Le Bolchévik nº 217 |
Septembre 2016 |
Campagne impérialiste antirusse aux JO
Cet article a été publié le 29 juillet dans Workers Vanguard (n° 1093), le journal de la Spartacist League/U.S., section américaine de la Ligue communiste internationale, à la veille de l’ouverture des Jeux olympiques.
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Le 21 juillet, le Tribunal arbitral du sport a confirmé la décision d’exclure l’équipe russe d’athlétisme des Jeux olympiques de Rio de Janeiro, qui s’ouvriront le 5 août. Cette exclusion, prononcée par l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF), se base sur un rapport de l’Agence mondiale antidopage (AMA) qui accuse le gouvernement, les services de sécurité et les autorités sportives russes de collusion en vue de dissimuler un dopage à grande échelle. Trois jours plus tard, la Commission exécutive du Comité international olympique (CIO) décidait de ne pas infliger une exclusion globale à tous les athlètes russes, laissant ainsi la porte légèrement entrebâillée pour permettre aux athlètes de faire individuellement appel auprès des fédérations sportives des différentes disciplines, tout en se réservant la décision finale sur qui serait autorisé à concourir. Les athlètes russes sont explicitement présumés coupables et c’est à eux qu’il appartient de « réfuter l’applicabilité de la responsabilité collective » à leur cas individuel. Ne pas avoir été contrôlé positif ne leur assurera pas une place à Rio, mais tout athlète russe précédemment sanctionné pour dopage sera automatiquement exclu. Preuve de l’hypocrisie de toute cette affaire, les athlètes américains ayant précédemment été exclus pour dopage seront autorisés à concourir.
Yelena Isinbayeva, championne olympique de saut à la perche, a qualifié à juste titre l’acharnement contre l’équipe olympique russe d’« assassinat politique ». Il n’y a guère de doute que ceux qui tirent les ficelles de la marionnette CIO sont les impérialistes américains, dans le cadre de leurs efforts pour isoler la Russie de Vladimir Poutine. Ces dernières années, Washington a renforcé les effectifs de l’OTAN déployés aux frontières de la Russie, et en février 2014 les Etats-Unis ont soutenu en Ukraine un coup d’Etat antirusse avec des fascistes en fer de lance.
Réagissant aux appels des agences antidopage américaine et canadienne à exclure la Russie, Pat Hickey, président du Conseil olympique irlandais et membre de la Commission exécutive du CIO, a demandé à savoir « quel est le mandat les autorisant à lancer un appel international à exclure une autre nation de la famille olympique ». Que les allégations de l’AMA soient vraies ou non, nous disons : laissez les Russes participer ! Tout comme nous nous opposons à la guerre contre la drogue, qui remplit les prisons américaines de jeunes principalement noirs ou latinos, nous nous opposons à l’interdiction dans les sports de ce qu’on appelle des produits dopants. Lorsqu’un individu utilise des drogues ou des produits dopants, que ce soit pour le plaisir ou parce qu’il cherche à améliorer ses performances athlétiques, c’est un choix personnel. A bas la guerre contre la drogue ! A bas l’interdiction des produits dopants !
L’IAAF, la fédération mondiale d’athlétisme, prétend que la sanction infligée aux Russes assurera « l’égalité des chances » et garantira « la crédibilité et l’intégrité de la compétition ». Des sportifs américains sponsorisés par de grandes entreprises avec en face des athlètes venant de pays pauvres où la majorité des gens arrive à peine à s’acheter de quoi manger, voilà qui montre bien que ce baratin sur « l’égalité des chances » est un mot de code pour que les pauvres et les opprimés « restent à leur place ».
La chasse aux sorcières contre les produits dopants contredit la devise olympique « plus vite, plus haut, plus fort ». Une société rationnelle encouragerait les potentialités d’amélioration des performances athlétiques humaines, y compris au moyen de produits dopants, tout en menant en même temps des études scientifiques objectives sur leurs bénéfices potentiels et leurs dangers médicaux. La levée de l’interdiction des produits dopants permettrait également aux utilisateurs de sortir de l’ombre et de prendre ces produits sous contrôle médical. Mais la société capitaliste n’est pas rationnelle.
