Le Bolchévik nº 223

Mars 2018

 

Un cadeau à Macron pour ses attaques racistes et anti-ouvrières

PCF, NPA, LO embrassent la campagne d'ordre moral anti-sexe

24 février – Le PCF, le NPA et Lutte ouvrière se sont tous précipités pour dénoncer la tribune, signée entre autres par Catherine Deneuve, qu’a publiée le Monde en janvier. Cette tribune, comme l’expliquent nos camarades américains dans leur article reproduit ci-dessous, dénonce une campagne moraliste qui vise à réduire les femmes « à un statut d’éternelles victimes » ayant besoin de la protection du pouvoir. Catherine Deneuve, tout en continuant à défendre les positions exprimées dans cette tribune, a présenté ses excuses aux victimes d’agressions sexuelles pour les commentaires faits par la suite par certaines autres signataires, en particulier l’affirmation odieuse qu’une femme pourrait prendre plaisir à se faire violer.

La soi-disant extrême gauche, quant à elle, soutient sans aucune réserve la chasse aux sorcières de « #balancetonporc », qui désigne tous les hommes comme des prédateurs sexuels en puissance et invite à une répression accrue contre l’ensemble de la population. Ce genre d’idéalisme libéral conduit en effet à réclamer à Macron et à l’Etat capitaliste davantage de moyens pour protéger les femmes et les jeunes.

Après l’annonce par Macron que la grande cause de sa présidence serait la lutte pour l’égalité entre les sexes et le combat contre le harcèlement sexuel, le NPA déclarait ainsi que « les annonces de Macron semblent ambitieuses et on nous promet des changements dès 2018 », mais que « lorsque l’on veut mettre en place une politique ambitieuse, c’est qu’elle doit s’accompagner d’un budget en conséquence » (l’Anticapitaliste, 30 novembre 2017). Dans la même veine, pour Lutte ouvrière, « les mesures annoncées pour cette prétendue grande cause restent à un niveau ridicule » et « ni les institutions ni les associations féministes n’auront davantage de moyens pour l’éducation à l’égalité, la protection des femmes victimes de violences, etc. » (Lutte Ouvrière, 1er décembre 2017). Quant au secrétaire national du PCF Pierre Laurent, il réclamait « des moyens interministériels et un budget dédié à la lutte pour l’égalité qui soit autre que dérisoire » (16 octobre 2017).

Nous marxistes partons du principe que l’Etat capitaliste, ses tribunaux, ses flics, ses prisons et ses institutions ne sont pas au service des opprimés et de la population en général, contrairement à ce que prétendent les féministes petites-bourgeoises et leurs flatteurs pseudo-socialistes. C’est un mensonge grotesque. La vérité, c’est que l’Etat bourgeois est un instrument de la classe capitaliste pour protéger sa domination par la violence.

En soutenant la campagne « #balance ton porc », la gauche fournit à Macron une couverture « progressiste » pour multiplier les attaques contre les droits de tous les travailleurs. Ceci s’ajoute à la passivité totale de la bureaucratie syndicale, qui partage l’idée qu’il faut « moderniser » l’impérialisme français pour soutenir la concurrence face à ses rivaux, allemands et autres.

Les ordonnances antisyndicales de Macron vont bientôt commencer à faire rentrer davantage de profits dans les caisses des capitalistes qui multiplient les plans de licenciements. Les femmes travailleuses et leurs familles subiront de plein fouet les plans de « restructuration » annoncés chez les géants de la grande distribution comme Carrefour, Vivarte ou Monoprix. Ces plans de licenciements vont renvoyer au foyer domestique de nombreuses femmes qui se retrouveront ainsi sous une dépendance matérielle accrue de leur mari.

Les ordonnances feront aussi passer de 18 mois à 5 ans la durée maximale des emplois en CDD, majoritairement occupés par des femmes. S’ajoutent à cela la suppression des CHSCT (Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et le plafonnement des indemnités prud’homales, avec pour conséquence qu’il sera dorénavant encore plus difficile à une femme de dénoncer des faits de harcèlement sexuel commis par un patron ou un contremaître sur le lieu de travail.

Telle est la réalité du programme brutal que Macron et compagnie réservent aux femmes, en particulier aux femmes de la classe ouvrière et des minorités opprimées, qui sont de façon disproportionnée victimes de harcèlement sexuel au travail.

Croisade pour les « valeurs républicaines » : raciste et anti-femmes

Lutte ouvrière reproche au gouvernement Macron de ne pas accorder suffisamment de moyens à l’école républicaine pour lutter contre les violences et l’oppression des femmes et des jeunes : « Mais la lutte contre les violences sexistes en milieu scolaire est aussi de la responsabilité de l’Éducation nationale et dépend des moyens accordés par le ministère. […] l’école pourrait et devrait être le cadre pour une éducation luttant contre les stéréotypes et les comportements violents contre les filles » (Lutte Ouvrière, 29 décembre 2017). De même, la Jeunesse communiste réclame « un programme anti-sexiste » dans l’éducation nationale (déclaration datée du 7 janvier), tandis que le NPA appelle le gouvernement Macron à « donner des moyens à une éducation non-genrée » (npa2009.org, 20 septembre 2017).

