Le Bolchévik nº 231 |
Mai 2020 |
Il faut une nouvelle classe dirigeante - les travailleurs!
La crise du Covid—19 en Afrique du Sud
Confinement sous le néo-apartheid : famine et terreur dÉtat
Nous reproduisons ci-dessous une déclaration de nos camarades de Spartacist/South Africa, section de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste).
11 mai – Fin avril, plus de 10 000 habitants des bidonvilles de Mooiplaas et Spruit, au Nord de Johannesburg, faisaient la queue sur près de quatre kilomètres, dès 3 heures du matin, pour tenter de récupérer un des 8 000 colis alimentaires distribués par une organisation caritative locale. Les vues aériennes de cette scène montrent l’effroyable misère humaine qui sévit dans tout le pays, et sur tout le continent, en conséquence des confinements qui privent l’immense majorité des travailleurs des maigres revenus avec lesquels ils survivent ordinairement.
À quelques minutes de voiture se trouve Sandton, que les randlords [la bourgeoisie blanche sud-africaine] et l’ANC [Congrès national africain] présentent fièrement comme « les trois kilomètres carrés les plus riches d’Afrique », et où les traders de la Bourse de Johannesburg continuaient à faire aller et venir, virtuellement, du capital financier par milliards pendant toute la durée du confinement. Il est difficile d’imaginer illustration plus frappante de la loi générale de l’accumulation capitaliste énoncée voici plus de 150 ans par Karl Marx dans Le capital : « Accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »
La pandémie du Covid-19 fait des ravages dans les pays capitalistes avancés d’Europe et aux États-Unis, et elle a causé plus de 280 000 décès dans le monde cette année. On peut vraiment craindre les effets du virus en Afrique et dans le reste du monde semi-colonial, où dans beaucoup de pays le système de santé était déjà au bord de l’effondrement avant l’arrivée de la pandémie. La surpopulation et l’absence d’eau potable et d’égouts sont telles qu’en beaucoup d’endroits il est impossible de mettre en place même les plus élémentaires précautions sanitaires pour stopper la propagation du virus, comme le lavage des mains ou la distanciation physique. Dans certains townships sud-africains, la densité de population atteint 40 000 personnes au kilomètre carré, avec un point d’eau et quelques toilettes pour 500 personnes.
Mais les mesures prises ces derniers mois ne font que confirmer à nouveau qu’il ne peut y avoir de solution rationnelle à des crises mondiales comme celle-ci sur la base du capitalisme. Dans toute l’Afrique sub-saharienne, les confinements décrétés pour ralentir la diffusion du coronavirus ont provoqué plus de souffrances et de morts que le virus lui-même et n’ont fait que retarder le pic de l’épidémie, que les porte-parole gouvernementaux eux-mêmes disent « inévitable ». En Afrique du Sud, on estime qu’avec le confinement, qui a débuté le 27 mars, environ 30 millions de personnes – plus de la moitié de la population – ne mangent pas à leur faim. Des millions de travailleurs ont rejoint les rangs des chômeurs, et des secteurs industriels entiers sont menacés de faillite. En conséquence, des couches entières de la population, dont une partie de la petite bourgeoisie, risquent de basculer dans la misère. Les femmes, et en particulier les femmes noires, sont parmi les plus touchés. Pendant ce temps, le nombre d’infections avérées au Covid-19 a repris une progression exponentielle ces dernières semaines avec l’augmentation des tests et l’assouplissement du confinement.
