Le Bolchévik nº 225

Septembre 2018

 

Retraites, santé - tout doit y passer

Macron veut démanteler la Sécu

A bas l’Union européenne!

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Sombre anniversaire de Mai 68 : les capitalistes français, dont le règne avait alors été rudement secoué, ont pris ce printemps une revanche contre les syndicats de cheminots. Le gouvernement cherche à revenir sur la concession peut-être la plus importante que la bourgeoisie avait dû faire alors à la classe ouvrière (voir notre article page 7) : le renforcement des syndicats dans les entreprises. La classe ouvrière et les opprimés avaient ensuite pu arracher une série d’acquis dans les années 1970 et jusqu’au début des années 1980, lorsque Mitterrand avait commencé à renverser la vapeur en faveur des capitalistes, avec la complicité de la bureaucratie syndicale.

Macron n’a pas l’intention d’en rester là dans ses attaques, d’autant plus que l’affaiblissement des syndicats lui fait espérer que le plus difficile est fait. Depuis plus de trente ans, ce sont les cheminots qui ont souvent fourni la colonne vertébrale des grandes batailles de classe, notamment les grèves de 1986 et de 1995 qui avaient stoppé net des offensives de Chirac contre les travailleurs. La bourgeoisie espère qu’en cassant les syndicats de cheminots elle pourra éloigner le spectre de révoltes générales contre ses efforts pour accroître son taux de profit sur le dos, et avec le sang, des travailleurs. Mais quoi que puisse en penser Macron, le rapport des forces entre la classe ouvrière et la classe capitaliste n’est pas inscrit d’avance ni pour l’éternité. C’est la lutte des classes à venir qui le déterminera.

La bourgeoisie veut maintenant achever la destruction de l’ensemble des systèmes de sécurité sociale mis en place à la Libération (à l’époque, il s’agissait d’amadouer la classe ouvrière et l’écarter d’une lutte pour la révolution socialiste). Les retraites et le système de santé sont dans la ligne de mire. D’ores et déjà, il faut travailler de plus en plus longtemps alors que diminue l’espérance de vie à la retraite, ainsi que le temps que les retraités peuvent espérer passer en bonne santé.

En diminuant les retraites perçues tout en augmentant, via la privatisation croissante du système de santé, les coûts restant à payer pour se soigner, le gouvernement poursuit un objectif aussi clair qu’inavoué : accélérer la mort des retraités pauvres, qui pour leur malheur ne rapportent plus de profits aux capitalistes ! Nous disons : c’est plutôt au capitalisme de périr !

Cette horrible cruauté n’est pas un trait personnel d’un Macron ou d’un de ses transfuges du PS, ni une aberration « néolibérale » du capitalisme. Ce sont les lois mêmes du capitalisme qui poussent à ce genre de mesure. Du moment que l’on accepte l’idée que le capitalisme serait un cadre indépassable, ces mesures deviennent « nécessaires » pour augmenter le taux de profit du capitalisme français : sinon, ce dernier finirait de sombrer, et donc la Sécu avec, face à ses concurrents allemands et autres.

Le taux de profit tend à baisser à mesure que le capital s’accumule, ce qui finit par provoquer des crises de « surproduction ». Non qu’il y ait production de trop de valeurs d’usage, vu les besoins élémentaires de la classe ouvrière et des opprimés : les crises éclatent lorsque les capitalistes ne peuvent plus vendre leurs marchandises au taux de profit escompté. Ils ne peuvent ensuite s’extirper du marasme qu’en fermant des usines et en provoquant des guerres commerciales qui débouchent sur des guerres tout court.

Le capitalisme est un système aussi meurtrier qu’irrationnel et pétri de contradictions insolubles. Il est basé sur la propriété privée des moyens de production et l’accaparement privé du profit, alors que la production est socialisée dans d’énormes trusts. Cette production est organisée sur une base internationale alors que le capitalisme repose sur l’Etat-nation, avec quelques bourgeoisies nationales impérialistes qui se livrent en permanence une bataille pour la domination et le repartage du monde.

Seule la classe ouvrière, dont le travail est la source du profit capitaliste, a la puissance sociale pour renverser ce système. Pour que l’humanité progresse, il faut réorganiser l’économie mondiale sur une base planifiée et collectivisée. Le recours à la science et à la technique les plus avancées permettra d’accroître énormément la productivité du travail. En pouvant ainsi satisfaire les besoins de la population tout entière, le socialisme jettera les bases pour en finir avec la pauvreté et l’oppression sociale et de classe, la guerre et autres fléaux inhérents aux sociétés de classe.

La Révolution russe d’octobre 1917 avait, la première, tracé la voie pour en finir avec ce système. C’est pourquoi elle demeure notre modèle et nous luttons pour construire un parti du même type que le Parti bolchévique de Lénine, sans lequel la révolution n’aurait pu vaincre.

