Le Bolchévik nº 220

Juin 2017

 

Indépendance de la Catalogne et du Pays basque ! Pour des républiques ouvrières !

Pour une lutte de classe contre la prison des peuples espagnole !

Nous reproduisons ci-dessous un article publié en avril dernier en supplément à Espartaco, le journal du Grupo Espartaquista de México, section mexicaine de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste). Il a été diffusé lors de la manifestation du Premier Mai à Barcelone.

Bravant un froid hivernal, 40 000 manifestants ont défilé à Barcelone un lundi matin de février, un jour ouvrable, derrière Artur Màs et ses deux co-inculpés pour l’ouverture de leur procès. Ils étaient accusés d’avoir défié le Tribunal constitutionnel espagnol en réclamant l’indépendance de la Catalogne. La manifestation du 6 février était constellée d’estelades, le drapeau catalan inspiré des drapeaux cubain et portoricain que le gouvernement du Premier ministre espagnol Mariano Rajoy, du PP (Parti populaire, conservateur) a interdit de hisser sur les mairies en Catalogne. L’UEFA (Union des fédérations européennes de football) a, pour sa part, infligé l’année dernière une amende à l’équipe des bleu et grenat du Barça parce que ses supporters avaient brandi des estelades lors d’un match du tournoi de l’UEFA ; c’est un scandale ! Madrid, pas touche à Màs et ses co-inculpés ! Brandir l’estelada n’est pas un crime !

L’intensification de la répression contre les Catalans de la part de l’Etat espagnol provoque en Catalogne des manifestations de masse pour l’indépendance. En 2010, un million et demi de personnes avaient manifesté dans le centre de Barcelone pour protester contre l’abrogation de plusieurs articles cruciaux du statut d’autonomie de la Catalogne. En septembre 2016, dans toute la région, plus d’un million de manifestants indépendantistes sont à nouveau descendus dans la rue pour la Diada, la fête nationale catalane.

Barcelone était il y a 80 ans le centre de la révolution et de la guerre civile espagnoles. Comme nous l’écrivions dans notre article « Trotskysme contre front-populisme dans la guerre civile espagnole » (Spartacist édition française n° 39, été 2009) : « Les Journées de mai 1937 à Barcelone ont marqué l’apogée d’une décennie de révolution et de contre-révolution en Espagne, qui avait débuté avec la chute de la dictature militaire de Primo de Rivera en 1930 puis de la monarchie un an après, et qui s’est terminée avec l’écrasement de la république par le général Francisco Franco en 1939. » Les ouvriers catalans furent à l’avant-garde de la lutte pour la révolution socialiste ; mais des décennies de répression sanglante sous la dictature de Franco ont mis la question nationale au premier plan en Catalogne ainsi qu’au Pays basque.

Les Catalans et les Basques luttent aujourd’hui pour leur libération nationale face à l’Etat capitaliste espagnol. Depuis des dizaines d’années, le PP de Mariano Rajoy alterne avec les sociaux-démocrates tout aussi chauvins du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) pour administrer l’Etat capitaliste. Le PP dirige actuellement un gouvernement minoritaire qui se maintient au pouvoir grâce à l’accord de longue date entre tous les grands partis pour maintenir, par la contrainte, les nations minoritaires basque et catalane à l’intérieur des frontières de l’Espagne. C’est là le contenu fondamental de la Constitution espagnole chauvine et antidémocratique de 1978 instaurant la monarchie en guise de suzerain bonapartiste. La libération des nations opprimées est dans l’intérêt du prolétariat ! Tout coup porté au chauvinisme de l’Etat bourgeois espagnol bénéficierait aux travailleurs de partout !

Les nations catalane et basque s’étendent au Nord, de l’autre côté de la frontière avec la France, où l’Etat français chauvin les maintient lui aussi par la contrainte dans l’oppression en les privant de tout droit. La force motrice du mouvement pour l’indépendance vient du Sud. Si les Basques et/ou les Catalans obtenaient l’indépendance par rapport à l’Espagne, il est très probable que leurs compatriotes du côté français de la frontière leur emboîteraient le pas. En tout cas, nous défendons le droit d’autodétermination des provinces basque et catalane du Nord.

