Le Bolchévik nº 222 |
Décembre 2017 |
Il y a cinquante ans
Mai 67, massacre colonial raciste en Guadeloupe
2017 marque le cinquantième anniversaire de « Mé 67 » (Mai 67 en créole), le massacre de Guadeloupéens perpétré à Pointe-à-Pitre et alentours par l’Etat colonial français entre le 26 et le 28 mai 1967. La répression sauvage d’une manifestation d’ouvriers du bâtiment, sur fond d’oppression raciale et de montée du nationalisme radical, déboucha sur des scènes de chasse à l’homme racistes dans toute l’agglomération. Pendant près de vingt ans, le chiffre officiel des victimes tombées sous les balles et les coups des CRS et des gardes mobiles n’a été que de 8 morts. Puis, en mars 1985, un représentant du gouvernement Mitterrand a reconnu 87 morts. Depuis 50 ans, l’Etat français garde un voile de secret sur les morts dont il porte la responsabilité, comme pour les manifestants algériens assassinés par la police le 17 octobre 1961 à Paris.
La violence sauvage de la répression de Mai 67 en Guadeloupe s’explique par le caractère explosif des événements, où se conjuguaient une mobilisation ouvrière et la présence de militants nationalistes, avec le spectre pour la bourgeoisie d’un soulèvement qui chasserait l’impérialisme français. Cette répression reflétait la détermination de l’impérialisme français à s’accrocher aux derniers lambeaux de son empire colonial après les cuisantes défaites qu’il avait subies en Indochine et en Algérie des défaites qui avaient encouragé les mouvements de libération nationale partout dans le monde. Aux Antilles, le régime gaulliste de l’époque redoutait la « contagion » de la Révolution cubaine de 1959, qui avait notamment inspiré la création du GONG (Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe), une organisation maoïste/castriste de libération nationale. Le premier mort de Mai 67 sera justement un militant du GONG, Jacques Nestor, abattu par un sniper de la police.
Cinquante ans après Mai 67, l’impérialisme français continue de maintenir sous le joug colonial ses possessions « d’Outre-Mer », parce que ces territoires restent pour lui des bases d’influence internationale et des positions militaires stratégiques. Et en même temps, il multiplie les exactions néocoloniales au nom de la « guerre contre le terrorisme » en menant des expéditions militaires meurtrières au Sahel, en Syrie ou en Irak. Bases militaires, soldats, flics et juges français, hors de Guadeloupe et des autres colonies ! Troupes françaises, hors d’Afrique et du Proche-Orient !
Le colonialisme est une réalité quotidienne faite de négation des droits nationaux et culturels, de sous-développement, de discriminations et de mépris raciste, qui se reflète dans toutes les statistiques officielles. Selon l’INSEE, le taux de chômage est deux ou trois fois plus élevé dans les colonies qu’en « France métropolitaine ». En Guadeloupe le PIB par habitant est inférieur de plus d’un tiers à celui de l’Hexagone, alors même que les produits de consommation y sont beaucoup plus chers du fait des frais d’importation depuis la France et des marges exorbitantes de la grande distribution aux mains des békés, les descendants des planteurs blancs esclavagistes.
Les Guadeloupéens noirs ont des papiers français, mais dans les faits ils sont toujours des citoyens de deuxième catégorie. En 2016, la proportion des jeunes en grande difficulté de lecture atteignait 32 % en Guadeloupe, contre environ 10 % en France. C’est directement lié aux privilèges de la langue française dans l’éducation. L’article 2 de la Constitution de la Ve République stipule que « la langue de la République est le français » et qu’il n’existe donc en France qu’une langue officielle. Toutes les autres langues parlées dans la république « une et indivisible » sont de ce fait reléguées au mieux au statut de « langues régionales » (le basque, le corse, le catalan, le breton, l’alsacien, les différents créoles, etc.).
La population de la Guadeloupe parle en majorité deux langues, le français et le créole guadeloupéen, mais un enseignement complet est disponible uniquement en français. Le créole n’est intégré dans l’éducation nationale que depuis 2001, et uniquement dans les écoles disposant d’enseignants ayant fait la démarche de suivre une formation supplémentaire pour l’enseigner. Le créole est ainsi considéré comme une langue « étrangère », enseignée en option aux côtés d’autres langues vivantes comme l’anglais, l’espagnol ou l’allemand. Pour le droit des Guadeloupéens de recevoir un enseignement dans leur propre langue de la maternelle à l’université ! Aucun privilège pour le français !
