Le Bolchévik nº 224 |
Juin 2018 |
Frappes impérialistes et provocations antirusses
Américains, français, britanniques - Impérialistes, hors de Syrie !
24 avril Nous reproduisons ci-dessous un article de nos camarades américains (Workers Vanguard, 20 avril) contre le bombardement impérialiste de la Syrie qui a eu lieu le 14 avril, sous la direction des Etats-Unis. La France s’est vantée d’avoir participé avec plusieurs avions de chasse et frégates à cette action conjointe, avec aussi la Grande-Bretagne. Cette attaque meurtrière de Macron correspond à un effort désespéré de l’impérialisme français pour montrer que, malgré son affaiblissement, il demeure un facteur de nuisance incontournable au Proche-Orient.
Cette attaque rappelle aussi que la France était l’ancienne puissance coloniale en Syrie, et qu’elle y a laissé une marque sanglante. Elle avait brutalement réprimé pendant 25 ans la résistance au colonialisme français, y compris notamment en bombardant Damas par l’artillerie et l’aviation en octobre 1925 et à nouveau en mai 1945. Des milliers de personnes furent sauvagement massacrées par l’impérialisme français. Impérialisme français, hors de Syrie !
Si Macron escomptait l’unité nationale sur ces bombardements, en pleine confrontation avec les cheminots, c’était raté. Il n’y a eu guère que les juppéistes et le PS pour le soutenir à fond. L’Humanité (16 avril), organe du PCF, a de son côté vertement critiqué l’intervention, traitant les Français de « supplétifs » de Trump tout en rappelant au passage le passé colonial de la France dans la région et en suggérant que « les preuves » (entre guillemets dans l’original) d’une attaque chimique par Assad sont sujettes à caution.
Pourtant la déclaration officielle du PCF (14 avril) gobe la version gouvernementale, dénonçant « le très probable bombardement chimique particulièrement ignominieux » du régime de Bachar Al-Assad. Le PCF se lamente moins des bombardements impérialistes du 14 avril que du fait que ceux-ci ont été effectués préalablement à « une discussion au Parlement » français, et il s’inquiète que « l’ONU a été une nouvelle fois mise hors jeu ». Aux yeux du PCF, la France mine ainsi le Conseil de sécurité de l’ONU (cette caverne de brigands impérialistes, et de leurs victimes), et donc son propre siège permanent à ce Conseil.
Le NPA d’Olivier Besancenot, quant à lui, a toute une histoire d’alignement derrière sa propre bourgeoisie en Libye en 2011 et en Syrie, sous couvert de soutien aux « insurgés » et autres « révolutionnaires » qui sur place acceptent de se faire les troupes au sol de l’impérialisme. Le NPA demandait régulièrement des livraisons d’armes pour ces gens-là par la France de Sarkozy ou Hollande, au lieu d’intervenir directement. Au fond, le NPA considère que l’impérialisme français devrait effectivement intervenir, mais autrement.
Alors que l’attaque impérialiste contre la Syrie était déjà pratiquement annoncée, le NPA a publié le 12 avril dans Hebdo l’Anticapitaliste un article présentant comme l’ennemi principal non pas son propre impérialisme, mais le régime de Bachar Al-Assad, et dénonçant implicitement un refus de Macron de faire la peau à Assad : « Les crimes du régime Assad se poursuivent dans le silence et avec la complicité des puissances internationales et régionales qui, elles, se partagent les zones d’influence du pays ».
Après les bombardements, le NPA a d’abord publié un communiqué le 14 avril où il a fait des déclarations d’opposition à l’attaque impérialiste. Il fulminait néanmoins contre tous ceux qui remettraient en question la justification donnée par Macron pour l’attaque : « Nous appelons à rejeter la sordide campagne visant à faire douter de la énième attaque chimique criminelle du régime sur des civils, hommes, femmes et enfants à Douma, attestée par tant d’informations venant de citoyens et services médicaux sur place. »
Puis, quelques jours plus tard, Julien Salingue a publié dans l’Anticapitaliste (19 avril) un nouvel article peut-être une polémique contre ses propres camarades dénonçant comme « particulièrement pervers » l’argument de l’utilisation des armes chimiques pour justifier l’attaque : « il signifie en effet que si les massacres ne sont pas commis avec des armes chimiques, ils sont tolérables et ne nécessitent pas de réaction ». Les « pervers » du NPA et ses anti-pervers (adeptes de la position du missionnaire néocolonial ?) ont en commun l’idée que leur propre bourgeoisie doit « réagir », même si c’est plutôt avec une composante locale qu’avec des bombardements français.
Pour notre part nous prenons position en fonction des intérêts du prolétariat et des opprimés dans le monde. Nous n’avons aucun côté dans la guerre civile réactionnaire entre Assad et les rebelles, car quel que soit le vainqueur, cela ne ferait avancer en rien la cause de la classe ouvrière et des opprimés. Mais, comme nos camarades l’expliquent dans l’article ci-dessous, les travailleurs ont un côté à prendre pour s’opposer à toute intervention militaire impérialiste. Impérialistes hors de Syrie, du Proche-Orient, de toute l’Afrique !
