Le Bolchévik nº 216

Juin 2016

 

Démocrates, républicains – Dehors, tous !

La peur et la haine aux primaires américaines

Pour un parti ouvrier révolutionnaire multiracial !

L’article ci-dessous a été traduit de Workers Vanguard n° 1087, 8 avril.

Dans son livre l’Etat et la révolution, écrit en 1917, le dirigeant bolchévique Lénine décrivait ainsi le caractère frauduleux de la démocratie bourgeoise : « Décider périodiquement, pour un certain nombre d’années, quel membre de la classe dirigeante foulera aux pieds, écrasera le peuple au Parlement, telle est l’essence véritable du parlementarisme bourgeois ». Les marxistes révolutionnaires s’opposent par principe à tout vote pour les républicains, les démocrates ou tout autre candidat bourgeois. En même temps, les primaires de cette année manifestent la colère et le désespoir qui s’accumulent depuis des dizaines d’années au bas de l’échelle sociale américaine.

La haine est profonde vis-à-vis de l’establishment politique des deux grands partis ; ils sont vus, à juste titre, comme les agents stipendiés des escrocs financiers de Wall Street et des grandes entreprises qui se goinfrent de profits et sont responsables de la ruine de millions de gens. Mais, par la faute avant tout de la bureaucratie syndicale procapitaliste, la colère des travailleurs ne s’exprime pas sous forme de lutte de classe contre la bourgeoisie. De ce fait, le mécontentement des gouvernés trouve à s’exprimer dans le soutien à des candidats bourgeois « anti-establishment ». Donald Trump, un magnat de l’immobilier milliardaire ouvertement raciste, domine jusqu’à présent les primaires républicaines. Personne n’avait prévu que Bernie Sanders, qui se proclame « socialiste démocratique », rendrait le second avènement de la dynastie Clinton aussi difficile.

Dans ce cirque électoral, Sanders est le seul candidat promettant du pain aux masses – gratuité des études, couverture médicale pour tous et salaire minimum de 15 dollars de l’heure. Cela rencontre un écho favorable notamment parmi les jeunes issus de la petite bourgeoisie blanche ainsi que chez les ouvriers blancs qui ont vu leur syndicat détruit, leur salaire rogné, leurs prestations sociales supprimées et tous les emplois correctement payés pratiquement disparaître. Les promesses de Sanders ne sont que du vent. Ce n’est que par la lutte de classe qu’on peut arracher de telles concessions à la bourgeoisie. Sanders a beau se faire traiter de « rouge », ce n’est pas un socialiste mais un politicien capitaliste. Cependant, dans cette société où le socialisme est depuis longtemps vilipendé comme une attaque contre « le mode de vie américain », le fait que Sanders ait du soutien chez les ouvriers blancs est indicatif de la colère qui monte dans la société.

L’establishment du Parti démocrate tolère les rodomontades de Sanders, qui affirme être à la tête d’« une révolution politique contre la classe des milliardaires ». Cet homme est depuis longtemps au service des intérêts de la classe dirigeante. Il a notamment soutenu les guerres, les occupations et autres aventures militaires sanglantes de l’impérialisme américain qui ont dévasté des pays entiers aux quatre coins du monde (voir notre article « Bernie Sanders : homme de paille de l’impérialisme », Workers Vanguard n° 1083, 12 février). Non seulement il est candidat à l’investiture d’un parti qui, tout autant que les républicains, représente les intérêts de la bourgeoisie, mais en plus il aide à redorer le blason des démocrates comme « parti du peuple ». En outre, il s’est engagé à soutenir le candidat qui sera désigné par le Parti démocrate, vraisemblablement Hillary Clinton. Celle-ci, pour sa part, fait le plein du vote des Noirs : la crainte d’une victoire républicaine, amplifiée par le spectacle des fascistes qui grouillent autour de Trump, pousse les Noirs encore davantage vers les démocrates – qui étaient autrefois le parti des esclavagistes et de la ségrégation raciale.

Côté républicain, l’establishment du parti est en train de dépenser des millions de dollars en spots publicitaires pour attaquer non pas les démocrates, mais le candidat en tête de course pour leur propre parti. D’anciens candidats républicains sortent de leur retraite pour dénoncer les vomissements racistes anti-immigrés de Trump et son sexisme révoltant. C’est là le comble de l’hypocrisie : ces gens disaient aux « immigrés clandestins » de « s’auto-expulser », traitaient les travailleurs et les pauvres de « pique-assiette » osant vouloir se soigner, se nourrir et se loger, et ils n’ont pas cessé de rogner tous les acquis du mouvement des droits civiques, brandissant la Bible en toute occasion et vouant aux gémonies les femmes devant avorter, les homosexuels et autres « pervers ».