Pour le droit à l’indépendance de la Guadeloupe !
La position des marxistes authentiques a toujours été de lutter pour la libération des nations et des peuples opprimés, un combat qui fait partie intégrante de la lutte révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat et qui peut servir de force motrice à cette lutte. Pour nous qui combattons ici dans le « ventre de la bête » impérialiste française, ce combat présente une urgence toute particulière, comme le soulignait la huitième des « 21 conditions » d’adhésion à l’Internationale communiste de Lénine et Trotsky adoptées en juillet 1920 :
« Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la 3e Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de “ses” impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux. »
Aussi, nous sommes en faveur de l’indépendance de toutes les colonies de l’impérialisme français. Cependant, nous prenons aussi en compte les sentiments ambivalents vis-à-vis de l’indépendance dans la population de la Guadeloupe : nous ne sommes pas pour la lui imposer si tel n’est pas son souhait. C’est pourquoi nous mettons en avant le droit à l’indépendance du peuple guadeloupéen, c’est-à-dire son droit de choisir lui-même s’il souhaite ou non se séparer de la France pour créer un Etat indépendant.
En Guadeloupe même, le cur de notre perspective est la lutte pour le pouvoir ouvrier. Le renversement du capitalisme dans l’île serait un puissant levain pour la lutte de classe dans toute les Caraïbes et au-delà, tout particulièrement en France où vivent des centaines de milliers de travailleurs originaires des Antilles. Si les travailleurs prenaient le pouvoir en France, ils accorderaient immédiatement l’indépendance à la Guadeloupe et aux autres colonies françaises, et ils leur enverraient une aide massive. A bas l’impérialisme français ! Pour une république ouvrière de Guadeloupe !
Pendant des années, la LTF a pourtant activement polémiqué contre l’indépendance de la Guadeloupe, avec l’argument que celle-ci ne pourrait conduire qu’à une plus grande misère des masses. Dans un article sur le massacre de 1967 publié en 1985, nous argumentions ainsi qu’« il n’y aura aucune véritable indépendance pour un Etat bourgeois guadeloupéen ou martiniquais, surtout dans le “lac américain” qu’est la Caraïbe », en ajoutant que « dans ces petites îles, dépourvues d’économie viable, c’est seulement la misère que les nationalistes peuvent offrir aux masses » (le Bolchévik n° 57, septembre 1985). Plus récemment, en 2009, nous écrivions :
« En France le devoir d’un parti révolutionnaire est de rallier la classe ouvrière aux côtés des Antillais en lutte, mais en Guadeloupe et en Martinique la tâche cruciale est de briser l’emprise de la fausse conscience nationaliste. Sous l’impérialisme les nations ne sont pas égales et une Guadeloupe indépendante capitaliste, dont nous défendons le droit à l’existence, ne peut que rabaisser encore plus le niveau de vie des pauvres. »
le Bolchévik n° 187, mars 2009
Nous répudions cette ligne chauvine que l’impérialisme français serait au fond bénéfique (ou d’une façon ou d’une autre représenterait un moindre mal) pour les peuples qu’il continue à coloniser, et que l’aspiration à la libération nationale de ces peuples serait une « fausse conscience » qu’il faudrait briser.
Comme nous l’expliquons dans le dernier numéro de Spartacist (édition française, n° 43), qui tire le bilan de la bataille menée lors de la Septième Conférence internationale de la LCI contre un pervertissement de longue date du léninisme sur la question nationale au sein de notre parti et dans notre propagande, avec ces arguments la LTF présentait « la libération de la Guadeloupe et de la Martinique comme étant dépendante du mouvement ouvrier français, le prolétariat local n’ayant soi-disant pas les forces par lui-même pour lutter pour sa libération ».
Ce genre d’argumentaire anti-indépendantiste pseudo-marxiste est en fait le produit d’une histoire aussi longue que celle du colonialisme impérialiste français et du mouvement ouvrier de ce pays. Dans l’Humanité d’avant-guerre, dirigée par Jean Jaurès, un congénère de ce dernier, René Viviani, pouvait écrire de l’Algérie française que « j’ai toujours pensé que la pénétration [sic] de ce peuple était le devoir de la France » et que « la conduire dans cette voie » (du développement colonial) « c’est vraiment une uvre de noblesse qui est faite pour tenter les meilleurs » (29 juin 1904).
