en flèche de la violence physique.

La chasse aux sorcières atteignit son point culminant avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, quand la peur des maladies sexuellement transmissibles poussa la législation gouvernementale à « protéger » les soldats contre les prostituées. A la fin de la guerre quelque 30 000 femmes avaient été arrêtées car suspectées de prostitution et emprisonnées, souvent sans que leurs droits élémentaires soient respectés, sans jugement ou possibilité de recours à un avocat. La loi permettait au gouvernement d'emprisonner toute femme soupçonnée d'avoir une maladie sexuellement transmissible, et son style de vie ou toute rumeur sur sa vie sexuelle était une raison suffisante pour imposer un examen médical.

La Loi Mann et la chasse aux sorcières américaine

La Loi Mann (1910), selon laquelle passer les frontières d'un Etat avec une femme dans des « buts immoraux » est un délit fédéral, fut, parmi les lois provoquées par la grande peur de la « traite des blanches », celle qui favorisa le plus la chasse aux sorcières. Pendant les huit premières années, la justice obtint plus de 2200 condamnations pour trafic de femmes. La loi avait pour titre officiel « Loi contre la traite des blanches », mais, d'après l'historien David J. Langum, la première personne arrêtée fut une maquerelle accompagnant cinq prostituées volontaires de Chicago au Michigan (Crossing Over the Line : Legislating Morality and the Mann Act [Franchir la ligne : la législation de la moralité et la Loi Mann], Chicago, University of Chicago Press, 1994). La loi a été immédiatement interprétée par la Cour suprême comme pouvant s'appliquer également aux rapports sexuels non commerciaux. En 1917, dans l'affaire Caminetti, deux jeunes hommes mariés de Sacramento, en Californie, avaient été arrêtés pour avoir pris le train pour Reno, au Nevada, avec leurs petites amies. C'est en faisant appliquer la Loi Mann que le petit bureau d'enquête policière qui avait un petit local à Washington est devenu le FBI qui couvre tout le pays.

Une des premières victimes de la Loi Mann fut Jack Johnson, qui était devenu le héros des masses noires opprimées dans tout le pays quand il avait emporté son titre de champion de boxe poids lourd. Mais les racistes n'allaient pas laisser Johnson se reposer sur ses lauriers, surtout qu'il était connu pour ses relations avec des femmes blanches. Quand des agents fédéraux persuadèrent la prostituée Belle Schreiber de témoigner que Johnson avait payé son voyage de Pittsburgh à Chicago pour des « buts immoraux », la voie était pavée pour son inculpation en vertu de la Loi Mann. En mai 1913 un jury composé exclusivement de Blancs jugea Johnson coupable et le condamna à un an de prison.

La Loi Mann est toujours en vigueur aux Etats-Unis. Elle a été modifiée pour qu'on ne puisse pas l'utiliser facilement contre les couples non mariés qui traversent les frontières d'un Etat, mais d'autres amendements ont renforcé son impact. Elle s'applique maintenant aussi aux « victimes » masculines, et elle a été utilisée pour la répression de prostitués homosexuels à Washington.

L'alliance contre nature des féministes et de la droite religieuse

Aujourd'hui, le genre d'histoires sur les dangers des salons de thé est réservé à la chasse aux sorcières contre une soi-disant épidémie nationale de pédophilie, qui met le viol brutal et l'assassinat de la petite Megan Kanga dans le même sac que des rapports sexuels consentis avec quelqu'un qui n'a pas encore 18 ans. Il n'y a pas si longtemps que cela, de grotesques accusations de crimes sexuels s'étalaient en grands titres dans les journaux et mobilisaient la police pour persécuter des innocents. Dans les années 1980, il y eut une campagne de panique sur des « abus sataniques rituels » dans les jardins d'enfants, et des dizaines de personnes furent jetées en prison, inculpées de crimes qui n'avaient jamais eu lieu. C'est l'Etat capitaliste, la droite religieuse et le mouvement féministe américain qui avaient manigancé cette campagne dérie.

