Le Bolchévik nº 227 |
Mars 2019 |
A bas la loi sur la prostitution
Gouvernement, tribunaux : hors des chambres à coucher !
Comme il fallait s’y attendre, le Conseil constitutionnel a réaffirmé le 1er février la loi sur la prostitution du 13 avril 2016 qui inflige de lourdes amendes (3 750 ¤ en cas de récidive) aux clients de personnes prostituées. Un recours sur la constitutionnalité de la loi avait été déposé par des travailleurs et travailleuses du sexe et par neuf associations, y compris le STRASS (Syndicat du travail sexuel) et Médecins du monde.
Nous aussi, nous nous sommes fortement opposés à cette loide notre point de vue léniniste-trotskyste (voir le Bolchévik n° 215, mars 2016). Nous expliquions que soutenir ce genre de loi, comme l’ont fait notamment le PCF et Lutte ouvrière, c’est enjoliver la police capitaliste en faisant croire que, d’une façon ou d’une autre, elle est là pour protéger ces pauvres « filles perdues » qui se prostituent. Le procès en janvier du viol d’une jeune femme canadienne au 36 quai des Orfèvres, le temple de la police française, montre cruellement l’absurdité de cette idée.
Les marxistes mettent en garde que toute intervention de l’Etat capitaliste augmente directement la misère des personnes impliquées et constitue un prétexte pour inciter les flics et les tribunaux à attaquer les immigrés, les femmes, les trans et la sexualité elle-même. Marx et Lénine nous ont appris que l’Etat se compose de détachements spéciaux d’hommes armés, dédiés à la défense du pouvoir de la classe dirigeante grâce à leur monopole de la violence. L’oppression des femmes, la plus ancienne inégalité sociale de l’histoire de l’humanité, remonte au début de la propriété privée et elle persistera tant que la société de classes ne sera pas abolie. Pour cela, il faudra détruire l’Etat bourgeois par une révolution socialiste installant à sa place la dictature du prolétariat.
La loi est en vigueur depuis trois ans et les preuves se multiplient depuis sur son impact catastrophique pour les personnes prostituées elles-mêmes, que la loi était soi-disant censée « protéger ». Elle a servi à étendre la répression en augmentant les rafles policières et la terreur contre les prostituées dont beaucoup d’immigrées, dans la rue et ailleurs. Cette vulnérabilité a directement contribué à l’assassinat de Vanesa Campos, une travailleuse du sexe transsexuelle d’origine péruvienne, tuée au bois de Boulogne en août dernier. Comme le disait Giovanna Rincon, directrice de l’association Acceptess-T, lors d’une manifestation suite au meurtre de Vanesa Campos, « la loi est à 100 % responsable de la mort de Vanesa ».
Selon une enquête publiée en avril 2018, 78 % des prostituées interrogées « sont confrontées à une baisse de leurs revenus » et 63 % ont connu « une détérioration de leurs conditions de vie » depuis le passage de la loi en avril 2016 ; de plus en plus, elles arrivent à peine à se loger et se nourrir. La réduction du nombre de clients les oblige à travailler davantage et les agressions augmentent. Comme l’explique l’avocat d’une association de prostituées chinoises à Paris : « Il ne reste que les mauvais clients, prêts à braver cet interdit aux risques et périls de ces TDS [travailleurs du sexe], car les bons clients ont peur » d’être verbalisés. Il s’agit dans une grande mesure de femmes sans-papiers qui sont depuis cette loi « contraintes de déplacer leur activité dans des lieux confidentiels, et sont donc encore plus exposées à des violences » (Mediapart.fr, 22 janvier).
LO sur la prostitution : ménage à trois avec flics et fanatiques catholiques
Quiconque se soucie du sort des prostituées connaît ce triste bilan de la loi. Y compris les juges du Conseil constitutionnel l’ont implicitement reconnu dans leur arrêt déboutant les opposants à la loi en insistant que « les conséquences sanitaires pour les personnes prostituées des dispositions contestées » sont le cadet de leurs soucis (le Monde, 1er février).
Et pourtant Jean-Pierre Mercier, bureaucrate de la CGT et l’un des principaux porte-parole de Lutte ouvrière, a rejoint le secrétaire général du PCF Pierre Laurent et d’autres bureaucrates syndicaux en publiant un « texte collectif » afin de persuader le Conseil constitutionnel de déclarer que la loi doit rester en vigueur (l’Humanité, 23 novembre 2018) ! LO promeut ainsi le mensonge que la bourgeoisie et son Etat auraient un intérêt dans la lutte contre l’oppression des femmes. Parmi les signataires du texte figure même le secrétaire général du « syndicat » CGT-Police la même police qui harcèle et brutalise les prostituées tous les jours !
