Le Bolchévik nº 228 |
Juin 2019 |
LO et lUE : fidèle pour la vie
LO peut à juste titre se targuer de constance dans ses positions concernant l’Union européenne : elle lui a toujours été d’une fidélité à toute épreuve. Elle vient d’en donner une nouvelle preuve avec sa dernière campagne pour les élections au soi-disant parlement européen. Alors que les marxistes s’opposent par principe à ce pseudo-parlement (voir notre déclaration internationale page 16), LO se présente depuis 40 ans que ces élections existent, tous les cinq ans sans exception. Elle a même réussi à avoir trois élus en 1999, qui ont permis de renflouer ses caisses à hauteur de centaines de milliers d’euros. Toutes ces compromissions avec l’UE constituent autant de trahisons des intérêts du prolétariat, et de l’indépendance de classe du mouvement ouvrier.
En 1989, LO déclarait ainsi, dans le cadre de sa campagne électorale européenne de cette année-là, son enthousiasme pour le mensonge d’une Europe capitaliste unie, alors que commençaient les tractations qui allaient déboucher sur l’accord franco-allemand dont sont issus l’UE et l’euro : « Si les bourgeoisies européennes arrivaient à faire l’Europe, même une petite Europe, même leur Europe d’une certaine entente entre brigands, ou même si elles arrivaient après 1992 à uniformiser, harmoniser, simplifier les échanges et la circulation des hommes et des marchandises, ce serait un progrès » (Lutte de classe n° 24, avril 1989).
Trois ans plus tard, après la contre-révolution capitaliste en Union soviétique, se tint finalement le référendum de Mitterrand sur le traité de Maastricht. LO déclarait :
« L’Europe bourgeoise qui se dessine n’est en elle-même ni un bien ni un mal pour les travailleurs. […] Mais elle peut devenir un avantage si les travailleurs des différents pays européens se sentent plus solidaires les uns des autres, s’ils se reconnaissent dans les combats qui se mènent de l’autre côté des frontières. »
– Lutte de classe, juillet-août 1992
Du coup ils s’étaient abstenus, même si appeler à voter « oui » aurait été moins hypocrite de leur part. Le « oui » est passé avec seulement 51 % des voix : l’appel de LO à l’abstention a contribué à la victoire de l’impérialisme français, de justesse. LO partage ainsi la responsabilité pour les déprédations qui ont suivi pour les travailleurs et les opprimés. LO était à droite du PCF et de la LCR (prédécesseur du NPA), qui appelaient à voter « non ».
Face au rejet massif de l’UE dans la classe ouvrière en France ces derniers temps, LO essaie d’habiller un peu son soutien à l’UE et son « parlement ». Elle a essayé de se justifier de sa nouvelle campagne électorale en comparant ce « parlement » à « toutes les institutions élues dans la démocratie bourgeoise » représentant les peuples de l’UE, encore que « pas plus que les Parlements nationaux » (Lutte de classe, mars-avril). Mais si c’est au fond un « parlement », de quel État « démocratique bourgeois » est-il le parlement ? LO introduit par la bande l’idée qu’au fond l’UE est ou peut devenir l’embryon d’un futur État capitaliste européen.
C’est du Kautsky pur et simple, malgré les polémiques creuses contre celui-ci dans Lutte de classe. En pleine boucherie impérialiste de 1914-1918, le social-démocrate allemand Karl Kautsky prétendait qu’il était possible que les impérialistes d’Europe s’unissent pour exploiter en commun le monde d’une manière « pacifique » et « démocratique ». L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, dorénavant consubstantiel au capitalisme, devenait pour Kautsky simplement une politique, que les dirigeants allemands ou français pouvaient décider ou non d’adopter. Lénine au contraire insistait que les rivalités entre impérialistes ne peuvent être résolues en dernier ressort que par la force, par la guerre. Faire croire que ces conflits pourront être résolus pacifiquement, c’est chercher à discréditer la nécessité de la révolution prolétarienne.
Déjà en 1992, LO écrivait que « ce n’est certainement pas aux révolutionnaires de combattre l’idée de la supra-nationalité bourgeoise au nom du nationalisme bourgeois ». Et du coup LO refusait tout court, même au nom de l’internationalisme prolétarien, de combattre l’idée kautskyste de la « supra-nationalité bourgeoise » ! Car elle la partage.
LO écrit aujourd’hui : « L’intensification de la guerre économique s’est traduite par une poussée des courants nationalistes comme l’Europe n’en avait pas connu depuis les années trente. […] Aucune bourgeoisie n’a intérêt à la dislocation du marché unique […]. Et tout le passé prouve que les guerres économiques peuvent être le prélude à d’autres affrontements infiniment plus dévastateurs » (Lutte de classe, mars-avril). La position de LO sur le « progrès » que représenterait l’UE contre le spectre d’une nouvelle guerre et du fascisme est plus proche de la vision du « progressiste » Macron que de celle de Lénine.
