Le Bolchévik nº 215 |
Mars 2016 |
La production pour le profit : anarchie et pillage
Capitalisme et réchauffement climatique
Pour la révolution socialiste ! Pour une économie planifiée internationalement !
L’article ci-dessous a été publié en deux parties dans le journal de nos camarades américains Workers Vanguard (n° 965 et 966, 24 septembre et 8 octobre 2010).
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Il ne fait aucun doute que globalement la Terre se réchauffe. Selon les chiffres publiés en juillet [2010] par la National Oceanic and Atmospheric Administration américaine, la température globale des continents et de la surface des océans enregistrée en juin était la plus élevée depuis les premières mesures en 1880 ; ce mois de juin [2010] est le 304e mois consécutif où l’on enregistre une température supérieure à la moyenne du XXe siècle. Et les glaces de l’Arctique fondent à une vitesse record. Bien sûr, ces températures élevées peuvent être attribuées pour une bonne part à l’évolution périodique et naturelle des températures des océans et de la pression atmosphérique. Mais un autre facteur est à l’uvre derrière la tendance globale au réchauffement. La grande majorité de la communauté internationale des climatologues, non seulement le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU mais aussi l’académie des sciences aux Etats-Unis et dans la plupart des autres pays, considèrent que le facteur en question est anthropique (d’origine humaine) : les gaz à effet de serre.
Des groupes réformistes comme l’International Socialist Organization (ISO) américaine se sont emparés de la question du « changement climatique » pour supplier (de concert avec les écologistes libéraux) les grandes puissances capitalistes d’unir leurs efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre un objectif que d’importants secteurs des classes dirigeantes capitalistes se sont engagés à atteindre. C’est ainsi que l’ISO, Greenpeace et compagnie avaient placé de grands espoirs dans la conférence sur le climat qui s’est tenue en décembre 2009 à Copenhague sous la houlette de l’ONU, laquelle est au fond un nid de brigands impérialistes et de leurs victimes.
On a parlé d’un nouveau « mouvement international pour la justice climatique » quand des dizaines de milliers de personnes ont afflué dans la capitale danoise essentiellement dans le but d’exiger des grandes puissances qu’elles acceptent de contrôler les émissions de gaz à effet de serre et d’aider financièrement les pays du tiers-monde. Parmi les actions de protestation, il y a eu une manifestation de plus de 100 000 personnes après la première semaine du sommet, au cours de laquelle un millier de manifestants ont été arrêtés par des forces de police lourdement armées. Peu après, des milliers de délégués observateurs appartenant à des organisations aussi peu « radicales » que Greenpeace ont été exclues pour les derniers jours de la conférence.
Le sommet, que certains avaient surnommé « Hopenhagen » [jeu de mots sur « Copenhague » et « hope », espoir], s’est terminé sans que ses objectifs affichés ne soient atteints, c’est-à-dire sans que soit renouvelé l’engagement pris par les pays industrialisés signataires du protocole de Kyoto en 1997 (qui n’a jamais été ratifié par les Etats-Unis) de réduire leurs émissions, et de fixer des plafonds d’émissions pour tous les autres pays. Ce résultat était prévisible. Pour commencer, dans chaque pays la classe capitaliste est divisée sur cette question. Au fond chaque gouvernement capitaliste est chargé de protéger ses propres « intérêts nationaux ». La poignée de pays impérialistes qui dominent le marché mondial sont en concurrence les uns avec les autres pour le contrôle des sphères d’exploitation dans le monde entier, et dans leur insatiable course aux profits ils ont déjà mené deux guerres mondiales dévastatrices.
Une réduction significative des émissions aurait très certainement un coût économique substantiel que peu de gouvernements capitalistes sont prêts à payer, en particulier dans un contexte de ralentissement économique mondial. La principale activité humaine responsable du rejet de gaz à effet de serre est également la principale activité qui fait tourner la machine de l’économie moderne : la combustion d’énergies fossiles, comme le pétrole et le charbon. L’importance des sources d’énergie bon marché est telle que la concurrence impérialiste pour les combustibles fossiles, et en particulier pour le pétrole, a joué un rôle depuis le siècle dernier dans le déclenchement de nombreux conflits militaires. Les pays qui ont la mainmise sur le robinet du pétrole, ou qui ont accès à de grandes réserves de charbon, ont un intérêt matériel direct à maintenir le statu quo.