Le soutien de LO à la loi fait écho à celui du Mouvement du Nid, association en première ligne de la campagne pour « abolir » la prostitution. Fondé par un prêtre et une militante de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne dans les années 1930, le Nid a parmi ses mots d’ordre « le corps humain et la sexualité sont définitivement exclus du champ du marché », ainsi que « prostitution = violence ». Ces bigots (leurs principaux financeurs sont officiellement le gouvernement et une émanation du Secours catholique) voudraient faire croire que « l’objectif de la loi est de protéger les personnes qui ont besoin de l’être » (communiqué du 1er février).
La position réformiste de Lutte ouvrière n’est pas nouvelle. Pendant la première lecture en 2013 du projet de loi qui est devenula loi de 2016, LO disait en ce qui concerne les sanctions contre les clients : « C’est bien le moins qui puisse être légalement décidé ! », en ajoutant : « Que le recours à la prostitution soit considéré comme un délit et que le délit de racolage soit aboli, c’est le moins qu’on puisse attendre de la loi d’un pays qui se dit civilisé » (Lutte Ouvrière, 6 décembre 2013). Selon LO, le très « civilisé » Etat capitaliste français est là pour protéger les prostituées ! Les travailleurs du sexe devraient au contraire être protégés par des syndicats, y compris contre les attaques des flics !
LO et le féminisme bourgeois
C’est l’idéologie du féminisme bourgeois qui met aujourd’hui dans le même lit LO, les flics, les papistes et le gouvernement capitaliste (la loi était une promesse de campagne de Hollande).Dans le sillage de #balancetonporc, ces féministes considèrent les hommes comme d’éternels prédateurs en puissance et les femmes comme d’éternelles victimes incapables d’une vie sexuelle autonome.
Dans leur déclaration, Mercier et la CGT-Police prétendent que « la prostitution est dès lors certainement la violence la plus totale qu’un système puisse produire ». Prétendant protéger les prostituées contre leur soi-disant esclavage, ils essaient cyniquement de mettre dans le même sac toutes les formes de prostitution. Certes, la prostitution forcée, par exemple par la servitude pour dettes, le viol et les agressions sexuelles, est un crime. Mais dans ce climat anti-sexe réactionnaire, l’Etat et les partisans de la loi de 2016 essaient d’assimiler l’esclavage sexuel et la prostitution forcée à la prostitution elle-même. Ce faisant, ils minimisent et banalisent la brutalité sauvage du viol, qui est un horrible crime.
Pour nous, échanger de l’argent contre du sexe (et réciproquement) n’est pas un crime. En fait, la prostitution est un « crime sans victime », comme la drogue, les jeux de hasard, la pornographie et les relations sexuelles consensuelles avec des mineurs des activités qui, en vertu du droit capitaliste, sont généralement interdites ou sévèrement réglementées. Dans de nombreux pays, les lois relatives à l’âge de la majorité sexuelle dictent une stricte abstinence sexuelle, en particulier pour les jeunes femmes. Nous sommes contre toute intervention de l’Etat dans la vie sexuelle privée. Le consentement effectif et l’accord mutuelde toutes les parties concernées devraient être le facteur décisif dans tous les actes sexuels. Y compris la prostitution.
En tant que marxistes, nous savons que le statut des prostituées est lié au statut de la femme plus largement, ce dernier étant une mesure de l’avancement d’une société. Donc nous sommes opposés à la criminalisation de la prostitution (et du recours à elle) même si la prostitution est un élément de l’oppression des femmes, liée à l’institution de la famille.
La famille bourgeoise, institution réactionnaire
Cette dernière, dans une société de classes, est l’instrument principal de l’oppression des femmes. Friedrich Engels, fondateur avec Karl Marx du socialisme scientifique, l’a bien illustré dans son uvre l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat (1884). Engels explique comment les anciennes sociétés reposaient sur la chasse et la cueillette ; les hommes et les femmes étaient des égaux et la division du travail, basée sur le fait que c’est la femme qui porte l’enfant, n’impliquait aucune subordination selon le sexe. La descendance était généralement déterminée de façon matrilinéaire, étant donné que seule la mère de l’enfant était connue.
Mais avec le développement de l’agriculture, permettant de dégager un surplus social excédant la subsistance de base et donc le développement d’une classe possédante, il est devenu nécessaire de connaître la paternité des enfants afin d’établir les moyens d’assurer la transmission de la propriété et du pouvoir, et d’imposer la fidélité à l’épouse. De là est née la famille monogamique où le mariage signifie la soumission des femmes aux hommes ; la femme fut dès lors considérée comme simple force de reproduction, celle qui engendre les enfants auxquels sera transmise la propriété privée.
