Le Bolchévik nº 229

Septembre 2019

 

Exploitation capitaliste et oppression des femmes

Mexique : Les ouvrières des maquiladoras

(Femmes et Révolution)

Une vague de grèves sauvages a éclaté en janvier dans les maquiladoras [usines de sous-traitance] de Matamoros, une ville mexicaine à la frontière avec le Texas. Ces grèves, menées au départ contre l’opposition des directions syndicales en place, ont fini par rassembler environ 50 000 travailleurs, dont beaucoup de femmes. Dans la plupart des usines, les ouvriers ont arraché une hausse de salaire de 20 % et une prime annuelle de 32 000 pesos (environ 1 450 €).

Les grèves de Matamoros constituent la plus importante action du mouvement ouvrier organisé au Mexique depuis plusieurs décennies. Elles ont tari les profits des fabricants de pièces détachées pour l’automobile ou d’appareils électroniques, les capitalistes perdant chaque jour une cinquantaine de millions d’euros. Les patrons ont répondu par la répression policière et ont licencié des milliers d’ouvriers en représailles. Beaucoup de maquiladoras sont des filiales ou des sous-traitants d’entreprises américaines. Nos camarades américains écrivaient alors : « Cela montre qu’il faut une lutte de classe commune des deux côtés de la frontière contre les exploiteurs capitalistes » (Workers Vanguard n° 1149, 22 février).

Il y a plus d’un million d’ouvriers dans les 3 000 maquiladoras mexicaines. Ce sont à environ 80 % des femmes, qui travaillent dans des conditions épouvantables reflétant leur statut dans la société. L’oppression des femmes est enracinée dans l’institution de la famille, qui est un pilier du maintien de la propriété privée capitaliste et de la société de classes. Il faut absolument que les syndicats luttent pour l’égalité des femmes. Une direction lutte de classe dans les syndicats mettrait en avant des revendications comme des crèches et centres de loisirs ouverts 24 heures sur 24, des congés de maternité avec maintien intégral du salaire, l’égalité salariale et l’avortement libre et gratuit, dans le cadre de soins médicaux de qualité pour tous. La lutte pour l’émancipation des femmes est cruciale pour en finir avec l’esclavage du salariat capitaliste grâce à une révolution ouvrière.

Nous reproduisons ci-dessous la traduction d’un article publié dans Espartaco (n° 51, avril), le journal du Grupo Espartaquista de México (GEM), section de la Ligue communiste internationale.

Les travailleuses subissent une double oppression dans les maquiladoras : l’exploitation capitaliste et l’oppression en tant que femmes. Leurs salaires sont inférieurs de 30 % à ceux déjà maigres des hommes. Pour obtenir un emploi, elles doivent passer un test de grossesse ; pour le garder, elles doivent subir des examens humiliants à chaque cycle menstruel pour vérifier qu’elles ne sont pas tombées enceintes. De cette manière, les patrons mesquins font l’économie des congés de maternité et des frais de garde ! Quand des ouvrières sont enceintes, il y a des médecins qui mentent sur la date d’accouchement pour qu’elles travaillent le plus longtemps possible, si bien qu’elles finissent par accoucher dans l’usine.

Le harcèlement sexuel et moral et les abus sexuels de la part des patrons et de leurs sbires sont de règle. Pendant les grèves de cette année, une ouvrière de Matamoros a raconté à des camarades du GEM le harcèlement qu’elle a subi. Un contremaître lui faisait des allusions sexuelles alors qu’elle n’avait aucun lien personnel avec lui. Après qu’elle lui eut dit d’arrêter, ce larbin des bourgeois a commencé à lui infliger des sanctions sous n’importe quel prétexte, comme de passer un temps « excessif » aux toilettes (y compris pendant ses règles), et il l’a obligée à s’inscrire sur une liste noire. Pour augmenter l’exploitation, les patrons limitent les pauses pipi à cinq minutes et interdisent de boire de l’eau, pour ne pas interrompre le travail. Les ouvrières, comme tous leurs collègues, sont obligées de remplir des quotas de production sous peine de licenciement. Après une journée de travail éreintante, beaucoup rentrent chez elles pour s’occuper de leurs enfants et des tâches ménagères. Cet enfer exploiteur anti-femmes des maquiladoras est une conséquence directe du pillage impérialiste du Mexique, principalement par les États-Unis, ainsi que de l’exploitation par la bourgeoisie mexicaine vénale.