* * *
16 avril Ayant déjà ravagé la Syrie depuis des années et attisé les flammes d’une guerre civile qui a fait un demi-million de morts et dévasté une grande partie du pays, les Etats-Unis ont lancé dans la nuit du 13 avril, avec le soutien des impérialistes britanniques et français, plus de 100 missiles contre des installations gouvernementales syriennes. Parmi les cibles visées figure un centre de recherche scientifique à Damas, une des rares villes du pays où règne un semblant de normalité. Le prétexte pour ces frappes est l’utilisation présumée d’armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad le 7 avril à Douma. Les impérialistes prétendent que des bombes au chlore ou au gaz sarin (ou une combinaison des deux) lancées par l’armée syrienne auraient fait plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés. Le gouvernement syrien et la Russie, son principal allié, nient ces accusations.
Même si les impérialistes ont (pour l’instant) évité de frapper directement des cibles militaires russes, ces tirs de missiles constituent un acte d’agression délibéré visant à réaffirmer la puissance de Washington au Proche-Orient, au premier chef contre Moscou. Et c’est le Parti démocrate qui constitue le fer de lance de la campagne antirusse hystérique qui sévit aux Etats-Unis.
Après cette attaque présumée aux armes chimiques, la cheffe du groupe démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a déclaré que le président russe Vladimir Poutine « doit rendre des comptes ». Le 10 avril, un éditorial du New York Times critiquait une déclaration de Trump annonçant son intention de retirer les soldats américains déployés en Syrie : cela encouragerait « le comportement répréhensible de la Russie ». Quand les démocrates et le New York Times exigent bruyamment une « stratégie cohérente » en Syrie, ils cherchent à inciter l’administration Trump, plombée par des scandales à répétition, à adopter une posture plus agressive face à la Russie de Poutine, une puissance régionale qui possède l’arme nucléaire. Et la Maison Blanche vient juste d’expulser 60 diplomates russes et d’imposer des sanctions contre sept proches de Poutine, une dizaine d’entreprises et 17 hauts responsables russes.
Parallèlement, les Etats-Unis s’apprêtent aussi à imposer de nouvelles sanctions plus dures contre l’Iran, l’autre allié majeur du régime d’Assad. John Bolton, le nouveau Conseiller à la sécurité nationale de Trump et « faucon » notoire, a appelé à bombarder l’Iran et il a déclaré que les Etats-Unis provoqueraient un « changement de régime » avant le quarantième anniversaire de la République islamique en février 2019. De son côté, l’armée israélienne multiplie les attaques en Syrie, avec plus de 100 frappes aériennes depuis 2012 y compris en bombardant des bases iraniennes dans ce pays.
Quand il s’agit de massacrer des civils, les impérialistes américains n’ont de leçon à recevoir de personne. D’après le site internet Airwars, la coalition conduite par les Etats-Unis a massacré depuis 2014 près de 10 000 civils en Syrie et en Irak en effectuant plus de 30 000 frappes aériennes. Entre la guerre du Golfe de 1991, les sanctions de l’ONU et l’invasion de 2003 et ses suites, les Etats-Unis et leurs alliés « démocratiques » sont responsables de la mort de trois millions de personnes rien qu’en Irak.
Les Etats-Unis ne manquent pas de culot quand ils s’offusquent de l’emploi supposé d’armes chimiques en Syrie. Ils ont déversé du napalm contre les populations en Corée et au Vietnam, où des millions de personnes ont aussi été exposées à l’« agent orange », pendant les guerres contre-révolutionnaires menées par l’impérialisme américain dans ces pays. Plus récemment, les Etats-Unis ont utilisé du phosphore blanc en Irak lors de l’offensive de 2004 à Fallouja et de l’assaut sur Mossoul en 2016. Ils ont reconnu avoir utilisé de l’uranium appauvri en 2015 en Syrie dans la guerre contre l’Etat islamique. Et, bien sûr, on n’entend aucun cri d’indignation de la part des politiciens ou des médias américains quand des alliés des Etats-Unis comme Israël ou l’Arabie saoudite utilisent ces armes contre des populations sans défense à Gaza ou au Yémen.
En tant que marxistes, nous ne soutenons aucun côté dans la guerre civile syrienne ; elle est réactionnaire et intercommunautaire de toutes parts. Mais nous avons un côté contre les Etats-Unis et les autres impérialistes. Il est dans l’intérêt vital du prolétariat international, et tout particulièrement aux Etats-Unis, de s’opposer aux déprédations de l’impérialisme américain et d’exiger le retrait immédiat de toutes les forces impérialistes de Syrie et du Proche-Orient ! Nous sommes aussi opposés aux puissances régionales qui sont aujourd’hui impliquées dans le conflit syrien y compris la Russie, l’Iran, Israël et la Turquie et nous exigeons leur retrait également.
