Le Bolchévik nº 222 |
Décembre 2017 |
Esclavagisme aux Antilles et essor du capitalisme français
La France s’empara de la Guadeloupe en 1635. Après avoir exterminé les habitants autochtones caraïbes dans ce territoire et dans ses autres possessions antillaises (la Martinique mais aussi Saint-Domingue, qui deviendra plus tard la république noire d’Haïti), elle mit en place à la fin du XVIIe siècle une économie de plantation esclavagiste essentiellement basée sur la canne à sucre et le café.
En France comme dans les autres puissances européennes qui se disputaient la possession des « îles à sucre » des Antilles, ce système colonial joua un rôle décisif dans la première phase de développement du capitalisme. Marx a décrit ce processus dans le chapitre du Capital (1867) consacré à « La genèse du capitalisme industriel » :
« Le régime colonial donna un grand essor à la navigation et au commerce. Il enfanta les sociétés mercantiles, dotées par les gouvernements de monopoles et de privilèges et servant de puissants leviers à la concentration des capitaux. Il assurait des débouchés aux manufactures naissantes, dont la facilité d’accumulation redoubla, grâce au monopole du marché colonial. Les trésors directement extorqués hors de l’Europe par le travail forcé des indigènes réduits en esclavage, par la concussion, le pillage et le meurtre refluaient à la mère patrie pour y fonctionner comme capital. »
Résumant le rôle du colonialisme dans l’« accumulation primitive » du capital, Marx écrit que le capital est arrivé au monde « suant le sang et la boue par tous les pores ».
En France, la monarchie absolutiste, qui reposait sur l’alliance de la haute aristocratie féodale et de la grande bourgeoisie commerçante, joua un rôle décisif dans la mise en place et l’organisation du système colonial aux Antilles (et à la Réunion). Ce fut en particulier l’uvre de Colbert, ministre de Louis XIV et promoteur de cette bourgeoisie mercantile montante qui se constitua notamment avec la traite négrière : Colbert fit rédiger l’infâme « Code noir » fixant le cadre juridique de l’esclavage dans les colonies.
La Révolution française s’accompagna à Saint-Domingue d’une insurrection des esclaves pour leur liberté. Pour garder le contrôle de ses colonies, la Convention décida le 4 février 1794 l’abolition de l’esclavage. Elle envoya en Guadeloupe le commissaire Victor Hugues reprendre l’île occupée par les Anglais. L’abolition de l’esclavage permit de recruter de nombreux Noirs au sein de l’armée révolutionnaire, ce qui fut décisif pour combattre les Anglais et les planteurs blancs qui s’étaient alliés avec eux (les planteurs martiniquais réussirent à préserver l’esclavage en livrant leur île à l’Angleterre).
En 1802, Bonaparte voulut rétablir l’esclavage en Guadeloupe et à Saint-Domingue. Il envoya une armada et 60 000 hommes pour écraser la lutte des ex-esclaves noirs d’Haïti dirigés par Toussaint Louverture mais ceux-ci l’emportèrent et arrachèrent l’indépendance.
En Guadeloupe, le général Richepanse débarqua en mai 1802 avec 3 500 soldats. Deux officiers mulâtres, Louis Delgrès et Joseph Ignace, menèrent une résistance héroïque, soulevant une partie de la population noire contre le rétablissement de l’esclavage, mais ils furent finalement vaincus. Ignace fut abattu aux alentours de Pointe-à-Pitre (675 hommes moururent avec lui, 250 autres furent exécutés après avoir été faits prisonniers). Delgrès se suicida en compagnie de 400 de ses hommes afin de ne pas être capturé, fidèle à la devise révolutionnaire « Vivre libre ou mourir ».
L’esclavage fut finalement aboli dans la foulée de la révolution de 1848, mais la lutte de Delgrès et d’Ignace reste encore aujourd’hui un symbole pour les Guadeloupéens et les opposants à l’esclavage. Les ouvriers au pouvoir renommeront nombre de « lycée Colbert » en leur mémoire. Honneur à ces glorieux martyrs !