Le Bolchévik nº 224

Juin 2018

 

Macron cherche à briser les reins des syndicats

Victoire à la grève des cheminots ! A bas la liquidation du statut !

Pour un parti ouvrier révolutionnaire d’avant-garde, multiethnique et multiracial !

25 mars – Les attaques contre les syndicats s’accélèrent, depuis la loi El Khomri (dont Macron et Hollande étaient les instigateurs) jusqu’aux ordonnances de l’année dernière. Moins d’un an après son élection, Macron engage maintenant l’épreuve de force. Depuis plus de trente ans en France, les cheminots ont joué un rôle central dans la plupart des grands conflits où la classe ouvrière s’est mobilisée pour faire reculer le gouvernement capitaliste. Leurs luttes avaient directement causé la défaite des gouvernements Chirac et Juppé en 1986 et 1995. La puissance sociale de la classe ouvrière résulte de sa capacité à bloquer la production et donc le flot des profits qui est la raison d’être du système capitaliste d’exploitation.

En cassant les syndicats de cheminots avec cette offensive, Macron espère porter un coup décisif à tout le mouvement ouvrier organisé pour accroître la compétitivité du capitalisme français face à ses rivaux. Le gouvernement ne nie pas que la destruction du statut des cheminots ne serait qu’une mise en jambes. Suivraient le statut des électriciens d’EDF, et celui de l’ensemble des fonctionnaires, avec en « contrepartie » l’allègement des charges sociales pour les patrons, autrement dit pour les travailleurs la réduction des prestations sociales associées (santé, éducation, retraite, soins aux personnes âgées).

Les bureaucrates syndicaux, lieutenants ouvriers du capital

Macron ne cesse de dire qu’il avait annoncé ses intentions pendant la campagne électorale du printemps 2017 – pas étonnant que moins de deux Français sur cinq en âge de mettre un bulletin dans l’urne aient voté pour lui, même contre Le Pen. Puis, dès juillet, Macron avait déclaré (dans une interview publiée par le magazine de la SNCF les Infos Le Mag) qu’il allait attaquer frontalement les cheminots.

Alors pourquoi les bureaucrates syndicaux, dont les sinécures sont directement menacées, ont-ils attendu encore huit mois sans préparer la bataille qu’on leur avait annoncée officiellement ? Sans même alimenter une caisse de grève en prévision ? C’est qu’ils partagent la préoccupation de Macron qu’il est nécessaire de « moderniser » le capitalisme français, notamment face au rival allemand, autrement dit que des sacrifices sont inéluctables. C’est pourquoi les bureaucrates syndicaux ont trahi en appelant à voter pour Macron il y a un an, notamment la CFDT mais aussi Martinez de la CGT qui avait alors souhaité « que Macron fasse le score le plus haut possible » (le Monde.fr, 5 mai 2017).

La CGT cheminots a maintenant pondu un rapport de 46 pages (« Ensemble pour le Fer ») pour essayer d’infléchir la politique du gouvernement. Comme si celle-ci avait pour but d’améliorer autant que possible le service public de transport et qu’on pouvait convaincre Macron avec des arguments rationnels sur le caractère économique et écologique du rail par rapport à la route, sur le nombre comparé de morts au kilomètre parcouru, etc.

La réalité, c’est que le gouvernement est le comité exécutif de la classe capitaliste, et que celle-ci a des priorités bien différentes. Sa priorité, c’est de casser les syndicats pour permettre à la classe capitaliste dans son ensemble d’accroître son taux d’exploitation de la classe des travailleurs, et, en conséquence, son taux de profit. Dans le Monde, officine macroniste (27 février), il est dit ouvertement : « Un excès de facilité limiterait son gain politique [à Macron]. Il vaudrait mieux quelque chose comme la grève des mineurs pour Thatcher, un combat héroïque contre l’hydre syndicale fantasmée, qu’il finirait par gagner. »

Margaret Thatcher avait défait le syndicat des mineurs britanniques en 1985,au bout d’un an de grève. Elle a carrément liquidé l’industrie minière pour avoir la peau du syndicat : il n’y a plus une seule mine de fond en activité aujourd’hui outre-Manche, et les syndicats britanniques encaissent, depuis, défaite sur défaite. Tous les travailleurs britanniques ont vu leurs acquis reculer depuis la grève des mineurs.

Alors la route ou le rail, c’est tout à fait secondaire pour Macron. Dans son optique, il y a d’un côté les trusts du BTP qui s’engraissent avec le monopole des autoroutes, ainsi que Renault, Peugeot, Total et leurs sous-traitants (…et les filiales route de la SNCF comme Ouibus). De l’autre, il y a le transport ferroviaire bientôt rentable et donc privatisé, ainsi qu’Alstom et les mêmes trusts du BTP qui construisent les lignes de TGV en « partenariat public-privé ». Sans compter les banques qui gagnent sur les uns et sur les autres.

