Le Bolchévik nº 226

Décembre 2018

 

A bas la campagne laïcarde antimusulmans – Levée des inculpations !

Halte à la vendetta contre Tariq Ramadan !

17 novembre – Dans le cadre de sa sainte croisade contre les musulmans, le gouvernement de l’impérialisme français cherchait depuis longtemps le moyen de faire taire Tariq Ramadan, un théologien musulman égypto-suisse et professeur à Oxford qui était très populaire parmi les jeunes Français des banlieues. Mais c’est la campagne anti-sexe autour du mouvement #balancetonporc (et #metoo aux Etats-Unis) qui a donné à l’Etat français l’excuse parfaite. Faussement accusé de viol par trois femmes en France et une autre en Suisse, Ramadan a passé près de 10 mois dans les cachots de l’Etat bourgeois, depuis février 2018, avec une sclérose en plaques et sa présomption d’innocence bafouée. Il vient d’être mis en liberté provisoire le 16 novembre, mais les inculpations restent en place. Pour sortir de prison, Ramadan a dû verser 300 000 euros et remettre son passeport suisse aux autorités ; il est interdit de sortie du territoire et de prendre contact avec certains témoins et les plaignantes. Il a également l’obligation de pointer une fois par semaine au commissariat et de résider en région parisienne. Dans ce climat de chasse aux sorcières, les médias n’ont pas attendu de voir la moindre preuve pour le déclarer coupable. En fait, il est clair que ses relations avec ses accusatrices étaient mutuellement consenties.

Tariq Ramadan n’est coupable d’aucun crime. Les poursuites contre lui n’ont rien à voir avec la lutte pour l’« égalité entre les femmes et les hommes » et « contre les violences sexuelles » (comme disait Emmanuel Macron dans le cadre de la campagne #balancetonporc) ; elles font partie intégrante de l’offensive raciste de la bourgeoisie qui vise les musulmans et les minorités opprimées françaises noire et d’origine nord-africaine. Depuis le début, nous avons mis en garde :

« Le lynchage médiatique du célèbre prédicateur et intellectuel musulman Tariq Ramadan contraste avec le traitement que le gouvernement a réservé au ministre de l’Ecologie Nicolas Hulot, pour qui la présomption d’innocence était sacrée. […] Le procureur est resté assis pendant six semaines sur l’alibi de Ramadan, soi-disant “égaré”. L’un des magistrats impliqués, Michel Debacq, est un ancien du parquet antiterroriste qui avait rencontré l’une des plaignantes dès 2009. […] L’empressement à jeter Tariq Ramadan en prison, et à l’y garder, montre bien qu’on a affaire ici au dernier épisode en date d’une vendetta politique et raciste. »

– « PCF, NPA, LO embrassent la campagne d’ordre moral anti-sexe » (le Bolchévik n° 223, mars 2018)

En plus, l’avocat de Ramadan, Emmanuel Marsigny, a souligné que les flics « ont notamment dissimulé dans des scellés des éléments à décharge pour Monsieur Ramadan » et que l’Etat lui avait même refusé l’accès au dossier !

Ramadan est la cible de l’Etat depuis une vingtaine d’années parce qu’il est un idéologue populaire de l’islam en France et un opposant, de son propre point de vue religieux, aux mesures laïcardes draconiennes de l’Etat comme l’interdiction du foulard islamique dans l’école publique. Avec intelligence et souvent avec éloquence, cette figure médiatique avait plus d’une fois humilié à la télé des hommes d’Etat et des idéologues chauvins et racistes comme Manuel Valls, Eric Zemmour ou Caroline Fourest. Ramadan s’est attiré la haine des capitalistes en déclarant que l’islam autorise la résistance contre l’oppression, et en dénonçant la colonisation et la « pensée coloniale ». Contre l’hystérie antimusulmans du « choc des civilisations » qui est monnaie courante dans les médias, Ramadan insistait sur le fait que les musulmans devraient pouvoir s’intégrer dans la société française en tant que musulmans. Mais en France, ces propos démocratiques bourgeois élémentaires suffisent pour faire de vous l’ennemi public numéro un.