L’Internationale communiste mena une lutte acharnée contre les préjugés coloniaux qui continuaient d’infecter le jeune Parti communiste. Trotsky fit ainsi le rapport principal sur la question française au Quatrième Congrès de l’Internationale communiste (en 1922), où il dénonça longuement une résolution de la section de Sidi-bel-Abbès du PC en Algérie, qui disait notamment : « Un soulèvement victorieux des masses musulmanes d’Algérie qui ne serait pas postérieur à un même soulèvement victorieux des masses prolétariennes de la Métropole amènerait fatalement en Algérie un retour vers un régime voisin de la féodalité, ce qui ne peut être le but d’une action communiste. » Trotsky répondit à cela : « Quant à nous, nous ne pouvons pas tolérer deux heures ni deux minutes des camarades qui ont une mentalité de possesseurs d’esclaves et qui souhaitent que Poincaré [le chef du gouvernement français] les maintienne dans les bienfaits de la civilisation capitaliste ! »
Mé 67 : massacre et répression coloniale
Au début des années 1960, la Guadeloupe est marquée par une grave crise économique. L’industrie de la canne à sucre s’écroule (du fait de l’essor de la betterave à sucre moins chère), les plantations de banane démarrent seulement, et le tourisme est encore limité. Du fait de l’économie de dépendance imposée à ses colonies par la France, les produits importés en Guadeloupe coûtent 50 % plus cher qu’en métropole, ce qui pèse lourdement sur le niveau de vie de la population. Et, comme les autres îles de la région caribéenne, la Guadeloupe a été très fortement touchée par le cyclone Inès de septembre 1966 : 33 morts, des centaines de blessés et 15 000 sans-abri. La moitié des cultures de canne et 100 % des bananeraies ont été détruites, 25 000 ouvriers sont au chômage.
Les ouvriers agricoles licenciés des usines sucrières en faillite grossissent les rangs des ouvriers du bâtiment, un secteur en plein boom. A Pointe-à-Pitre, le maire PCG (Parti communiste guadeloupéen) Henri Bangou a ainsi lancé un chantier de construction de HLM pour commencer à remplacer les milliers de cases dans lesquelles vit une bonne partie de la population. Les conditions de travail imposées par les patrons békés ou métropolitains sont dures, les salaires misérables.
La grève de Mai 67 se déroule dans un contexte de tensions raciales exacerbées par l’affaire Srnsky. Le 20 mars 1967, donc à peine deux mois auparavant, un certain Vladimir Srnsky, propriétaire d’un magasin de chaussures à Basse-Terre, avait lancé son chien sur Raphaël Balzinc, un cordonnier noir handicapé qui avait son établi sur le trottoir d’en face, tout en proférant des insultes racistes. (Srnsky, agent gaulliste notoire, avait aussi contribué à la fraude aux élections législatives de mars en achetant des voix avec l’argent officiellement débloqué suite au cyclone Inès.) Cela rappelait trop la chasse aux esclaves fugitifs, et il y eut deux jours de révolte dans la ville. Le magasin de Srnsky à Pointe-à-Pitre fut la cible d’un engin explosif, la mairie PCG intervenant pour rétablir le calme, et Srnsky dut fuir aux Etats-Unis.
Deux mois plus tard, le 24 mai, les ouvriers du bâtiment de Pointe-à-Pitre se mettent en grève pour les salaires. Une négociation se déroule à la chambre de commerce sur la place de la Victoire, la place principale de Pointe-à-Pitre. Les patrons du bâtiment, tous blancs, ne lâchent rien. 1 000 à 2 000 personnes sont rassemblées le 26 mai pour manifester leur solidarité avec les ouvriers devant la chambre de commerce.