Les bureaucrates refusent de poser clairement cet enjeu central de la défense des syndicats. Au lieu de cela, ils font croire à un capitalisme à visage humain avec un service public dans l’intérêt de tous. Si la SNCF était longtemps une entreprise nationalisée qui semblait se soustraire à la loi du profit, c’était uniquement parce que la classe capitaliste y avait été contrainte par la grève de Juin 36 (la nationalisation date de 1937) et la situation explosive de 1944, où beaucoup d’ouvriers avaient des armes et où l’Armée rouge avançait inexorablement vers l’Ouest, écrasant la barbarie nazie. Non à la privatisation !

Mais aujourd’hui l’Union soviétique n’est plus qu’un lointain souvenir et les directions de la classe ouvrière sont terriblement affaiblies depuis qu’elles ont soutenu la contre-révolution capitaliste en Europe de l’Est il y a trente ans puis en Union soviétique (un soutien très actif pour les prédécesseurs du NPA et des POI, un peu moins pour le PCF et LO). Depuis, les capitalistes et leurs laquais réformistes démoralisent sans cesse les travailleurs avec l’idée que le communisme serait mort (voir la campagne anticommuniste féroce de l’année dernière sur le centenaire de la Révolution russe) et que le capitalisme serait totalement indépassable.

Et cette année on en rajoute une couche avec la campagne que Mai 68 n’aurait été qu’une rêverie d’adolescents utopistes mais que cinquante ans plus tard, grâce à Sa Majesté Emmanuel 1er, les Français sont enfin nés à un capitalisme du XXIe siècle.

Bien au contraire ! Tout cela montre seulement que tant que durera le capitalisme, la moindre réforme sérieuse ne peut s’obtenir que par une lutte acharnée de la classe ouvrière, et elle est hautement réversible dès que le rapport de force s’améliore pour les capitalistes. Cela fait plus de cent ans que le capitalisme est entré dans une phase de décomposition où les forces productives ont cessé de croître, et même pourrissent. Le niveau de vie de la classe ouvrière ne cesse de se dégrader alors que les conditions objectives existent pour créer une société socialiste égalitaire d’abondance. Pour cela il n’y a qu’une voie : lutter pour le renversement du capitalisme par une révolution socialiste et son extension au niveau international. Pour y parvenir, la Révolution russe l’a montré, il faut une direction révolutionnaire à la classe ouvrière, un parti léniniste d’avant-garde. C’est ce pour quoi nous luttons.

A bas l’Union européenne ! A bas ses directives et sa monnaie !

Le gouvernement motive l’attaque contre les syndicats de cheminots, y compris sous la forme des ordonnances qui dessaisit le parlement, par la nécessité de transposer avant la fin de l’année une directive de Bruxelles sur l’introduction de la concurrence dans le transport ferroviaire de voyageurs. Cela montre parfaitement la nature de l’Union européenne.

L’UE est un conglomérat instable, dominé par l’Allemagne, de puissances impérialistes (dont la France) et de pays plus faibles économiquement, dont le pillage est systématiquement organisé par l’UE (voir la Grèce !) pour le compte de ces puissances impérialistes. Mais c’est aussi une machine de guerre contre les travailleurs des pays impérialistes eux-mêmes, y compris les travailleurs allemands et français. Ses directives ont pour constante de miner les acquis des travailleurs en s’en prenant centralement aux syndicats, afin de renforcer la compétitivité des capitalistes allemands ou français face à leurs rivaux américains ou japonais. L’introduction de la concurrence a essentiellement pour objectif de casser les syndicats, comme on le voit avec la bataille actuelle.

Dans son contre-projet de réforme, la CGT aborde la libéralisation du fret, issue elle aussi de « directives de Bruxelles ». Elle se lamente que cette libéralisation ait eu pour résultat un « déclin » de ce mode de transport, et que « le résultat est catastrophique ». Elle s’est traduite en effet par le remplacement du fret ferroviaire international (traité par des cheminots syndiqués) par du trafic routier traité par des travailleurs souvent originaires d’Europe de l’Est ou du Sud, payés moins qu’une misère pour des conditions de travail épouvantables et privés pratiquement de tout droit et de toute protection syndicale.

Les syndicats en ont pris un sacré coup ; les conducteurs de trains de fret restants sont en partie des retraités qui essaient de gagner une petite rallonge, après les amputations successives qu’a subies leur retraite, en ajoutant des heures dans des entreprises antisyndicales. « Résultat catastrophique » pour les travailleurs, mais tout bénef pour les capitalistes !