On entend le même cri de désespoir dans tout le pays : « On ne va pas mourir du coronavirus, on va mourir de faim ! » Craignant, avec l’aggravation de la détresse sociale, des émeutes de la faim et autres manifestations, le régime du président Cyril Ramaphosa a déployé l’armée et la police pour faire respecter le confinement. Il a imposé un régime de terreur dans les townships, les ghettos urbains et les bidonvilles, ciblant particulièrement les masses noires et métisses opprimées ainsi que les immigrés originaires d’autres régions d’Afrique et d’Asie. Au moins dix personnes ont été tuées, plusieurs dizaines de milliers arrêtées, et des centaines violemment agressées par les flics et les soldats. Environ 75 000 soldats – pratiquement la totalité de l’armée – ont été déployés : c’est de loin la plus importante mobilisation militaire depuis la fin de l’apartheid. Nous disons : Armée hors des rues, immédiatement ! Comme l’a montré le massacre sanglant des mineurs en grève de Marikana en 2012, les policiers sont les porte-flingue de la classe dirigeante capitaliste raciste, et les ennemis mortels de la classe ouvrière et des opprimés.
Alors que des millions de gens n’ont pratiquement rien à manger, les médias capitalistes nous gavent d’une propagande bourgeoise cynique sur l’« unité nationale ». L’hypocrisie écœurante de ce « on est tous dedans » sert, comme dans tous les pays capitalistes, à tromper les opprimés en dissimulant le conflit d’intérêt inconciliable entre les maîtres bourgeois et leurs esclaves salariés. Pendant ce temps, les patrons font ce qui est dans la nature de leur système : ils utilisent la crise pour déchirer les conventions collectives, sabrer les emplois, voler les congés payés et les prestations sociales des travailleurs qui ont été renvoyés chez eux pendant le confinement, et pour en même temps serrer la vis aux travailleurs de la santé et autres salariés des industries essentielles. La bourgeoisie applaudit cyniquement ces travailleurs, les appelant « nos héros » tout en envoyant ses flics les disperser avec brutalité quand ils manifestent pour des revendications élémentaires comme des équipements de protection individuelle.
L’« unité nationale » est doublement mensongère en Afrique du Sud qui, contrairement à la mythologie officielle, n’est pas une nation mais un État d’origine coloniale, composé de différents peuples, ethnies et groupes tribaux ou linguistiques intégrés de force dans la même économie politique. À chaque étape, la pandémie en Afrique du Sud met en évidence le caractère de néo-apartheid du système capitaliste dans ce pays ; on ne peut le modifier par des réformes parce qu’il est intégré dans le tissu social même de la société. Le capitalisme a été fondé en Afrique du Sud sur la surexploitation de la main-d’œuvre noire, ce qui signifie que l’exploitation de classe y a toujours été inextricablement liée à l’oppression nationale que subit la majorité noire.
Le confinement a inévitablement exacerbé les souffrances des masses noires ainsi que des travailleurs métis et indiens – comme l’aurait fait toute autre mesure basée sur le système capitaliste. Ce sont les populations opprimées noires et métisses qui seront aussi les plus durement touchées par l’augmentation des cas de Covid-19. La tuberculose et le VIH/sida, dont il y a de nombreux cas de coïnfection, sont de loin les principales causes de décès en Afrique du Sud – plus de 100 000 personnes par an ces dernières années. Ces deux maladies tuent de façon extrêmement disproportionnée les noirs et les métis : sur la période 2005-2012, le taux de mortalité était 11 à 19 fois plus élevé chez les Sud-Africains noirs que chez les blancs, une fois l’âge pris en compte, et 4 à 5 fois plus élevé chez les métis que chez les blancs.
Le confinement de néo-apartheid est imposé par des méthodes qui étaient en usage sous le régime de la minorité blanche ; cela illustre le fait que le gouvernement bourgeois de l’Alliance tripartite ANC/SACP/COSATU [ANC/Parti communiste sud-africain/Congrès des syndicats sud-africains] sert de prête-nom aux randlords. Par exemple, l’interdiction de l’alcool et du tabac rappelle les lois promulguées par le pouvoir colonial et par celui de l’apartheid pour asservir les masses non blanches. Parmi les tués pendant le confinement figurent Petrus Miggels, agressé à coups de marteau et enlevé par les flics pour le soi-disant « crime » de rapporter quelques bouteilles de vin chez lui, ou Collins Khosa, tabassé à mort à son domicile par des soldats qui auraient aperçu une tasse contenant de l’alcool dans la cour de sa maison.
