Le Bolchévik nº 221 |
septembre 2017 |
Etats-Unis : Les tueurs fascistes ont frappé à Charlottesville
Pour des mobilisations ouvrières et noires pour stopper les fascistes !
Nous reproduisons ci-après une déclaration du Bureau politique de la Spartacist League/U.S. datée du 17 août.
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Le week-end dernier, des bandes fascistes armées de fusils d’assaut, de bâtons et de coups de poing américains ont déferlé sur Charlottesville, en Virginie, brandissant le drapeau des confédérés esclavagistes, et des croix gammées nazies. Ils étaient venus verser le sang, et c’est ce qu’ils ont fait. Heather Heyer, 32 ans, était venue manifester contre ces terroristes racistes ; elle a été assassinée par un adorateur des nazis qui a foncé à vive allure avec sa voiture dans un groupe d’antifascistes. Dix-neuf des nombreux autres manifestants touchés ont été hospitalisés, certains avec des blessures graves. Deandre Harris, un chanteur de hip-hop noir, a eu le crâne ouvert après avoir été tabassé à coups de bâton par une bande de nervis fascistes. La nuit précédente, plusieurs centaines de suprémacistes blancs avaient défilé avec des torches enflammées sur le campus de l’Université de Virginie en criant : « Vous ne prendrez pas notre place », « Les Juifs ne prendront pas notre place » et « Le sang et le sol », un slogan nazi. Ils ont ensuite encerclé et roué de coups un petit groupe de jeunes manifestants qui scandaient « Les vies des Noirs comptent ».
Les fascistes sont les troupes de choc pour un génocide raciste la création d’une Amérique totalement blanche où les Noirs, les immigrés, les Juifs, les musulmans et autres minorités n’existeraient pas. Ce programme a été tracé dans le sang à Charlottesville. L’aspirant führer Richard Spencer se vante d’avoir remporté « une victoire morale en termes de démonstration de force ». Matthew Heimbach, chef du Parti ouvrier traditionaliste dont les nervis ont poignardé et attaqué à coups de rasoir et de bâton des manifestants antifascistes à Sacramento en juin dernier déclare en jubilant : « Nous avons atteint tous nos objectifs. » Enhardies, ces bandes de terroristes racistes sont en train de mobiliser pour leurs prochaines provocations dans plusieurs villes aux quatre coins du pays, de Boston à la baie de San Francisco.
Les armes à feu que les fascistes brandissaient à Charlottesville visent tous les Noirs, tous les Latino-Américains, tous les syndicalistes, tous les militants de gauche et tous ceux qu’ils considèrent comme des ennemis de leur croisade pour une Amérique « racialement pure ». Depuis l’élection de Trump, les meurtres, agressions et provocations racistes se multiplient. Le but ultime des fascistes, c’est de détruire le mouvement ouvrier, y compris les syndicats et la gauche. Ce n’est pas un hasard si un nud coulant est apparu à deux reprises sur les docks d’Oakland en mai dernier une menace mortelle visant de façon calculée les dockers, qui sont en majorité noirs. Les dockers du syndicat ILWU ont cessé le travail pour protester contre la corde à lyncher, donnant ainsi un avant-goût de la puissance sociale qu’il faut mobiliser pour écraser les fascistes.
La colère contre les fascistes doit trouver une expression organisée : une mobilisation disciplinée, combative et militaire de la puissance sociale de la classe ouvrière multiraciale. C’est cette puissance sociale que craignent et que haïssent les patrons, leurs lieutenants ouvriers de la bureaucratie syndicale aux ordres et les politiciens capitalistes, quels que soient leur sexe et leur couleur de peau. La classe ouvrière a la puissance et l’intérêt objectif nécessaires non seulement pour stopper les fascistes, mais aussi pour renverser le système capitaliste tout entier qui engendre cette vermine. C’est pourquoi les patrons gardent les tueurs fascistes en réserve, pour leur lâcher la bride lorsque l’ordre social capitaliste sera menacé par un prolétariat en révolte.
Les politiciens, qu’ils soient républicains ou démocrates, essaient maintenant de désamorcer la colère provoquée par ce qui s’est passé à Charlottesville en condamnant cyniquement l’idéologie de la suprématie blanche et la haine raciale. Méfiez-vous des larmes de crocodile de vos exploiteurs et oppresseurs ! Leur système capitaliste est tout entier basé sur l’oppression raciale, l’exploitation de plus en plus brutale des travailleurs, le chômage, la pauvreté et la famine, ainsi que le massacre de millions de personnes partout sur la planète.