Soudain, la rumeur se répand qu’un dirigeant patronal aurait déclaré : « Quand les n auront faim, ils retourneront au travail. » C’est l’étincelle qui fait exploser la colère. Les premiers projectiles (des pierres et des conques de lambis, de gros coquillages ramassés près du port) pleuvent sur les CRS et les gardes mobiles postés aux alentours. Les flics ripostent immédiatement en tirant sur la foule. Jacques Nestor tombe. Il a été visé spécialement par un sniper de la police posté sur une terrasse à côté du commissariat de police. Aux côtés du sniper se trouve le commissaire Canalès, chef de la police de Pointe-à-Pitre. Deux autres manifestants sont assassinés dans la foulée : Ary Pincemalle (une balle en pleine tête) et Georges Zadingues Gougougnan. Face à ces atrocités commises par les chiens de garde du capitalisme français, Pointe-à-Pitre se révolte. Des armureries sont pillées. Des jeunes descendent dans la rue et commencent à affronter les forces de répression.
Pierre Bolotte, préfet de Guadeloupe (il avait été l’un des organisateurs de la bataille d’Alger), organise la répression avec Jacques Foccart, éminence grise de De Gaulle. Foccart, lui-même de mère béké et de père planteur de Guadeloupe, est la cheville ouvrière de la « Françafrique ». Bolotte déploie deux escadrons de gardes mobiles, les « képis rouges ». C’est le début d’une série de rafles qui vont se transformer en véritable chasse aux Noirs.
Dans la soirée du 26, les flics et les gardes mobiles entreprennent de « nettoyer » méthodiquement la ville, quartier par quartier. Comme le racontent les journalistes Xavier-Marie Bonnot et François-Xavier Guillerm dans leur livre le Sang des Nègres, « entre chien et loup, toute personne se trouvant dans la rue devient une cible potentielle pour les militaires ». Camille Tarret, père de deux enfants, est ainsi pourchassé par les gardes mobiles, coincé dans une petite allée et froidement assassiné. Lors de la veillée funéraire organisée le soir même à son domicile, les « képis rouges » mitraillent la maison et tuent Gilles Landre, qui était venu rendre hommage à son ami d’enfance. Au soir du vendredi 26 mai, les hôpitaux se remplissent de blessés.
La répression vise aussi les militants politiques qui sont dans le collimateur du pouvoir colonial, comme Paul Tomiche, dirigeant syndical récemment exclu du comité central du Parti communiste. Il se rendra à la police le 14 juin et fera dix mois de prison.
Le samedi 27, un millier de lycéens défilent en direction de la sous-préfecture de Pointe-à-Pitre pour protester contre les atrocités de la veille. Ils sont repoussés violemment par les CRS et un autre homme, Olivier Tidas, trouve la mort. La répression se poursuit dans les casernes et les commissariats.
A l’issue des trois jours de Mai 67, les patrons cèdent sur les revendications des ouvriers du bâtiment, qui obtiennent une hausse de salaire de 25 %. Mais l’Etat poursuit sa répression. Après avoir écrasé dans le sang la révolte des Guadeloupéens, il attaque ensuite le GONG et d’autres militants anticolonialistes comme Tomiche, qu’il accuse d’être les instigateurs des émeutes de mai, et également de celles de mars à Basse-Terre.
Le PCG justifie la chasse aux sorcières contre le GONG
De son côté, le PCG dénonce les manifestations contre l’oppression coloniale. Dans un courrier interne adressé au PCF, il dénonce ainsi « une action subversive avec usage de violence et de terrorisme du plus pur style gardes rouges » (Bonnot et Guillerm, op. cit.). En France, le PCF publie deux mois plus tard une interview de Bangou, qui déclare : « A la faveur de ces événements, certains politiciens ou groupements gauchistes qui ont effectivement voulu créer un mouvement anti-blanc profitent de la présence dans les rues d’une foule de jeunes sans travail [ .]. D’où l’utilisation politique et policière des groupements gauchistes pour atteindre notre Parti » (l’Humanité, 27 juillet 1967).
En France, dans la décennie qui suivit la scission avec les sociaux-chauvins au Congrès de Tours en 1920, le Parti communiste avait mis en application la perspective anticoloniale de la « Huitième condition », notamment en prenant fait et cause pour les Marocains qui s’étaient insurgés contre l’Espagne puis contre la France pendant la guerre du Rif.
Mais, en 1935, le PCF se rallia à la « défense nationale » de l’impérialisme français à l’occasion du pacte Laval-Staline. Devenu réformiste, le PC stalinisé abandonna du même coup sa lutte pour la libération des colonies de « sa » bourgeoisie. Il commença à revendiquer des « réformes » du statut colonial et à s’opposer aux luttes de libération nationale des peuples asservis par la « France démocratique », en allant parfois jusqu’à soutenir activement la répression coloniale. Ainsi, le PCF dénonça les Algériens massacrés le 8 mai 1945 à Sétif par l’armée française, les traitant de « tueurs hitlériens », tandis que les ministres « communistes » du gouvernement de Gaulle se solidarisaient avec une répression qui fit des milliers de morts.