Trump dit simplement tout haut ce que les dirigeants du Parti républicain défendent depuis des années. Ce qui les gêne, c’est que Trump ne respecte pas les règles du jeu décidées par les élites du parti. Pour ces gens-là, attiser la réaction raciste est un outil de mobilisation idéologique pour dépouiller encore plus la classe ouvrière et les pauvres en sabrant dans ce qui reste des programmes sociaux. Trump déclare qu’il ne touchera pas à la Sécurité sociale ni à Medicare [la couverture des soins médicaux pour les personnes âgées et les handicapés]. Ce démagogue réactionnaire est capable de dire et faire tout et n’importe quoi. Il prétend qu’il va faire revenir les emplois industriels aux Etats-Unis grâce à une variante particulièrement raciste du protectionnisme classique pour « sauver les emplois américains », une promesse populaire chez les travailleurs blancs pauvres. De son côté, la direction du Parti républicain n’apprécie pas que Trump excite ainsi les chômeurs et déshérités et mette en péril les profits que l’impérialisme américain tire des accords de « libre-échange » qui lui permettent de saigner à blanc le monde néocolonial.

Pour les dirigeants républicains, Trump aggrave son cas en reprenant à son compte le slogan de Ronald Reagan, le saint patron du parti : « Restaurer la grandeur de l’Amérique. » Reagan s’était hissé à la Maison Blanche en exploitant habilement un retour de bâton raciste chez les Blancs contre les programmes sociaux, considérés comme trop favorables aux Noirs pauvres des ghettos. La carte raciale fut alors utilisée, comme elle l’a toujours été par la classe dirigeante américaine, pour intensifier et aggraver l’exploitation de la classe ouvrière tout entière. Aujourd’hui, la paupérisation qui avait été infligée d’abord aux Noirs dans la classe ouvrière et la population déshéritée devient de plus en plus la réalité de beaucoup de Blancs, ouvriers et pauvres.

Dans les années 1990, le livre de l’idéologue raciste Charles Murray The Bell Curve imputait la misère des pauvres des ghettos à l’« infériorité génétique » des Noirs. En 2012, son livre Coming apart : The State of White America, 1960-2010 expliquait que la paupérisation des Blancs défavorisés était due à un manque de valeurs familiales et morales. Cette arrogance de classe s’exprimait plus crûment encore dans l’article d’un certain Kevin D. Williamson publié récemment dans la très réactionnaire National Review (28 mars), « Chaos dans la famille, chaos dans l’Etat : les dysfonctionnements de la classe ouvrière blanche » :

« Il ne leur est rien arrivé. Il n’y a pas eu quelque affreux désastre. Il n’y a eu ni guerre, ni famine, ni peste, ni occupation étrangère. Même les changements économiques survenus ces dernières décennies ne suffisent pas à expliquer les dysfonctionnements et la négligence – et la malveillance incompréhensible – de l’Amérique blanche pauvre […].

« La vérité, c’est que ces populations dysfonctionnelles et déshéritées méritent de mourir. Economiquement, elles sont un fardeau. Moralement, elles sont indéfendables. »

La libération des travailleurs de l’esclavage salarié ne pourra se réaliser sans que le prolétariat prenne fait et cause pour la libération des Noirs, qui elle-même requiert de mettre à bas ce système capitaliste raciste par une révolution socialiste. Dans le Livre premier du Capital (1867), Karl Marx avait saisi le secret de la société capitaliste américaine : « Le travail sous peau blanche ne peut s’émanciper là où le travail sous peau noire est stigmatisé et flétri. » Notre objectif aujourd’hui, en tant que marxistes, est de permettre que la colère et le mécontentement bouillonnants des masses laborieuses se traduisent en l’idée consciente que la classe ouvrière doit avoir son propre parti : non pas un moyen électoral pour chercher à gérer l’Etat capitaliste, mais un parti qui défendra la cause de tous les exploités et de tous les opprimés et luttera pour le pouvoir ouvrier.