C’est aussi de là qu’est né l’Etat, constitué de bandes d’hommes armés comme les flics, les juges, l’armée, les matons, dont le rôle est d’imposer la domination de la classe possédante par la force. Comme le disait Engels, « la victoire de la propriété privée sur la propriété commune primitive et spontanée » a amené « la grande défaite historique du sexe féminin ».
Comme nous l’écrivions dans Spartacist (édition française n° 36, été 2004) :
« C’est l’institution de la famille qui introduit l’argent dans les relations sexuelles. Que ce soit louer les services d’une prostituée à l’heure ou d’une épouse pour la vie, la famille et l’oppression des femmes sont fondées sur la propriété privée ; les codes religieux de moralité et la loi capitaliste sont tout ce qui distingue l’épouse de la prostituée de ce point de vue fondamental. »
Les exemples évidents de lien entre l’argent et le mariage sont nombreux : de la dot et du prix de l’épousée jusqu’à la pension alimentaire et aux contrats de mariage.
Nous pensons que la façon dont des personnes consentantes choisissent de mener leurs relations sexuelles (tarifées ou non)ne regarde personne d’autre qu’elles. Notre objectif est le renversement par le prolétariat du système capitaliste de production pour le profit, afin que la société puisse s’organiser pour répondre aux besoins de l’humanité. Comme l’ajoutait Engels :
« Pour que l’entière liberté de contracter mariage se réalise pleinement et d’une manière générale, il faut donc que la suppression de la production capitaliste et des conditions de propriété qu’elle a établies ait écarté toutes les considérations économiques accessoires qui maintenant encore exercent une si puissante influence sur le choix des époux. Alors, il ne restera plus d’autre motif que l’inclination réciproque. »
Le remplacement du mode de production capitaliste par une économie planifiée dans l’intérêt de la classe ouvrière et de tous les anciens opprimés ouvrira des possibilités énormes pour le développement humain. Le travail domestique et l’éducation des enfantsqui pèsent aujourd’hui sur la femme seront organisés collectivement sous la responsabilité de la société dans son ensemble, laissant les femmes libres de participer pleinement à la vie économique, sociale et politique.
Nous avons hérité cette vision des bolchéviks de Lénine et Trotsky, qui avaient pris des mesures après la Révolution russe d’octobre 1917 pour éliminer les contraintes économiques et sociales qui poussent les individus à se marier ou les femmes à se prostituer. En 1921, une commission gouvernementale soviétique expliquait :
« Dans le combat contre la prostitution le gouvernement n’a aucunement l’intention de s’immiscer dans la sphère des relations sexuelles, car dans ce domaine toute tentative d’influencer par la force et la réglementation ne conduira qu’à déformer l’autodétermination sexuelle de citoyens économiquement libres et indépendants. »
cité dans « La Révolution russe et l’émancipation des femmes », Spartacist édition française n° 37, été 2006
Mais dans la déclaration qu’il a signée avec la CGT-Police, Mercier déclare que la loi de 2016 est une « victoire historique » et que « cette loi est aussi un conquis social [sic] et une victoire sans précédent contre le système capitaliste ». Pour Mercier, dirigeant de LO, la « victoire sans précédent contre le système capitaliste » pour les femmes, ce n’est pas la Révolution russe mais la loi de Hollande-Valls sur la prostitution qui renforce les pouvoirs répressifs de l’Etat bourgeois ! Il ne pouvait mieux exprimer son réformisme, son opposition à la révolution socialiste.
Ce n’est que dans une société communiste que les relations sexuelles seront véritablement libres et fondées sur un consentement mutuel, sans gardiens de la moralité publique ni répression brutale de l’Etat et de ses flics. Dans une société sans classes, les soins collectifs aux enfants et la socialisation des tâches ménagères remplaceront le rôle de la famille. La contraception et l’avortement seront disponibles et gratuits pour tous, tout comme des soins de santé de qualité.
Le seul moyen d’y parvenir est le renversement du système capitaliste par une révolution ouvrière dirigée par un parti léniniste-trotskyste, l’expropriation de la propriété privée des moyens de production et leur transformation en propriété de la société. La libération des prostituées est indissociable de la libération des femmes dans leur ensemble ; la prostitution ne disparaîtra que lorsque l’institution de la famille sera remplacée. Pour la libération des femmes par la révolution socialiste !