Nous sommes contre cette prohibition qui n’a rien à voir avec la santé publique et n’est qu’un prétexte utilisé par l’armée et la police pour terroriser la classe ouvrière et les opprimés. Nous sommes également contre l’interdiction des « fake news » sur le Covid-19 (ou du moins celles que le gouvernement considère comme telles) : ce genre de pouvoir de censure étatique finit toujours par être utilisé contre le mouvement ouvrier et la gauche. Notre position n’est pas motivée par une opposition libertaire aux restrictions des libertés individuelles dans l’intérêt de la santé publique. Par exemple, nous ne nous opposons pas actuellement aux interdictions de voyager pour motif personnel à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, ou entre les provinces, qui sont en vigueur depuis le début du confinement.
Quand celui-ci a été décrété, Ramaphosa a obtenu un soutien sans réserve de tous les partis bourgeois – depuis les racistes blancs réactionnaires comme le Freedom Front Plus et l’Alliance démocratique jusqu’aux populistes bourgeois des Economic Freedom Fighters (EFF, Combattants pour la liberté économique). Les prétentions frauduleuses de l’EFF à s’opposer « radicalement » à l’ANC et à défendre les masses noires privées de terre ont été mises à nu pendant le confinement : il a été l’un des plus fermes soutiens de la répression – même quand les flics et les soldats venaient aider les vigiles à expulser en masse des gens de leur logement. L’EFF s’est même opposé à la possibilité de lever l’interdiction de la vente d’alcool. Puant le mépris paternaliste pour les masses noires, il a déclaré le 11 avril que « ce serait une catastrophe de donner de l’alcool à une nation censée respecter un strict isolement à la maison ».
Le capitalisme est un système profondément irrationnel : la production y est déterminée non selon un plan conscient – et certainement pas par les besoins de la majorité de l’humanité – mais par le besoin d’accumuler du capital pour les propriétaires de l’industrie et des banques. Ce système repose sur des États-nations ayant des intérêts antagoniques, alors que les forces productives créées par le capitalisme ont depuis longtemps débordé les limites de ces États. L’impérialisme, comme l’expliquait Lénine, est le stade du capitalisme caractérisé, économiquement, par la prédominance des monopoles et du capital financier, et, politiquement, par la division du monde entre une poignée de puissances impérialistes dominantes qui pillent la majorité des peuples du monde et sont engagées dans une lutte incessante pour le repartage du butin. Pour ce qui est de l’Afrique australe, ceci signifie par exemple que les montagnes de capital financier accumulé par plus d’un siècle de surexploitation des travailleurs noirs dans les mines d’or, de diamant et de platine sont placées principalement à la City de Londres et à Wall Street.
L’impérialisme capitaliste est fondamentalement incapable de répondre même de manière approximativement rationnelle à cette pandémie mondiale et il plonge la planète encore plus dans la crise. La seule manière de sortir de ce bourbier, c’est la voie de la révolution prolétarienne internationale. Comme l’expliquait le révolutionnaire russe Léon Trotsky :
« Ce qui est indispensable et urgent, c’est de séparer les moyens de production de leurs propriétaires parasites actuels, et d’organiser la société d’après un plan rationnel. […]
« Des réformes partielles et des rafistolages ne serviront à rien. Le développement historique est arrivé à l’une de ces étapes décisives où seule l’intervention directe des masses est capable de balayer les obstacles réactionnaires et de poser les fondements d’un nouveau régime. »
— « Le marxisme et notre époque » (1939)
Nous, Spartacist/South Africa, luttons avec nos camarades dans toute la Ligue communiste internationale pour construire des partis d’avant-garde léninistes-trotskystes, sections d’une IVe Internationale reforgée, le parti mondial de la révolution socialiste. De Johannesburg à Londres et Wall Street : exproprions la bourgeoisie !