Les dieux rendent fous ceux qu’ils veulent perdre

Si le Parti républicain a tout de l’asile de fous, c’est simplement qu’il reflète la dangereuse irrationalité de l’impérialisme américain. Après avoir mené à bien en 1991-1992 la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique – qui était le produit de la première et unique révolution prolétarienne victorieuse – les capitalistes américains se sont comportés comme s’ils étaient les maîtres incontestés du monde. Sous les administrations républicaines ou démocrates, ils ont usé et abusé de leur puissance militaire aux quatre coins du monde. Mais la litanie sans fin des guerres de l’impérialisme américain n’a en rien pu enrayer le déclin de sa puissance économique.

« Il faut stopper Trump », a déclaré un ancien conseiller en politique étrangère de l’administration Bush, ajoutant que Trump « inquiète nos alliés en Amérique centrale, en Europe, en Extrême-Orient et au Moyen-Orient ». En dénonçant l’invasion de l’Irak décidée par George W. Bush, Trump s’est mis à dos les « néoconservateurs » qui avaient été les architectes de cette guerre. En conclusion d’un billet hostile à Trump publié dans le Washington Post du 25 février, le néoconservateur Robert Kagan écrivait ainsi : « Pour l’ex-républicain que je suis, et peut-être pour d’autres, le seul choix sera de voter pour Hillary Clinton. » Pourquoi pas ? Elle a des références en or, en tant que « faucon » de l’impérialisme américain.

Beaucoup de gens, y compris des républicains qui tiennent une rubrique dans le New York Times, se demandent si Donald Trump « est un fasciste ». D’autres font un parallèle entre sa candidature et la fin de la République de Weimar avec la montée des nazis de Hitler en Allemagne. Mais les nazis s’étaient développés sur un autre terreau, celui d’une puissance impérialiste vaincue pendant la Première Guerre mondiale. Les nazis devinrent un mouvement de masse au début des années 1930 en exploitant le mécontentement d’une petite bourgeoisie de plus en plus paupérisée. Quand la direction du parti communiste et celle du parti socialiste, deux partis qui avaient plusieurs millions de membres, se révélèrent incapables de tenter de renverser l’ordre capitaliste décadent en Allemagne, la bourgeoisie discréditée lâcha la bride aux nazis pour préserver sa domination en écrasant le mouvement ouvrier ; ce faisant, elle ouvrit la voie à l’épouvantable barbarie de l’Holocauste.

Les Etats-Unis ne sont pas un pays impérialiste vaincu ; ils restent au contraire « la seule superpuissance mondiale », avec une puissance militaire plusieurs fois supérieure à la somme de celles de leurs rivaux impérialistes. La classe dirigeante américaine n’est pas non plus menacée par sa classe ouvrière sur le front intérieur. Au contraire, par la faute des traîtres à la tête des bataillons de plus en plus réduits du mouvement syndical, la bourgeoisie américaine gagne jusqu’ici la guerre qu’elle mène depuis des dizaines d’années contre le mouvement ouvrier.

Trump n’est pas un fasciste ; la voie qu’il a l’intention de suivre pour arriver au pouvoir ne se situe pas en dehors du cadre électoral. Mais il y a pourtant de quoi craindre les brutes chauvines et anti-immigrés que ses meetings électoraux excitent jusqu’au délire ; ces meetings provoquent contre lui des manifestations racialement intégrées dans tout le pays. Les manifestants contre les meetings de Trump ont été la cible d’agressions, et des Noirs qui y participaient ont été conspués aux cris de « retournez en Afrique ». Le Ku Klux Klan et autres groupes fascistes sortent de leurs trous à rats. David Duke, ex-« grand sorcier » du Klan, déclare que « voter contre Donald Trump en ce moment, c’est vraiment trahir son héritage ».

Dans les années 1980, le racisme officiel émanant de la Maison Blanche de Reagan avait de même encouragé le Klan et les nazis. Quand ceux-ci avaient essayé d’organiser des rassemblements pour la terreur raciste dans un certain nombre de grandes villes, nous avions appelé à des mobilisations de masse du mouvement ouvrier organisé et des minorités pour les stopper. A Chicago, à Washington, à Philadelphie et ailleurs, ils avaient été stoppés par des rassemblements de milliers de personnes, basés sur la puissance sociale des syndicats multiraciaux mobilisant derrière eux la population pauvre des ghettos noirs, les immigrés et toutes les victimes désignées de la terreur fasciste. A une échelle réduite, ces mobilisations illustraient le rôle du parti ouvrier révolutionnaire que nous cherchons à construire.

