Le Bolchévik nº 218 |
Décembre 2016 |
LO et les mobilisations réactionnaires de flics
Non, les flics ne sont pas des « travailleurs en uniforme » !
Les mobilisations de flics qui ont émaillé tout l’automne représentent une menace sinistre pour les travailleurs et les opprimés : ils revendiquaient notamment l’impunité en cas de « bavure » (qui serait automatiquement requalifiée en « légitime défense »). Leurs récriminations contre le « laxisme » du système judiciaire revenaient à une revendication de pouvoir emprisonner à volonté les « suspects » sans que ceux-ci puissent exiger un procès avec un avocat compétent.
Que les sociaux-démocrates du PCF aient pris la défense des flics n’est pas surprenant. Et encore moins que le populiste bourgeois Jean-Luc Mélenchon ait fait une série de déclarations policières, se plaçant en concurrent direct du FN pour capter les voix des flics. Mélenchon a même organisé à cet effet une « journée sécurité » le 10 novembre à l’occasion du premier anniversaire des attentats criminels de Paris, avec pour invités une série de représentants de « syndicats » de policiers et de juges. Policiers, juges et matons n’ont en fait rien à voir avec le mouvement ouvrier il faudrait les chasser des syndicats !
Avec le corps des officiers, ils sont au cur même de l’Etat capitaliste, ayant pour fonction de maintenir l’ordre par la violence de leurs armes, un ordre par lequel les travailleurs sont contraints de vendre leur force de travail pour une bouchée de pain aux propriétaires capitalistes des moyens de production (usines, etc.) Comme l’expliquait Lénine littéralement à la veille de la Révolution d’octobre 1917 en Russie, l’Etat est un pouvoir consistant en « des détachements spéciaux d’hommes armés, disposant de prisons, etc. » (l’Etat et la révolution).
Lutte ouvrière a pour une fois fait entendre un son légèrement critique face à la débauche de déclarations gendarmesques de la « gauche ». Ils se sont même permis d’attaquer Mélenchon et sa « journée sécurité », lui reprochant (dans une « brève » publiée le 11 novembre sur leur site internet) de chercher à rivaliser sur le terrain sécuritaire avec Hollande, la droite et le FN. Ils ont polémiqué contre sa demande de recrutement de 10 000 policiers supplémentaires, affirmant à juste titre que « les forces dites de l’ordre [ ] sont d’abord là pour maintenir et protéger l’inégalité des richesses et le pouvoir des capitalistes sur toute la société ».
Dans leur journal, ils ont même donné à entendre qu’ils sont opposés à ce que les flics obtiennent satisfaction à leurs revendications, déclarant par exemple qu’« assouplir les conditions dans lesquelles ils pourraient faire usage de leurs armes ne ferait que multiplier les bavures » et que leur « principale fonction est de maintenir cet ordre social injuste » (Lutte Ouvrière, 28 octobre).
Sans doute LO doit-elle tenir compte du fait que les braises sont encore chaudes de la colère des travailleurs victimes des mois durant d’une terreur policière inouïe pendant les manifestations du printemps contre la loi El Khomri. Aujourd’hui il faut se mobiliser tous les jours pour tirer des griffes du système judiciaire des centaines de travailleurs et militants syndicaux menacés d’emprisonnement pour leur simple participation à des manifestations, alors que les flics risquent au maximum une condamnation pour la forme pour avoir défiguré, parfois à vie, des manifestants à coups de matraque et de flash-ball.
Mais, si l’on y regarde d’un peu plus près, il apparaît clairement que LO n’a en rien changé sa position réformiste fondamentale vis-à-vis de la police, c’est-à-dire qu’il s’agit depuis toujours pour elle de travailleurs, mais qui portent un uniforme. En 2001, LO était allée jusqu’à saluer les manifestations réactionnaires de flics comme s’il s’agissait de manifestations syndicales ordinaires de travailleurs ! LO disait alors qu’ils avaient « fait une démonstration qui peut être utile à l’ensemble du monde du travail, et montré que, pour se faire entendre de l’Etat-patron, il peut être efficace de manifester son mécontentement dans la rue » (Lutte Ouvrière, 7 décembre 2001). Pour LO, les flics étaient à l’avant-garde des luttes sociales plutôt que de la répression contre elles !
