Le Bolchévik nº 218

Décembre 2016

 

Le plan français du populiste bourgeois Mélenchon pour sauver l’UE

Nous publions ici un extrait, revu et augmenté pour publication, de la présentation de Melanie Kelly du 22 septembre.

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Au moment du référendum britannique sur le Brexit, la presse capitaliste a eu tendance à présenter la position de Jean-Luc Mélenchon comme allant radicalement à l’encontre du cœur des pleureuses du PS et autres, qui se lamentaient sur le coup porté par le Brexit à leur Union européenne chérie. Il faut rétablir quelques vérités à ce sujet. Quand Mélenchon a scissionné du Parti socialiste en 2008 (après avoir été un apparatchik de ce parti pendant trente ans), il pensait que le PS deviendrait un parti bourgeois pur et simple ; et il espérait que lui-même récupérerait avec son « Parti de gauche » l’étiquette et la fonction de la social-démocratie classique. Cela ne s’est pas du tout passé ainsi : la clarification idéologique au sein du PS n’est pas complètement terminée, et il reste à voir comment tourneront les règlements de compte au lendemain de la très probable défaite électorale du PS en 2017.

De plus, Mélenchon comptait sur les troupes du PCF pour reconstruire un nouveau parti ouvrier réformiste, comme l’a fait son ami Oskar Lafontaine avec l’ex-parti stalinien est-allemand, le PDS (dont les anciens militants constituent toujours un socle essentiel de Die Linke). Or le PCF, même s’il est dans un état de plus en plus pitoyable, a survécu à l’étreinte étouffante de Mélenchon.

Il n’est pas surprenant que Mélenchon ait échoué dans ce projet, car pour refonder un nouveau parti ouvrier de masse, même réformiste, il aurait fallu qu’il se place à la tête d’une vague de mobilisations ouvrières autrement plus forte que ce qu’on a vu depuis dix ans. Cela avait été le cas au Brésil avec la formation du PT en 1980, dans un contexte fondamentalement différent où l’Union soviétique existait encore et où les travailleurs s’identifiaient plus clairement qu’aujourd’hui à leur classe sociale et ses acquis – y compris, pour les travailleurs les plus avancés, à l’Union soviétique.

Aussi, Mélenchon lui-même a peu à peu fondamentalement changé de cap. Son chemin de Damas latino-américain, où il a découvert le « chavisme » au Venezuela, l’a fait passer ces dernières années au populisme bourgeois pur et simple. Il s’est pris d’enthousiasme pour des formations bourgeoises de gauche comme Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce (il a même laissé tomber la cravate rouge), non sans avoir consciencieusement appelé à voter Hollande en 2012 puis revendiqué de lui un poste de Premier ministre.

Il est vrai que la mention du socialisme n’a plus aucun sens pour cet individu qui ouvertement déclare que l’ère des travailleurs et du socialisme c’est fini, place à « l’ère du peuple ». Dans le « peuple » on liquide la classe ouvrière au milieu des pauvres et des moins pauvres. On fait disparaître l’opposition fondamentale entre les capitalistes, c’est-à-dire l’infime minorité qui possède les moyens de production (bien moins de 1 % de la population) et la classe ouvrière. Dissoudre la classe ouvrière dans le peuple tout entier, c’est fondamentalement l’assujettir à la classe dominante, c’est-à-dire au capitalisme.

La classe ouvrière ne représente pas 99 % de la population, ni même 50 % en France. Mais de par son rôle dans la production, où c’est de son exploitation que dérivent les profits que s’approprient les capitalistes, elle est la seule qui a la puissance et l’intérêt historique non seulement pour stopper l’économie par la grève mais pour prendre la tête de tous les opprimés afin de renverser le système capitaliste par une révolution ouvrière, comme celle de 1917 en Russie sous la direction du Parti bolchévique.

Le bilan politique que Mélenchon a tiré de la destruction de l’Union soviétique (à laquelle il a contribué au côté de Mitterrand dans les années 1980), c’est que la lutte pour une société socialiste d’abondance est impossible ; il le revendique ouvertement dans son dernier livre le Choix de l’insoumission (Editions du Seuil, septembre 2016), où il appelle de ses vœux une « décroissance des moyens productivistes capitalistes », ce qu’il habille avec du blabla sur l’écologie et le développement durable. Il a d’abord parlé d’« écosocialisme », mais dans son nouveau livre, il se réclame maintenant d’un « écohumanisme ».