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la fédération guadeloupéenne du PCF avait, elle aussi, une ligne ouvertement favorable à « l’assimilation » avec la France. Elle avait cependant une implantation dans la classe ouvrière et dirigea des luttes importantes dans les champs de canne à sucre et les usines sucrières. Avec les luttes anticoloniales qui secouèrent le tiers-monde durant les années 1950 et 1960 et devant l’évidence du maintien de la réalité coloniale malgré la « départementalisation » (qu’elle avait soutenue), la fédération guadeloupéenne se sépara du PCF en 1958 pour devenir le Parti communiste guadeloupéen et commença à revendiquer « l’autonomie » pour le peuple guadeloupéen mais toujours dans le cadre de la république française « une et indivisible ». Par ailleurs, le PCG continua la collaboration de classe avec le pouvoir d’Etat colonial, notamment au niveau des municipalités. En 1967, il gérait ainsi les mairies des deux principales villes du pays, Pointe-à-Pitre (Henri Bangou) et Basse-Terre (Gerty Archimède).
L’ombre de la Révolution cubaine
Les années 1960 marquent un recul de l’impérialisme français et l’écroulement de son empire colonial. En 1960, la quasi-totalité des colonies françaises en Afrique ont obtenu leur indépendance nationale (les Comores suivront en 1975 et Djibouti en 1977). Le point d’orgue de cette décolonisation est la défaite de l’armée française en Algérie et l’indépendance du pays en 1962. Huit ans après l’écrasement de l’élite de ses parachutistes à Dien Bien Phu par les soldats du général Giap, c’est une nouvelle défaite humiliante pour l’impérialisme français qui, encore aujourd’hui, lui reste en travers de la gorge. Ces défaites de l’impérialisme français vont encourager les mouvements de libération nationale partout dans le monde.
La Révolution cubaine de 1959 est un autre facteur. Avec l’expropriation de la bourgeoisie cubaine et des entreprises impérialistes, elle aboutit à la consolidation d’un Etat ouvrier déformé. Cette révolution sociale a apporté au peuple cubain des acquis qui restent aujourd’hui encore inégalés dans le reste des Caraïbes, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation. En tant que trotskystes, nous défendons militairement de façon inconditionnelle l’Etat ouvrier cubain contre toute tentative de contre-révolution capitaliste, qu’elle vienne de l’extérieur ou de l’intérieur, tout en luttant pour une révolution politique prolétarienne contre la bureaucratie stalinienne castriste.
Dans les années 1960, cette révolution sociale en plein milieu des Antilles inspire la création du GONG. Elle a un énorme impact dans la gauche guadeloupéenne, PCG compris, ce qui aggrave la répression contre elle par l’Etat colonial. En 1966, les délégués du PCG à la « Conférence tricontinentale » organisée par le régime castriste votent ainsi une résolution incluant la Guadeloupe dans la liste des « peuples qui luttent pour se libérer du joug colonial traditionnel » ; ils seront bien vite désavoués par leur direction.
Le GONG, fondé en 1963 en opposition au programme assimilationniste puis « autonomiste » du PCG, reprend pourtant le programme de révolution par étapes menchévique-stalinien basé sur la collaboration de classes. Il déclare ainsi que son rôle historique est de « conduire le peuple guadeloupéen à la révolution nationale démocratique dans une 1ère étape, au socialisme dans une 2ème étape » (GONG Information Numéro spécial, janvier-février 1967). L’histoire a pourtant invariablement montré, notamment lors de la révolution chinoise de 1925-1927, ce que ce schéma veut dire : la bourgeoisie nationale prend le pouvoir dans la première étape, et dans la deuxième elle massacre les ouvriers qui se sont subordonnés à elle et l’ont portée au pouvoir.