Qui sont ces gardiens de la morale sportive internationale ? Près de la moitié des 90 membres actuels du CIO (dont neuf sont des princes, des princesses ou des cheikhs) ont été choisis par Juan Antonio Samaranch, l’ex-président du CIO qui fut longtemps un fervent supporteur du dictateur militaire espagnol sanguinaire Francisco Franco, dont il avait été le ministre des Sports. L’actuel président du CIO, Thomas Bach, a lui-même été accusé de tricherie dans la compétition d’escrime aux Jeux olympiques de 1976.
Pour essayer de « purifier » les Jeux olympiques, on dépense chaque année un demi-milliard de dollars pour réaliser 300 000 tests de dopage. Une cabale de petits Edgar Hoover [le premier directeur du FBI américain] en blouse blanche analysent des échantillons d’urine, pas seulement pour voir si les athlètes ont utilisé une substance prohibée, mais pour interdire les substances qui apparaissent plus fréquemment que d’autres, et qui sont présumées être « dopantes ». Parmi les produits actuellement prohibés on trouve des dizaines de médicaments et de suppléments alimentaires légaux, et d’autres médicaments : des bêtabloquants prescrits pour les maladies cardiaques, des bronchodilatateurs utilisés contre l’asthme et la pseudo-éphédrine (Sudafed), un médicament contre le rhume. Même la caféine a été interdite pendant 20 ans, jusqu’à ce que les pharisiens de l’AMA décrètent en 2004 que cette interdiction était trop difficile à faire respecter (mais il est aujourd’hui question de l’interdire à nouveau).
Festivals olympiques de chauvinisme
Le CIO colporte le mythe selon lequel « le but du Mouvement olympique est de contribuer à la construction d’un monde meilleur et pacifique ». Le romancier britannique George Orwell avait une opinion bien plus sobre : « Je suis toujours stupéfait d’entendre des gens déclarer que le sport favorise l’amitié entre les peuples ». Il ajoutait que « les rencontres sportives internationales sont l’occasion d’orgies de haine » (« L’esprit sportif », 1945).
Les compétitions internationales d’athlétisme, qui opposent les Etats-nations les uns aux autres et qui sont en grande partie financées par les gouvernements, expriment nécessairement une idéologie chauvine et sont toujours subordonnées aux manuvres diplomatiques. Les Jeux olympiques ont une histoire particulièrement sordide en tant qu’arène des antagonismes nationaux. Ils ont pour origine les associations sportives qui s’étaient multipliées après la guerre franco-prussienne de 1870. Les gouvernements encourageaient ces associations dans le but de stimuler la fierté nationale et d’inculquer les valeurs martiales.
Le fondateur des Jeux olympiques, le baron français Pierre de Coubertin, était l’incarnation vivante du chauvinisme, du racisme et du mépris de classe qui imprègnent les Jeux olympiques. Coubertin refusait catégoriquement d’admettre les athlètes allemands aux jeux, déclarant que « l’athlète moderne exalte sa patrie, sa race, son drapeau ». Peu avant le début de la Première Guerre mondiale, il donnait ce conseil : « les peuples retiendront la grande leçon du sportif, à savoir que la haine sans bataille est peu digne d’un homme et que l’injure sans coups en est tout à fait indigne ».
La Grande-Bretagne et la France participèrent aux jeux de Berlin en 1936 conformément à leur politique de « conciliation » de l’Allemagne nazie. C’est là que l’athlète noir Jesse Owens, star de l’athlétisme, avait gâché, avec ses quatre records du monde et ses quatre médailles d’or, la fête de la « race aryenne des seigneurs » de Hitler. La dernière médaille d’Owens, celle du relais 4x100 mètres, avait été rendue possible par la décision de dernière minute d’Avery Brundage, président du Comité olympique américain, de retirer les sprinters juifs Marty Glickman et Sam Stoller de la course afin d’épargner à Hitler la vue de Juifs sur le podium.