C’est pourquoi les travailleurs, armés du programme de la lutte de classe et de l’internationalisme, doivent lutter pour la destruction de l’Union européenne. Nos camarades britanniques ont ainsi fait campagne pour le Brexit il y a deux ans. Pour les cheminots, il s’agit de trouver la voie d’une collaboration étroite avec les syndicats des autres pays, notamment ceux de la Deutsche Bahn ou les syndicats belges et italiens – et aussi avec les syndicats des camionneurs et chauffeurs de cars que la SNCF va chercher à organiser pour casser la grève des cheminots. Tous ces travailleurs, par-delà les frontières, sont confrontés aux mêmes attaques, au nom des mêmes « directives de Bruxelles » – A bas l’UE ! A bas ses directives antisyndicales ! A bas son instrument financier, l’euro ! Pour les Etats-Unis socialistes d’Europe !

Et pourtant, de façon criminelle, la gauche française soutient l’UE, ce Moloch antiouvrier, antigrec, anticatalan. Elle est là à l’unisson de sa propre bourgeoisie. LO acclame ouvertement l’euro, un mécanisme clé d’asservissement des petits pays aux banques de Francfort et Paris : « l’existence d’une monnaie unique est un avantage évident » (Cercle Léon Trotsky d’avril 2014 sur l’UE). Où iraient les travailleurs s’ils suivaient des gens qui font la promotion d’un « avantage évident » pour la BNP et la Deutsche Bank ?

LO attaque même le PCF de la droite sur cette question, lui reprochant qu’« il ne perd pas une occasion de souligner les dangers des “traités et des organismes européens”, qui contraindraient la France à adopter des mesures d’austérité ». La critique est totalement injustifiée : comme LO ou le NPA, le PCF soutient l’UE en faisant croire qu’une « Europe sociale » capitaliste serait possible.

A bas la guerre raciste contre le terrorisme ! A bas Vigipirate !

L’objet de l’Union européenne, c’est la libre circulation du capital : du capital financier, des marchandises sur les routes et les voies ferrées et aériennes, ou du capital variable, c’est-à-dire des travailleurs. Cela n’a rien à voir avec la libre circulation des personnes, que nous vante LO à propos des accords de Schengen.

D’ailleurs les frontières de l’Hexagone sont officiellement fermées et les contrôles au faciès y sont systématiques. Nous disons : Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici ! A bas les expulsions ! La direction de la SNCF ordonne aux cheminots eux-mêmes de servir d’auxiliaires aux flics dans la chasse aux sans-papiers entre Vintimille et Menton, à la frontière italienne. Il y a des cheminots qui refusent courageusement ce sale boulot. Les syndicats devraient faire plus que quelques déclarations symboliques pour organiser et défendre ces travailleurs.

Au lieu de cela, ils accueillent dans leurs propres rangs (y compris la CGT et SUD) la SUGE, la « police de la SNCF ». La police, les matons, l’armée sont des « détachements spéciaux d’hommes armés », comme les appelait le collaborateur et ami de Karl Marx, Friedrich Engels : ils sont chargés de défendre le capital contre les travailleurs et les opprimés. C’est le cœur de l’Etat bourgeois. Celui-ci ne peut se mettre à servir les intérêts de ceux qu’il opprime – il faut le détruire par une révolution ouvrière et le remplacer par le pouvoir des travailleurs. Flics, juges, matons, vigiles, SUGE, hors des syndicats !

Que ce soit les lignes aux frontières du pays ou les grandes gares notamment parisiennes, les installations de la SNCF sont le lieu d’un déploiement policier et militaire croissant qui représente une menace physique contre les cheminots qui se hasarderaient à mettre sur pied des piquets de grève. L’arsenal répressif « antiterroriste » a été mis en place avec l’approbation ou la passivité complice de la gauche en visant officiellement les réactionnaires islamistes, mais en fait il sert à réprimer les minorités et la classe ouvrière tout entière, comme on l’a vu avec l’intense répression des manifestations d’il y a deux ans contre la loi El Khomri. A bas la guerre raciste contre le terrorisme ! A bas Vigipirate !

La SNCF a été récemment condamnée par les plus hautes instances judiciaires pour discrimination raciale à l’encontre de milliers de travailleurs marocains surexploités pendant des dizaines d’années, auxquels on avait dénié le statut de cheminot sous prétexte qu’ils n’étaient pas français. Conclusion de la SNCF : la généralisation du statut au rabais pour tout le monde ! Cela montre l’importance et l’urgence de défendre le statut actuel et lutter pour l’étendre à tous.