La seule manière d’en finir avec la violence et les discriminations engendrées par le système capitaliste de profit que subissent les jeunes, les femmes, les homosexuels, les immigrés et autres couches opprimées de la population, c’est de lutter pour une révolution socialiste qui renversera la domination de la bourgeoisie. L’oppression des femmes s’enracine dans l’institution de la famille patriarcale, dont la fonction historique est la transmission, grâce à l’héritage, de la propriété privée des moyens de production aux héritiers « légitimes ». La famille est défendue par la religion et le conservatisme social, et elle se perpétue avec l’appui des institutions de l’Etat – y compris le système éducatif, qui dans ce pays a comme enseigne la « laïcité républicaine ». De plus, la famille sert à élever la prochaine génération d’esclaves salariés et elle joue un rôle crucial pour instiller les stéréotypes de genre, la moralité bourgeoise et l’habitude d’obéir à l’autorité.

Le système d’éducation publique et privée est là pour perpétuer la domination de classe de la bourgeoisie, avec des privilèges pour les enfants de la bourgeoisie, et des écoles-ghetto pour les enfants de pauvres. L’interdiction du foulard islamique à l’école, décrétée en 2004 avec le soutien de LO, est un parfait exemple de comment le système éducatif défend les « valeurs républicaines ». Sous couvert de défendre les droits des femmes et la « laïcité », des adolescentes issues des minorités défavorisées ont été chassées du système éducatif public et se sont retrouvées cantonnées à la maison ou dans des écoles religieuses. Le voile est bien un symbole et un instrument de l’oppression des femmes, et c’est pourquoi nous nous y sommes toujours opposés. Mais les lois anti-voile, y compris la loi El Khomri de 2016 qui ouvre désormais la possibilité légale d’exclure des femmes voilées également dans le secteur privé, sont des mesures anti-femmes et racistes. Elles visent à exclure les femmes musulmanes, montrées du doigt comme hostiles à la nation française soi-disant « éclairée ». Elles visent plus généralement à diviser et à affaiblir la classe ouvrière et à renforcer les pouvoirs de l’Etat bourgeois pour régenter la vie de la population tout entière.

La « loi contre les violences sexistes et sexuelles » qui doit être présentée par la ministre de Macron Marlène Schiappa le 7 mars, à la veille de la Journée internationale des femmes, s’inscrit dans cette croisade. Un de ses principaux volets a été annoncé le 25 novembre par Macron en personne, qui a déclaré que « c’est notre appareil répressif qui doit aussi évoluer » afin de sanctionner le « harcèlement de rue ». Siffler une femme dans la rue ou lui tenir des propos graveleux sera désormais passible d’une amende de 350 €, et le gouvernement veut donner aux conducteurs de bus le pouvoir d’appréhender les « harceleurs » en attendant que la police puisse venir les arrêter. Les syndicats doivent refuser que les travailleurs des transports soient ainsi transformés en auxiliaires de la police !

Macron prétend que « la première violence sexiste rencontrée est celle du harcèlement de rue ». Comparer le harcèlement dans la rue, qui peut être déplaisant et intimidant, avec la violence sexuelle « minimise l’horreur qu’est le viol et banalise les abus sexuels », comme le disent nos camarades américains au sujet d’amalgames de ce genre aux Etats-Unis. De plus, sept viols sur huit sont commis ailleurs que dans la rue (chiffres pour Paris), et toutes les études confirment que la grande majorité des agresseurs font partie des connaissances de la victime et surtout de sa famille.

Alors pourquoi cet acharnement contre le « harcèlement de rue » ? Il existe déjà tout un arsenal judiciaire contre le « harcèlement et les atteintes physiques et sexuelles », comme l’ont fait remarquer un groupe d’universitaires. Ils ont argumenté dans une tribune publiée en septembre dernier que d’ajouter la catégorie du harcèlement de rue « vise les populations qui l’occupent, lesquelles appartiennent souvent aux fractions paupérisées et racisées » (Libération, 26 septembre 2017).

Cette loi est en fait l’aboutissement d’une campagne raciste complètement cinglée lancée en mai 2017 contre de soi-disant « violences sexuelles » dans le quartier parisien de la Chapelle, un quartier à forte composante immigrée ; on prétendait que les femmes y étaient « une espèce en voie de disparition au cœur de Paris ». Valérie Pécresse (les Républicains), qui était alors en campagne pour les législatives, avait promis que « le quartier sera nettoyé » (comme Sarkozy avec son « Kärcher » juste avant la révolte des banlieues de 2005). Un mois plus tard, la nouvelle secrétaire d’Etat à l’égalité hommes-femmes annonçait qu’un projet de loi était en préparation.