A bas l’Union européenne !

La campagne de Macron pour l’Union européenne est en réalité une déclaration de la détermination du gouvernement à utiliser pleinement l’arsenal de l’UE contre les travailleurs et les opprimés. A la SNCF, le gouvernement met en œuvre les « paquets ferroviaires » de l’UE, qui comme toutes les directives de l’UE visent à liquider les services publics, les soumettre intégralement à la loi du profit et casser les syndicats. A bas l’Union européenne ! A bas son instrument financier, l’euro, et ses sous-monnaies néocoloniales comme les francs CFA !

L’Union européenne est un consortium instable de puissances impérialistes (essentiellement l’Allemagne et la France, qui en sont les principaux architectes) incluant une série de pays dépendants, à l’Est et au Sud, notamment la Grèce. Ce conglomérat, formé par des Etats-nations distincts, a pour objectif de renforcer la compétitivité des impérialistes européens face à leurs rivaux, en imposant une fluidité maximale de la circulation du capital selon là où le taux de profit est le plus élevé.

C’est donc une machine de guerre contre les syndicats et les conditions de travail et les salaires des travailleurs de toute l’Europe, y compris en Allemagne et en France. C’est pour cela que la bourgeoisie française est aujourd’hui dogmatique de l’UE, alors même que celle-ci, dominée par l’Allemagne, accroît constamment l’avantage allemand vis-à-vis d’un impérialisme français en plein déclin.

Leçons de la grève des cheminots

Au bout de trois mois de grève, les cheminots ont subi une grave défaite. Mais ils se sont battus avec courage et détermination. Le taux de grévistes est resté élevé jusqu’au bout, notamment parmi les conducteurs et les contrôleurs, qui risquent d’être parmi les premiers à se faire transférer dans de petites boîtes antisyndicales (filiales ou dépendances des gros trusts du transport, notamment la SNCF). Les cheminots ont montré qu’ils se battront pour défendre pied à pied leurs acquis. Pour reculer en bon ordre, il est crucial de défendre les organisations syndicales, gage de luttes futures.

Ce qui a manqué pour consolider et étendre la grève, c’est un programme lutte de classe qui puisse effectivement rallier des couches plus larges de travailleurs, à la SNCF et au-delà, vers une confrontation générale avec le gouvernement capitaliste. C’est un tel programme que nous avons cherché à tracer avec notre propagande avant et pendant la grève (voir le Bolchévik n° 224, juin).

Pour commencer, une direction syndicale lutte de classe aurait dit catégoriquement non à la transposition dans la législation française du « paquet ferroviaire » antisyndical de l’UE prescrivant l’introduction de la concurrence. Mais cela poserait la question de faire exploser l’UE par la lutte de classe, et c’est la dernière chose que voulait la direction de la CGT (ou de SUD). C’est en effet Didier Lepaon, bureaucrate CGT alors détaché au Conseil économique, social et environnemental (avant de prendre la tête de la CGT), qui avait corédigé en 2012 le rapport sur comment transcrire la directive de Bruxelles.

Pour les capitalistes, dont Lepaon s’était fait le complice, cette introduction devait se faire de la façon la plus profitable pour le capitalisme français face à ses concurrents européens (voir « Leçons de la grève des cheminots », le Bolchévik n° 209, septembre 2014). Cela voulait dire faire une croix sur le statut des cheminots, en échange d’une « convention collective de haut niveau », alors que les conventions collectives sont de plus en plus sapées par des « accords » locaux au rabais, introduisant une course au moins-disant meurtrière pour les travailleurs. L’attaque antisyndicale de Macron contre les cheminots, c’est au fond la mise en œuvre des préconisations bruxelloises… du cégétiste Lepaon.

Philippe Martinez a finalement éjecté Lepaon de la direction de la CGT début 2015. Mais il a appelé à voter Macron l’année dernière et il refuse, tout autant que son prédécesseur, de dire non à l’UE. Son programme ferroviaire se réduit tout autant à une « convention collective de haut niveau » acceptant de fait la destruction du statut des cheminots.

L’accueil chaleureux des cheminots français à leurs collègues allemands et autres lors du rassemblement devant le Sénat le 29 mai montrait qu’il y avait bien pourtant un potentiel pour une lutte commune avec des collègues qui dans d’autres pays sont attaqués au nom des mêmes directives mortifères de l’UE.