Ramadan n’est aucunement un « gauchiste ». C’est un prêcheur (et un pécheur, comme nous et l’ensemble des mortels) dont la vision du monde bourgeoise est simplement réactionnaire. Mais c’est en tant que porte-parole d’une partie de la minorité opprimée musulmane que Tariq Ramadan est poursuivi par l’Etat. C’est donc un devoir pour les communistes d’exiger la levée des inculpations qui pèsent contre lui, dans le cadre du combat pour construire un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique, léniniste-trotskyste, qui soit le tribun du peuple.

Un coup monté par l’Etat

Pour les marxistes, le principe qui doit guider les relations sexuelles doit être le consentement effectif, c’est-à-dire ni plus ni moins que l’accord mutuel et la compréhension au moment d’une relation. Les normes sociales concernant la sexualité sont entachées par la honte, la peur et les mœurs religieuses, sans parler des inégalités de genre, de classe ou de race, et tout cela crée des complications. Mais tant que les participants sont consentants lors d’une relation, personne d’autre, et surtout pas l’Etat, n’a le droit de leur dire ce qu’ils ont le droit de faire ou pas, ni comment.

A l’opposé de cela, le mouvement #balancetonporc/#metoo met dans le même sac des comportements de toutes sortes, comme des avances, des allusions suggestives ou des expériences sexuelles déplaisantes, et de vrais crimes comme la contrainte et les agressions sexuelles. Ce faisant, ces féministes bourgeoises banalisent des crimes horribles comme le viol et détournent l’attention de la véritable oppression et de l’exploitation que subissent la vaste majorité des femmes. Dans ce climat de frénésie, de simples accusations – même sans preuves – suffisent pour ruiner la vie des accusés. Le seul fait de remettre en question l’accusation d’une victime présumée reviendrait à la « revictimiser ». Dans la société capitaliste raciste, ce puritanisme vise nécessairement, tôt ou tard, les minorités opprimées. Ce n’est pas la crédibilité des accusations, mais leur seul nombre que l’on brandit pour prononcer Ramadan coupable.

A l’apogée de #balancetonporc et #metoo, entre octobre 2017 et avril 2018, quatre femmes ont porté plainte pour viol contre Tariq Ramadan, dont trois en France : Henda Ayari, Paule-Emma Aline (surnommée « Christelle ») et Mounia Rabbouj (surnommée « Marie »), puis une Suissesse surnommée « Brigitte ». D’après l’avocat de Ramadan, les quatre accusatrices étaient en contact entre elles depuis des années. Plusieurs années avant de porter plainte, au moins Ayari et Aline avaient également été en contact avec la fanatique laïcarde Caroline Fourest, qui est obsédée par Ramadan. Ayari et Aline avaient aussi, d’après leurs propres déclarations, sollicité l’aide d’Alain Soral, un fasciste non dissimulé, dans leur campagne contre Ramadan. Les accusatrices et Fourest ont toutes essayé de dissimuler leur collusion. Quant à Ramadan, qui prêchait « la vertu », il avait nié au début avoir eu des relations avec Ayari et Aline, mais en octobre il a avoué avoir couché avec les trois accusatrices françaises, à la satisfaction morbide des médias. Mais toutes les preuves démontrent que ces relations étaient consenties.

Henda Ayari se dit ancienne salafiste devenue « militante laïque ». Il est évident qu’elle cherchait la notoriété, ayant déjà publié deux livres où elle raconte le viol supposé, J’ai choisi d’être libre (2017) et Plus jamais voilée, plus jamais violée (2018). Devant les juges, Ayari a donné deux dates et deux endroits différents pour un unique viol allégué : il est démontré sans le moindre doute que ces déclarations sont des mensonges. Ayari a envoyé à Ramadan des centaines de SMS après le viol présumé ; aucun d’entre eux ne mentionne qu’il y aurait eu viol. Dans l’un de ces messages, elle écrit qu’elle espère qu’il n’a pas oublié « ces bons moments qu’[ils ont] partagés, une seule fois certes mais si forts et intenses ». Et une minute après : « J’espère vraiment que tu as gardé un bon souvenir de moi comme moi de toi même si c’était court » (francais.rt.com, 24 octobre).