La peste ou le choléra pour les ouvriers et les Noirs

Si un nombre significatif de travailleurs blancs soutiennent un homme dont la phrase favorite était jadis « vous êtes viré », la responsabilité en incombe sans ambiguïté à la bureaucratie syndicale procapitaliste. Trump a acquis cette popularité en faisant sien le slogan protectionniste « l’Amérique d’abord » des dirigeants traîtres de la fédération syndicale AFL-CIO. Sous cet étendard, les charlatans syndicaux n’ont fait qu’abandonner les uns après les autres les acquis remportés par des luttes combatives des travailleurs – noirs, blancs et immigrés.

Afin d’augmenter leurs profits, les capitalistes iront toujours là où la main-d’œuvre est moins chère. Mais prendre les travailleurs étrangers comme bouc émissaire pour les suppressions d’emplois aux Etats-Unis, c’est une réponse réactionnaire. Le protectionnisme renforce les illusions dans le capitalisme américain. Il rend plus difficiles les luttes à venir en corrompant la pensée des travailleurs et en minant la solidarité avec leurs alliés de classe potentiels en Chine, au Mexique et ailleurs. Le protectionnisme fait rentrer dans la tête des travailleurs l’idée fausse qu’il n’est aucunement en leur pouvoir d’améliorer leur situation matérielle et que celle-ci ne dépend pas de leur capacité à s’organiser et à lutter, mais qu’il faut au contraire s’en remettre à un sauveur bourgeois.

Bernie Sanders et Donald Trump jouent tous deux la même carte du nationalisme économique. Mais alors que Sanders appelle à « l’unité », à l’opposé du racisme xénophobe de Trump, les meetings de ce dernier ne sont qu’un reflet exacerbé du chauvinisme contenu dans le mot d’ordre « sauver les emplois américains » de la concurrence étrangère. Pour que les syndicats soient des instruments de lutte contre les patrons, il faut qu’ils reprennent à leur compte le combat pour les droits des immigrés, qu’ils exigent l’arrêt des expulsions et qu’ils inscrivent sur leur drapeau le mot d’ordre des pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés. En luttant pour ces revendications, on favorisera une lutte commune des travailleurs américains et de leurs alliés, les ouvriers du monde entier.

Aujourd’hui, le mécontentement de beaucoup de travailleurs est canalisé vers la campagne de Trump ou vers celle de Sanders. Mais la colère des travailleurs s’est aussi exprimée dans une volonté de se battre contre l’offensive des capitalistes – un sentiment maintes fois dévoyé par les dirigeants syndicaux traîtres. En 2015, de jeunes ouvriers de l’automobile, dont beaucoup de Noirs, étaient prêts à faire grève contre le système honni des statuts à deux vitesses, qui renforce les divisions entre ouvriers. Ils avaient pour ce faire un soutien considérable des ouvriers plus âgés (noirs comme blancs), ce qui montrait le potentiel pour l’unité de classe au-delà des clivages raciaux. Mais les pontes de l’United Auto Workers [le syndicat de l’automobile] les ont contraints d’accepter une convention collective pourrie avec les trusts de l’automobile de Detroit, convention qui en réalité étendait le système des statuts à deux vitesses.

En 2011, une combativité similaire s’était aussi manifestée clairement dans le Wisconsin, où le gouverneur républicain Scott Walker avait lancé une offensive menaçant l’existence même des syndicats dans la fonction publique. Des milliers de travailleurs avaient occupé la rotonde du Capitole du Wisconsin et les manifestations contre ce projet avaient rassemblé plus de 100 000 personnes. Malgré la combativité des travailleurs, les bureaucrates syndicaux firent en sorte qu’aucune grève n’ait lieu et ils canalisèrent la colère des travailleurs vers une stratégie perdante de révoquer le gouverneur.

Résultat : la déconfiture d’un mouvement syndical déjà en déclin. En 2011, plus de 50 % des fonctionnaires du Wisconsin étaient syndiqués ; en 2015, le taux de syndicalisation avait dégringolé à 26 %. Dans l’Indiana, des attaques similaires ont abouti à la disparition quasi-totale des syndicats dans la fonction publique. Et en 2015 le Wisconsin est devenu, après l’Indiana, le Michigan et 22 autres Etats, un Etat où prévaut le « droit de travailler » [c’est-à-dire où l’employeur n’est plus tenu de n’embaucher que des personnes syndiquées]. Le Wisconsin est un exemple flagrant de la faillite de la bureaucratie syndicale et de sa stratégie de faire confiance aux démocrates. C’est ce genre de défaite qui pave la voie à des réactionnaires comme Trump et leur permet de se présenter en défenseurs des intérêts des travailleurs.