Cette alliance contre nature a commencé dans les années 1980 quand Women Against Pornography [Femmes contre la pornographie] a déclaré que la pornographie était la « cause » de la violence contre les femmes ; Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon écrivirent un projet de loi (plus tard déclaré inconstitutionnel) qui redéfinissait la pornographie comme la « subordination sexuelle explicite des femmes ». L'idéologie féministe a joué un rôle important, soutenant et justifiant la campagne de censure du gouvernement, qui faisait fermer des épiceries de quartier qui louaient des vidéos pornos ; elle a aussi incité des attaques contre l'art érotique. Pendant ce temps les fanatiques anti-avortement brûlaient des cliniques et menaçaient de mort les médecins qui pratiquaient l'avortement. Mais la réaction du principal courant du mouvement féministe a été d'en appeler à l'Etat raciste et anti-femmes, pour « protéger » les droits à l'avortement. Aujourd'hui les féministes en appellent au même Etat pour soi-disant « libérer » les prostituées et les « esclaves sexuelles » avec leur campagne anti-trafic.

Kathleen Barry est le gourou féministe de la croisade contre l'« esclavage sexuel » ; elle est professeur de sociologie dans le département du développement humain et des études de la famille à l'université d'Etat de Pennsylvanie. Son livre Female Sexual Slavery [L'esclavage sexuel féminin] (New York, Prentice-Hall, 1979) est considéré comme l'ouvrage classique du mouvement anti-traite. Barry a ensuite réactualisé sa vision pour élargir considérablement sa définition de l'esclavage sexuel :

« L'esclavage sexuel féminin comprend non seulement les femmes qui s'adonnent à la prostitution et qui sont sous la domination des proxénètes, mais aussi les femmes mariées qui sont dominées par leur mari et les filles qui subissent des agressions incestueuses de la part de leur père. Ma définition [...] rompt avec les distinctions traditionnelles entre prostitution "forcée" et "libre", et entre épouses et prostituées. Quand les femmes et/ou les filles sont détenues pendant un certain temps, pour usage sexuel, elles sont dans des conditions d'esclavage [...]. L'esclavage est un aspect de la violation des femmes et des enfants dans la prostitution, le mariage et la famille. »

The Prostitution of Sexuality [La prostitution de la sexualité] (New York, New York University Press, 1995)

Et pour ne rien laisser de côté, Barry argumente que tout ce qui n'est pas de l'« esclavage sexuel » est de l'exploitation sexuelle. Les femmes, voyez-vous, croient en l'amour, mais les hommes veulent juste du sexe. Elle a écrit un livre de 381 pages juste pour nous resservir ce vieux fatras.

La volumineuse littérature anti-traite est criblée de notes de bas de page et de références aux écrits de Barry, ce qui donne un cachet de respectabilité universitaire à ce qui n'est qu'une série de diatribes contre la sexualité. Mais Barry n'est pas une simple théoricienne. Elle a organisé ses premiers forums internationaux sur le sujet en 1980, et même une conférence internationale à Rotterdam en 1983. En 1988 elle a fondé le CATW qui fait vigoureusement pression pour changer les lois anti-prostitution, de telle sorte que, comme c'est le cas maintenant en Suède, ce soit le client qui soit pénalisé au lieu de la prostituée.

Le Network of Sex Work Projects [Réseau de projets sur le travail sexuel], une organisation qui se bat pour les droits des travailleurs du sexe, a organisé une manifestation de protestation contre la politique du CATW à la conférence internationale sur le sida à Barcelone en juillet 2002. Son tract « The Anti-Sex Work Anti-Trafficking Agenda : A Threat to Sex Workers' Health and Human Rights » [Les objectifs de la campagne antisexe et anti-trafic représentent une menace à la santé des travailleurs sexuels et aux droits de l'homme] (www.nswp.org), déclare notamment :

« Le CATW a récemment publié une liste noire d'organisations recevant des fonds des USA, qu'il accuse de "faire de la promotion pour la prostitution". Cette liste comprend des organisations bien connues et respectées qui dispensent des soins essentiels contre le VIH et fournissent des services de prévention. »