La « grande cause » de Macron n’a donc pas pour objectif de lutter contre les violences sexuelles mais de faire croire que le vrai danger d’agression sexuelle dans la société française viendrait des Arabes, des Noirs et des immigrés qui menaceraient la « pureté » des femmes blanches – et qui doivent être ou bien « civilisés », ou bien enfermés ou jetés dehors.

De même, le lynchage médiatique du célèbre prédicateur et intellectuel musulman Tariq Ramadan contraste avec le traitement que le gouvernement a réservé au ministre de l’Ecologie Nicolas Hulot, pour qui la présomption d’innocence était sacrée. Ramadan, accusé d’avoir violé deux femmes, croupit en prison depuis le 2 février, malgré un état de santé incompatible avec la détention selon des rapports médicaux, y compris de l’administration pénitentiaire.

Nous ne connaissons pas l’ensemble des faits, mais le procureur est resté assis pendant six semaines sur l’alibi de Ramadan, soi-disant « égaré ». L’un des magistrats impliqués, Michel Debacq, est un ancien du parquet antiterroriste qui avait rencontré l’une des plaignantes dès 2009. Les deux accusatrices, qui prétendaient ne jamais s’être rencontrées, ont été en contact entre elles ainsi qu’avec des gens peu recommandables comme la très antimusulmane (et faisant une fixation contre Ramadan depuis des années) Caroline Fourest de Charlie Hebdo, avec laquelle elles auraient échangé plus de cent coups de fil l’année dernière (lexpress.fr, 18 février). L’empressement à jeter Tariq Ramadan en prison, et à l’y garder, montre bien qu’on a affaire ici au dernier épisode en date d’une vendetta politique et raciste.

A bas les lois sur l’« âge de consentement »

Le deuxième volet du projet de loi contre les « violences sexuelles » porte sur l’introduction d’un « âge de consentement », en dessous duquel une personne est automatiquement réputée incapable de consentir à une relation sexuelle – une idée profondément anti-jeunes et anti-sexe –, avec pour conséquence que le partenaire majeur est automatiquement inculpé de « viol ».

Le gouvernement a décidé d’introduire cette loi suite aux réactions d’indignation qu’ont suscitées, y compris à l’« extrême gauche », deux affaires judiciaires concernant des relations sexuelles entre des adolescentes de onze ans et des hommes d’une vingtaine d’années. Dans les deux cas, le procureur avait inculpé les accusés d’« atteinte sexuelle » et non de viol au motif que l’absence de consentement des adolescentes ne pouvait pas être établie. LO a dénoncé « l’arriération » des juges (Lutte Ouvrière, 17 novembre 2017), tandis que le NPA et le PCF descendaient dans la rue pour exprimer leur « indignation » à l’idée que le gouvernement pourrait fixer l’âge de consentement à 13 plutôt qu’à 15 ans (l’Anticapitaliste, 23 novembre 2017).

Les abus sexuels contre des enfants sont des crimes abominables. Mais beaucoup de relations sexuelles entre un jeune et un adulte sont totalement consensuelles et, en soi, ne causent de tort à personne. L’âge de la puberté et de la maturité sexuelle dépend des individus. Personne n’a été scandalisé par le fait que la professeure de théâtre de Macron (qui est aujourd’hui sa femme) a eu des relations avec lui quand il avait 15 ans. La loi aujourd’hui en préparation a pour but de protéger la virginité des jeunes filles et d’empêcher les jeunes hommes d’avoir des rapports homosexuels.

Le seul principe qui doit gouverner toutes les relations sexuelles, y compris celles entre jeunes et adultes, c’est la règle du consentement effectif, c’est-à-dire que les personnes impliquées doivent savoir et désirer ce qu’elles font. Ce devrait être la fin de l’affaire. En même temps, comme l’expliquent nos camarades américains dans l’article que nous reproduisons dans ce numéro, « il est compliqué de déterminer ce qui est véritablement consensuel dans cette société brutale, divisée en classes, raciste et sexiste (sans parler de la religion) ». Mais nous ne nous en remettons pas à l’Etat capitaliste réactionnaire pour qu’il décide et intervienne dans des questions aussi intimes.