L’impérialisme et ses hommes de paille
Le directeur exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a félicité le gouvernement Ramaphosa pour sa réponse à la pandémie, qu’il a qualifiée d’« incroyable », se félicitant de « comment les pays africains montrent la voie à beaucoup d’égards ». Le rôle de l’OMS, comme celui des Nations Unies dans leur ensemble, est de fournir une couverture « démocratique et humanitaire » au pillage impérialiste des pays semi-coloniaux. Alors que les économistes prédisent que le PIB du Nigeria, de l’Afrique du Sud et de l’Angola – qui à eux trois concentrent plus de la moitié de la production de l’Afrique sub-saharienne – pourrait connaître cette année une récession de 10 % ou plus, le FMI et la Banque mondiale se sont déclarés prêts à offrir leur « soutien » dans la « lutte contre le Covid-19 ».
Il ne faut pas se tromper : ces citadelles du capital financier impérialiste « soutiennent » les semi-colonies comme la corde soutient le pendu. Il est dans la nature de ce système que des crises comme celle-ci aient pour conséquence d’accélérer la concentration du capital et d’aggraver la misère causée par la pandémie. L’état actuel désastreux des systèmes de santé dans ces pays résulte lui-même d’années d’« ajustement structurel » dicté par le FMI. Cela fait partie du viol économique sans fin de l’Afrique. De même que d’innombrables interventions militaires, la fomentation de guerres ethniques et tribales intercommunautaires et les sanctions économiques, ce viol maintient le continent dans un état d’arriération et de pauvreté imposé par les impérialistes.
Les maîtres impérialistes sont dûment aidés en cela par leurs auxiliaires nationalistes bourgeois, qui bien sûr ont l’assurance de bénéficier d’un lit avec chambre à part dans un hôpital européen ou américain quand ils ont besoin de soins médicaux. Les randlords sud-africains comptaient déjà sur un « plan de sauvetage » du FMI dès avant la crise du coronavirus, leur intérêt de classe étant d’utiliser le FMI pour enfoncer le prolétariat noir combatif. Leurs hommes de paille de l’Alliance tripartite font tout ce qu’ils peuvent pour les satisfaire. Le régime de Ramaphosa se préparait déjà à une épreuve de force avec les syndicats sur de multiples fronts et il se couvre aujourd’hui derrière la « crise nationale » pour mener ces attaques tout en aggravant la subordination du pays au capital financier impérialiste.
Le rôle des dirigeants du SACP et du COSATU est particulièrement méprisable, mais pas du tout surprenant vu leurs nombreuses trahisons au service de l’Alliance tripartite. Après avoir initialement affiché leur opposition à la prostration devant la Banque mondiale et le FMI, à grands renforts de verbiage sur « la nécessité de préserver la souveraineté nationale démocratique de l’Afrique du Sud », ils ont vite cessé même de faire semblant. Fin avril, les dirigeants de ces deux organisations ont donné officiellement leur bénédiction à Ramaphosa pour qu’il aille supplier ces usuriers impérialistes. Le secrétaire général du COSATU déclarait : « Si le FMI est la meilleure option […] nous sommes heureux que le gouvernement obtienne un prêt du FMI. »
Cela fait des dizaines d’années que les dirigeants du SACP et du COSATU trahissent à répétition les intérêts de leur base ouvrière en subordonnant la classe ouvrière aux nationalistes bourgeois de l’ANC et en les enchaînant aux exploiteurs capitalistes racistes via l’Alliance tripartite, un front populaire nationaliste. Pour justifier théoriquement cette trahison, ils prêchent le mythe de la « révolution nationale démocratique » (RND). La « RND » est la variante sud-africaine du schéma stalinien de révolution par étapes. Selon celui-ci, les dirigeants réformistes traîtres enchaînent la classe ouvrière aux forces bourgeoises « progressistes » pendant la soi-disant étape démocratique bourgeoise, tout en leur promettant que la deuxième étape, socialiste, suivra « plus tard ». La « révolution par étapes » s’est révélée à chaque fois un mensonge perfide et sanglant, conduisant non pas à la libération nationale – et assurément pas au socialisme – mais au massacre de la classe ouvrière. Aujourd’hui, ces réformistes nous informent qu’ils défendent la cause « nationale, démocratique »… en enchaînant par la dette le pays aux vampires impérialistes du FMI !