Les Etats-Unis, le plus gros émetteur au monde de gaz à effet de serre par habitant, en sont un bon exemple. Des entreprises américaines géantes comme ExxonMobil occupent une place centrale dans le cartel mondial du pétrole. L’Allemagne et la France, les principales puissances de l’Union européenne (UE), ne peuvent pas en dire autant. Ainsi, une augmentation du prix du pétrole sur le marché mondial non seulement enrichit un secteur dominant de l’économie américaine mais accroît également les dépenses énergétiques de leurs concurrents français et allemands. Les Etats-Unis et l’Europe se sont affrontés pendant des années à propos de la mise en uvre du protocole de Kyoto, parce que le plafond nominal des émissions défini dans les accords affectait plus directement les Etats-Unis.
Malgré leurs divergences, les impérialistes, avec les Américains en tête, se sont unis dans les récentes négociations sur le climat pour faire pression sur la Chine, un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé, afin surtout de freiner sa formidable croissance industrielle. Après avoir convaincu l’UE d’imposer des plafonds de réduction plus contraignants aux pays les moins développés, les Etats-Unis ont refusé de soutenir tout accord qui ne prévoirait pas un contrôle rigoureux des émissions chinoises. On voit derrière ces manuvres l’objectif stratégique des impérialistes : détruire l’Etat ouvrier chinois et soumettre de nouveau ce pays à une exploitation capitaliste à outrance. Contrairement aux écologistes et aux pseudo-socialistes qui se joignent aux attaques contre la Chine, nous sommes pour la défense militaire inconditionnelle de la Chine contre l’impérialisme et la contre-révolution capitaliste.
Pour les marxistes, la maîtrise du réchauffement climatique d’origine humaine est au fond un problème d’ordre social et non technique. Le marxisme est incompatible avec l’idéologie écologiste, qui accepte le principe de l’inviolabilité de la domination de classe capitaliste, un système où le moteur de la production est la recherche du profit, et où les richesses de la société sont monopolisées par une minuscule classe dirigeante bourgeoise. Nous luttons pour une société qui offrira davantage, et non pas moins, aux travailleurs et aux masses paupérisées de cette planète. Notre but est d’éliminer la pénurie matérielle et d’augmenter qualitativement le niveau de vie de tous. Pour y parvenir, nous luttons pour des révolutions socialistes qui exproprieront la bourgeoisie dans les pays capitalistes, et pour la révolution politique prolétarienne en Chine et dans les autres Etats ouvriers bureaucratiquement déformés. Ces révolutions jetteront les bases de la construction d’une économie mondiale planifiée et collectivisée. Une fois la production libérée de la quête du profit, la puissance créatrice des hommes se déploiera pleinement pour construire une société dans laquelle la pauvreté, la malnutrition, les inégalités et l’oppression appartiendront au passé.
Quand les prolétaires de tous les pays seront au pouvoir, l’énergie sera produite et utilisée de la façon la plus rationnelle, la plus efficace et la plus sûre possible, et de nouvelles sources d’énergie seront développées. Nous n’écartons pas par avance le recours aux combustibles fossiles ni à toute autre source d’énergie, qu’elle soit nucléaire, hydroélectrique, solaire, éolienne ou autre. Rien que pour mener à bien la modernisation et le développement du tiers-monde, où aujourd’hui des milliards de personnes sont condamnées à la misère, il faudra très certainement une très forte augmentation de la production d’énergie à l’échelle mondiale.
Il est futile de tenter de résoudre les problèmes liés au climat dans le cadre du système anarchique, basé sur l’Etat-nation, qu’est le capitalisme. Le climat est le résultat d’interactions entre l’atmosphère, les océans, les calottes glaciaires, les organismes vivants et les sols, les sédiments et les roches interactions qui toutes affectent à des degrés divers les échanges de chaleur à la surface de la Terre. La meilleure façon d’influencer positivement quelque chose d’aussi dynamique, vaste et complexe que le système climatique, c’est une action coordonnée à l’échelle mondiale et fondée sur les avancées scientifiques et technologiques les plus récentes.
Dans une économie mondiale réorganisée sur une base socialiste, il sera possible d’élaborer et de mettre en uvre, à une échelle inimaginable sous le capitalisme, un plan pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atténuer l’impact du réchauffement. Des efforts concertés seront mis en place si nécessaire pour réorganiser des industries entières et modifier la façon dont elles fonctionnent, qu’il s’agisse des secteurs de la production et de la distribution d’énergie, des transports, du bâtiment, de l’industrie ou de l’agriculture.
