Le Bolchévik nº 217

Septembre 2016

 

Il faut mobiliser la puissance de la classe ouvrière contre la terreur policière raciste !

USA : Les Noirs en état de siège

Nous reproduisons ci-dessous une déclaration publiée le 13 juillet dernier par nos camarades de la Spartacist League/U.S., section américaine de la LCI, en plein milieu de la vague de colère qui a suivi les assassinats d’Alton Sterling et Philando Castile par des policiers. Cette expression de colère est rapidement retombée après la mort de huit flics – cinq à Dallas et trois à Baton Rouge – abattus par deux anciens combattants noirs. Ces derniers avaient été entraînés pour les sales guerres de l’impérialisme américain contre les peuples de couleur à l’étranger ; ils avaient vu la guerre sans répit qui est menée aux Etats-Unis mêmes contre les Noirs, et ils ont pété les plombs. Tous les deux sont maintenant morts, victimes de cette guerre.

Pendant que la classe dirigeante américaine, de la Maison Blanche d’Obama jusqu’au festival de la réaction raciste qu’a été la convention républicaine, saluait « l’héroïsme » de ses nervis de la police, une nouvelle vidéo montrant un Noir se faisant tirer dessus par un flic (cette fois-ci, à Miami) a été diffusée sur Internet. Charles Kinsey était psychologue et était en train de venir en aide à un patient autiste quand les flics sont arrivés. Il était allongé sur le trottoir, les mains en l’air, quand trois coups de feu ont été tirés dans sa direction et qu’il a reçu une balle dans la jambe. Quand il a demandé pourquoi on lui avait tiré dessus, le flic aurait déclaré : « Je ne sais pas. » En fait, tirer sur des Noirs est un réflexe habituel pour les policiers. Leur tâche, c’est de « servir et protéger » la classe dirigeante qui règne sur cette société fondée sur l’oppression des Noirs et l’exploitation de la classe ouvrière, dont le travail fait fonctionner ce système capitaliste basé sur le profit.

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C’était à peine 36 heures après la diffusion d’une horrible vidéo montrant des flics de Baton Rouge en train d’exécuter Alton Sterling, criblé de balles alors qu’il était à terre : des millions de gens ont vu en direct Philando Castile se vider de son sang et mourir dans sa voiture des multiples blessures par balles infligées par un flic de la banlieue de Minneapolis. Alors que Castile agonisait, son amie Diamond Reynolds, qui était à ses côtés dans la voiture en compagnie de sa fille de quatre ans, a courageusement filmé la scène sur son téléphone portable : un flic surexcité, debout à côté de la fenêtre ouverte de la voiture, gardait son arme pointée sur la tête de Castile en hurlant à Reynolds de garder les mains sur le tableau de bord. On lui a ensuite ordonné de sortir de la voiture, puis elle a été forcée de s’agenouiller avant d’être menottée et emmenée avec sa fille, comme si toutes deux étaient des esclaves en fuite.

Partout dans le pays, des manifestations se sont multipliées derrière le mot d’ordre Black Lives Matter [les vies des Noirs comptent]. Mais l’amère vérité, c’est que pour la bourgeoisie américaine raciste la vie des Noirs ne compte pas. Cette classe dirigeante s’est fabuleusement enrichie sur le dos lacéré de coups de fouet des esclaves noirs, et aujourd’hui elle utilise le racisme anti-Noirs pour diviser ses esclaves salariés et maintenir son emprise sur eux. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour exiger que l’on oblige les flics meurtriers à changer de comportement. Mais malgré toutes les enquêtes fédérales et toutes les promesses de réforme de la police, rien n’a changé et rien ne changera. La raison en est simple : les flics sont les bandes armées quotidiennes, à l’intérieur du pays, d’un système basé sur une exploitation capitaliste féroce des travailleurs et sur la ségrégation qui maintient la majorité de la population noire au bas de l’échelle sociale.

