République ouvrière nº 3 |
Hiver/printemps 2019 |
Croisade antisyndicale contre les Métallos
Un an de lockout à ABI
Pas dillusions dans lÉtat ni dans Hydro-Québec !
Le 11 janvier 2018, la direction de l’Aluminerie de Bécancour (ABI), près de Trois-Rivières, met en lockout ses 1030 travailleurs et travailleuses membres du local 9700 du syndicat des Métallos (FTQ). À trois heures du matin, quelque 300 gardiens embauchés spécialement à cet effet boutent dehors les employés syndiqués du quart de nuit, à qui ils empêchent de prendre leur douche, nécessaire à l’élimination de contaminants toxiques. « Certains ont essayé quand même, mais ils ont coupé l’eau chaude pour qu’on ne puisse pas nous laver », rapporte un travailleur. Depuis plus d’un an maintenant, la compagnie tente d’affamer ces travailleurs et leurs familles, tout en prenant en otage l’économie de toute une région, alors que des cadres font le travail de scabs et maintiennent une partie de la production.
La dernière convention collective chez ABI est échue depuis novembre 2017. La compagnie veut liquider le régime de retraite à prestations déterminées au profit d’un régime par financement salarial, qui laisse les revenus des retraités à la merci des marchés financiers. Elle cherche aussi à couper 20 % du personnel et s’attaque en particulier au principe de l’ancienneté dans les transferts de poste. Cette dernière mesure est un acquis chèrement gagné qui permet aux travailleurs souvent plus âgés de choisir des emplois plus intéressants ou moins éreintants, tout en protégeant les militants syndicaux d’être pénaliser dans la dotation.
Dominic Lemieux, responsable chez les Métallos du Québec, soulignait avec raison que l’employeur « veut casser le syndicat, casser nos membres » (Le Soleil, 4 juillet 2018). En effet, toutes ces tentatives de la compagnie pour « maximiser le rendement » sont une attaque directe contre les Métallos du local 9700 de l’usine d’ABI mais aussi contre tout le mouvement ouvrier. Cette offensive contre les travailleurs d’ABI par Rio Tinto Alcan et Alcoa — les copropriétaires de l’entreprise et des briseurs de syndicats notoires — menace en définitive tous les travailleurs de l’industrie. Il est dans l’intérêt immédiat de tous les travailleurs des autres alumineries et des industries connexes de se porter à la défense des travailleurs d’ABI.
Cette attaque a soulevé certaines expressions de solidarité parmi le reste de la classe ouvrière du Québec. Des dizaines de milliers de dollars ont été envoyés en soutien aux lockoutés, y compris venant des syndicats d’autres alumineries, d’ArcelorMittal sur la Rive-Sud de Montréal, des travailleurs en foresterie, des fonctionnaires et même de la CSN, trop souvent à couteaux tirés avec la FTQ. À l’international, la solidarité s’est aussi exprimée en provenance des syndiqués d’Alcoa en Australie, en Espagne et en Islande. Un représentant de Los Mineros, syndicat des mineurs et métallurgistes mexicains allié aux Métallos, est aussi venu s’adresser à un rassemblement à Bécancour le 26 janvier 2018, déclarant : « Les multinationales cherchent souvent à diviser les travailleurs entre eux. Ce qui fait notre force, c’est notre solidarité. Recevez, chers confrères, tous nos vœux de succès de la part des mineurs du Mexique. » Bien que l’assistance financière et morale des autres syndicats soit la bienvenue, ce qui est essentiel pour casser l’offensive des capitalistes c’est que le mouvement ouvrier montre ses muscles. Une attaque contre un est une attaque contre tous ! À bas les attaques antisyndicales ! Tout le mouvement ouvrier doit appuyer les travailleurs et travailleuses d’ABI !
C’est la logique même du système d’exploitation capitaliste — une dictature de la bourgeoisie — qui provoque ces attaques contre la classe ouvrière. Sous le capitalisme, le prolétariat ne possède que sa force de travail à vendre à la bourgeoisie qui, elle, possède les usines, les mines, les banques, etc. Les profits d’Alcoa et de Rio Tinto, qui se chiffrent en milliards de dollars, sont extorqués du labeur des ouvriers. Avec les tarifs sur l’aluminium imposés par les États-Unis — et plus généralement, en cette période de guerre commerciale et de montée des rivalités entre les puissances impérialistes — Alcoa et Rio Tinto, comme le reste des capitalistes, n’ont qu’un objectif : maintenir leurs profits à la hausse. Cela veut dire briser la puissance des syndicats et réduire les coûts de la main-d’œuvre en essayant de détruire les conditions de vie des travailleurs.