Nikki Haley, l’ambassadrice américaine à l’ONU, a déclaré le 14 avril, d’un ton menaçant, que l’armée américaine était « fin prête » pour de nouvelles attaques. Dans l’éventualité d’une guerre ouverte contre le régime syrien, nous marxistes serions militairement du côté des forces d’Assad, tout en maintenant notre opposition politique à ce gouvernement capitaliste brutal.
Mensonges impérialistes
Nous ne savons pas ce qui s’est passé à Douma le 7 avril, même s’il y a toutes les raisons de soupçonner que la version des impérialistes est un tissu de « fake news ». Robert Fisk, l’un des rares journalistes occidentaux présents à Douma, a publié un article dans l’Independent de Londres (16 avril) citant un médecin sur place : celui-ci lui a affirmé que la vidéo montrant des habitants en proie à la panique « est authentique, mais ce que vous voyez, ce sont des gens qui souffrent d’hypoxie [manque d’oxygène dans la poussière des ruines], pas d’un empoisonnement aux gaz ». Les impérialistes américains ont une longue histoire de fabrication de preuves pour justifier la guerre : il y a les mensonges sur l’explosion du cuirassé Maine, qui avaient pavé la voie à la guerre hispano-américaine de 1898 ; il y a aussi l’« incident du golfe du Tonkin » de 1964 qui fut utilisé comme prétexte à l’escalade militaire américaine au Vietnam, ou encore les allégations que Saddam Hussein possédait des « armes de destruction massive » et qu’il était complice des attentats du 11 septembre 2001, qui servirent de justification à la guerre contre l’Irak.
L’année dernière, l’attaque chimique supposée à Khan Cheikhoun, elle aussi imputée au gouvernement syrien, s’était produite quelques jours après l’annonce par Trump que son administration acceptait le maintien au pouvoir d’Assad. La suite fut un bombardement américain contre une base aérienne syrienne. L’attaque chimique de cette année a eu lieu peu après que Trump avait annoncé son intention de retirer ses forces de Syrie et de couper le financement des groupes rebelles d’opposition. Dans les deux cas, la principale source d’information sur ces attaques chimiques présumées était les « casques blancs », que les médias présentent comme des secouristes bénévoles courageux et impartiaux. En fait, ce groupe a été créé et financé notamment par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, et il est allié aux rebelles islamistes (voir « Les “casques blancs” syriens : des instruments de l’impérialisme américain », Workers Vanguard n° 1103, 13 janvier 2017).
Comme l’a démontré le journaliste d’investigation Seymour Hersh, lauréat du prix Pulitzer, les versions des impérialistes concernant l’attaque chimique de Khan Cheikhoun sont extrêmement suspectes. Après que le New Yorker et la London Review of Books (qui avait commandité son enquête) eurent refusé de publier son récit, Hersh a publié dans le journal allemand Die Welt (25 juin 2017) un article révélant que les services de renseignement américains savaient que le site de Khan Cheikhoun avait été la cible d’une bombe conventionnelle. La Russie avait averti à l’avance les Etats-Unis de ce bombardement, qui visait une réunion de djihadistes haut placés. D’après les sources citées par Hersh, cette bombe conventionnelle avait causé l’explosion d’une cache d’armes située dans le bâtiment, ce qui aurait peut-être provoqué un nuage toxique. Même le secrétaire à la Défense américain James Mattis a dû admettre en février dernier qu’il n’y avait « aucune preuve » qu’Assad ait utilisé du gaz sarin à Khan Cheikhoun.
La lutte contre le militarisme et la guerre impérialistes doit être liée à un programme pour le renversement de l’ordre impérialiste mondial par la classe ouvrière. C’est la même classe dirigeante qui fait pleuvoir les bombes sur les populations du Proche-Orient et qui mène aussi une guerre de classe contre les travailleurs ici aux Etats-Unis. Quand les Etats-Unis feignent de s’indigner qu’Assad massacre « son propre peuple », rappelons-nous qu’aux Etats-Unis les flics tuent chaque année plus de mille personnes, dont beaucoup de Noirs et de Latinos. Comme nous l’écrivions l’année dernière après les tirs de missiles contre les forces syriennes (« Défense de la Corée du Nord ! Etats-Unis, hors de Syrie ! », Workers Vanguard n° 1110, 21 avril 2017) :
« Il faut absolument une lutte de classe contre le pouvoir capitaliste, à la fois pour défendre les intérêts des travailleurs et des opprimés ici et pour s’opposer à l’impérialisme américain à l’étranger. La Spartacist League et nos camarades de la Ligue communiste internationale ont pour objectif de gagner les couches les plus conscientes de la classe ouvrière à la conception que, pour mettre fin à l’exploitation, à l’oppression raciale et aux carnages impérialistes, il faut renverser l’ordre capitaliste, aux Etats-Unis et au niveau international, par la révolution socialiste. »