Mais ce n’est pas la gauche française (PCF, NPA, LO) qui allait non plus aborder ce genre de question, car elle soutient tout autant l’Union européenne ! LO cherche à dissimuler cette capitulation à sa propre bourgeoisie pro-UE avec du verbiage « internationaliste » que s’opposer à l’UE, ce serait faire le jeu des populistes racistes à la Le Pen en France, UKIP en Grande-Bretagne ou AfD en Allemagne. En fait, c’est en donnant à ce genre de forces un monopole apparent de l’opposition à l’UE que LO et autres forces pro-UE gonflent les voiles de ces démagogues réactionnaires, car les travailleurs comprennent confusément que l’UE s’attaque à leurs acquis et donc ils se tournent vers ceux qui disent s’opposer à elle.

Lutte ouvrière partage fondamentalement la vision du monde de la bureaucratie syndicale réformiste – d’ailleurs nombre de ses militants dans les entreprises en font partie (certains militants de LO à la SNCF sont passés ces dernières années de la CGT à SUD). Dans l’impossibilité d’attaquer les bureaucrates sur le fond, LO blâme maintenant la direction de la CGT pour la tactique perdante du calendrier « en pointillés », avec des séries de deux jours de grève suivis de trois jours de travail, au lieu d’une grève reconductible jusqu’à la victoire.

Mais qu’avait donc LO d’autre à offrir que la direction de la CGT cheminots ? Elle reconnaît qu’il ne s’agissait pas « d’opposer telle tactique en soi, comme la grève reconductible, au “2 sur 5”, comme étant la recette miracle valable en tout temps et en tout lieu et surtout indépendamment de ce que les travailleurs sont prêts à faire » (Lutte de classe, juillet-août).

Mais en réalité LO n’avait… rien d’autre à « opposer » à la direction de la CGT ! Nous avons pu observer dans les AG de certaines gares parisiennes comment les militants de LO poussaient les grévistes plus combatifs à faire également grève les autres jours pour créer peu à peu « une dynamique ». En vain. Les cheminots tenaient à l’unité syndicale, et les chefs de la CGT se présentaient cyniquement comme les meilleurs défenseurs de l’unité, argumentant que leur tactique permettait qu’il y ait une grève unitaire suivie de tous, même si ce n’était que deux jours sur cinq.

Les cheminots ont amplement montré qu’ils étaient prêts aux sacrifices, mais pour une autre tactique il manquait manifestement à la tête des directions syndicales la perspective, et la détermination allant avec, d’une confrontation générale avec le gouvernement. Et de cela les cheminots étaient conscients. Un programme lutte de classe aurait pu rallier des couches de plus en plus larges de travailleurs derrière les cheminots encore au statut. Il y avait eu, il y a à peine quelques mois, des grèves du nettoyage chez Reinier-ONET, un gros sous-traitant de la SNCF employant surtout des travailleuses et des travailleurs immigrés. A bas la privatisation par morceaux de la SNCF ! Réintégration à la SNCF des sous-traitants ! Il faut syndiquer les non-syndiqués ! Un seul syndicat regroupant l’ensemble de tous les travailleurs du ferroviaire, y compris les personnels du nettoyage et de la restauration, contractuels, CDD, travailleurs détachés, etc., avec un seul statut pour tous !

Les directions actuelles des syndicats ne pouvaient pas mettre en avant une telle perspective parce qu’elles sont dévouées à la collaboration de classe. A la RATP elles se sont laissé amadouer par la direction alors qu’en Décembre 1995 c’est l’action commune des traminots avec les cheminots qui avait fait reculer le gouvernement. Mais le statut des traminots est en danger immédiat si celui des cheminots saute ! Et maintenant ce sont tous les « régimes spéciaux » de retraite, donc aussi celui de la RATP, qui sont ouvertement visés pour en fait détruire les retraites de tous.

Face aux attaques du gouvernement qui vont tomber dru cet automne, le bilan de la grève des cheminots ne doit pas être le défaitisme, mais la nécessité d’une stratégie et d’une direction révolutionnaires. La lutte pour une direction lutte de classe dans les syndicats fait partie intégrante de la lutte pour un parti ouvrier révolutionnaire.


Corrections

Dans notre article « Macron veut démanteler la Sécu » (le Bolchévik n° 225, septembre 2018), nous avons écrit : « En fait, c’est en donnant à ce genre de forces [des populistes racistes comme Le Pen] un monopole apparent de l’opposition à l’UE que LO et autres forces pro-UE gonflent les voiles de ces démagogues réactionnaires, car les travailleurs comprennent confusément que l’UE s’attaque à leurs acquis et donc ils se tournent vers ceux qui disent s’opposer à elle. » Bien sûr, tous les travailleurs ne comprennent pas que l’UE s’attaque à leurs acquis et, parmi ceux qui le comprennent, tous ne se tournent pas vers Le Pen : seuls certains travailleurs vont le faire.

Dans le même article, nous avons malencontreusement écrit « Didier Lepaon » au lieu de « Thierry Lepaon », l’ex-chef de la CGT.

(Correction publiée dans le Bolchévik no 226, décembre 2018)