Face à cette attaque ouvertement antisyndicale, ce qu’il faut c’est une riposte basée sur l’action indépendante des travailleurs de l’aluminium et de tout le mouvement ouvrier. C’est le contraire de ce que fait la direction des Métallos, qui fomente plutôt l’illusion que les politiciens bourgeois et le gouvernement capitaliste pourraient appuyer la cause des travailleurs. Rien n’est plus faux ! Le gouvernement n’est pas un arbitre « neutre » dans les relations entre le capital et le travail : ses représentants administrent l’appareil d’État capitaliste, constitué en son noyau de la police, des tribunaux, des prisons et de l’armée ; l’État bourgeois est l’outil des patrons pour défendre tout le système d’exploitation capitaliste contre les luttes de la classe ouvrière.
Non aux illusions dans l’État bourgeois !
Contre les travailleurs d’ABI en lockout, le gouvernement du Québec joue bien son rôle au service des patrons. La police a été déployée à maintes reprises contre les travailleurs de Bécancour ; les tribunaux utilisent aussi des dispositions légales pour limiter le nombre sur les lignes de piquetage, rendant celles-ci à peu près seulement symboliques. Une injonction des tribunaux obtenue par la compagnie limite ainsi les piquets à 15 personnes. Déjà des syndiqués, dont le président du local 9700 Clément Masse, se sont fait traîner devant les tribunaux capitalistes pour « outrage au tribunal », accusés de ne pas avoir respecté cette injonction. Pour le retrait de toutes les accusations contre Masse et les autres syndiqués !
Les directions syndicales actuelles sont passées maîtres dans l’art d’enchaîner les travailleurs à la bourgeoisie et à ses partis. Au Québec, ceci s’exprime en particulier par leur appui de longue date aux nationalistes bourgeois du Parti québécois. Encore durant la campagne électorale de 2018, Masse lui-même déclarait que le PQ pouvait « aider les travailleurs ». Mais le PQ, malgré son option « souverainiste », n’est pas moins le parti des patrons. En témoigne le cassage des grèves du secteur public par le gouvernement Lévesque, les attaques du « déficit zéro » de Lucien Bouchard ou le cassage de la grève de la construction de 2013 par Pauline Marois. Les travailleurs du Québec doivent lutter pour l’indépendance nationale, mais ils doivent le faire indépendamment des partis capitalistes comme les bourgeois du PQ et les populistes petits-bourgeois de Québec solidaire, qui eux aussi ne feraient qu’administrer l’austérité capitaliste s’ils prenaient le pouvoir.
Les chefs syndicaux aident même à propager des illusions dans le gouvernement de la CAQ. Lors du rassemblement pour le premier anniversaire du lockout tenu le 11 janvier devant le bureau du député de la CAQ pour Bécancour (qui a d’ailleurs été invité à s’adresser à la foule), le président de la FTQ, Daniel Boyer, a fait directement appel au premier ministre caquiste pour venir en aide aux travailleurs : « François Legault avait promis d’en faire une réelle priorité une fois au pouvoir. Il doit maintenant joindre l’acte à la parole » (ftq.qc.ca). Deux jours plus tard, Boyer renchérissait en conférence de presse, disant par rapport à la FTQ en général qu’« à date, on a une bonne réception de la part du gouvernement. Le gouvernement veut nous parler » (Journal de Montréal, 13 janvier 2019).
Legault a bâti sa carrière comme chef d’Air Transat en y harcelant les syndicats. Il a promis en campagne électorale de mettre au pas les employés syndiqués de la fonction publique. Il a aussi été élu avec des promesses d’attaquer les immigrants et les femmes musulmanes qui portent le voile en particulier, le genre de poison raciste et antifemmes qui divise la classe ouvrière et qui est mortel pour toute lutte victorieuse contre les capitalistes (voir notre article de première page). Libéraux, CAQ, PQ, QS — partis bourgeois, ennemis de classe des travailleurs !
La direction des Métallos plaide également pour obtenir « l’aide » d’Hydro-Québec dans son conflit avec ABI. Rio Tinto et Alcoa prétendent que le lockout est un « cas de force majeure » qui les empêche d’honorer leur contrat d’électricité, ce qui leur permet d’économiser environ 600 000 $ par jour. Mais la fonction d’Hydro‑Québec est précisément d’aider les patrons (québécois et étrangers) à maximiser leurs profits en exploitant les ressources hydrauliques abondantes du Québec. Lors du lockout des ouvriers de Rio Tinto à Alma en 2012, Hydro‑Québec, véritable vache à lait des alumineries du Québec, avait aussi travaillé main dans la main avec la compagnie pour étouffer la grève et lui acheter presque 150 millions de dollars en surplus de son barrage électrique privé. Et loin d’être au service de la population en général, Hydro n’hésite pas à couper le courant aux démunis qui n’arrivent pas à régler leurs factures — ce qui pourrait bien guetter les familles des travailleurs d’ABI en lockout !