Évidemment, LO ne peut pas se présenter à découvert comme étant de vulgaires macronistes sur la question de l’UE. Donc elle déclare que « porter le débat sur le choix entre plus ou moins d’Union européenne est un faux débat », alors qu’il faut lutter « contre le grand capital » (ibid.). LO escamote ainsi le vrai débat entre soutenir l’UE (que ce soit « plus ou moins »), et s’y opposer. LO a choisi, car pour elle il est tout simplement inconcevable qu’on puisse s’opposer à l’UE, seuls des nationalistes extrémistes pouvant le faire.
La réalité, c’est qu’on ne peut pas lutter « contre le grand capital » sans s’opposer au principal pilier de la politique extérieure et de la politique économique internationale de l’impérialisme français, c’est-à-dire l’Union européenne. La bourgeoisie française est pratiquement unanime aujourd’hui en faveur de l’UE, car elle l’utilise pour que ses banques puissent piller en toute impunité la Grèce, etc., et pour faire passer sa législation antisyndicale au nom des « directives de Bruxelles ». Et pour essayer de peser un peu plus internationalement face aux États-Unis. C’est la raison d’être de l’UE. La soutenir en France, c’est soutenir le « grand capital » français. C’est trahir l’indépendance de classe du prolétariat, c’est du chauvinisme français. Par contre, on peut s’opposer aux intérêts du grand capital en s’opposant à l’UE.
Quant à la montée des partis d’extrême droite et des fascistes dans de nombreux pays de l’UE, dont se lamente LO, elle est facilitée par le soutien de la gauche et de l’extrême gauche à l’UE. En France, la trahison du PCF, du NPA et de LO qui font croire à la possibilité d’une « Europe sociale » et « démocratique » permet à des partis d’extrême droite de prétendre mensongèrement qu’ils sont les seuls à s’opposer à l’UE. C’est le cas de l’UPR de François Asselineau (ex-collaborateur de Charles Pasqua, un gaulliste qui a été plusieurs fois ministre des flics), ou dans le passé du Rassemblement national de Marine Le Pen, un parti fascisant. Ce qui, d’ailleurs, n’empêche pas ces démagogues de se présenter au pseudo-parlement de l'UE en lorgnant sur ses financements.
LO a refusé cette année un bloc avec le NPA pour les européennes, notamment parce que le NPA voulait introduire une formule de « rupture » avec l’UE. Selon le NPA, LO aurait changé de disque concernant l’UE, argumentant dans le passé, lors des campagnes communes LO-LCR de 1999 et 2004, qu’« il fallait combattre le préjugé selon lequel l’UE était progressiste alors que maintenant il faut se battre contre les préjugés réactionnaires ». C’est, de la part du NPA, enjoliver la position de LO d’alors, qui était : « Même telle quelle, réalisée sur des bases capitalistes, […] l’Union européenne représente un progrès dans un certain nombre de domaines », ainsi qu’un « avantage appréciable » (Lutte de classe, février 2005). Mais peu importe au NPA le « progressisme » actuel de LO – il dit à ses militants et à la classe ouvrière de voter quand même pour elle ! Pour une fois que le NPA essayait d’être un millimètre plus à gauche que LO, c’est raté.
Étant donné que LO défend l’UE « contre la réaction », il n’est pas surprenant qu’elle s’oppose au Brexit, qu’elle décrit comme un « poison » et une « menace réelle » pour la classe ouvrière. Son organisation sœur en Grande-Bretagne a même dit aux travailleurs britanniques, avant le vote de 2016, qu’ils n’ont « rien à craindre de l’UE ». Quels cheminots ou postiers britanniques (ou français) vont avaler cela, alors qu’ils font l’amère expérience de la privatisation des services publics en conformité avec les « directives de Bruxelles » édictées par la City de Londres et par Paris et Berlin ? Pour notre part, nous avons qualifié le vote pour le Brexit de « camouflet pour les banquiers et patrons d’Europe », et dans l’intérêt des travailleurs et de leurs luttes.
L’UE ne peut pas être transformée en Europe socialiste mais doit être détruite par la lutte de classe. Lors du meeting de campagne de LO à Rouen, le 2 mai, Pascal Le Manach de LO (par ailleurs bureaucrate CGT à Renault-Cléon) a eu pour seule réponse à l’intervention de nos camarades que « ces élections sont une tribune ». Une tribune ? Mais seulement une tribune diplomatique au service de sa bourgeoisie. La classe ouvrière n’a pas besoin de quelqu’un qui va servir de diplomate pour sa propre bourgeoisie. Ce dont elle a besoin, c’est d’un authentique parti ouvrier révolutionnaire, section d’une Quatrième Internationale reforgée qui se batte pour le renversement du capitalisme ici, dans toute l’Europe et au-delà. C’est alors seulement, après la destruction de l’Union européenne actuelle, que les États-Unis socialistes d’Europe pourront voir le jour, reposant non pas sur la coercition par les grandes puissances mais sur une union volontaire.