Le 7 juillet à Dallas, Micah Xavier Johnson, un ancien militaire de 25 ans, a été pris d’une fureur homicide ; il a braqué son fusil sur des flics blancs qui encadraient une manifestation contre les meurtres de Sterling et de Castile. Quand il a arrêté de tirer, cinq flics étaient morts et sept autres blessés. Dans le garage où Johnson s’était barricadé, la police a envoyé un robot déposer une bombe pour le faire exploser. Comme avec les drones déployés par l’administration Obama contre les peuples de couleur aux quatre coins du monde, la vie de Johnson a été supprimée par une arme de guerre de type militaire. Pas de juge, pas de jury, juste le souffle d’une bombe.

Les manifestants ont continué à se mobiliser contre la terreur policière, bravant une répression policière féroce et des centaines d’arrestations. Il y a en même temps, et c’est compréhensible, une crainte très réelle que les policiers vont chercher à venger les flics tués. Le doigt sur la gâchette, les responsables de diverses associations de policiers dénoncent les militants de Black Lives Matter et les autres manifestants en les traitant de « terroristes ». Donald Trump se présente comme le candidat qui va faire respecter « la loi et l’ordre » racistes, enhardissant ainsi les fascistes qui se sont ralliés à sa campagne. Pour sa part, Hillary Clinton a soutenu les lois racistes de son mari qui ont mis fin aux prestations sociales et consolidé les Etats-Unis comme « nation incarcératrice ». Aujourd’hui elle déclare hypocritement qu’il est temps « de commencer à écouter » les Noirs.

Obama a écourté son voyage en Europe, où il était allé promouvoir les intérêts économiques et militaires de l’impérialisme américain, pour se rendre à Dallas et prêcher la « réconciliation » entre les Noirs et les flics qui quotidiennement les humilient, les brutalisent et les tuent. Des pasteurs, des libéraux et même quelques socialistes autoproclamés se joignent aux prières pour les vies perdues, celles de Sterling et Castile comme celles des flics de Dallas, mettant ainsi grotesquement sur le même plan la police et ses victimes.

On peut prier tant qu’on voudra, mais la vérité reste ce qu’elle est : plus de 150 ans après la fin de la Guerre civile [la guerre de Sécession], les Noirs sont toujours pourchassés. Comme le dit Diamond Reynolds quand elle explique pourquoi elle avait filmé ce qui s’est passé à Minneapolis : « Je l’ai fait pour que le monde sache que ces policiers ne sont pas là pour nous protéger et nous servir. Ils sont là pour nous assassiner. Ils sont là pour nous tuer. Parce que nous sommes noirs. »

Le tristement célèbre jugement de 1857 dans l’affaire Dred Scott affirmait que les Noirs « n’ont aucun droit que les Blancs soient obligés de respecter »; il n’a plus force de loi, mais cette réalité est toujours là. Roger B. Taney, le juge à la Cour suprême qui avait rédigé les attendus de ce jugement, notait avec horreur que si les Noirs obtenaient le droit de citoyenneté, ils auraient le droit « de posséder et de porter des armes partout où ils iront ».

Le fait qu’apparemment Alton Sterling et Philando Castile portaient une arme a suffi aux flics pour les abattre sans poser de question. Aucun d’eux n’avait dégainé une arme. Les flics prétendent que Sterling avait une arme dans sa poche, et Castile avait dit au flic qu’il avait un permis de port d’arme. Comme l’a dit de façon poignante la mère de Castile : « Il avait un permis de port d’arme. Avec tout ce qui se passe, il a essayé de suivre le droit chemin, de respecter la loi, mais il a été tué par la loi. »

A l’origine, le droit de citoyenneté était uniquement accordé aux propriétaires blancs de sexe masculin. Au fur et à mesure que ces droits étaient étendus à d’autres, leur signification réelle diminuait. C’est avec le droit des Noirs à porter des armes que c’est le plus clair. Les lois sur le port d’arme dans ce pays ont pour objectif essentiel non pas de contrôler les armes, mais de contrôler la classe ouvrière, et particulièrement la capacité des Noirs à se défendre contre la terreur raciste. Ces lois servent à réserver les armes uniquement aux flics, aux criminels et aux tueurs fascistes. Comme le disait en 1892 Ida B. Wells, une courageuse femme noire qui s’est battue contre le lynchage des Noirs par le Ku Klux Klan : « Une place de choix devrait être réservée à une Winchester dans la maison de tous les Noirs, et celle-ci devrait être utilisée pour la protection que la loi refuse de fournir. »