La langue est un élément essentiel de l’identité nationale des Catalans et des Basques. Le pouvoir espagnol chauvin a essayé sans cesse d’exterminer les langues basque et catalane et d’imposer l’espagnol, la langue de l’oppresseur. De la fin des années 1930 à la fin des années 1970, la répression franquiste fut féroce : le simple fait de parler sa propre langue en public pouvait conduire à la prison si l’on était catalan ou basque. Les religieuses apprenaient aux écoliers catalans qu’il fallait « parler chrétien », c’est-à-dire en espagnol, ou castellà (castillan) comme on dit en catalan. Le fait que le catalan et le basque aient survécu à des siècles de domination castillane démontre que ces peuples veulent exister en tant que nations distinctes et qu’ils sont capables d’assimiler les immigrés dans leur société.

La « Constitution de 1978 » avait jeté les bases d’une autonomie régionale limitée. La Catalogne ayant réussi à arracher à Madrid quelques droits restreints d’autonomie, le gouvernement régional commença à introduire quelques années plus tard le catalan comme langue d’enseignement dans l’école publique à tous les niveaux. Aujourd’hui, plus de dix millions de personnes parlent catalan, dont 38 000 en France, à peu près autant que le nombre de gens qui parlent le suédois ou le grec.

Le Tribunal constitutionnel espagnol (TC) a éviscéré en 2010 l’Estatut [statut] d’autonomie catalan de 2006 au motif notamment que la Catalogne fait partie intégrante de la « nation espagnole une et indivisible », et il a déclaré que le catalan ne pouvait pas être la « langue de prédilection » dans l’administration, les médias et l’enseignement public catalan. En novembre 2016, le TC s’est arrogé de nouveaux pouvoirs, notamment celui de rétablir l’espagnol comme langue d’enseignement à l’école publique. Depuis 2010, Madrid impose progressivement l’utilisation de l’espagnol dans tous les domaines de la vie quotidienne. L’amende encourue pour défaut d’étiquetage en espagnol des produits vendus en Catalogne va maintenant de 15 000 euros à 1,2 million. Rien qu’en 2016, 64 nouvelles directives ont été édictées imposant l’espagnol en Catalogne, de sorte que toute une série de mesures linguistiques répressives encadrent la vie quotidienne. La question de la langue est aussi très importante en France, où les Basques et les Catalans sont privés du moindre droit national ou linguistique. Pour le droit de tous les Basques et de tous les Catalans à recevoir un enseignement dans leur propre langue ! Aucun privilège pour l’espagnol ou le français !

Aucune confiance dans la bourgeoisie catalane !

Rajoy et ses coreligionnaires du PP recourent de plus en plus au système judiciaire dominé par Madrid contre tous les independentistes catalans. En novembre 2016, le TC s’est arrogé le pouvoir de suspendre des fonctionnaires (c’est-à-dire des Catalans) sans qu’ils aient le droit d’être entendus. A ce jour, plus de 400 fonctionnaires, maires et conseillers municipaux catalans font l’objet de poursuites devant différents tribunaux. Bien que la peine d’Artur Màs soit suspendue car il a fait appel, il a été déclaré coupable et condamné à une amende de 36 500 euros ainsi qu’à deux ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique. Le tribunal a jugé qu’il avait « désobéi » à l’interdiction par le TC d’organiser un référendum sur l’indépendance à une époque où il présidait le gouvernement régional de la Generalitat en 2014 – un référendum où plus de 90 % des participants ont voté pour l’indépendance de la Catalogne ! Madrid a également accusé Carme Forcadell, la présidente du Parlament de la Generalitat, du « crime » d’avoir autorisé un débat sur une proposition de deuxième référendum sur l’indépendance ; cette proposition a été approuvée par la majorité du Parlament et par Carles Puigdemont, le président actuel de la Generalitat. En février dernier, le TC a invalidé la résolution du Parlament prévoyant d’organiser ce référendum en 2017.

Le gouvernement Rajoy a annoncé récemment qu’il préférerait fermer les écoles publiques en Catalogne plutôt qu’elles servent de bureaux de vote au cas où la Generalitat essaierait d’organiser le référendum promis. Cela a été suivi par la menace sinistre d’utiliser la Constitution espagnole pour révoquer ce qui reste des pouvoirs autonomes de la Generalitat.