C’était peu après les attentats du 11 Septembre qui avaient permis aux impérialistes de lancer la « guerre contre le terrorisme ». Dans ce même article, LO expliquait aussi : « Car la police, mais aussi les gendarmes, exercent des fonctions qui sont utiles à l’ensemble de la collectivité, en assurant des tâches de sécurité nécessaires à la vie collective [!!], pour un salaire et dans des conditions de travail, on a pu l’apprendre, qui ne valent guère mieux que ceux des salariés du bas de l’échelle. » On retrouve le même apitoiement quinze ans plus tard sur le sort des flics :
« De ce point de vue, les policiers du rang ne sont pas mieux traités que le personnel des hôpitaux ou de l’Education nationale, en particulier ceux qui travaillent dans les quartiers populaires. Ils subissent eux aussi des économies budgétaires, la course à la productivité et des pressions pour faire du chiffre coûte que coûte. »
Lutte Ouvrière, 28 octobre
« Productivité » ? Sans doute doivent-ils sans cesse augmenter le nombre de coups de matraque à l’heure de manif ! LO se lamente même que « l’Etat les envoie au casse-pipe, sans états d’âme » (ibid.) et, dans le numéro précédent de son journal, elle se déclarait choquée des « agressions gratuites répétées à l’encontre des policiers » (Lutte Ouvrière, 21 octobre).
Pour LO, le problème des policiers c’est que leur hiérarchie, au lieu de leur permettre de « se raccrocher aux actes de solidarité et de conscience collective », leur « commande de les combattre » (ibid.) Cette apologie du pauvre flic de base n’est au fond pas si différente du discours extrême-républicain de Mélenchon lors de sa « journée sécurité », où il avait appelé à « résister aux ordres illégitimes et à une vision de doctrine d’emploi de la police et de l’armée qui n’est pas conforme à l’idéal républicain ».
Léon Trotsky, lui, expliquait en janvier 1932 à propos des flics de la république de Weimar, dont beaucoup avaient été recrutés des rangs de la social-démocratie du SPD : « L’ouvrier, devenu policier au service de l’Etat capitaliste, est un policier bourgeois et non un ouvrier. »
A bas la « guerre contre le terrorisme » !
La ligne de LO en 2001 était une capitulation en rase campagne face à la « guerre contre le terrorisme », qui est une couverture à peine déguisée pour la terreur raciste contre les jeunes et les travailleurs soupçonnés d’être musulmans. A l’époque nous avions pour cette raison refusé d’appeler à voter pour LO aux présidentielles et aux législatives de 2002.
Sous Hollande cette guerre raciste a pris une tout autre dimension qu’il y a quinze ans ; elle s’étend du Mali à l’Irak et aux banlieues françaises. Pratiquement tous les mois meurt un jeune en garde-à-vue ou lors d’une « course-poursuite » avec les flics alors que les sans-papiers se font bastonner sans ménagement à Calais et expulser du pays à Menton, à Roissy, à Mayotte le tout sans procédure, les flics s’asseyant sur leurs propres lois.
Adama Traoré, qui n’était pas soupçonné de la moindre infraction, a ainsi été « maîtrisé » par trois flics le 19 juillet avant de mourir quelques instants plus tard dans le fourgon de police. Le quadrillage des banlieues par la police, selon des conceptions et des méthodes directement héritées de la guerre d’Algérie, a pour but d’empêcher une nouvelle révolte des jeunes confrontés à un avenir sans espoir. Quant à LO, elle avait lors de la révolte de 2005 signé un appel à « rétablir l’ordre » (voir notre article dans le Bolchévik n° 176), et elle refuse toujours, depuis 25 ans, de s’opposer à Vigipirate. Le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes des banlieues contre la terreur raciste des flics !
Le pays vit sous l’état d’urgence depuis plus d’un an. Les appels hystériques à l’« unité nationale » avec la bourgeoisie française, soi-disant contre le terrorisme islamique, n’ont pas cessé depuis les attentats criminels de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’HyperCacher. LO avait alors titré « Merci Charlie », sachant pourtant pertinemment que Charlie Hebdo avait été à la pointe de la campagne raciste anti-musulmans au nom de la « laïcité ».
LO n’est jamais revenue sur cette honteuse capitulation face à l’union nationale pour Charlie. C’est pourquoi il manque une base politique minimum pour que l’on puisse envisager un soutien électoral, même férocement critique, à Nathalie Arthaud, la candidate de Lutte ouvrière aux prochaines présidentielles, et ce en dépit de la posture de LO à se présenter comme la voix des travailleurs indépendante de la bourgeoisie.
Comme nous le rappelions dans notre article « La police et la Révolution allemande de 1918-1919 » (Spartacist édition française n° 42, été 2015), la tâche des flics, tout comme celle des tribunaux et des prisons, c’est de protéger et défendre la propriété privée et le système capitaliste lui-même. Aussi, la classe ouvrière doit « briser, démolir la “machine de l’Etat toute prête” » (Lénine, reprenant une citation de Marx). Ce sera la tâche d’une révolution socialiste, dirigée par un véritable parti communiste internationaliste d’avant-garde.