Le Bolchévik nº 230 |
Décembre 2019 |
Incendie chez Lubrizol : un crime capitaliste
Pour le contrôle syndical sur la sécurité !
Les habitants de Rouen se sont levés, le matin du 26 septembre, sous un immense nuage noir de plus de vingt kilomètres de long sur six de large. Déclaré à 2h40 du matin, l’incendie chez Lubrizol – une entreprise qui produit notamment des additifs pour lubrifiants – et sur le site voisin Normandie Logistique a consumé plus de 9 500 tonnes de produits chimiques pendant plus de 24 heures en plein cœur de cette agglomération de 400 000 habitants. Malgré les premières explosions et les flammes gigantesques qui illuminaient le ciel normand, aucun dispositif pour alerter la population proche du site n’a été mis en œuvre. Ce n’est que 5 heures plus tard que les sirènes ont été activées, et seulement aux abords de l’usine alors que le nuage de fumée s’était déjà répandu sur plusieurs kilomètres et sur des communes où les habitants ne les ont jamais entendues.
La réponse du gouvernement capitaliste : une négligence criminelle maquillée avec des mensonges transparents. Le même 26 septembre, pendant que les produits chimiques continuaient à brûler, Christophe Castaner, le chef des flics, a déclaré sans sourciller qu’il n’y avait « pas de dangerosité particulière ». Le lendemain, c’était à la ministre de la Santé Agnès Buzyn de prétendre qu’ « on peut être grossièrement [sic] rassuré par le fait qu’il n’y a pas en quantité importante des produits potentiellement dangereux ». La semaine suivante, la même ministre finissait quand même par reconnaître : « En réalité personne ne sait aujourd’hui ce que donnent ces produits mélangés lorsqu’ils brûlent. »
En fait, Lubrizol est classée « Seveso seuil haut », l’indicateur de dangerosité le plus élevé pour une installation industrielle en France, hors centrale nucléaire. Selon un rapport d’inspection de 2016 commenté par Mediapart (1er octobre), certains produits « sont irritants, dangereux pour l’environnement, toxiques (par exemple l’anti-mousse), nocifs ». Le rapport mentionne aussi qu’en cas d’incendie, « les produits donneraient lieu à la formation de substances toxiques générées par l’oxydation des molécules phosphorées, soufrées, azotées, avec risque d’entraînement de gaz toxique (SO2, NOx) dans les fumées ».
Le gouvernement a affirmé qu’il n’y aurait aucune contamination par l’amiante, un cancérogène avéré même à très faible dose. Encore un mensonge : le toit en fibrociment de l’un des entrepôts, contenant une dizaine de tonnes d’amiante, est littéralement parti en fumée sur la ville. Une aire d’accueil de 25 familles de gens du voyage, à 500 mètres de Lubrizol, n’a reçu ni aide ni directive. Après l’incendie, les habitants ont décidé de porter plainte contre la Métropole de Rouen, en dénonçant aussi les déchets industriels toxiques, y compris de l’amiante, qui sont régulièrement jetés sur leur terrain. La réponse du gouvernement a été de les inviter à aller voir ailleurs.
C’est bien le courage de quelques ouvriers en poste ce jour-là qui a probablement évité une catastrophe pire encore. Prenant un risque important pour leur vie et leur santé, ils ont déplacé des fûts particulièrement dangereux pour les mettre en lieu sûr. Et c’est avec abnégation, mais sans matériel adéquat (alors que l’agglomération regroupe pas moins de 25 sites classés Seveso) que les pompiers sont intervenus cette nuit-là.
La sécurité prise en otage par les profits
C’est bien le fondement même du système capitaliste qui est au cœur de la catastrophe industrielle de Lubrizol : la recherche du profit maximum, le plus rapidement possible, par une classe sociale minuscule, avide et cupide, la bourgeoisie, qui est prête à sacrifier pour cela la sécurité des populations et des travailleurs qu’elle exploite et dont elle tire d’obscènes richesses : appartenant au milliardaire américain Warren Buffet, le groupe Lubrizol a eu un chiffre d’affaires de 6,8 milliards de dollars l’an dernier et compte une soixantaine de sites de production dans le monde.
Les gouvernements, de droite comme de « gauche », ne sont là que pour servir les intérêts de la bourgeoisie. Depuis de longues années, les gouvernements capitalistes qui se succèdent s’attaquent aux conquêtes de la classe ouvrière en essayant de restaurer le taux de profit du capitalisme français, et donc sa compétitivité, notamment vis-à-vis du capitalisme allemand au sein de l’Union européenne. En 2009, le gouvernement a assoupli les règles de contrôle sur les installations classées, éliminant l’obligation de conduire des études d’impact avant le lancement de certaines activités. Ainsi, plusieurs milliers de tonnes de produits ont pu être stockées dans l’usine voisine, Normandie Logistique, une société de transport routier. C’est également de cette façon que, début 2019, Lubrizol a pu augmenter sa capacité de stockage de près de 1 600 tonnes.
Le gouvernement Hollande, avec Macron en personne comme ministre de l’Économie, a imposé la loi sur le « dialogue social » éliminant les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), lesquels avaient pour but la prévention des risques et accidents du travail causés par la rapacité des capitalistes (en collaboration avec ces derniers). Pour la bourgeoisie, même ces organes purement consultatifs, présidés par le patron lui-même, constituaient déjà un frein insupportable.
Pour une direction lutte de classe des syndicats !
Les syndicats sont les seuls organes efficaces pour assurer la protection des travailleurs contre la rapacité des capitalistes. Mais les syndicats sont affaiblis par des années de défaites et divisés par des allégeances politiques. C’est le fruit de la politique de collaboration de classes des dirigeants syndicaux actuels : en liant le sort des ouvriers à leurs propres exploiteurs capitalistes au nom de la « compétitivité », ils les ont détournés de ces organes de défense indispensables. Jusque fin 2018, dans l’usine Lubrizol Rouen qui compte environ 300 salariés, il n’y avait aucun syndicat officiellement représenté !
Il faut se battre pour de nouvelles directions dans les syndicats, des directions basées sur un programme de lutte de classe et d’indépendance politique vis-à-vis de l’État capitaliste et des partis bourgeois. Il faut des syndicats puissants et lutte de classe, des campagnes de syndicalisation massives. Nous luttons pour des syndicats industriels : une branche industrielle, un syndicat ! Tous les ouvriers dans le syndicat ! À la différence des anciens CHSCT consultatifs et de collaboration des classes, nous luttons pour un véritable contrôle syndical sur la sécurité : pour des comités syndicaux indépendants chargés de la sécurité, avec le pouvoir d’arrêter la production à tout moment !
Les crimes industriels et les dégradations infligées par l’homme à l’environnement sont inévitables dans le cadre du système capitaliste. C’est seulement quand la classe ouvrière aura pris le contrôle de l’économie et instauré une économie socialiste planifiée au niveau international, libérant ainsi la production de la motivation du profit, que la sécurité des ouvriers et des populations sera assurée. C’est seulement quand les travailleurs auront le pouvoir que la technique et les ressources pourront être mises au service de la lutte contre la pénurie et offrir une vie décente à tous. Ce combat pour un avenir socialiste nécessite de forger des partis ouvriers, sections d’une Internationale révolutionnaire, qui prennent la tête de tous les exploités et opprimés dans la lutte pour la révolution prolétarienne.