Pendant qu’Obama prêche cyniquement « la paix », une guerre de classe incessante est menée dans ce pays contre les travailleurs, les Noirs, les immigrés, les pauvres et tous ceux qui sont relégués au bas de l’échelle sociale. Les patrons ont le dessus car les dirigeants traîtres du mouvement ouvrier cadenassent sa puissance, en la sacrifiant aux intérêts des exploiteurs. Philando Castile était membre du syndicat des camionneurs, l’un des plus grands syndicats et potentiellement l’un des plus puissants des Etats-Unis. Tout ce que les dirigeants de sa section syndicale ont eu à proposer a été une déclaration demandant aux syndiqués de garder la famille Castile dans « leurs pensées et leurs prières ». Les bureaucrates ont ajouté, comme si c’était une consolation, que le flic qui a tué Castile n’était pas syndiqué, contrairement à d’autres flics organisés par le syndicat des camionneurs dans le Minnesota ! Difficile de trouver un exemple plus patent de la trahison des lieutenants ouvriers au service de l’ennemi de classe capitaliste que l’accueil qu’ils réservent aux flics – racistes, anti-grève, ennemis des travailleurs, des Noirs et des opprimés – comme « camarades syndiqués ». Flics, hors des syndicats !

Est-ce surprenant si de plus en plus de gens, y compris certains travailleurs noirs, pensent que le seul moyen d’avoir un impact économique est la tactique de désespoir qui consiste à appeler à boycotter les commerces tenus par les Blancs ? La capacité d’avoir un impact réel existe pourtant bel et bien dans la classe ouvrière multiraciale, qui a la puissance sociale et économique de bloquer les profits des patrons en arrêtant la production et la distribution par la grève.

Une démonstration de force massive basée sur la mobilisation du mouvement ouvrier contre la terreur policière susciterait une « sainte frayeur » dans la police et chez ses maîtres capitalistes. Et elle ferait la démonstration que les intérêts de la classe ouvrière – blanche et noire, immigrée et autochtone – sont inséparablement liés à la défense des ghettos et à la lutte pour la libération des Noirs. Mais cela signifie que les travailleurs doivent être mobilisés indépendamment de, et contre, tous les partis et toutes les officines du pouvoir de la classe capitaliste.

Il a fallu une guerre civile sanglante, la « deuxième révolution américaine », avec 200 000 soldats noirs, les armes à la main, pour briser les chaînes de l’esclavage des Noirs. Mais conformément à leurs intérêts de classe, les capitalistes nordistes ont trahi la promesse de la libération des Noirs en faisant la paix avec les anciens esclavagistes, pour défendre les « droits de propriété » de la bourgeoisie contre les esclaves libérés et contre les ouvriers en rébellion au Nord. Pour en finir avec la terreur policière raciste, il faudra rien moins qu’une troisième révolution américaine – une révolution socialiste prolétarienne qui brisera les chaînes de l’esclavage salarié capitaliste.

La clé pour libérer la puissance sociale de la classe ouvrière, c’est la lutte pour une direction lutte de classe, forgée en opposition à l’Etat capitaliste. Il faut tourner la légitime colère contre les flics meurtriers vers une lutte contre l’ordre social qu’ils défendent, une lutte pour faire de la classe ouvrière la maîtresse d’une nouvelle société. La Spartacist League, section américaine de la Ligue communiste internationale, s’est fixée pour but de lutter pour construire un parti ouvrier révolutionnaire déterminé à se battre pour un gouvernement ouvrier. Un tel parti se mettra à la tête de tous les exploités et opprimés et leur permettra d’arracher les richesses de ce pays des mains des capitalistes avides et corrompus. Une fois brisés le pouvoir de la bourgeoisie et son appareil d’Etat, ces richesses seront mises au service de ceux qui les ont produites – notamment les descendants des esclaves noirs dont le travail fut la pierre angulaire sur laquelle le capitalisme américain s’est construit.