Contre la faillite manifeste du programme de collaboration de classes de la « RND », nous luttons pour la perspective trotskyste de la révolution permanente, qui exige l’indépendance politique de la classe ouvrière vis-à-vis de toutes les ailes du nationalisme bourgeois. En Afrique du Sud, notre mot d’ordre d’un gouvernement ouvrier centré sur les noirs exprime la conception que la lutte de la classe ouvrière contre le capital est intégralement liée à la lutte pour libérer de la domination blanche la majorité opprimée, qui est pour l’essentiel noire africaine, et que seule la révolution prolétarienne victorieuse peut conduire à une véritable libération.
C’est ce programme qui représente la tradition communiste authentique des bolchéviks de Lénine et Trotsky qui ont dirigé la révolution d’Octobre – et non pas le réformisme, dérivé du stalinisme, du SACP et de ses semblables. Depuis 1994, les dirigeants du SACP et les autres figures de proue de l’Alliance tripartite serrent la vis au prolétariat, qui est surtout noir, pour rembourser la dette de l’apartheid. Les bolchéviks avaient au contraire dit aux impérialistes britanniques et français d’aller voetsek [se faire voir] quand ceux-ci essayèrent de recouvrer la dette tsariste. Comme les bolchéviks, un gouvernement ouvrier centré sur les noirs au pouvoir dans ce pays répudierait la dette envers les parasites impérialistes, dans le cadre d’un combat acharné pour faire la jonction avec des révolutions prolétariennes dans les pays capitalistes avancés.
Le réformisme, un poison pour le mouvement ouvrier
Les dirigeants de la fédération syndicale rivale SAFTU et du syndicat de la métallurgie, le NUMSA, se font un plaisir d’éreinter les chefs du SACP et du COSATU pour leurs trahisons éhontées en défense du capitalisme de néo-apartheid. Mais c’est pour mieux préserver la crédibilité de la « RND », cette imposture. Pendant de nombreuses années, les chefs de la SAFTU et du NUMSA ont été de loyaux piliers de l’Alliance tripartite bourgeoise, et ils le sont restés après le massacre de Marikana et d’innombrables autres trahisons, avant de quitter l’Alliance et d’être exclus du COSATU en 2014. Depuis, ils ne cessent de supplier les dirigeants du SACP de revenir à « l’héritage » de Joe Slovo – un des principaux négociateurs, au début des années 1990, de l’« accord négocié » avec la bourgeoisie blanche qui a pavé la voie à l’accession au pouvoir de l’Alliance tripartite pour gérer le néo-apartheid raciste !
Quand la crise du Covid-19 a éclaté, les bureaucrates de la SAFTU ont montré une fois de plus la traîtrise de leur politique de collaboration de classes en s’engageant à soutenir le confinement décrété par Ramaphosa. Avec certains de ses suivistes de gauche pseudo-socialistes comme Keep Left, la SAFTU a rejoint le front populaire C19 People Coalition, faisant l’unité avec des ONG financées par les impérialistes comme Oxfam et des boîtes à idées bourgeoises comme la Fondation Heinrich Böll, liée au parti des Verts de l’impérialisme allemand, ainsi que les fondations Nelson Mandela et Helen Suzman. La Coalition C19 colporte le mensonge de l’« unité nationale » pour aligner la classe ouvrière et les opprimés derrière les randlords et l’État du néo-apartheid, qui sont à la source même de la misère des masses.
Pour faire avaler la pilule, ils ont recours à un procédé éculé, faisant croire que l’État bourgeois pourrait être le sauveur des travailleurs si seulement il voulait bien leur offrir « du pain, pas des balles ». En réalité, ils veulent aider la bourgeoisie raciste à éviter des troubles sociaux, comme l’explique clairement un communiqué publié le 24 mars par la SAFTU déplorant que « l’État ne met pas tout son poids dans la balance ! Le confinement antiviral est une première mesure de distanciation sociale – mais la pingrerie fiscale et une politique monétaire trop restrictive font courir le risque d’une rébellion provoquée par le désespoir extrême ». Quand Ramaphosa, quelques semaines plus tard, a jeté quelques miettes aux pauvres, la SAFTU a salué « le rôle clé de l’État en temps de crise ».