Avec en 2015 un PIB par habitant de 28 900 €, la Catalogne produit plus de 25 % des exportations espagnoles. Le Pays basque a le PIB par habitant le plus élevé d’Espagne (30 500 €) et il produit 8,8 % des exportations du pays. La classe dominante espagnole sait bien que sa petite prison des peuples serait réduite à presque rien sans ses deux régions les plus rentables, et c’est pour cela qu’elle n’autorisera pas une sécession pacifique de la Catalogne et du Pays basque. Il est clair que plus les tensions entre la Catalogne et l’Espagne s’intensifieront, plus se profilera la menace d’une intervention militaire du maître cruel contre la nation opprimée. Un tel affrontement placerait immédiatement au premier plan l’opposition des intérêts de classe. Seule la classe ouvrière, mobilisée indépendamment et entraînant derrière elle tous les pauvres et opprimés, possède la puissance sociale nécessaire pour lutter pour la souveraineté des nations minoritaires contre le poing de fer du chauvinisme de Madrid.

Mais face à la menace d’une insurrection prolétarienne, l’aile significative de la bourgeoisie catalane qui est favorable à l’indépendance nationale se jetterait sans hésiter dans les bras de son homologue madrilène. Au bout du compte, le pouvoir capitaliste de la nation dominante et celui des nations opprimées s’uniront pour défendre leurs privilèges de classe contre ceux qu’ils exploitent pour le profit – les travailleurs, qu’ils soient d’Espagne, de Catalogne ou du Pays basque. Il serait suicidaire pour le prolétariat et les opprimés catalans de faire confiance à la bourgeoisie catalane pour mener la lutte de libération nationale.

Nous appelons tous ceux qui s’opposent à l’oppression nationale à défendre les indépendantistes catalans de la CUP (Candidature d’unité populaire) contre la répression menée par l’Etat espagnol. Parmi les 16 maires et 372 conseillers municipaux de la CUP, plusieurs sont inculpés pour avoir fait flotter l’estelada sur leur mairie et pour avoir ouvert les services municipaux pendant des jours fériés en Espagne. Cinq militants de la CUP sont accusés du crime médiéval de « lèse-majesté » pour avoir brûlé des photos du roi d’Espagne Felipe VI lors de la Diada de 2016. La CUP est, depuis, la cible d’une campagne de harcèlement judiciaire de la part du PP, dans le but d’intimider ses militants et sympathisants.

Arnaldo Otegi, une figure du mouvement séparatiste basque, a été libéré en 2016 après six ans et demi de prison pour le rôle dirigeant qu’il avait joué dans la tentative de reconstitution du parti nationaliste de gauche dissous Batasuna. Condamné à une peine d’inéligibilité, Otegi a également été reconnu coupable d’avoir insulté le roi d’Espagne. Sa peine d’un an de prison a été commuée par la suite, la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg elle-même l’ayant prudemment déclarée « disproportionnée » au délit. Selon le code pénal espagnol, quiconque « calomnie ou insulte le Roi, la Reine ou aucun de leurs ascendants ou descendants » est passible de six mois à deux ans de prison. Et aujourd’hui, n’importe quelle soi-disant « menace » contre le monarque relève du terrorisme. C’est ainsi que Valtonyc, un rappeur originaire de l’île de Majorque, a été récemment accusé d’insulte à la personne du roi et d’incitation au terrorisme, et il a été jeté en prison pour trois ans et demi. A bas la monarchie espagnole et ses pouvoirs gouvernementaux bonapartistes !

Les lois réprimant les insultes à la monarchie ne servent qu’à renforcer l’appareil de répression de l’Etat bourgeois espagnol, qui vise en premier lieu le prolétariat. Les draconiennes lois « antiterroristes » sont utilisées impitoyablement et implacablement contre les indépendantistes basques. Le fondateur d’Herri Batasuna avait été assassiné en 1984 par un escadron de la mort des GAL (Groupes antiterroristes de libération), créés sous la direction du gouvernement espagnol postfranquiste du PSOE de Felipe González.