La question femmes est d’une importance décisive dans les maquiladoras. Pour les marxistes, la division fondamentale dans la société est celle entre les classes, c’est-à-dire entre le prolétariat et la bourgeoisie, et l’émancipation des femmes est une tâche qui incombe à la classe ouvrière tout entière. La famille, soutenue par la religion et par l’État, est la source principale de l’oppression des femmes, qui sont soumises à l’esclavage du travail domestique et des soins et de l’éducation des enfants – dans les familles ouvrières, c’est la prochaine génération de prolétaires. La famille sert aussi à apprendre aux jeunes le respect de l’autorité. Le machisme est une idéologie qui sert de justification à l’asservissement matériel des femmes (voir « Le communisme et la famille », Le Bolchévik n° 213, septembre 2015). Beaucoup d’ouvrières des maquiladoras sont des immigrées originaires d’autres villes ou issues de communautés paysannes et/ou indigènes qui sont parties de chez elles dans l’espoir d’échapper au carcan de la famille nucléaire.

Avec le capitalisme, l’incorporation des femmes à la classe ouvrière les a tirées de l’isolement du foyer et créé une condition nécessaire de leur émancipation : leur participation à la production sociale. C’est le cas des maquiladoras, où le prolétariat est majoritairement féminin. Ainsi, ce n’est pas un hasard si ce sont des femmes qui ont été à l’avant-garde pour diriger et défendre les grèves dans de nombreuses usines.

Cependant, sous le capitalisme, l’intégration des femmes à la classe ouvrière signifie aussi que l’esclavage du salariat s’ajoute à l’esclavage domestique. Nous, spartacistes, luttons pour en finir avec l’oppression des femmes, héritage de l’arriération sociale que maintient la bourgeoisie. Nous luttons pour la pleine égalité pour les femmes, pour l’égalité des salaires et pour l’intégration complète des femmes à la force de travail. Nous appelons à l’avortement libre et gratuit, accessible en toute sécurité pour toutes celles qui le demandent dans tout le pays, et à des soins médicaux de qualité gratuits pour tous. Nous condamnons la criminalisation de l’avortement par le parlement de l’État de Nuevo León, adoptée avec le soutien des députés du parti bourgeois Morena. Nous dénonçons aussi la menace d’AMLO [Andrés Manuel López Obrador, le président du Mexique, et dirigeant de Morena] d’organiser un référendum sur le droit à l’avortement ; cela ne pourrait que déboucher sur son interdiction dans cette société profondément machiste et catholique qu’est le Mexique. En fait AMLO, chrétien fervent, est contre les droits démocratiques élémentaires pour les femmes et les homosexuels, et il n’a jamais prétendu autre chose. Aujourd’hui, en tant que commandant en chef du capitalisme mexicain, il a supprimé les subventions aux crèches privées qui étaient autrefois financées par le défunt ministère du Développement social (Sedesol). Ces crèches, qui fonctionnaient dans des conditions déplorables et qui avaient des défauts sans nombre, étaient le seul moyen pour beaucoup de travailleuses de faire garder leurs enfants pendant qu’elles travaillaient. Cette mesure d’AMLO renverra à n’en pas douter beaucoup de femmes dans l’isolement du foyer domestique. Dans le cadre du combat que nous menons pour la révolution socialiste, nous luttons pour des garderies gratuites et de qualité ouvertes 24 heures sur 24. Rompez avec AMLO et le parti bourgeois Morena !

En tant que marxistes, nous savons que l’éradication de l’oppression des femmes nécessitera un formidable bond en avant dans le développement des conditions matérielles, ce qui ne pourra se réaliser sans une révolution socialiste et son extension internationale, qui établira une économie internationalement planifiée et collectivisée, basée non sur les profits capitalistes mais sur la satisfaction des besoins de tous. Une telle économie permettrait de remplacer les fonctions économiques de la famille par la socialisation des soins et de l’éducation des enfants et celle des tâches ménagères, par exemple avec la création de garderies, de cantines et de laveries collectives. Cela permettrait aux femmes de participer pleinement à la vie sociale et politique. Pour que cette perspective devienne réalité, il faut forger un parti léniniste d’avant-garde, tribun de tous les opprimés, qui se mobilise pour combattre toutes les formes d’arriération sociale.