Paule-Emma Aline dit qu’elle s’est convertie à l’islam en 2008. Ce qui est certain, c’est qu’elle est une militante de droite, candidate en 2012 aux législatives pour le parti Debout la République (aujourd’hui Debout la France) de Nicolas Dupont-Aignan, qui a soutenu Marine Le Pen au second tour des présidentielles de 2017. D’après le Muslim Post (11 avril), elle a lancé en 2017 le site « Les femmes avec Marine », rebaptisé aujourd’hui « Femme française », un site ouvertement raciste antimusulmans. Elle a déclaré que Ramadan l’a violée le 9 octobre 2009 avec une grande violence. Elle n’a présenté aucun témoin ni la moindre preuve matérielle. Quelques semaines après le viol allégué, Paule-Emma Aline a contacté une amie, Denise, via Skype. Aline ne mentionne aucun viol. Denise lui demande : « Qu’en penses-tu de contacter Fourest ? » Aline : « C’est prévu. » Deux jours plus tard, Aline : « J’ai eu une réponse de Caroline Fourest. […] Elle ne veut pas l’attaquer dans ce sens. […] Mais nous on va s’occuper aussi de faire tomber sa carrière politique à notre façon lol [laughing out loud – morte de rire]. »

Le lendemain du viol allégué, Aline écrivait à Ramadan :

« Si je passais un mauvais moment je serais partie. Je suis restée et je t’ai donné plus qu’à quiconque et ta peau me manque. Tu m’as manqué dès que j’ai passé la porte. J’ai marché dans le parc à côté au petit matin, la tête pleine d’images en me demandant, physiquement et personnellement, si je t’avais plu. »

– francais.rt.com, 24 octobre

Mounia Rabbouj est une ancienne « escort girl » qui a été impliquée dans l’« affaire du Carlton » visant Dominique Strauss-Kahn. Elle a accusé Ramadan de l’avoir violée une dizaine de fois entre 2013 et 2014, mais elle a continué à le fréquenter. La sœur de Rabbouj a contacté Ramadan en 2014 pour le mettre en garde contre elle : « Comme elle l’a fait avec DSK (elle a vendu son histoire au journaliste pour 8 000 euros), elle fera la même chose pour vous. Elle me l’a dit. » Le 17 mai 2013, le lendemain de l’un des viols allégués, Rabbouj a envoyé une vidéo à Ramadan, où elle lui dit « coucou », « comment vas-tu ? », « à bientôt », « je t’aime ».

On en sait très peu sur « Brigitte ». Elle prétend que Ramadan l’aurait violée en octobre 2008. « Brigitte » dit qu’« il se montrait parfois taquin, pouvant ainsi me traiter par exemple de “coquine”, et j’étais séduite ». Disant avoir été alors sous « l’emprise » de Ramadan, elle explique qu’elle a continué à communiquer avec lui « dans l’espoir de comprendre son geste, dans l’espoir qu’il s’excuse » et elle n’a porté plainte qu’au bout d’une dizaine d’années (nouvelobs.com, 13 avril). Ce n’est pas un hasard qu’elle était en contact avec Paule-Emma Aline depuis des années, un fait que les deux femmes ont essayé de cacher.