La direction des Métallos consacre beaucoup d’énergie à semer des illusions dans la disposition « antiscabs » du Code du travail. Mais c’est cette même disposition, instaurée par le gouvernement Lévesque en 1977, qui permet aux cadres d’opérer l’usine pendant le lockout ! La seule façon d’arrêter les briseurs de grève, c’est de les stopper net par des lignes de piquetage massives, solides et unitaires. Sous couvert de « régulariser » les luttes des travailleurs, le gouvernement capitaliste cherche tout simplement à les rendre inefficaces et, ultimement, à les casser. S’appuyer sur les lois des patrons pour protéger les travailleurs est une recette pour la défaite. C’est la puissance sociale du mouvement ouvrier organisé qui est son véritable arsenal. Pour renforcer les lignes de piquetage, il faut chercher l’appui du reste du mouvement ouvrier. Pour des lignes de piquetage que personne n’ose traverser !
Enfin, il est complètement suicidaire de la part de la direction du syndicat des Métallos d’organiser des gardiens de sécurité dans le syndicat. Depuis le début du conflit d’ABI, les lignes de piquetage sont policées par des gardiens de sécurité privés de la firme Gardium, qui se targue d’être spécialisée dans les « conflits de travail », c’est-à-dire le cassage des grèves et des syndicats. Chez ABI, ces gardes harcèlent et agressent les piqueteurs sur une base régulière. Il est donc scandaleux que la bureaucratie des Métallos organise dans le syndicat cette même Gardium ! Gardiens de sécurité, chiens de garde des capitalistes, hors des syndicats !
Pour une direction lutte de classe ! Pour un parti révolutionnaire !
Lors de la manifestation du 11 janvier, nos camarades de République ouvrière ont entendu l’argument que les cadres n’étaient pas vraiment des scabs et qu’ils ne faisaient que le travail par obligation, tout en protégeant l’usine contre la solidification du métal (ce qui détruit les cuves). Mais ce travail ne fait qu’aider la corporation à prolonger le lockout et à potentiellement casser le syndicat. Même chose pour les camionneurs qui traversent les lignes de piquetage pour livrer du matériel à l’usine opérée par les briseurs de grève. Les camionneurs, qui sont dans un secteur stratégique de l’économie, doivent être mobilisés en défense des travailleurs d’ABI et respecter les lignes de piquetage !
Il y a moyen pour des travailleurs en grève ou en lockout de préserver eux-mêmes les outils de travail dispendieux. Historiquement, l’une des tactiques employées dans les luttes ouvrières a été l’occupation d’usine. Beaucoup de syndicats nord-américains, dont les puissants syndicats de l’automobile, ont été forgés grâce à des occupations d’usine, doublées de piquets secondaires et de défis aux injonctions gouvernementales, à la police capitaliste, parfois aux militaires.
Mais de telles méthodes de lutte — grèves solides et massives, occupations, etc. — naissent à la base de la compréhension élémentaire que les travailleurs ont des intérêts diamétralement opposés à ceux des patrons capitalistes et de leurs gouvernements. Les syndicats sont l’organisation de défense élémentaire des travailleurs et sont eux-mêmes le produit de telles luttes. Mais la question qui se pose, c’est celle de la direction. Les chefs syndicaux actuels (au Québec comme ailleurs) acceptent le cadre du capitalisme, dont ils dérivent certains privilèges. C’est pourquoi leurs actions (et inactions) sapent la puissance du mouvement ouvrier et le condamnent si souvent à des défaites.
Une direction lutte de classe dans les syndicats chercherait à mobiliser le pouvoir social du mouvement ouvrier pour casser le lockout des patrons. Les travailleurs des autres usines Alcoa, de Rio Tinto, d’ArcelorMittal, de Bombardier, etc., devraient être déployés en défense des syndiqués d’ABI. Une telle direction chercherait aussi à syndiquer les travailleurs non organisés : entre autres pas moins de trois des neuf alumineries du Québec n’ont pas de syndicat ! Et plutôt que de tenter en vain de faire pression sur les patrons d’Hydro‑Québec, ce sont les puissants syndicats d’Hydro‑Québec qui devraient venir en renfort aux travailleurs d’ABI.
Mais l’offensive patronale à ABI dure depuis plus d’un an et la stratégie des directions syndicales actuelles — respect du Code du travail, pressions sur Hydro‑Québec, manifs sporadiques — est une recette pour la défaite. Ultimement, ce qu’il faut c’est une direction syndicale qui sait qu’on ne gagne rien contre les capitalistes et leurs gouvernements en suivant les règles qu’ils imposent eux-mêmes, mais seulement par les méthodes et le programme de la lutte de classe. La construction d’une telle direction est liée à la nécessité de forger un parti ouvrier révolutionnaire, l’outil essentiel pour renverser le système capitaliste violent et oppressif. Un tel parti luttera pour une république ouvrière du Québec, c’est-à-dire une société dirigée par la classe ouvrière, où ce sera les exploiteurs patronaux qui seront mis en lockout, et ce, de manière permanente. Affirmant notre solidarité avec les travailleurs attaqués par les patrons d’ABI, la Ligue trotskyste cherche à inculquer cette compréhension à la classe ouvrière.