Nos conceptions des relations sexuelles et notre opposition à l’intervention de l’Etat dans la vie privée des gens sont inspirées des positions exprimées par l’Etat ouvrier soviétique des premières années, produit de la Révolution russe d’octobre 1917, et des lois que cet Etat avait promulguées. Ces positions avaient été expliquées dans une brochure publiée en 1923 par le docteur Grigori Batkis (directeur de l’Institut d’hygiène sexuelle de Moscou), la Révolution sexuelle en Russie (voir aussi notre article « La Révolution russe et l’émancipation des femmes », Spartacist édition française n° 37, été 2006) :

« La législation soviétique se base sur le principe suivant : Elle déclare la non-ingérence absolue de l’Etat et de la société dans les affaires sexuelles, tant que cela ne porte atteinte à personne et que les intérêts de personne ne sont lésés […]. Concernant l’homosexualité, la sodomie et toute autre forme de gratification sexuelle qui sont considérées comme une offense contre la moralité publique dans la législation européenne – la législation soviétique les traite exactement de la même façon que les rapports “naturels”. Toute forme de rapport sexuel est une affaire d’ordre privé. »

La grève générale de Mai 68

On fêtera bientôt le cinquantième anniversaire de Mai 68. Dans le passé, nous avons avec raison critiqué la gauche parce qu’elle présentait souvent cette situation pré-révolutionnaire comme simplement un mouvement de libération sexuelle et culturelle (voir nos articles dans le Bolchévik n° 185 et n° 186, septembre et décembre 2008). Mai 68 fut en partie préparé par l’affaiblissement de l’impérialisme français après ses défaites en Algérie et dans d’autres ex-colonies. A son apogée, ce fut une puissante grève générale ouvrière qui paralysa le pays et fit trembler sur ses bases l’ordre capitaliste. Mais aujourd’hui, la gauche serait plutôt encline à minimiser le fait que l’étincelle de Mai 68 vint du mouvement de protestation des résidents des cités universitaires d’Antony et de Nanterre contre la ségrégation sexuelle puritaine qui y était imposée. Il y a des chances qu’elle aille plutôt organiser des campagnes de « sensibilisation » sur les stéréotypes de genre plutôt que de transmettre aux étudiants et aux travailleurs les leçons de cette mobilisation historique du prolétariat.

On peut lire dans les pages de l’Humanité (12-13-14 janvier) que le monde d’aujourd’hui n’est plus le même qu’au milieu des années 1960, « celui des 20 ans d’une Catherine Deneuve », mais qu’il est devenu « hyperviolent, les interdits y sont devenus flous, les jeunes hommes sont biberonnés à la pornographie ». Le PCF veut maintenant nous serrer la vis encore plus et en finir avec le soi-disant hédonisme des années 1960. Il est tout simplement grotesque de présenter le milieu des années 1960 comme une sorte d’âge d’or. Avant 1965, en France, une femme mariée ne pouvait même pas travailler ou ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son mari. A la veille de Mai 68, moins de la moitié des femmes avaient un emploi, les femmes de la classe ouvrière n’avaient pas accès à la contraception (qui ne fut remboursée par la Sécurité sociale qu’à partir de 1974), et l’avortement ne fut finalement dépénalisé qu’en janvier 1975. (Et le PCF de l’époque, sous la férule nataliste de Jeannette Vermeersch-Thorez, était loin d’être à l’avant-garde de la lutte pour les droits des femmes.) Ces acquis ont été arrachés grâce à la force de la grève générale : dans la foulée de celle-ci, les syndicats, renforcés, purent obtenir davantage pour l’ensemble de la classe ouvrière et des opprimés.

Mais la grève générale de Mai 68, où des travailleuses aussi se mobilisèrent en bataillons serrés pour réclamer l’égalité salariale, aurait pu être le premier acte du renversement du capitalisme français. Il manqua alors un parti révolutionnaire capable d’arracher les travailleurs à l’emprise de leurs dirigeants traîtres du PCF, qui à l’époque contrôlaient la CGT. Le PCF, qui n’avait aucune intention de laisser les travailleurs prendre eux-mêmes le pouvoir, trahit la grève générale en appelant les ouvriers à reprendre le travail tout en appelant de ses vœux un nouveau « gouvernement populaire » avec la SFIO (Parti socialiste) et les Radicaux de gauche, un parti bourgeois – le tout « sur un programme commun de gouvernement d’un contenu social avancé, garantissant les droits des syndicats et la satisfaction des revendications essentielles des travailleurs ». En réalité, seul un gouvernement ouvrier sous la direction d’un parti bolchévique, après avoir exproprié la bourgeoisie, pourra agir dans l’intérêt des travailleurs et de tous les opprimés.

La campagne actuelle de promotion des « valeurs familiales » et de frénésie puritaine, soutenue par la gauche et les directions traîtresses des syndicats, menace les acquis arrachés par les femmes au lendemain des puissantes luttes de 1968. Cela souligne à quel point tous les acquis des travailleurs, des femmes et des opprimés sont éminemment réversibles tant que subsiste le capitalisme. Pour la libération des femmes par la révolution socialiste !