Les médias bourgeois qui pestent contre les « extrémistes » antifa, parce qu’ils essaient de stopper les fascistes, font aujourd’hui des discours ronflants sur la façon grotesque dont Trump a justifié les exactions des tueurs racistes. Que Trump soit un raciste forcené qui choie et encourage les fascistes, ce n’est pas exactement un scoop. Et les autres représentants du pouvoir impérialiste américain qui aujourd’hui condamnent les fascistes ? L’ancien président démocrate Bill Clinton s’est très vite exprimé avec un tweet dénonçant « la haine, la violence et l’idéologie de la suprématie blanche » à Charlottesville. Et cela venant d’un homme qui était arrivé à la présidence en mettant un point d’honneur à assister à l’exécution d’un handicapé mental noir, et qui, une fois au pouvoir, a probablement fait davantage pour enfoncer les travailleurs noirs et les pauvres que tous les autres présidents depuis la Deuxième Guerre mondiale. L’hypocrisie monstre des politiciens sert à dissimuler la nature intrinsèquement raciste de l’Amérique capitaliste.
Le gouverneur démocrate de Virginie, Terry McAuliffe, est monté en chaire dans une église noire de Charlottesville pour demander aux fascistes de « rentrer chez eux », en s’exclamant : « Vous n’êtes pas les bienvenus dans notre magnifique communauté. » En fait, la Virginie était le berceau de l’esclavage américain et le siège de la Confédération [l’union des Etats esclavagistes du Sud pendant la Guerre civile américaine, dite guerre de Sécession]. Il a fallu une guerre civile sanglante, à laquelle ont participé 200 000 soldats noirs, le fusil à la main, pour briser les chaînes de l’esclavage des Noirs. Mais la promesse de libération des Noirs fut très vite trahie par la bourgeoisie nordiste, qui s’allia aux classes possédantes sudistes contre les aspirations des Noirs affranchis. Tout comme les terroristes du Ku Klux Klan qui apparurent pour réprimer les esclaves nouvellement libérés, les bandes fascistes d’aujourd’hui cherchent à inverser le verdict de la Guerre civile.
Barack Obama, sous le règne duquel ont fleuri le chômage, la pauvreté et la terreur policière permanente contre les Noirs, prêche aujourd’hui de façon obscène qu’« on peut apprendre à aimer » aux tueurs fascistes. Cette idée stupide et au bout du compte suicidaire se retrouve chez les pasteurs et les libéraux noirs, de la NAACP (Association nationale pour l’avancement des personnes de couleur) jusqu’au Southern Poverty Law Center (Centre d’aide juridique aux pauvres du Sud) qui argumente que « tout acte de haine doit recevoir pour réponse un acte d’amour et d’unité ». L’ISO (Organisation socialiste internationale) et les DSA (Socialistes démocrates d’Amérique), dont plusieurs sympathisants ont été blessés à Charlottesville, joignent leur voix à ce chur « de l’unité et de l’amour ».
Début juin, l’ISO et les DSA ont appelé à un rassemblement sous le mot d’ordre « Portland uni contre la haine » en réponse à une mobilisation fasciste organisée à la suite du meurtre de deux hommes ; ceux-ci étaient intervenus pour arrêter une agression raciste contre deux jeunes femmes une Noire et une musulmane par un suprémaciste blanc. Pendant qu’une milice de nervis brandissant des armes à feu se mobilisait pour défendre les fascistes et applaudissait les attaques policières contre les militants antifa aux cris de « Les vies en bleu [la couleur de l’uniforme des flics] comptent », ceux qui étaient du côté du rassemblement ISO/DSA scandaient « Nous sommes des gentils en colère ». Un appel a été lancé pour un « Rassemblement de la baie de San Francisco contre la haine » dans le centre de Berkeley, à plusieurs pâtés de maisons du rassemblement fasciste du 27 août. Présenté comme une fête de la non-violence et de la solidarité contre les suprémacistes blancs qui « essaient de nous intimider et d’inciter à la violence », ce rassemblement se veut une occasion « de parler entre nous du monde que nous voulons ».
On aura beau chanter et se tenir par la main au nom de la non-violence, ce n’est pas ainsi qu’on arrêtera les terroristes fascistes, des racistes violents. Ce genre d’action renforce le mensonge que la terreur raciste serait incompatible avec « les valeurs américaines » ; cela sert à canaliser la colère contre les assassins fascistes vers un soutien aux démocrates « plus gentils et plus aimables ». Le maire démocrate de Berkeley promet d’envisager « tous les moyens légaux » pour faire interdire le rassemblement des fascistes. De l’autre côté de la baie, à San Francisco, le maire démocrate Ed Lee et les dirigeantes du Parti démocrate au Congrès Nancy Pelosi et Dianne Feinstein demandent au gouvernement fédéral d’interdire un rassemblement organisé par Patriot Prayer (Prière patriote), le même groupe qui avait organisé la provocation fasciste de Portland au mois de juin.