Répression antisyndicale et anti-indépendantiste
L’esclavage a été aboli en 1848, mais la société guadeloupéenne est restée divisée en classes et en races, avec à ses deux pôles deux classes principales : d’un côté les békés et blancs pays, propriétaires des terres et des sucreries ou négociants, de l’autre les ouvriers agricoles attachés à la terre et les ouvriers d’usine à sucre, essentiellement noirs.Les grèves avaient toujours lieu en janvier ou février, à l’ouverture de la récolte sucrière. Il y eut notamment une grève générale en février 1910, qui fut réprimée dans le sang. La répression fit de nombreux morts aussi en février 1925 et en février 1952.
Aujourd’hui, l’économie de l’île est surtout basée sur les services (tourisme, fonction publique). La classe ouvrière est petite mais toujours capable de paralyser l’île, comme durant la grève générale de 2009 qui a duré 44 jours. Les capitalistes n’ont jamais digéré le fait qu’ils ont dû reculer sous la pression de cette puissante grève qui, n’était le chauvinisme des directions syndicales françaises, avait le potentiel pour s’étendre jusqu’à l’Hexagone. Gérard Bauvert, secrétaire du Comité international contre la répression (CICR), a calculé que « depuis 2009 et les grandes grèves du LKP [ ], plus de 100 syndicalistes, de l’UGTG majoritairement, sont en procès au pénal », en faisant remarquer qu’à l’échelle de la population, ce chiffre équivaudrait en France à « 15 000 syndicalistes poursuivis au pénal » (l’Humanité, 31 mai) ! Etat colonial raciste français, bas les pattes devant Elie Domota et tous les autres syndicalistes antillais ! Levée immédiate des poursuites !
Elie Domota est aujourd’hui encore poursuivi pour « violences en réunion ». En fait, il est persécuté parce qu’il a été l’un des principaux dirigeants de la grève de 2009, en tant que secrétaire général de l’UGTG (Union générale des travailleurs de Guadeloupe) et leader du LKP (Liyannaj kont pwofitasyon) ; et de plus il est connu comme indépendantiste et il lutte depuis des années pour faire toute la lumière sur le massacre de 1967.
Bien que le mouvement indépendantiste soit minoritaire en Guadeloupe, l’Etat colonial rançais a toujours réprimé férocement qui pourrait remettre en cause son empire colonial, que ce soit les militants indépendantistes antillais du GONG après Mai 67 ou plus récemment les militants du LKP comme Domota. Celui-ci a comparu devant le tribunal de Pointe-à-Pitre en mai puis en juillet 2017 ; l’audience a été reportée une première fois, puis une deuxième à mars 2018. A l’origine des poursuites, l’actuel président du Medef local, Bruno Blandin, un capitaliste blanc. Derrière les conflits de classe surgit bien vite aux Antilles la question de l’oppression raciale. Concernant les békés, la question est de les exproprier, et cela exige le renversement révolutionnaire du capitalisme.
Pour la révolution permanente ! Pour un parti léniniste-trotskyste en Guadeloupe !
Notre perspective pour la Guadeloupe est celle de la révolution permanente de Trotsky, qui est ainsi résumée dans le Programme de transition (1938) :
« Les pays coloniaux et semi-coloniaux sont, par leur nature même, des pays arriérés. Mais ces pays arriérés vivent dans les conditions de la domination mondiale de l’impérialisme. C’est pourquoi leur développement a un caractère combiné : il réunit en lui les formes économiques les plus primitives et le dernier mot de la technique et de la civilisation capitalistes. C’est ce qui détermine la politique du prolétariat des pays arriérés : il est contraint de combiner la lutte pour les tâches les plus élémentaires de l’indépendance nationale et de la démocratie bourgeoise avec la lutte socialiste contre l’impérialisme mondial. Dans cette lutte, les mots d’ordre démocratiques, les revendications transitoires et les tâches de la révolution socialiste ne sont pas séparés en époques historiques distinctes, mais découlent immédiatement les uns des autres. »
C’est pourquoi nous, marxistes, soutenons les luttes contre le pouvoir colonial et pour l’indépendance, y compris quand elles sont dirigées par des forces nationalistes petites-bourgeoises et bourgeoises, tout en nous battant pour une direction prolétarienne.
En Guadeloupe, en Martinique comme dans les autres colonies françaises, il faut construire des partis léninistes-trotskystes, tribuns du peuple et des opprimés, avec un programme prolétarien internationaliste. Notre perspective est l’instauration du pouvoir ouvrier. Pour une Quatrième Internationale reforgée !