Enfin, en mars, une femme américaine qui reste toujours dans l’anonymat (et sur laquelle les informations manquent aussi) a porté plainte aux Etats-Unis contre Ramadan pour une agression sexuelle qui aurait eu lieu en 2013. Ni la justice française ni la justice suisse ne s’occupent de cette plainte, du moins pour le moment. A l’époque de l’agression alléguée, cette Américaine travaillait comme « instructrice culturelle » pour le Département américain de la Défense (!), où elle enseignait l’islam et la culture du Moyen-Orient aux militaires. Estimant qu’elle n’en savait pas assez sur le sujet par rapport aux besoins du Pentagone, elle a contacté Ramadan, l’un des islamologues les plus connus du monde, pour demander son aide. Ce serait lors d’une visite de Ramadan à Washington que l’agression présumée aurait eu lieu. Il est pertinent de remarquer que Ramadan avait été interdit de séjour aux Etats-Unis entre 2004 et 2010 aux termes du Patriot Act « en raison de liens présumés avec le terrorisme », parce qu’il avait donné, sur une période de cinq ans, 1 670 francs suisses (environ 1 100 euros de 2004) à une ONG palestinienne jugée par le gouvernement américain proche du Hamas (le Monde, 20 janvier 2010). Il est raisonnable de supposer que Ramadan était bien connu du Département de la Défense, entre autres.

La campagne contre Ramadan va bien au-delà des machinations de ses accusatrices, quelles que soient leurs motivations : c’est un coup monté par l’Etat. D’après Emmanuel Marsigny, Paule-Emma Aline a écrit dans certains de ses mails en 2010 qu’elle était sous pression du Renseignement intérieur et du président de la République, Nicolas Sarkozy, pour accuser Ramadan. D’après elle, Sarkozy aurait offert de lui payer le meilleur avocat de France si elle portait plainte contre Ramadan, car il voulait le chasser. Et elle raconte aussi qu’elle a été l’objet de quatre contrôles fiscaux et que ses comptes bancaires ont été bloqués par l’Etat pour la contraindre à porter plainte.

La persécution de Tariq Ramadan a assurément davantage à voir avec les ventes d’armes françaises à des monarchies pétrolières hostiles aux Frères musulmans (Ramadan est le petit-fils de Hassan el-Banna, fondateur de cette organisation) qu’avec la répression de crimes comme des viols. Il faut de plus noter que Macron cherche depuis des mois à renforcer le contrôle par l’Etat français de la communauté musulmane, notamment à travers la restriction des flux financiers venus de l’étranger – alors même que Macron multiplie les faveurs à l’adresse de l’Eglise catholique.

L’oppression des femmes, l’obscurantisme religieux et l’hypocrisie bourgeoise

En défendant Ramadan contre l’Etat, nous n’en sommes pas moins des ennemis de sa perspective et de son programme religieux arriérés. Il a défendu, par exemple, le démagogue anti-juif Dieudonné, un homme de paille des fascistes, contre les accusations tout à fait correctes d’antisémitisme. Ramadan a joué un rôle dans la propagation, depuis vingt ans, du port du voile islamique – le symbole physique de la soumission des femmes aux hommes et l’affirmation imposée et permanente de leur subordination. Ramadan veut moderniser la façon dont les « savants » interprètent les livres sacrés de l’islam, afin de convaincre les régimes obscurantistes de ne pas lapider les femmes adultères, entre autres pratiques barbares, y compris la peine de mort, auxquelles il s’oppose. (Voilà l’origine de sa fameuse proposition d’un moratoire sur la lapidation, contre laquelle le grand humaniste Sarkozy et toute une horde de pharisiens bourgeois et sociaux-démocrates se déchirent régulièrement les vêtements.)

Peu importe comment on essaie de les « interpréter », il va sans dire que les textes sacrés millénaires (et c’est tout aussi vrai pour la Torah juive et l’ensemble de la Bible chrétienne, qui sont sacrés aussi pour l’islam) sont imprégnés d’arriération contre les femmes. Les positions anti-femmes (y compris contre le droit à l’avortement) et homophobes (l’homosexualité serait « une perturbation ») de Ramadan sont en fin de compte les mêmes que celles de n’importe quel prêtre catholique. Mais on ne voit pas les djihadistes laïcards lancer une rafle contre la Conférence des évêques de France au nom des « valeurs républicaines ».