Après les jeux, Brundage déclara avec enthousiasme : « Nous avons beaucoup à apprendre de l’Allemagne. Nous aussi, si nous voulons préserver nos institutions, nous devons éradiquer le communisme. Nous aussi, nous devons prendre des mesures pour arrêter le déclin du patriotisme. » Une réception en l’honneur d’Owens et de ses performances héroïques avait été organisée à l’hôtel Waldorf Astoria de New York, mais Owens fut obligé d’emprunter le monte-charge de service pour y entrer. Alors même qu’il était épuisé après ses exploits olympiques, Owens fut obligé de participer à plusieurs compétitions sportives ; ayant refusé de concourir à l’une d’entre elles, il fut suspendu par l’association d’athlétisme amateur et se retrouva sur la liste noire, exclu à vie du sport amateur.
La célébration olympique du chauvinisme a quelques fois été contrariée par des protestations contre l’oppression nationale et raciale. En 1906, Peter O’Connor, spécialiste du saut en longueur et nationaliste irlandais fervent, avait été obligé de concourir contre son gré sous le drapeau britannique. Durant la cérémonie de remise des médailles, et alors que l’Union Jack était en train d’être hissé en honneur de sa médaille d’argent, O’Connor escalada le mât et déroula un grand drapeau vert orné d’une harpe dorée et de la devise Erin Go Bragh (l’Irlande pour toujours). Aux Jeux olympiques de Mexico en 1968, à l’époque où Brundage était président du CIO, Tommie Smith et John Carlos, respectivement médaille d’or et médaille de bronze, furent exclus de l’équipe des Etats-Unis et durent quitter le Mexique sous 48 heures. Ils avaient fait le salut du « black power » en levant le poing fermé pendant la cérémonie de remise des médailles, en protestation contre la discrimination raciste et la pauvreté.
L’hystérie sur les produits dopants a commencé en réaction aux succès internationaux des athlètes de l’Union soviétique et des Etats ouvriers bureaucratiquement déformés d’Europe de l’Est dans les années 1970 et 1980. En particulier, avec la première participation de l’Union soviétique en 1952, les Jeux olympiques furent réduits à un test symbolique de supériorité entre « l’homme socialiste soviétique » et « le rude individualisme » du monde capitaliste. Lorsqu’en 1956 les Etats-Unis remportèrent moins de médailles que l’URSS, ce fut comme un petit traumatisme national. Cette concurrence s’intensifia avec la reprise de la guerre froide à la fin des années 1970, sous la présidence du démocrate Jimmy Carter. A la suite de l’intervention soviétique en Afghanistan contre les moudjahidin meurtriers soutenus par les Etats-Unis (et précurseurs des talibans, d’Al-Qaida et de l’EI), Carter ordonna le boycott par les Etats-Unis des Jeux olympiques de Moscou de 1980, dans le but d’attiser l’hystérie antisoviétique.
L’Union soviétique, un Etat ouvrier dégénéré, a été détruite par une contre-révolution capitaliste en 1991-1992. Pourtant l’attitude des Etats-Unis envers la Russie aujourd’hui rappelle l’époque de la guerre froide des années 1950 vilipender la Russie est devenue une habitude pour les médias et les politiciens américains. Mais l’hostilité des impérialistes américains envers la Russie n’a plus pour objectif le renversement des rapports de propriété collectivisés instaurés par la Révolution d’octobre 1917. Elle exprime plutôt la détermination de Washington à empêcher la Russie, une puissance capitaliste régionale qui a des ambitions impériales, d’accéder au club des puissances impérialistes. Pour isoler la Russie, les Etats-Unis ont une fois de plus transformé les Jeux olympiques en pion dans leur jeu.