Depuis le vote de la loi sur les droits civiques en 1964, le Parti républicain a pour stratégie de s’adresser aux travailleurs blancs sur une base raciste, avec un certain succès ; il affirme mensongèrement que ces travailleurs pâtiraient des avantages sociaux accordés à leurs dépens aux Noirs et à d’autres minorités par l’establishment progressiste. La caractéristique essentielle et persistante du capitalisme américain est l’oppression structurelle de la population noire, qui constitue une caste raciale basée sur la couleur de peau. La majorité des Noirs subissent une ségrégation qui les maintient au bas de l’échelle sociale. Dans la mesure où ils dissimulent la division de classe fondamentale entre les capitalistes (qui possèdent les moyens de production) et la classe ouvrière (qui doit vendre sa force de travail pour survivre), le racisme et l’idéologie de la suprématie blanche ont pour effet d’enchaîner les travailleurs blancs à leurs exploiteurs capitalistes sur la base de l’illusion qu’ils partageraient un intérêt commun du fait de la couleur de leur peau.

Lors des primaires démocrates, les Noirs votent à une écrasante majorité pour Hillary Clinton car ils la considèrent comme la meilleure option pour battre les croquemitaines républicains en novembre prochain. Mais en fait, pendant son affrontement avec Obama en 2008, Hillary Clinton avait joué ouvertement la carte du racisme anti-Noirs en déclarant qu’Obama ne pourrait pas gagner le soutien des « Américains qui travaillent dur, des Américains blancs ». Aujourd’hui, elle se présente comme la gardienne de l’héritage d’Obama, tout en cherchant à profiter de la popularité de son mari Bill Clinton dans la population noire.

Pendant son mandat, Bill Clinton a probablement fait davantage de tort aux Noirs que tout autre président américain depuis la Deuxième Guerre mondiale. Pendant la campagne électorale de 1992, il avait pris l’avion pour revenir en Arkansas présider à l’exécution de Ricky Ray Rector, un handicapé mental noir. Devenu président, il a démantelé « l’Etat-providence tel qu’on le connaît » et il a considérablement accru les pouvoirs de l’Etat, y compris pour arrêter et emprisonner les jeunes Noirs. Ceci avec le soutien d’Hillary, qui traitait les jeunes Noirs des ghettos de « super-prédateurs ». En même temps, Bill Clinton fut le premier président à avoir des amis noirs et à fréquenter des Noirs ouvertement et sans aucune gêne. Le fait que ces gestes symboliques lui aient valu le soutien de beaucoup de Noirs (malgré son horrible bilan) en dit long sur l’intensité de la réaction raciste en Amérique.

Avec l’élection de Barack Obama en 2008, les attentes étaient fortes dans la population noire. Et même si celles-ci se sont dissipées, il demeure parmi les Noirs un fort sentiment de solidarité raciale avec Obama. Ce sentiment a été renforcé par près de huit ans d’attaques de la part des élus républicains au Congrès, amplifiées par les militants « tea party » et ceux qui voulaient faire destituer Obama parce qu’il n’est pas né sur le sol américain. Mais la vérité, c’est que les Noirs n’ont rien gagné sous sa présidence, pendant laquelle le chômage a explosé parmi eux, les salaires ont stagné et le patrimoine médian s’est effondré. Pendant ce temps, les Noirs continuent à se faire descendre par des flics racistes.

Contrairement à ce qu’argumentent certains commentateurs noirs, cet état de choses n’est pas dû au fait qu’Obama serait tenu en otage par les républicains. Il est certain que leurs attaques incessantes contre lui sont motivées principalement par le racisme. Mais le président noir est depuis le début un démocrate à la solde de Wall Street. On en a vu la preuve peu après son entrée en fonction. Obama avait rencontré en mars 2009 des aigrefins de la haute finance et leur avait déclaré que son « administration est la seule chose qui existe entre vous et la jacquerie », avant d’ajouter : « Je ne suis pas là pour m’en prendre à vous. Je vous protège. » Et il a tenu parole, avec l’aide capable de ses lieutenants ouvriers dans la bureaucratie syndicale qui ont sacrifié l’emploi, le salaire et les conditions de travail de leurs adhérents pour préserver les profits du capitalisme américain.