Il en va des intérêts vitaux de la classe ouvrière de toute l’Espagne : elle doit s’opposer aux persécutions visant la CUP et tous les indépendantistes basques et catalans. Il s’agit pour elle de s’opposer aux manifestations d’oppression nationale dans le cadre de la lutte qu’elle doit mener pour défendre son propre droit à s’organiser et se battre. La coalition électorale de la CUP (qui se présente sous une étiquette « anticapitaliste » frelatée) joue un rôle clé dans le maintien de Puigdemont à la tête du gouvernement de la Generalitat parce que ses 10 députés (sur 135) lui assurent la majorité dont il a besoin au Parlament catalan. Mais les petits-bourgeois de la CUP n’ont pas été récompensés par la classe dirigeante catalane : la Generalitat a approuvé la condamnation des cupaires [partisans de la CUP] pour avoir brûlé des photos du monarque de Madrid, en déclarant que c’était là bel et bien un crime ! Levée de toutes les inculpations contre les nationalistes de la CUP ! Madrid, bas les pattes devant la CUP !

A bas l’UE, ennemi des droits nationaux !

Au lendemain de la récession économique mondiale de 2008, l’Union européenne [UE] a imposé à l’Espagne une politique d’austérité en échange de prêts. En résultat, le taux de chômage des jeunes en Catalogne atteint aujourd’hui le niveau astronomique de 32 %, le nombre de chômeurs depuis plus de deux ans a fortement augmenté et 11 % des travailleurs catalans qui ont un emploi se retrouvent sous le seuil de pauvreté espagnol. Mais face aux menaces de Madrid, Puigdemont tout comme Màs (qui en fait ont appliqué les mesures d’austérité de l’UE en Catalogne) vont implorer le soutien de leurs frères de classe capitalistes de l’UE. Après sa condamnation en mars dernier, Màs déclarait : « Nous ferons appel en Espagne et ensuite nous porterons l’affaire devant les tribunaux européens si nécessaire. » Puigdemont, qui gouverne en coalition avec les nationalistes bourgeois de la Gauche républicaine (ERC), a appelé l’UE à soutenir le référendum d’indépendance de la Catalogne lors d’un forum organisé mi-janvier au siège du Parlement européen à Bruxelles. La salle était pleine… de centaines d’invités catalans, le meeting étant boudé par les fonctionnaires de l’UE.

L’UE apporte un soutien indéfectible à l’Etat bourgeois espagnol, en dépit des faux espoirs de la bourgeoisie catalane. Angela Merkel elle-même a dit clairement en 2015 que sa position sur la Catalogne était « très semblable » à celle de Rajoy. L’UE est l’ennemie mortelle des droits nationaux des opprimés. Il suffit de demander aux travailleurs grecs plongés dans la misère qui ont vu l’UE étrangler la souveraineté nationale de leur pays. Nous disons : A bas l’UE et l’euro ! L’UE est un consortium instable de pays capitalistes créé pour accroître les profits en pressurant les travailleurs de toute l’Europe ; et les Etats-membres dominants (l’Allemagne et, dans une moindre mesure, la France et la Grande-Bretagne) s’en servent pour renforcer leur emprise sur les pays européens plus faibles et dépendants. La libération du joug espagnol repose entre les mains du prolétariat multiethnique de Catalogne, contre l’Union européenne.

Les dockers espagnols ont montré la voie en portant un premier coup contre l’UE et Rajoy en mars dernier. La Cour de justice européenne avait déclaré en 2014 que l’organisation du travail dans tous les ports espagnols, où les dockers sont syndiqués – y compris en Catalogne et au Pays basque –, violait les règles européennes sur la « liberté d’entreprendre » (autrement dit des entreprises sans syndicats). Pour faire respecter ses diktats, l’UE a infligé une amende de 23 millions d’euros à l’Espagne, à laquelle elle a ajouté en mars une pénalité journalière de 134 000 €,. Le gouvernement Rajoy a publié un décret imposant les dures conditions stipulées par les règles de l’UE à cette composante syndiquée stratégique du prolétariat, qui voit passer entre ses mains 80 % des importations et environ 65 % des exportations espagnoles. La Coordinadora Estatal de Trabajadores del Mar (CETM), le syndicat des travailleurs portuaires, avait commencé à se mobiliser en février et en mars derniers pour une grève nationale des ports. Des actions de solidarité projetées par d’autres syndicats de dockers au niveau international étaient largement diffusées. Face aux grèves portuaires, la majorité des députés espagnols a refusé d’approuver le décret antisyndical et a infligé au gouvernement minoritaire de Rajoy une défaite cuisante – c’est la première fois qu’un décret gouvernemental est rejeté par le parlement depuis 1979 !