Les hypocrites bourgeois au gouvernement, qui font carrière en humiliant publiquement des jeunes filles portant le voile, se moquent de l’oppression des femmes. Leur « laïcité » n’est qu’une couverture pour les préjugés antimusulmans qui visent à diviser la classe ouvrière et à isoler cette couche combative d’ouvriers d’ascendance maghrébine de leurs frères de classe blancs et d’autres ethnicités. Nous sommes pour la véritable laïcité, où l’Etat n’interfère pas dans les croyances personnelles des gens, sauf quand elles font violence aux autres ou entrent en conflit fondamental avec le bien commun – comme, par exemple, le crime atroce de la mutilation génitale féminine. Nous luttons depuis toujours pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ainsi que de la Mosquée et de l’Etat. Mais en France, où l’islam ne sera jamais qu’une idéologie de ghetto qui accepte la ségrégation, l’ennemi principal ce ne sont pas les intégristes islamistes mais l’Etat impérialiste français – anti-ouvrier et anti-femmes – qui opprime les masses laborieuses en Algérie, en Afrique et ici. Nous disons non aux exclusions racistes et aux lois contre le voile ! A bas l’offensive anti-islamique du gouvernement !

L’hystérie sur le voile islamique est en France une campagne raciste de longue date qui renforce l’isolement et la misère économique des femmes qui le portent. L’expulsion de ces femmes des écoles et de l’emploi public par des mesures explicitement antimusulmanes (étendues potentiellement à l’emploi privé par la loi El Khomri) est un acte cruel d’exclusion raciste et de bigoterie religieuse. Toute cette campagne alimente le mensonge raciste que le vrai problème dans la société serait non pas le système capitaliste raciste mais les femmes portant le foulard, les musulmans et les minorités en général.

L’Etat capitaliste, qui se réserve le droit d’interférer dans chaque aspect de la vie privée de la population, est une machine de répression dirigée contre les ouvriers, les pauvres et tous les opprimés ; son but n’est rien d’autre que de perpétuer la domination de la classe bourgeoise. Appeler à l’intervention de l’Etat pour « protéger les femmes », comme le font habituellement les pseudo-trotskystes de Lutte ouvrière en soutenant (et même en exigeant) des lois antimusulmans, c’est une adaptation grotesque au racisme de la bourgeoisie française. En fait, des militants de LO ont joué un rôle pivot dans l’infâme exclusion d’Alma et Lila Lévy de leur lycée à Aubervilliers en 2003. LO a en cela servi de fer de lance à la loi de 2004 interdisant le foulard dans les écoles publiques.

Néanmoins, la Ligue trotskyste s’oppose depuis toujours au voile en même temps que nous nous opposons à son interdiction par l’Etat. Le voile est plus qu’un symbole d’affiliation religieuse : il représente un programme social réactionnaire pour confiner les femmes dans leur famille, dans leur foyer et dans une position de servitude. C’est l’extension, hors du foyer, de la réclusion imposée aux femmes par la charia réactionnaire. Ramadan, dans sa version supposément « éclairée » de l’islam, en donne l’exemple :

« Il convient aujourd’hui aux femmes musulmanes de se vêtir décemment en évitant les vêtements qui laissent apparaître leur intimité pour éviter tout préjudice lié à certains malades. […]

« En d’autre termes, aujourd’hui lorsqu’une femme musulmane met le voile et s’habille correctement, si elle est satisfaite de son état tant mieux et personne n’a le droit de la blâmer mais si elle ne l’est pas et décide de ne pas le mettre tout en restant décente ce ne serait pas contraire à l’islam comme on a l’habitude de l’entendre. »

– tariqramadan.com, 29 décembre 2013

En d’autres termes, si le voile n’est pas une obligation, « il convient » tout de même aux femmes de ne pas exciter la lascivité des hommes en restant « décentes ».

L’asservissement des femmes dans les pays musulmans n’est pas enraciné dans un caractère réactionnaire qui serait spécifique à l’islam, comme les impérialistes le prétendent aujourd’hui – en fait, il est enraciné dans le système capitaliste lui-même. Certains secteurs du christianisme et du judaïsme, qui tout comme l’islam ont leurs racines dans la société précapitaliste, se sont adaptés là où ils existaient aux conditions du capitalisme industriel naissant et aux Etats-nations démocratiques bourgeois. Dans le monde musulman, le capitalisme est arrivé tardivement, et il est arrivé avec le colonialisme européen qui a fait alliance avec les pouvoirs féodaux locaux. Dans les pays colonisés, et aussi parmi les concentrations d’immigrés dans les métropoles impérialistes, le capitalisme a renforcé les traditions barbares et anti-femmes.