Les différences de statut servent à dresser les travailleurs les uns contre les autres. C’est une arme antisyndicale pernicieuse, de même d’ailleurs que la division des syndicats en plusieurs chapelles concurrentes dont l’une est toujours prête à briser la grève de l’autre (sans compter les divisions de métiers, la direction de la SNCF cherchant en permanence à dresser les sédentaires conte les roulants soi-disant privilégiés).

C’est pourquoi nous luttons pour une perspective d’un seul syndicat industriel regroupant tous les travailleurs. Cette lutte doit être intimement liée à la lutte contre la sous-traitance de toutes sortes, pour l’intégration au plein statut et la syndicalisation des travailleurs de la restauration dans les trains, ceux des sociétés de nettoyage dans les gares, etc. Embauche immédiate au statut, et à plein temps, de tous ces travailleurs, y compris les intérimaires, CDD, stagiaires et sous-traitants divers ! A bas la directive de l’UE sur les travailleurs détachés ! Cela exige une lutte pour chasser les bureaucrates et forger une direction lutte de classe dans les syndicats.

Les dangers d’un nouveau « front populaire »

Le gouvernement bâtit son offensive sur la défaite des grèves de 2014 et 2016, qui ont vu la destruction du règlement RH0077 et le passage à une convention collective. Cela répondait à un plan pour accroître la compétitivité de la SNCF qui avait été concocté… par un futur chef de la CGT, Thierry Lepaon (voir notre article « Leçons de la grève des cheminots » dans le Bolchévik, septembre 2014) ! Depuis, il y a eu la loi El Khomri puis les ordonnances de l’automne dernier, qui vont peu à peu s’appliquer aux cheminots.

Les syndicats sont affaiblis par toutes ces défaites et ces trahisons de leur direction. Mais ce n’est pas gagné pour le gouvernement. Il prétend que, si les cheminots l’avaient emporté en décembre 1986 et décembre 1995, il y aurait eu en résultat une cassure irrémédiable entre cheminots et usagers. Mensonge ! La grève sera au contraire de plus en plus populaire si elle montre sa détermination à une lutte féroce contre le gouvernement. C’était déjà le cas en décembre 1995.

Aujourd’hui plus que jamais, tous les travailleurs peuvent voir que si les cheminots perdent, ce sont eux-mêmes personnellement qui vont trinquer aussi. Et tous les usagers du rail également : la privatisation annoncerait une multiplication des « accidents » comme celui de Brétigny et la fermeture de milliers de kilomètres de lignes secondaires.

C’est une question de direction politique en dernier ressort. Le coup d’arrêt aux capitalistes porté par la victoire de Décembre 86 et de Décembre 95 avait été vite canalisé par les PCF ou LCR (ancêtre du NPA) vers un nouveau gouvernement de collaboration de classe. Ces gouvernements d’alliance – des « fronts populaires » – incluaient les partis ouvriers réformistes, PS et PCF (à l’extérieur du gouvernement la première fois, à l’intérieur la deuxième), ainsi que des formations bourgeoises comme les radicaux de gauche, les verts ou les chevènementistes. C’est le ministre des Transports Jean-Claude Gayssot, dirigeant PCF, qui dans le gouvernement Jospin avait privatisé Air France et amorcé le démantèlement de la SNCF en la séparant en deux entités avec Réseau Ferré de France.

Aujourd’hui la gauche est dans les cordes. Mais elle l’était aussi dans une large mesure en 1995, peu après quatorze ans de gouvernements anti-ouvriers sous Mitterrand. La lutte des classes l’avait remise en selle. Ces leçons ne doivent pas être oubliées. Nous mettons en garde contre les manœuvres de coulisse des Besancenot qui déjà (comme l’avait fait Krivine en 1996) organisent des réunions d’état-major dans des cafés avec le PCF et de nouveaux partenaires capitalistes « de gauche », hamonistes, verts et mélenchonistes. Les réformistes cherchent à tirer les marrons du feu pour un nouveau front populaire, cette fois-ci sous l’égide de la France insoumise, un parti populiste bourgeois chauvin dont le verbiage radical est d’ailleurs de plus en plus occasionnel.

Il faut rompre avec le cycle infernal des gouvernements bourgeois « de gauche » suivis d’un retour en force de la réaction. Il faut rompre avec la collaboration de classe. Les travailleurs doivent lutter en leur propre nom, pour leur propre pouvoir de classe ! Pour cela il leur faut une direction révolutionnaire. Il leur faut un parti léniniste. Nous luttons pour construire un tel parti, section d’une Quatrième Internationale reforgée.