Il y a une autre considération essentielle : l’accroissement de l’abondance éliminera également les facteurs matériels (et les valeurs sociales arriérées comme celles promues par les religions) qui contribuent à la croissance démographique. Comme nous l’expliquons plus loin, la réorganisation socialiste de la société jettera les bases d’une légère contraction durable de la population, ce qui permettra d’assurer qu’il y aura suffisamment de ressources pour le bien-être de tous.
Climatologie et réchauffement de la planète
Le climat de la Terre connaît naturellement des variations incessantes, qui sont causées par des changements périodiques dans le mouvement orbital de la Terre et dans l’inclinaison de son axe, ainsi que par des variations de l’intensité de la lumière du soleil et de l’activité volcanique. Les analyses de carottes de glace et de sédiments océaniques ont révélé, au cours des derniers millions d’années, une succession de périodes glaciaires prolongées et de périodes interglaciaires pendant lesquelles il arrivait que la Terre soit plus chaude qu’aujourd’hui des reptiles qui ne supportent pas le froid vivaient alors au nord du cercle polaire arctique. Les données géologiques indiquent que la transition entre les températures de la dernière période glaciaire, qui a atteint son pic il y a 20 000 ans, et celles d’aujourd’hui ne s’est pas produite graduellement et en douceur, mais plutôt de façon brusque et chaotique. Certaines de ces transitions climatiques se sont effectuées en à peine quelques dizaines d’années.
Les « climatosceptiques » mis à part (y compris ceux à la solde des grandes compagnies pétrolières), il est généralement admis que les activités humaines ont aussi une influence sur le climat. En 2007, les experts du GIEC (l’organisme qui fait sans doute le plus autorité en la matière au niveau mondial) concluaient ainsi leur rapport : « Le réchauffement du système climatique est sans équivoque. On note déjà, à l’échelle du globe, une hausse des températures moyennes de l’atmosphère et de l’océan, une fonte massive de la neige et de la glace et une élévation du niveau moyen de la mer. » Ils ajoutaient : « L’essentiel de l’élévation de la température moyenne du globe observée depuis le milieu du XXe siècle est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de GES [gaz à effet de serre] anthropiques. » Ce rapport a été rédigé et révisé par plusieurs milliers de scientifiques venus du monde entier. Il s’appuie sur les données scientifiques et techniques les plus récentes et il reflète un large consensus au sein de la communauté scientifique.
Les « gaz à effet de serre anthropiques » affectent le climat en augmentant ce que l’on appelle, en faisant une analogie inexacte, « l’effet de serre » atmosphérique. Selon un mécanisme décrit pour la première fois par le physicien et mathématicien Jean-Baptiste Fourier dans les années 1820, la plus grande partie de l’énergie qui arrive du soleil sous forme de lumière traverse l’atmosphère, atteint la surface de la Terre et la réchauffe ; mais la chaleur ne peut pas s’échapper aussi facilement pour retourner dans l’espace. L’air absorbe une part non négligeable du rayonnement infrarouge total (ce que Fourier appelait la « chaleur obscure ») émis par la Terre et une partie de cette énergie thermique est réémise vers le sol, contribuant ainsi à le maintenir chaud. Sans atmosphère, la température à la surface d’une planète semblable à la Terre serait en moyenne plus froide d’environ 33 degrés Celsius que la température actuelle de la Terre, et la différence de température entre la nuit et le jour et entre l’été et l’hiver serait considérable, comme c’est le cas pour la Lune.
Cependant, tous les gaz de l’atmosphère n’ont pas le même pouvoir de réchauffement. Les constituants les plus abondants de l’atmosphère, l’azote diatomique et l’oxygène, sont quasiment transparents au rayonnement infrarouge. Celui-ci est en revanche fortement absorbé par les molécules de vapeur d’eau, de dioxyde de carbone (CO2), de méthane, d’oxyde d’azote et d’ozone. Parmi ces « gaz à effet de serre », c’est le gaz carbonique qui est le plus abondant (après la vapeur d’eau) ; il représente actuellement environ 390 parties par million (ppm) du volume de l’atmosphère, pour une masse totale d’à peu près 3 000 gigatonnes (trois mille milliards de tonnes). Cette concentration a considérablement augmenté en un laps de temps relativement court : l’analyse des carottes de glace a permis de déterminer que cette concentration était de 280 ppm avant la Révolution industrielle. Le dioxyde de carbone s’accumule aujourd’hui à raison de 2 ppm supplémentaires par an.