Les Noirs demeurent la couche de la population qui a la conscience la plus aiguë de la nature malfaisante de l’Amérique raciste. En même temps, ils sont liés au Parti démocrate et vont en majorité continuer à le soutenir aussi longtemps qu’aucune alternative ne se présentera. La clé pour sortir de cette impasse, c’est de forger cette alternative.

Les travailleurs doivent avoir leur propre parti

Il y a des millions de chômeurs et de gens qui peinent à joindre les deux bouts avec un emploi à temps partiel ou précaire payé une misère ; il y a ceux qui se font expulser de leur logement et qui dépendent de l’aide alimentaire parce que leur retraite et leur couverture santé ont été sabrées. L’urgence, c’est de construire un parti ouvrier avec l’idée maîtresse que les travailleurs n’ont aucun intérêt commun avec les patrons. Un tel parti devra rassembler les salariés et les chômeurs, les pauvres des ghettos et les immigrés, afin de lutter pour des emplois et des conditions de vie décentes pour tous. La puissance nécessaire pour mener à bien cette lutte est entre les mains des hommes et des femmes – noirs, blancs et immigrés – dont le travail fait tourner la machine de la production et crée les richesses qui leur sont dérobées par les profiteurs capitalistes.

Le Programme de transition, écrit par Léon Trotsky en 1938, constituait le document de fondation de la Quatrième Internationale. Il avançait une série de revendications répondant à la catastrophe à laquelle la classe ouvrière était confrontée en plein milieu de la récession des années 1930. L’objectif de ces revendications était d’armer les travailleurs de l’idée que la seule réponse était la conquête du pouvoir par le prolétariat. Pour lutter contre le fléau du chômage, le Programme de transition revendiquait l’unité des salariés et des chômeurs dans la lutte pour une diminution de la semaine de travail, sans perte de salaire, afin de répartir le travail disponible entre toutes les mains, ainsi qu’une échelle mobile des salaires pour suivre l’augmentation du coût de la vie. Il réclamait un programme massif de travaux publics, avec des salaires payés au tarif syndical. Tout le monde doit avoir accès à un logement et aux services publics nécessaires à des conditions de vie décentes, ainsi que l’accès gratuit aux soins médicaux et à l’éducation. Les allocations chômage doivent être prolongées jusqu’à ce que le chômeur retrouve un emploi, et les retraites doivent être garanties intégralement par le gouvernement. Seule une lutte pour ces revendications peut répondre à la situation terriblement dégradée qui est aujourd’hui celle des travailleurs.

Comme l’expliquait Trotsky, qui avec Lénine avait été un des dirigeants de la Révolution russe de 1917 :

« Les propriétaires et leurs avocats démontreront l’“impossibilité de réaliser” ces revendications. Les capitalistes de moindre taille, surtout ceux qui marchent à la ruine, invoqueront, en outre, leur livre de comptes. Les ouvriers rejetteront catégoriquement ces arguments et ces références. Il ne s’agit pas du heurt “normal” d’intérêts matériels opposés. Il s’agit de préserver le prolétariat de la déchéance, de la démoralisation et de la ruine. Il s’agit de la vie et de la mort de la seule classe créatrice et progressive et, par là même, de l’avenir de l’humanité. Si le capitalisme est incapable de satisfaire les revendications qui surgissent infailliblement des maux qu’il a lui-même engendrés, qu’il périsse ! La “possibilité” ou l’“impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les ouvriers comprendront mieux que tout la nécessité de liquider l’esclavage capitaliste. »

Une nouvelle vague de batailles de classe jettera les bases pour régénérer et renforcer les syndicats, chasser les dirigeants traîtres actuels et les remplacer par une nouvelle direction lutte de classe. Pour que les travailleurs aient le dessus face à leurs exploiteurs, ils doivent être armés d’un programme politique marxiste qui fasse le lien entre les luttes des travailleurs et le combat pour construire un parti ouvrier révolutionnaire multiracial. C’est un parti de ce type qui pourra diriger la lutte pour détruire l’Etat capitaliste par une révolution socialiste et pour instaurer un Etat ouvrier où ceux qui travaillent gouverneront.