Ne gobez pas le bobard que l’Etat capitaliste vous protégera des fascistes ! Ses flics sont les principaux auteurs des violences envers les Noirs et les opprimés dans cette société. Les interdictions visant les fascistes décrétées par l’Etat peuvent être utilisées et sont utilisées contre la gauche et contre tous ceux qui sont considérés comme des opposants à l’Etat capitaliste, à ses flics, à ses tribunaux, à ses prisons et à son armée. Et méfiez-vous de ces libéraux perfides du genre ACLU (Association américaine pour les droits civiques) qui, au nom de la « liberté d’expression », défendent le droit des fascistes à organiser des rassemblements pour le génocide. Le fascisme, ce n’est pas des paroles, mais la terreur raciste ! Toute victoire remportée par les fascistes devant les tribunaux au nom de la « liberté d’expression » ne fera qu’aiguiser leur appétit de violence.
Les confrontations menées par de petits groupes de militants antifascistes ne stopperont pas non plus les bandes fascistes. Même si les antifas ont montré dans l’action un réel courage et une réelle détermination, leur ligne politique n’est que le visage « combat de rue » du libéralisme et de la persuasion morale. C’est difficile à croire, mais beaucoup d’entre eux disent maintenant que Charlottesville était une victoire ! Le site web anarchiste It’s Going Down fanfaronne que « les anarchistes et les antifascistes étaient venus à Charlottesville pour mettre fin à un rassemblement nazi, et ils l’ont fait ». En réalité, les nazis ont réussi à se rassembler la nuit de vendredi, jetant ainsi les bases du carnage de samedi, y compris le meurtre de Heather Heyer. Ce jour-là, il a été mis fin au rassemblement des fascistes seulement après que McAuliffe eut proclamé l’état d’urgence, envoyé la Garde nationale et ordonné aux flics, qui avaient laissé les fascistes perpétrer en toute impunité leurs agressions meurtrières contre les manifestants, de boucler le site du rassemblement « Unir la droite ». Cela n’a en rien endigué la violence et les exactions sanglantes des fascistes.
Ce qu’il faut, c’est mobiliser la haine de classe de la classe ouvrière multiraciale. Se plaçant à la tête de toutes les victimes désignées de la terreur fasciste, la classe ouvrière a la puissance nécessaire pour chasser ces nervis et ces tueurs racistes des rues. L’idée que le mouvement syndical pourrait utiliser sa force pour se défendre et aussi pour défendre la masse croissante des déshérités apparaîtra certainement comme totalement utopique à beaucoup de gens. La responsabilité de cet état de choses incombe essentiellement aux dirigeants traîtres des syndicats qui, depuis des décennies, laissent tailler en pièces les syndicats tout en fermant les yeux sur les attaques croissantes contre les Noirs, les immigrés, les pauvres et les opprimés.
La passivité des bureaucrates syndicaux face aux attaques de la bourgeoisie découle de leur allégeance au capitalisme américain et à ses partis politiques, en particulier le parti du « moindre mal » le Parti démocrate. La seule « action » qu’ait menée la direction de l’AFL-CIO en réponse à Charlottesville a été la démission de son président, Richard Trumka, de son siège au Conseil sur l’industrie manufacturière mis en place par Trump, où il siégeait avec plusieurs des plus riches PDG du capitalisme américain ! Apparemment décidé à montrer à quel point les bureaucrates syndicaux sont vraiment en dessous de tout, Trumka s’est décidé à faire ce geste totalement sans importance après que plusieurs PDG lui eurent fait honte en démissionnant avant lui.
Mais il y a à Charlottesville des bataillons syndicaux qui auraient pu être mobilisés, que ce soient les ouvriers des chantiers navals de Norfolk ou les dockers des ports du Sud. Leur puissance sociale provient du fait que leur travail est essentiel au fonctionnement et aux profits du capitalisme américain. Du fait que les membres de ces syndicats sont majoritairement noirs, cela aurait pu constituer un lien capital pour mobiliser les masses noires derrière la puissance de la classe ouvrière dans la lutte contre les fascistes.
Comme nous l’écrivions dans notre article « Les fascistes de la ‘‘droite alternative’’ : troupes de choc pour un génocide raciste », Workers Vanguard n° 1115, 28 juillet), avant Charlottesville :
« La classe ouvrière peut et doit être organisée pour écraser les fascistes. Elle a le potentiel pour de telles actions, comme l’ont montré, d’une manière limitée mais réelle, les mobilisations ouvrières/noires organisées à l’initiative de la Spartacist League et du Partisan Defense Committee pour stopper les provocations du Ku Klux Klan et des nazis dans plusieurs villes dans les années 1970, 1980 et 1990. En utilisant leur force dans des mobilisations massives et multiraciales contre les fascistes, les ouvriers prendront conscience de leur puissance en tant que classe. Ce qu’il faut, c’est construire un parti ouvrier révolutionnaire qui utilisera cette puissance pour finalement réaliser la promesse de la libération des Noirs et émanciper tous les exploités et opprimés. Il faudra rien moins qu’une troisième révolution américaine, une révolution socialiste, pour briser les chaînes de la domination capitaliste raciste et en finir pour de bon avec les bandes fascistes. Pour des actions ouvrières et noires pour arrêter les fascistes ! »