Ce conte de fée est dangereux. Au contraire, l’État capitaliste – dont le noyau est constitué de bandes d’hommes en armes comme la police et l’armée, ainsi que les tribunaux, les prisons, etc. – est un instrument pour l’oppression de la classe ouvrière par les exploiteurs capitalistes. Si Ramaphosa a déployé l’armée, c’est pour préparer la possibilité d’écraser « une rébellion provoquée par le désespoir extrême ». Les travailleurs ne doivent jamais oublier le rôle de Ramaphosa pour déclencher le massacre d’août 2012 à Marikana : il avait exigé, au nom du conseil d’administration de Lonmin, que Zuma [alors président] et ses ministres déclenchent une « action concomitante » pour écraser la grève sauvage des mineurs de Lonmin qui se battaient pour un salaire qui leur permette de vivre.
Les pseudo-trotskystes du Workers and Socialist Party (WASP) partagent totalement le programme réformiste de la direction de la SAFTU – prostrer la classe ouvrière devant l’État capitaliste. Dans un article du 24 avril (« Aujourd’hui c’est le temps de la révolution, pas du réformisme »), le WASP lance une « polémique » minable contre certains universitaires bourgeois de la Coalition C19 dans le seul but d’avancer sa propre version de l’illusion mortelle que l’on pourrait faire pression sur l’État bourgeois afin qu’il joue un rôle « favorable » à la classe ouvrière. « Les marxistes et le mouvement ouvrier en appellent au pouvoir d’État », nous rassure le WASP, « mais ils doivent toujours le faire au moyen de revendications qui pointent du doigt le fait que l’État est une classe ennemie organisée ; il ne peut être gagné à des réformes pro-classe ouvrière qu’au moyen de la puissance organisée de la classe ouvrière et de la lutte, non par l’humilité et la flagornerie ».
La vision sociale-démocrate qu’on pourrait conduire l’État capitaliste à servir les intérêts des travailleurs – avec une pression suffisante, et idéalement en élisant une majorité sociale-démocrate au parlement – est caractéristique du WASP et de ses ex-camarades d’idées du Comité pour une Internationale ouvrière (CIO, dont les partisans en Afrique du Sud s’appellent aujourd’hui le Marxist Workers Party). On connaît le WASP et le CIO pour leur position que les flics bourgeois (ainsi que les agents de sécurité et les gardiens de prison) sont des « travailleurs en uniforme ». Le programme réformiste totalement antimarxiste des sociaux-démocrates a servi maintes fois dans l’histoire à étrangler les occasions révolutionnaires les plus prometteuses en subordonnant la classe ouvrière à l’État de son ennemi de classe, en affaiblissant ses organisations de classe et en semant la démoralisation politique.
La classe ouvrière est partout dans le collimateur avec la crise du Covid-19, mais la lutte contre les attaques des patrons ne s’est pas arrêtée. Il y a eu des actions de protestation et des grèves sauvages des travailleurs de l’industrie agro-alimentaire, de la santé et d’autres secteurs essentiels. Ces travailleurs – rejoints aujourd’hui par ceux des mines et d’autres industries qui reprennent progressivement le travail – sont souvent obligés de travailler sans équipements de protection adéquats (certains personnels de santé ne reçoivent qu’un seul masque de protection tous les quatre jours !) ; ils se voient refuser l’accès à un test de dépistage et sont payés des salaires de misère, dont ils doivent dépenser une grande partie pour les transports pendant le confinement.