La bataille n’est pas terminée. L’UE continue d’accumuler les amendes punitives contre l’Espagne dans le but de parvenir à éliminer les syndicats des ports et sabrer dans les salaires. Cette lutte souligne la nature de l’UE : un cartel impérialiste déterminé à imposer toujours plus d’exploitation à la classe ouvrière européenne. Dans de nombreux pays d’Europe, les dockers syndiqués font face aujourd’hui à des tentatives similaires pour réserver les tâches d’arrimage à bord des navires aux marins du tiers-monde, qui sont férocement exploités et non syndiqués. En Allemagne et dans quelques autres pays de l’UE dont les ports violent aussi les règlements de l’UE imposant la « liberté d’établissement », les travailleurs syndiqués des ports risquent de se trouver bientôt confrontés à des attaques antisyndicales du même type, surtout si ces règlements réussissent à être imposés en Espagne.

Les dockers espagnols mènent un combat crucial pour tout le prolétariat européen. Pour gagner cette bataille, il faut lutter contre les bureaucrates syndicaux qui capitulent devant les dirigeants de l’UE. Le Conseil international des dockers, la fédération syndicale internationale dont le siège est en Espagne, appelle ainsi « à se conformer à la décision de la Cour de justice européenne ». Les autres lieutenants ouvriers du capital dans le mouvement ouvrier qui dirigent le CETM, syndicat hégémonique dans les ports espagnols, sont prêts à trahir l’existence même du syndicat en échange de garanties sur l’emploi et la retraite des travailleurs actuellement en activité. Antolín Goya, le chef de la CETM, insiste que « la préservation de l’emploi des travailleurs actuellement employés dans les ports » est une des « questions qui doivent être réglées par le nouveau statut ». Dans toute l’Europe, les travailleurs portuaires doivent mobiliser leur énorme puissance sociale contre les attaques de l’UE et du gouvernement espagnol visant la CETM et tous les dockers syndiqués d’Espagne !

Populistes et sociaux-chauvins contre l’indépendance de la Catalogne

La nouvelle formation bourgeoise Podemos (« Nous pouvons ») est un parti de chauvins castillans sous un habillage de populisme « antisystème ». Pablo Iglesias, le chef de Podemos, a demandé que le référendum sur l’indépendance de la Catalogne soit organisé dans toute l’Espagne, ce qui aurait pour résultat de condamner la nation catalane à rester opprimée par Madrid. La plus grande partie de la gauche espagnole partage cette perspective chauvine, y compris le Parti communiste espagnol (PCE), qui est aujourd’hui un partenaire minoritaire de Podemos au sein du bloc électoral « Unidos Podemos » (« Unis nous pouvons »), ainsi que divers groupes staliniens qui ont scissionné du PCE ou en sont issus. (Voir notre article en espagnol « Premier Mai à Barcelone – Trotskysme contre réformisme sur la question nationale », Espartaco n° 46, octobre 2016.)

C’est le cas aussi des trotskystes frelatés d’Izquierda Revolucionaria (Gauche révolutionnaire), partisans du pseudo-trotskyste britannique Ted Grant (aujourd’hui décédé) qui ont récemment signé un accord d’unification avec le Comité pour une Internationale ouvrière de Peter Taaffe, lui-même lié au groupe américain Socialist Alternative [et dont la Gauche révolutionnaire est la section française]. Bien qu’elle jure constamment qu’elle lutte pour le « droit à l’autodétermination » de la Catalogne et du Pays basque, Izquierda Revolucionaria est en réalité opposée à l’indépendance des nations opprimées en Espagne. Les grantistes espagnols déclaraient par exemple dans une brochure publiée en 2014 sur la question nationale en Catalogne (« Pour le droit à l’autodétermination, pour le socialisme ! ») : « La tâche du mouvement ouvrier, là-bas comme ici, en Euskal Herria et en Catalunya, dans l’Etat espagnol tout entier et en Europe, n’est pas de construire de nouveaux Etats et d’ériger de nouvelles frontières, mais de construire le socialisme à l’échelle mondiale. » Derrière les belles paroles sur le « socialisme », il y a un programme chauvin.

