Le Bolchévik nº 220

Juin 2017

 

LO, Voz Obrera et la Catalogne

Comme nous l’expliquons dans notre article ci-dessous, la nation basque et la nation catalane existent au Sud et au Nord des Pyrénées. Au Nord, l’Etat français chauvin les maintient opprimées en leur niant tous droits nationaux. Si les Basques ou les Catalans au Sud obtenaient leur indépendance de l’Espagne, cela inciterait fortement leurs compatriotes du côté Nord à les rejoindre. Nous revendiquons le droit d’autodétermination des provinces Nord du Pays basque et de la Catalogne, c’est-à-dire leur droit à se séparer de la France. Pour l’indépendance de la Catalogne et du Pays basque ! Pour des républiques ouvrières !

Lutte ouvrière et sa filiale espagnole Voz Obrera (VO), au contraire, ont dénigré le référendum du 9 novembre 2014 où les Catalans du Sud ont, à près de 90 %, voté pour l’indépendance, disant (Lutte Ouvrière, 14 novembre 2014) qu’« il se transforme en un piège destiné à freiner et détourner la réaction populaire contre les économies budgétaires, les licenciements, le chômage, etc. […]. Le piège est mis en place. La partie se joue entre nationalistes. Rajoy ou Màs ne cherchent qu’à retarder la prise de conscience de l’inévitable » (à savoir qu’il faut éliminer le capitalisme).

En mettant sur le même plan les « nationalistes » castillans et catalans, Voz Obrera fait disparaître la différence entre la nation qui opprime et celle qui est opprimée. Cela revient à prôner le maintien du statu quo, c’est-à-dire l’oppression nationale du peuple catalan. C’est ce qu’on appelle du chauvinisme. VO en est même venue à grotesquement affirmer le 4 janvier 2016, contre l’indépendance, que celle-ci « n’affaiblira pas de [sic] pouvoir de Rajoy ni de l’Etat central. Au contraire, ça le renforcera » (Lutte Ouvrière, 15 janvier 2016) !

Pour VO, le référendum de 2014 n’était donc qu’un « piège ». Nous partons au contraire du point de vue marxiste que la lutte pour les droits démocratiques, y compris l’autodétermination nationale, loin d’être un obstacle à la lutte pour la révolution socialiste, peut en constituer une force motrice, comme cela a été le cas lors de la Révolution russe de 1917, la seule révolution ouvrière victorieuse. Trotsky, qui la codirigea avec Lénine, écrivait le 17 mai 1931 à propos de la Catalogne :

« Dans la phase actuelle, étant donné les combinaisons présentes des forces de classe, le nationalisme catalan est un facteur révolutionnaire progressiste. Le nationalisme espagnol est un facteur impérialiste réactionnaire. Le communiste espagnol qui ne comprend pas cette distinction, qui affecte de l’ignorer, qui ne la met pas en valeur, ne la situe pas au premier plan, qui s’efforce au contraire d’en minimiser l’importance, risque de devenir inconsciemment l’agent de la bourgeoisie espagnole, et d’être à tout jamais perdu pour la cause de la révolution prolétarienne. »

Au temps pour VO et LO. Nous n’avons trouvé nul indice que LO reconnaisse même l’existence d’une question catalane en France, et encore moins qu’il faille lutter contre la répression du catalan en France, par exemple les exactions il y a quelques années d’un préfet Bonnet : il menaçait de couper les vivres aux conseils municipaux utilisant le catalan, et il avait poursuivi en justice la mairie de Perpignan pour avoir voulu faire traduire en catalan les registres du cadastre (Libération, 11 mai 1999). Les marxistes doivent lutter pour le droit des Catalans au Nord à l’éducation dans leur propre langue, et pour le droit d’utiliser le catalan dans tous les aspects de la vie publique.

En Catalogne Sud, LO s’érige en donneuse de leçons de la CUP, un courant nationaliste pourtant d’« extrême gauche » selon LO (Lutte Ouvrière, 4 décembre 2015) : elle lui reproche de « composer politiquement avec les représentants des possédants catalans » (le parti d’Artur Màs et la Gauche républicaine [ERC]). L’accusation ne manque pas de sel : pour les municipales de 2008 en Catalogne Nord, LO avait pris part à une combinaison électorale pour essayer de décrocher la mairie de Perpignan pour y gérer le capitalisme non seulement avec le Parti socialiste de François Hollande, mais aussi avec des partis bourgeois, dont le Parti radical de gauche et la branche française de l’ERC !

S’il y a une différence entre Voz Obrera et LO, ce n’est pas sur leur hostilité à la lutte contre l’oppression du peuple catalan par leur propre bourgeoisie, mais sur le fait que LO combine ce chauvinisme national avec, en plus, l’opportunisme le plus grossier, étant prête à « composer politiquement avec les représentants des possédants catalans »… et français !

La position de LO renvoie au caractère économiste de cette organisation. Pour LO, les questions démocratiques que posent l’oppression raciale ou l’oppression nationale, ou la lutte pour les droits des homosexuels, sont une diversion de la lutte économique entre patrons et travailleurs. Elle pense que c’est dans le cadre étroitde cette lutte économique que peut se forger la conscience de classe du prolétariat. Lénine insistait au contraire dans son ouvrage fondamental de 1902, Que Faire ? :

« La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons. […] Car, n’est pas social-démocrate [comme on disait alors des marxistes révolutionnaires] quiconque oublie pratiquement que les “communistes appuient tout mouvement révolutionnaire”, que nous avons le devoir, par conséquent, d’exposer et de souligner les tâches démocratiques générales devant tout le peuple, sans dissimuler un instant nos convictions socialistes. N’est pas social-démocrate quiconque oublie pratiquement que son devoir est d’être le premier à poser, aiguiser et résoudre toute question démocratique d’ordre général. »

Y compris la lutte pour l’émancipation nationale du peuple catalan ! Au Nord comme au Sud ! C’est un parti ouvrier armé d’une telle conception de la lutte révolutionnaire, « tribun du peuple » comme disait Lénine, que nous cherchons à construire.