Le Bolchévik nº 227 |
Mars 2019 |
Pour une République ouvrière catalane au Nord et au Sud des Pyrénées !
Libération de tous les prisonniers indépendantistes catalans !
Nous publions ci-dessous un article commun du Grupo Espartaquista de México et de la Ligue trotskyste de France, sections de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste).
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20 février Douze dirigeants indépendantistes catalans sont traînés devant la cour suprême espagnole par le gouvernement bourgeois de Pedro Sánchez, Premier ministre du PSOE social-démocrate. C’est un procès-spectacle. Leur « crime » : avoir organisé et mené à bien le référendum d’octobre 2017 sur l’indépendance de la nation catalane opprimée, et avoir proclamé une république catalane. Oriol Junqueras, l’ex-vice-président de la Generalitat catalane et membre de l’Esquerra republicana (ERC, Gauche républicaine), encourt une peine de 74 ans de prison. Il moisit depuis plus d’un an en prison avec huit autres nationalistes catalans. Sont également derrière les barreaux Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, anciens chefs des organisations indépendantistes Assemblea Nacional Catalana (ANC) et Òmnium Cultural (OC), et Carme Forcadell, ancienne présidente du parlement catalan. D’autres ont fui l’Espagne pour échapper à l’arrestation, notamment Carles Puigdemont, ex-président de la Generalitat et membre du Partit Demòcrata Europeu Català (PDeCAT). La police et les services de renseignements allemands et espagnols ont étroitement collaboré en mars 2018 pour arrêter et détenir Puigdemont avec un mandat d’arrêt européen, retiré depuis par l’Espagne. La répression et l’humiliation que subissent ces nationalistes bourgeois catalans constituent un avertissement à quiconque voudrait la séparation d’avec l’Espagne. En tant qu’internationalistes prolétariens, nous exigeons la libération immédiate de tous les indépendantistes catalans, de même que nous exigeons celle de tous les nationalistes basques qui croupissent dans les cachots espagnols et français. Levée de toutes les inculpations !
L’accusation de rébellion, de sédition et de détournement de fonds publics a d’abord été prononcée par le précédent gouvernement, dirigé par le Parti populaire (PP) néo-franquiste, tandis que Vox, un parti franquiste à l’ancienne ouvertement raciste, anti-immigré, anti-catalan et anti-basque, représente l’« accusation populaire ». Les sociaux-démocrates sont des españolistas enragés et des sujets loyaux de « sa majesté » Felipe VI ; ils soutiennent sans réserves, depuis le début, la persécution des indépendantistes catalans (y compris la suspension de l’autonomie de la Catalogne entre octobre 2017 et juin 2018), et depuis l’année dernière ils sont au gouvernement, où ils mettent en uvre cette persécution. Après avoir aidé Sánchez à gouverner à Madrid, les partis nationalistes catalans ne l’ont finalement lâché qu’après qu’il eut refusé à plusieurs reprises d’accorder un référendum d’indépendance. Quand ils ont récemment voté contre le budget, Sánchez a été contraint d’appeler à des élections législatives anticipées pour le 28 avril.
La tentative avortée des sociaux-démocrates de passer un accord avec les forces catalanes a provoqué la fureur du PP, de Vox et de Ciudadanos (C’s). Cette trinité franquiste a organisé une démonstration de force du chauvinisme castillan à Madrid le 10 février, réclamant l’emprisonnement des indépendantistes catalans et la chute du gouvernement Sánchez. L’ancien Premier ministre français Manuel Valls, candidat de C’s pour le poste de maire de Barcelone, participait en personne à cette débauche de préjugés arriérés, où il incarnait l’unité du chauvinisme anti-catalan espagnol et français. Sous le gouvernement PS de Hollande (2012-2017), Valls a mené attaque après attaque contre le prolétariat, faisant de son mieux pour passer à la postérité comme la bête noire des Arabes, des Roms et de toutes les minorités opprimées.
Pour l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne et de la France
Il y a une seule nation catalane et une seule nation basque, toutes deux divisées et opprimées par deux Etats capitalistes, l’Espagne et la France. Pour stabiliser l’Etat espagnol après la mort du dictateur Francisco Franco, la Catalogne et le Pays basque, ainsi que d’autres régions, ont obtenu une autonomie trompeuse à la fin des anées 1970. En France, d’un autre côté, les nations opprimées n’ont à ce jour absolument aucun droit linguistique ou juridique. Particulièrement dans le Pays basque, la population subit une répression aussi sévère qu’en Espagne. En raison des différences entre l’Espagne et la France dans le développement historique du capitalisme, la force motrice des mouvements indépendantistes en Catalogne et au Pays basque (Euskal Herria) vient de la partie de ces nations minoritaires qui est retenue de force au sein de l’Espagne. Par conséquent, le sort des Basques et des Catalans en France dépend beaucoup de ce qui se passe du côté espagnol de la frontière.