Le CATW était l'une des 13 organisations féministes qui ont fait pression sur le Congrès américain pour faire passer la Loi pour la protection des victimes du trafic ; il y avait aussi la Feminist Majority, la National Organization for Women and Equality Now. Elles ont collaboré avec Chris Smith, un parlementaire fanatiquement anti-avortement, qui est un des parrains du projet de loi, et la Mission internationale de justice, un groupe de missionnaires chrétiens qui font des rafles contre des bordels asiatiques pour « libérer » les prostituées devant les caméras de la chaîne de télévision Dateline NBC. Comme récompense pour ses contributions féministes, Laura Lederer, directrice du projet anti-traite et éditrice de la bible anti-pornographie Take Back the Night [Reprenez la nuit], a reçu une position très en vue dans le bureau sur le trafic du Département d'Etat US.

Pour la libération des femmes par la révolution socialiste !

En servant de soutien idéologique à l'Etat capitaliste, l'establishment féministe américain ne fait que remplir son rôle de porte-parole de femmes bourgeoises et petites-bourgeoises ; le seul reproche qu'elles font à la société capitaliste c'est qu'elle leur refuse l'accès total au club fermé des hommes qui détiennent le pouvoir. Mais pour la plupart des femmes le système capitaliste impérialiste signifie qu'elles sont au chômage, sans domicile et sans soins médicaux, et, pour les femmes du tiers-monde, ce sont des pratiques oppressives comme l'excision ou la ségrégation forcée et le voile. Dans le tiers-monde, la plupart des femmes voient leurs enfants mourir et elles meurent jeunes elles-mêmes, souvent en accouchant ou après un avortement mal fait. Alors prétendre que la prostitution est en quelque sorte le pire problème, bien avant toute cette brutalité, ne peut que faire le jeu des idéologues bourgeois qui soutiennent l'impérialisme US.

La croisade contre l'« esclavage sexuel » est quelque chose de cynique et dangereux, parce qu'elle légitime la persécution des immigrés par le gouvernement, et qu'en même temps elle en appelle à l'autorité de l'Etat pour intervenir comme arbitre moral dans nos affaires les plus intimes. Cela renforce la chasse aux sorcières contre la sexualité dans son ensemble et détourne l'attention de la violence réelle, perpétrée chaque jour contre les femmes et les enfants sous ce système de classe. L'aliénation sociale dans un système où la grande masse des gens sert d'outil pour qu'un petit groupe d'individus puisse s'enrichir est encore accentuée par des inégalités institutionnalisées de race, religion, nationalité et sexe. La violence contre les femmes provient en partie des profondes insécurités sexuelles encouragées par la répression et l'irrationalité sociale.

Les femmes ont été au premier rang de toutes les luttes révolutionnaires sur la planète, depuis les femmes de Paris qui marchèrent sur Versailles au début de la Révolution française de 1789 jusqu'aux ouvrières qui furent l'étincelle de la Révolution russe lors de la Journée internationale des femmes en 1917, avec une manifestation demandant de la nourriture pour leurs familles qui mouraient de faim. Aujourd'hui la lutte pour les droits des femmes prend encore plus d'importance après la contre-révolution capitaliste en URSS et en Europe de l'Est. La Ligue communiste internationale cherche à organiser les ouvrières, avec leur courage et leur dévouement, sous la bannière du parti prolétarien révolutionnaire. L'émancipation des femmes ne pourra se faire que si l'on renverse par une révolution l'ordre capitaliste qui exploite les femmes en tant qu'ouvrières, et les opprime en tant qu'esclaves domestiques.

Comme nous l'écrivions à propos du « date rape » (qui assimile des expériences sexuelles désagréables au viol) :

« Pour qu'il y ait des rapports absolument libres et égaux entre les individus dans tous les domaines, y compris la sexualité, il est absolument nécessaire de détruire ce système de classe et de créer un monde communiste. Dans une société sans classes les contraintes sociales et économiques sur les relations sexuelles cessent d'exister ; alors, comme le disait Friedrich Engels, "il ne reste pas d'autre motif que l'attirance mutuelle". »

—« La question du "date rape" : hystérie féministe et chasse aux sorcières antisexe » (Women and Revolution n° 43, hiver 1993-printemps 1994)