Le Bolchévik nº 216 |
Juin 2016 |
Sharapova et lInquisition du sport
Cet article est traduit de Workers Vanguard n° 1086, 25 mars.
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2016 est déjà une année faste pour les roitelets qui font la pluie et le beau temps dans le monde du sport de haut niveau. Dernier trophée en date à leur tableau de chasse : la star du tennis Maria Sharapova, qui risque deux à quatre ans de suspension après avoir été contrôlée positive au meldonium lors de l’Open d’Australie, en janvier dernier. Ce médicament pour le cur a été interdit par l’Agence mondiale antidopage (AMA) quelques semaines à peine avant que Sharapova soit testée positive. Raison invoquée pour l’interdiction : il est susceptible de doper les performances physiques.
L’interdiction des stéroïdes anabolisants et autres produits dopants dans les sports reflète l’irrationalité de la société capitaliste. Comme nous l’écrivions dans notre article « Baseball, racisme et stéroïdes » (Workers Vanguard n° 946, 6 novembre 2009) :
« Une société rationnelle se féliciterait du potentiel d’amélioration des performances athlétiques humaines, et en particulier d’une utilisation plus large des stéroïdes anabolisants pour réparer les muscles et les tendons, qui pourrait bénéficier plus largement à la société. Elle mènerait simultanément une étude scientifique objective des dangers médicaux potentiels. Mais le capitalisme n’est pas rationnel. »
Le meldonium est utilisé médicalement pour améliorer la circulation sanguine, prévenir l’hypertrophie du muscle cardiaque et accroître la tolérance au stress. Sharapova utilisait ce médicament, commercialisé sous le nom de Mildronate, depuis que son médecin de famille le lui avait recommandé en 2006 pour différents problèmes médicaux, dont une série d’électrocardiogrammes irréguliers, une carence en magnésium et des examens montrant des signes de diabète (dont elle a des antécédents familiaux).
La suspension de Sharapova a levé le voile sur le fonctionnement kafkaïen de l’AMA. Une commission examine les résultats des tests antidopage auxquels les athlètes sont obligés de se soumettre régulièrement. Si on détecte un taux supérieur aux autres pour une substance, par exemple le meldonium, on présume qu’il s’agit d’un produit dopant. Le meldonium a ainsi été ajouté à la « liste des interdictions » de l’AMA en 2015, et celle-ci a soi-disant averti par courriel Sharapova et d’autres athlètes que son utilisation était désormais interdite.
En fait, des dizaines de médicaments et de compléments alimentaires parfaitement légaux ont été interdits par les « Big Brothers » du sport. On y trouve quantité d’autres médicaments : des bêtabloquants prescrits pour le cur, des bronchodilatateurs utilisés contre l’asthme, ou la pseudo-éphédrine (Sudafed), un médicament contre le rhume. Et même la caféine a été interdite pendant 20 ans, jusqu’à ce que les pharisiens de l’AMA décrètent en 2004 que cette interdiction était trop difficile à faire respecter (mais il est aujourd’hui question de l’interdire à nouveau).
La Russie a été suspendue à titre provisoire des compétitions d’athlétisme en novembre dernier ; cette décision sans précédent faisait suite à des accusations de dopage à grande échelle visant les athlètes, les entraîneurs, les préparateurs, les médecins et les responsables sportifs de ce pays. Cette suspension pourrait entraîner l’exclusion des athlètes russes des Jeux olympiques de 2016, et ce y compris pour les athlètes qui n’ont jamais été contrôlés positifs. Cela donne une idée du poids étouffant de l’impérialisme américain qu’il ait ainsi réussi, dans ses manuvres contre le régime du président russe Vladimir Poutine, à mettre hors jeu des athlètes russes.
Pour être incluse dans la « liste des interdictions » de l’AMA, une substance doit remplir deux au moins des trois critères suivants : représenter un danger réel ou potentiel pour les athlètes, violer l’esprit du sport, améliorer les performances sportives ou avoir le potentiel de le faire.
Le premier critère est tristement risible, et pas seulement si l’on considère les graves traumatismes cérébraux qui sont quasiment une maladie professionnelle des joueurs de football américain et d’autres athlètes : les Jeux olympiques incluent toujours la boxe, un sport de combat qui, s’il était pratiqué dans la rue et non dans une arène romaine, vaudrait la prison à ses adeptes pour coups et blessures volontaires. Quant à l’« esprit » du sport, la règle d’or de l’athlétisme américain a été énoncée par Vince Lombardi, un célèbre entraîneur des Green Bay Packers dans les années 1960 : « Gagner n’est pas tout, c’est la seule chose qui compte. »
Pour ce qui est des produits dopants, le docteur Sam Shuster faisait remarquer, dans son article « Il n’est pas justifiable de contrôler les athlètes et suspendre ceux qui prennent des médicaments » (British Medical Journal, 22 mai 2012), que ces produits n’ont pas fait l’objet d’études scientifiques rigoureuses en double aveugle ; il ajoutait :
« Pourquoi le fait d’avoir recours à des médicaments est-il de la “triche” (un avantage déloyal dû à une aide extérieure et non à un effort personnel) alors qu’on autorise les équipements d’entraînement spécialisés, les psychologues sportifs, les physiologistes utilisant des capteurs pour optimiser les performances, le positionnement électronique des cyclistes par rapport aux pédales et au guidon, et les diététiciens qui utilisent aliments et compléments alimentaires comme des médicaments ? Qu’est-ce qui fait qu’une équipe de spécialistes du sport qui travaille en secret c’est loyal, mais que prendre une pilule c’est tricher ? Pourquoi est-il acceptable de s’entraîner dans un caisson à atmosphère appauvrie en oxygène, mais pas de prendre de l’érythropoïétine ? »
Comme des requins, les prédateurs de l’AMA sont enhardis par le goût du sang. Après la suspension de Sharapova, l’AMA a annoncé que, sur la base de techniques de contrôle dernier cri, elle allait réexaminer les résultats des Jeux olympiques de 2008 et de 2012 pour démasquer les « tricheurs ».
La petite clique qui décide qui a ou non le droit de jouer ne règne pas dans un vide social. L’AMA est le produit final de l’hystérie sur les produits dopants (distribués dans le temps comme des carambars dans les vestiaires américains), en réaction aux victoires internationales des athlètes qui défendaient les couleurs de l’Union soviétique et des Etats ouvriers bureaucratiquement déformés d’Europe de l’Est dans les années 1970 et 1980. Le meldonium lui-même a été développé par des scientifiques soviétiques en Lettonie dans les années 1970. Il était utilisé par les soldats de l’Armée rouge dans les années 1980, pour leur permettre d’opérer dans des zones montagneuses pendant l’intervention soviétique en Afghanistan contre les moudjahidin, des assassins financés et armés par les Etats-Unis (et qui furent les précurseurs des talibans, d’Al-Qaïda et de l’EI).
Nous disons : Laissez jouer Maria Sharapova ! A bas l’interdiction des produits dopants ! Se doper (que ce soit pour son plaisir ou pour percevoir une amélioration de ses capacités physiques) est un choix personnel. A bas la guerre contre la drogue !