La condition des femmes dans les pays capitalistes les plus avancés, tout en étant bien différente, montre les limites de la liberté et du progrès social sous le capitalisme. En France, contrairement aux pays africains, la propriété capitaliste s’est développée et a profondément miné les rapports sociaux féodaux arriérés. Ceux-ci ont été pratiquement balayés par la grande Révolution démocratique bourgeoise de 1789 qui a ouvert la voie au développement d’une société industrielle avancée. Cette révolution a aboli la monarchie et l’aristocratie, limité le pouvoir de l’Eglise catholique, et beaucoup amélioré le statut des femmes, quoique beaucoup des acquis légaux des femmes aient été repris par la suite au fur et à mesure que la bourgeoisie consolidait son pouvoir. En s’attaquant à ces jeunes filles musulmanes portant le foulard, l’Etat français dénature les objectifs et les valeurs de la Révolution française.

Le capitalisme a en fait créé les bases de la libération des femmes en ouvrant la voie à leur participation dans la production sociale, et en créant des opportunités pour le développement de la conscience sociale et de la lutte organisée contre l’oppression en dehors de la structure isolée de la famille nucléaire. Mais le capitalisme survit depuis longtemps à son rôle historique progressiste, et il s’est érigé en barrière au développement ultérieur des forces productives et à l’émancipation des femmes. L’oppression des femmes, la plus ancienne inégalité sociale de l’histoire de l’humanité, remonte au début de la propriété privée et elle persistera tant que la société de classes ne sera pas abolie. L’institution sociale fondamentale qui opprime les femmes est la famille, dont la fonction sociale sous le capitalisme est d’élever la prochaine génération d’esclaves salariés. La famille doit être remplacée, et le travail ménager des femmes doit être pris en charge par des institutions collectives dans une société socialiste.

« L’opium du peuple »

La religion joue un rôle clé dans le capitalisme, en inculquant aux masses exploitées et opprimées l’obéissance aux autorités et aux patrons et les « valeurs familiales » patriarcales et étouffantes pour les femmes, pour les jeunes, et pour tout le monde. Depuis une trentaine d’années, il y a une augmentation de la religiosité dans la population française d’ascendance maghrébine et ouest-africaine, un produit de la ségrégation raciste. Internationalement, cette montée religieuse est conditionnée par la contre-révolution en URSS, une immense défaite pour la classe ouvrière et les opprimés du monde entier. La contre-révolution a amené une recrudescence des intégrismes de toutes sortes, dans le monde musulman et ailleurs (par exemple, l’intégrisme protestant aux Etats-Unis).

La montée de l’islam en France reflète le désespoir d’une communauté horriblement opprimée qui ne voit aucune issue pour en finir avec cette oppression. Il n’est pas surprenant que beaucoup de jeunes des banlieues puissent être attirés par Tariq Ramadan, trouvant dans ses prédications un refuge et une illusoire dignité retrouvée. Comme l’écrivait Marx :

« La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.

« Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.

« La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille la fleur vivante. »

– Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1843)

Ainsi, le combat des marxistes contre l’obscurantisme religieux est inséparable de la lutte pour abolir les conditions matérielles qui dans ce monde induisent le besoin de se réfugier dans des fantasmes célestes.

Le féminisme bourgeois de #balancetonporc est un outil entre les mains de l’Etat capitaliste : la persécution de Tariq Ramadan en est une preuve. Pour notre part, en tant que marxistes et combattants pour l’émancipation des femmes, nous luttons pour la transformation révolutionnaire de la société, pour éliminer une fois pour toutes les conditions de pauvreté, d’exploitation et d’oppression qui engendrent les illusions religieuses. Nous luttons, en trois mots, pour la révolution socialiste internationale.