Nous appelons à l’indépendance immédiate d’Euskal Herria et de la Catalogne, au Nord et au Sud. Nous sommes également pour le droit à l’indépendance de la Galice et pour le retrait inconditionnel de l’Espagne de ses enclaves marocaines de Ceuta et Melilla. Quant à la France, nous sommes pour l’indépendance de la colonie française de Kanaky et de la nation corse opprimée, ainsi que pour le droit à l’indépendance de toutes les colonies françaises.
Nous voyons dans la lutte pour la libération nationale une force motrice potentielle pour la révolution prolétarienne et nous cherchons à inculquer aux classes ouvrières de France et d’Espagne la conviction que le combat contre l’oppression nationale des Basques et des Catalans fait partie intégrante du combat pour l’émancipation du prolétariat lui-même. A bas la monarchie espagnole ! Pour des républiques ouvrières de Catalogne et d’Euskal Herria !
A bas l’UE !
La Catalogne n’a aucun des attributs pour ressembler à un Etat, particulièrement des forces armées ; face à l’assaut castillan, et en l’absence d’un prolétariat avec une conscience de classe, il n’y a pas d’espoir de faire de l’indépendance catalane une réalité dans un avenir proche. La bourgeoisie catalane s’est prostrée devant l’Union européenne, en implorant son soutien. L’UE n’est pas un Etat supranational, mais un consortium impérialiste dominé par l’Allemagne, et dédié à pressurer la classe ouvrière d’Europe, y compris d’Allemagne, pour en extraire le moindre euro de profit, et à piétiner la souveraineté nationale de ses pays-membres plus pauvres comme la Grèce, le Portugal ou la Roumanie, pour le compte des puissances impérialistes, principalement l’Allemagne et, dans une moindre mesure, la France.
Contrairement aux illusions entretenues et répandues par les nationalistes catalans, l’UE soutient sans équivoque l’Etat bourgeois espagnol contre l’indépendance catalane, qui menacerait d’éclatement l’Espagne et saperait l’impérialisme français en alimentant les aspirations nationales des Galiciens, des Basques, des Corses et de tous les peuples coloniaux et menacerait de faire s’écrouler tout l’échafaudage de l’UE, ce club de brigands et de leurs victimes. A bas l’UE ! Pour des Etats-Unis socialistes d’Europe, unis sur une base volontaire !
Pour l’indépendance politique prolétarienne
Les événements de ces deux dernières années ont montré que l’indépendance ne viendra pas de manuvres parlementaires entre les indépendantistes bourgeois qui plaident pour des accords avec Madrid. Comme nous l’écrivions l’an dernier : « Il existe une force capable de faire de la libération nationale une réalité en l’emportant sur tous ces ennemis de l’émancipation de la Catalogne : c’est la classe ouvrière, à travers la mobilisation de son énorme puissance sociale » (« La lutte de libération nationale dans une impasse », le Bolchévik n° 223, mars 2018). La clé pour libérer cette puissance, c’est la lutte pour l’indépendance politique du mouvement ouvrier. En Catalogne, cela signifie combattre les illusions dans les nationalistes bourgeois du PDeCAT, de l’ERC et de la Candidatura d’Unitat Popular (CUP), des ennemis de classe des travailleurs de Catalogne.
Les gouvernements catalans qui se sont succédé, dirigés soit directement par le parti de droite PDeCAT (et son prédécesseur la CiU), soit en collusion avec l’ERC et la CUP, ont de concert avec Madrid mis en uvre l’austérité contre les travailleurs et mené de brutales attaques antisyndicales. Rien que l’automne dernier, la Generalitat catalane présidée par Joaquim Torra, du PDeCAT, a lâché ses flics contre les fonctionnaires, les enseignants, les étudiants et les médecins qui ont mené des grèves et manifestations pendant quatre jours contre les coupes budgétaires et les augmentations des frais d’inscription.
Les léninistes au cur de l’Espagne et de la France doivent lutter pour que la classe ouvrière rompe avec son ennemi de classe, en gagnant les travailleurs à la défense de l’indépendance catalane et basque. En Catalogne, le prolétariat est divisé ; une partie importante de celui-ci s’oppose à l’indépendance. Il faut combattre sans relâche le chauvinisme castillan de l’« España, una, grande y libre » et le chauvinisme français de « la France une et indivisible », qui sont très profondément enracinés. Cette idéologie bourgeoise est ressassée par les sociaux-démocrates et les « marxistes » réformistes, ainsi que par les dirigeants traîtres de la classe ouvrière à la tête des fédérations syndicales, dont en Espagne les Commissions ouvrières et l’UGT, historiquement liées respectivement au Parti communiste et au PSOE, et en France la CGT (également liée historiquement au Parti communiste) et FO. Ce n’est que sur la base de la bataille politique contre cette idéologie que peuvent être forgés des partis léninistes-trotskystes, la direction révolutionnaire indispensable pour diriger la lutte pour le pouvoir ouvrier dans toute la région.