Les trotskystes authentiques sont pour l’indépendance ici et maintenant, sans faire de la révolution socialiste une condition préalable. Ceci dit, nous savons que la lutte de libération nationale est une force motrice du combat pour le pouvoir ouvrier. On ne peut pas en dire autant d’Izquierda Revolucionaria, qui oppose à la revendication de l’indépendance de la Catalogne et du Pays basque le mot d’ordre d’une « République socialiste fédérale »… d’Espagne ! Au temps pour « l’autodétermination » ! Et que peut bien vouloir dire le mot « socialisme » pour les réformistes endurcis d’Izquierda Revolucionaria ? Même s’ils prêchent à longueur d’articles « l’indépendance de classe » vis-à-vis de la bourgeoisie catalane, pour eux le parti populiste bourgeois et chauvin Podemos n’est rien moins qu’un levier pour la « transformation socialiste » (site internet d’El Militante, 3 février) !

L’Internationalist Group (IG), basé aux Etats-Unis, se fait l’instrument de la bourgeoisie castillane. L’IG soutient en réalité l’oppression nationale des Catalans, sans même prétendre soutenir leur droit à l’autodétermination. Il argumente en faveur de l’unité sacrée de l’Espagne :

« Mais non seulement la Catalogne est la partie la plus riche de l’Espagne, dont la bourgeoisie souhaite arrêter de subventionner les régions méridionales plus pauvres, non seulement l’indépendance signifierait la séparation d’une des composantes les plus combatives de la classe ouvrière, mais aussi une grande partie sinon la majorité des ouvriers d’industrie ne parlent pas catalan, car beaucoup sont originaires d’Andalousie. »

– « Pour une république ouvrière écossaise dans une Fédération socialiste des îles britanniques » (septembre 2014)

Et l’IG de conclure que c’est l’indépendance de la Catalogne qui serait « discriminatoire » à l’encontre des Espagnols ! L’oppression de toute une nation par la bourgeoisie castillane n’est pas un problème pour ces « grands d’Espagne ». Selon l’IG, compte tenu de la haute conscience de classe et de la combativité dont le prolétariat catalan a fait preuve pendant toute son histoire, il a renoncé à jamais à tout droit de lutter pour se libérer du joug castillan. L’IG soutient implicitement les privilèges du castellà et montre son ignorance en niant qu’en Catalogne la majorité des travailleurs parlent catalan, tout en dépeignant au passage les Catalans comme des avares et des racistes – la propagande chauvine usuelle du PP.

L’indépendance de la Catalogne donnerait une impulsion considérable à la lutte pour l’indépendance du Pays basque – et de leurs compatriotes respectifs de l’autre côté de la frontière française. Elle ébranlerait l’Espagne monarchiste, que l’IG apprécie tant, et elle porterait un coup au consortium impérialiste de l’UE que l’IG apprécie tant également.

La Ligue communiste internationale s’oppose résolument au chauvinisme de grande puissance répugnant de ces aspirants trotskystes et, au centenaire de la Révolution russe dirigée par Trotsky et Lénine, elle met une fois encore en avant la perspective de classe qui fut clé pour la victoire des travailleurs en Octobre 1917 dans la prison des peuples tsariste :

« La solution marxiste de la question de la démocratie consiste dans l’utilisation, par le prolétariat qui mène sa lutte de classe, de toutes les institutions et aspirations démocratiques contre la bourgeoisie, en vue de préparer la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie, en vue de la renverser. […]

« Dans notre guerre civile contre la bourgeoisie, nous rassemblerons et canaliserons les peuples, non par la force du rouble, non par la force de la trique, non par la violence, mais par un accord librement consenti, par la solidarité des travailleurs contre les exploiteurs. La proclamation de droits égaux pour toutes les nations est devenue un instrument de duperie aux mains de la bourgeoisie ; pour nous elle sera une vérité qui facilitera et accélérera le passage de toutes les nations dans notre camp. Sans une organisation réellement démocratique des rapports entre nations, et par conséquent sans la liberté de former un Etat séparé, la guerre civile des ouvriers et des masses laborieuses de toutes les nations contre la bourgeoisie est impossible. »

– « Réponse à P. Kievski (I. Piatakov) » (1916)