Une de ces actions de protestation a été appelée par le Syndicat de jeunes infirmières Indaba et d’autres syndicats affiliés à la SAFTU ; ils ont organisé le Premier Mai un piquet devant l’hôpital Chris Hani Baragwanath de Soweto, ainsi qu’en d’autres endroits. À Soweto, les piquets ont été dispersés avec brutalité par les flics. Les travailleurs de la santé protestaient contre les conditions de travail qu’on leur impose et qui leur font courir un danger mortel ; ils réclamaient, entre autres, des équipements de protection et des tests, ainsi qu’un hébergement sécurisé, une prime de risque, l’assurance de transports sécurisés et la réintégration de tous les travailleurs externalisés.
Ces luttes et ces revendications légitimes mettent sur la table des mesures de base pour combattre le virus et défendre les intérêts de classe élémentaires des travailleurs. Les marxistes soutiennent ces luttes et y participent pour rendre les syndicalistes combatifs conscients du lien avec la lutte de classe générale contre la bourgeoisie. Cela veut dire combattre impitoyablement le mensonge bourgeois de l’« unité nationale », dans le cadre d’une lutte politique plus large contre les programmes réformistes des dirigeants traîtres du COSATU et du SACP, ainsi que des chefs du NUMSA et de la SAFTU et leurs suivistes de gauche. En particulier, il faut mener une bataille sans concession contre la subordination des syndicats à l’État bourgeois. Le COSATU et la SAFTU fédèrent tous deux des « syndicats » de policiers, tandis que le NUMSA et d’autres syndicats organisent souvent des agents de sécurité. Il est suicidaire de s’allier avec des gens dont le « métier » est de vous tirer dessus quand vous faites grève ! Nous disons : Flics, agents de sécurité, gardiens de prison, hors des syndicats !
Les marxistes travaillent à élargir ces luttes, à les lier à celles d’autres couches de la classe ouvrière, et à mobiliser la classe ouvrière pour qu’elle reprenne à son compte la lutte contre toute oppression capitaliste. Nous avançons par exemple la nécessité de lutter pour le contrôle syndical sur la sécurité au travail ; pour la défense des squatters contre les expulsions et la terreur policière ; pour un emploi pour tous grâce à une réduction de la semaine de travail, de manière à combattre le chômage de masse ; et pour un programme massif de travaux publics afin de construire des hôpitaux, des écoles, des logements et autres infrastructures nécessaires. Contrairement aux réformistes comme le WASP, dont toute l’activité est orientée vers la promotion de l’inviolabilité de l’État bourgeois, nous avançons ce genre de revendications transitoires pour faire prendre conscience à la classe ouvrière de la nécessité de briser l’appareil d’État capitaliste du néo-apartheid et de le remplacer par sa propre dictature de classe, un gouvernement ouvrier centré sur les noirs. Comme l’expliquait Trotsky dans le Programme de transition (1938) : « Si le capitalisme est incapable de satisfaire les revendications qui surgissent infailliblement des maux qu’il a lui-même engendrés, qu’il périsse ! La “possibilité” ou l’“impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les ouvriers comprendront mieux que tout la nécessité de liquider l’esclavage capitaliste. »
Pour de nouvelles révolutions d’Octobre !
Sous le capitalisme, une crise comme la pandémie de Covid-19 signifie d’une façon ou d’une autre la misère pour les masses laborieuses, notamment dans le monde semi-colonial. Mais il y a quantité de mesures évidentes et rationnelles que la classe ouvrière au pouvoir pourrait appliquer immédiatement pour combattre cette menace pour la santé publique tout en améliorant les conditions de la vie sociale et économique. La condition fondamentale pour tout cela, c’est l’expropriation révolutionnaire de la bourgeoisie, qui est notre objectif. La réponse au Covid-19 de l’État ouvrier déformé chinois, malgré son régime bureaucratique, donne un petit aperçu de ce qui est possible.