Les pseudo-trotskystes : front-populisme et chauvinisme
Jusqu’à la veille même du référendum du 1er octobre 2017 pour l’indépendance de la Catalogne, IR (Izquierda Revolucionaria Gauche révolutionnaire affiliée au Comité pour une Internationale ouvrière de Peter Taaffe) dénonçait la lutte pour l’indépendance de la Catalogne et d’Euskal Herria. Elle l’opposait au « socialisme », auquel on parviendrait sous les auspices de Podemos, le parti bourgeois « anti-establishment » (mais non moins chauvin) de Pablo Iglesias. Aujourd’hui ces opportunistes appellent à « une république socialiste catalane des travailleurs et du peuple », qui sortira d’un « front unique » d’organisations ouvrières et de forces bourgeoises comme la CUP et autres (El Militante, février). La perspective politique d’IR est celle du front populaire, une coalition visant à subordonner le prolétariat à son ennemi de classe bourgeois. En Espagne, le Front populaire un gouvernement bourgeois fut dans les années 1930 l’instrument de l’étranglement de la Révolution espagnole, ouvrant la voie aux forces de Franco et à leur règne réactionnaire sanglant à partir de 1939 (voir « Trotskysme contre front-populisme dans la guerre civile espagnole », Spartacist édition française n° 39, été 2009).
Quant au soudain attachement d’IR à l’« indépendance » catalane, il vaut la peine de faire remarquer que son programme maximum reste « pour une république fédérale socialiste » d’Espagne, dans laquelle elle chercherait a priori à maintenir les Catalans, les Basques et les Galiciens, sans égard pour la volonté de ces nations opprimées. Pour ce qui est de la Gauche révolutionnaire française, elle se contente de reproduire occasionnellement des articles de ses camarades espagnols tout en restant silencieuse sur l’oppression des Catalans et des Basques par son « propre » impérialisme français. Il n’est pas surprenant qu’elle soit enterrée dans le parti chauvin et colonialiste bourgeois de Jean-Luc Mélenchon.
Les néo-morénistes du CRT (Corriente Revolucionaria de Trabajadores y Trabajadoras en France le Courant communiste révolutionnaire, à l’intérieur du Nouveau parti anticapitaliste) ont appelé à l’abstention lors du référendum d’indépendance de 2017 un appel qui représentait une capitulation devant le chauvinisme castillan sans cesser de donner un soutien politique à la CUP bourgeoise. Aujourd’hui ils essaient de se faire passer pour les combattants les plus déterminés pour « l’autodétermination catalane » tout en continuant à débiter le chauvinisme castillan. A propos des élections catalanes de décembre 2017 imposées par Madrid, ils écrivent :
« Une partie importante de la classe ouvrière catalane a voté pour Ciudadanos en pensant à l’unité nationale [ ]. L’idée d’une “balkanisation” de la péninsule serait évidemment grave et il n’existe aucune force politique de gauche ou de classe qui pourrait sérieusement la désirer. »
izquierdadiario.es, 23 juillet 2018
Ainsi, en disant que « les révolutionnaires ne sont pas pour n’importe quelle unité de l’Etat espagnol », le CRT s’oppose à la séparation de la Catalogne, d’Euskal Herria et de la Galice au nom de l’« unité nationale » de l’Espagne ! De façon similaire à l’IR, le soutien que le CRT prétend donner à l’autodétermination est soumis à la condition d’une fédération « libre et volontaire » de républiques ibériques, en vue de quoi le CRT « exige avec insistance que la CUP [bourgeoise] rompe avec la bourgeoisie catalane » !
Contrairement au catastrophisme chauvin du CRT sur la « balkanisation » de l’Espagne, une victoire dans la lutte pour l’indépendance de la Catalogne porterait en fait un très grand coup à l’appareil répressif capitaliste lui-même qui maintient le prolétariat dans son ensemble enchaîné dans l’esclavage salarié. Mais la victoire du prolétariat international n’est pas le but de gens comme le CRT ou l’IR. Contrairement à eux, nous, spartacistes, nous cherchons à suivre les enseignements de Marx, Engels, Lénine et Trotsky afin de lutter pour de nouvelles révolutions d’Octobre dans le monde entier.