« Ecopopulisme », c’est plutôt comme cela qu’on pourrait qualifier la démagogie de Mélenchon. En ce sens, quand la direction du PCF se prépare à le soutenir aux présidentielles, même si c’est à contrecœur, elle fait obstacle d’une manière fondamentale au B-A-BA du marxisme, qui est de partir du fait que la classe ouvrière a des intérêts propres, qui sont absolument opposés à ceux des capitalistes et de leurs représentants populistes. En ce qui nous concerne, nous sommes opposés par principe à tout vote pour ce politicien capitaliste. Et de plus, contrairement à certaines idées fausses, il n’a rien d’un opposant à l’UE.

Ayant voté pour le traité de Maastricht en 1992, Mélenchon prétend toujours que la construction européenne est une « idée progressiste », et que « la raison d’être à l’origine du “rêve européen”, c’est la paix ». Pas du tout ! Il s’agissait de former un ciment économique et idéologique ouest-européen à l’alliance militaire de l’OTAN visant à détruire l’Etat ouvrier dégénéré soviétique (voir l’article de nos camarades britanniques publié dans le Bolchévik de juin 2016). Si Mélenchon reconnaît que les mesures monétaires prises par l’UE contre Chypre en 2012 et la Grèce en 2015 étaient un « acte de guerre » (effectivement : pour sauver les profits de la BNP, etc.), il n’en défend pas moins avec la même ardeur que Hollande les intérêts de l’impérialisme français :

« La puissance de la France est notre atout. Parce que la France est la deuxième économie du continent et qu’on ne peut pas lui dire non. On est obligé de trouver un arrangement avec les Français pour faire quoi que ce soit en Europe. […] je souhaite la mise en place d’un véritable rapport de forces avec le gouvernement allemand, car il existe une contradiction d’intérêts entre l’Allemagne et la France. »

ibid.

Si Mélenchon peut concevoir, de son point de vue, que les travailleurs allemands soient condamnés à une politique austéritaire pour compenser le fait que leurs femmes ne font pas assez d’enfants, il conteste cette politique pour l’impérialisme français qui, lui, dispose d’un taux de renouvellement suffisant de sa classe ouvrière et a besoin d’une politique moins restrictive afin de pouvoir financer la formation de ces jeunes générations. On s’attendrait presque à ce qu’il ajoute : gare aux femmes françaises (et à leurs hommes) si elles s’avisaient de faire la grève du ventre !

Sa divergence avec Marine Le Pen sur l’UE c’est, d’après lui… qu’elle veut laisser le terrain libre à l’Allemagne en se retirant de l’UE, alors qu’il veut y rester pour y contester la domination allemande ! Et son plan pour l’Europe est à l’avenant, avec la mise en place d’un « protectionnisme solidaire », le maintien de l’euro du moment que les statuts de la BCE prennent mieux en compte les intérêts de l’impérialisme français, etc.

Le chauvinisme français républicain de Mélenchon l’a naturellement mené à s’en prendre l’été dernier au « travailleur détaché [immigré d’Europe de l’Est ou du Sud] qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place ». Comme nous l’avons souligné dans le Bolchévik, ce genre de saillie xénophobe légitime la propagande raciste débridée du Front national, et elle met en lumière à quel point le programme de Mélenchon est hostile à la classe ouvrière, qui est multiethnique et multiraciale.

La campagne des présidentielles se présente mal pour le mouvement ouvrier : au cas où, pour une fois, les réformistes du PCF et du NPA n’appelleraient pas à voter pour un candidat du PS dans le cadre d’un « front populaire » classique avec des bourgeois dits « de gauche » (faute de candidat), l’alternative ne doit pas être le populisme bourgeois français de Mélenchon ! La classe ouvrière a besoin de son propre parti révolutionnaire. C’est un tel parti que nous cherchons à construire avec notre programme internationaliste prolétarien révolutionnaire.