Considérons par exemple l’énorme surpopulation et l’absence d’égouts dans les townships et les camps de squatters, qui représentent une menace catastrophique pour la santé publique. Sous le capitalisme, les seules « solutions » sont des choses qui provoquent tout autant de misère que la maladie elle-même, et qui ne font que limiter ou ralentir les pertes en vies humaines – comme la terreur d’État pour obliger les gens à retourner dans leur taudis ou les projets de « dé-densification » où l’on reloge les gens dans des sortes de camps de concentration, sans infrastructure ni possibilité de trouver du travail. Mais un gouvernement ouvrier centré sur les noirs, basé sur des organes du pouvoir ouvrier, confisquerait immédiatement les résidences de luxe, les terrains de golf et les villas dans les banlieues de riches principalement blanches, peu densément peuplées. Celles-ci sont souvent toutes proches des townships et des camps de squatters les plus denses, dont la population est très majoritairement noire et métisse. Une partie de ces résidences pourrait être utilisée pour reloger des gens dans des conditions où la « distanciation sociale » serait effectivement possible afin de limiter la propagation du virus ; une autre partie pourrait être utilisée pour installer des centres d’isolement où ceux qui ont contracté le virus pourraient récupérer et recevoir des soins. Pour un gouvernement de ce type, des mesures immédiates comme celles-ci feraient partie intégrante d’un programme plus large d’expropriation des terres, qui sont toujours pour l’essentiel entre les mains de la minorité blanche, dans le cadre de l’expropriation révolutionnaire de la bourgeoisie (voir « La question de la terre et la révolution permanente », Spartacist South Africa n° 16, février 2019).
Un gouvernement ouvrier centré sur les noirs ne s’interdirait pas de prendre des mesures restreignant les libertés individuelles là où c’est nécessaire face à une menace pour la santé publique comme le Covid-19. Cependant, de telles mesures feraient partie intégrante d’une réponse coordonnée, basée sur la collectivisation des moyens de production et sur une économie planifiée. L’arrêt temporaire d’une partie de la production économique dans certains secteurs serait inévitable afin de réduire les contacts sociaux au minimum et de ralentir ou stopper la propagation de la maladie jusqu’à ce qu’un vaccin soit disponible. Mais contrairement à l’anarchie capitaliste, un État ouvrier serait capable de réorienter l’activité économique en mobilisant davantage de ressources de la société dans les branches industrielles nécessaires pour faire face à la pandémie – assurer des soins médicaux, la garde des enfants, le logement ; construire et moderniser des hôpitaux, produire en masse des respirateurs, des tests de dépistage et des équipements de protection ; distribuer les produits alimentaires, développer et tester un vaccin et des traitements antiviraux.
Au-delà de ces mesures immédiates, il faut des conditions de vie de qualité, avec suffisamment de place pour tous les habitants ; des systèmes d’assainissement des eaux usées, des livraisons de nourriture, etc. Un gouvernement ouvrier centré sur les noirs entreprendrait la reconstruction socialiste pour développer les forces productives et mobiliser l’énorme potentiel humain actuellement gaspillé, afin de réussir la modernisation économique et sociale. Dans une fédération socialiste de l’Afrique australe, unie sur une base volontaire, il y aura une place égale pour les nombreux peuples de la région.
En dernier ressort, toute cette perspective dépend de l’extension de la révolution au prolétariat des centres impérialistes qui, sous une direction révolutionnaire, deviendra un puissant allié des masses laborieuses et opprimées de toute la région. Notre modèle, c’est l’internationalisme prolétarien du Parti bolchévique de Lénine et Trotsky, qui pour la première fois a conduit la classe ouvrière à la conquête et au maintien du pouvoir d’État grâce à la Révolution d’octobre 1917. La Révolution russe devait être pour les bolchéviks l’étincelle de révolutions prolétariennes dans les pays capitalistes avancés, ce qu’ils liaient à la lutte pour la libération nationale des peuples sous le joug de l’impérialisme et du colonialisme. Aujourd’hui comme alors, refuser la barbarie capitaliste veut dire lutter pour une révolution prolétarienne qui liquidera le système impérialiste et instaurera une économie socialiste planifiée à l’échelle mondiale. Pour de nouvelles révolutions d’Octobre dans le monde entier !