Une grande variété d’activités humaines contribuent à augmenter la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère : brûler des combustibles fossiles et du bois libère du dioxyde de carbone ; l’élevage du bétail, la production pétrolière et l’exploitation des mines de charbon y ajoutent du méthane ; l’agriculture et la production d’acide nitrique produisent de l’oxyde d’azote. D’autres pratiques, comme l’exploitation forestière, jouent aussi un rôle parce que les forêts absorbent le dioxyde de carbone et l’emmagasinent. Mais c’est l’utilisation des combustibles fossiles qui est sous le feu des projecteurs, car elle est responsable de la plus grande partie des émissions annuelles de dioxyde de carbone provoquées par l’activité humaine. Les océans, la couche arable et la végétation terrestres absorbent environ la moitié de ces émissions, mais le reste s’accumule dans l’atmosphère et accentue l’effet de serre.
Les conséquences du changement climatique évoquées par un certain nombre de scientifiques pourraient être extrêmement graves. Mais le fonctionnement du système climatique n’est encore compris que très partiellement ; on ne peut donc pas affirmer avec certitude que ces prédictions se réaliseront. Il est possible que l’impact du réchauffement anthropique ne soit pas aussi néfaste que ce que prédisent le GIEC et d’autres experts. Mais il est également possible que le résultat soit encore pire. L’éventail des possibles se reflète dans la communauté scientifique : une petite minorité trouve le rapport du GIEC de 2007 trop alarmiste, tandis que d’autres désapprouvent son « conservatisme ».
Le rapport du GIEC prévoit une élévation du niveau des mers, ainsi que des inondations côtières résultant de la fonte des calottes glaciaires aux pôles et de la dilatation thermique des océans. Il prévoit que les changements climatiques pourraient avoir pour conséquence que certaines régions habitées deviennent arides ou soient submergées, et ils pourraient provoquer l’extinction de nombreuses espèces marines et terrestres. Le nombre de « zones très sèches » que compte la planète a déjà plus que doublé depuis les années 1970 et ces zones représentent aujourd’hui plus de 30 % des terres émergées. Une diminution des calottes glaciaires de l’ouest de l’Antarctique et du Groenland analogue à celle qui s’est produite pendant la dernière période interglaciaire entraînerait une élévation du niveau des océans d’au moins dix mètres, assez pour submerger des dizaines de mégapoles mondiales, comme New York ou Shanghai.
Un réchauffement significatif sur une période de quelques décennies pourrait également déclencher des mécanismes qui altèreraient qualitativement le climat. La fonte complète du pergélisol (permafrost) arctique pourrait libérer les gigatonnes de carbone qui y sont emmagasinées, en grande partie sous forme de méthane, un gaz à effet de serre autrement plus puissant que le gaz carbonique. Une autre possibilité, plus lointaine mais aux conséquences plus graves, serait la libération des quantités colossales de méthane emprisonnées aujourd’hui dans des cristaux de glace (des structures appelées clathrates) que l’on trouve au fond de l’Arctique et d’autres océans.
Paradoxalement, le réchauffement de l’atmosphère pourrait aussi plonger une grande partie de l’hémisphère Nord dans un froid polaire. Si un flot suffisant d’eau douce provenant de la fonte des glaces se déversait dans le Nord de l’océan Atlantique, le vaste courant océanique connu sous le nom de Gulf Stream s’arrêterait. Ce courant puissant, qui prend sa source dans le golfe du Mexique, entraîne des eaux chaudes vers le nord, réchauffant ainsi l’Europe de l’Ouest, le Canada et le Nord-Est des Etats-Unis.
Une série d’études menées depuis 2007 ont précisé ou modifié les prévisions du GIEC et elles ont montré les incertitudes entourant la modélisation climatique. Par exemple, le lien entre le réchauffement climatique et l’augmentation du nombre et de la violence des ouragans a été remis en cause par les dernières recherches de Kerry Emanuel, un spécialiste des ouragans au MIT qui était auparavant l’un des principaux défenseurs de cette théorie. Début 2010, le GIEC a reconnu toute une série de bourdes scientifiques et il a retiré l’annonce qu’en 2035 la plupart des glaciers de l’Himalaya auraient fondu une des conclusions-chocs de son rapport de 2007. L’attitude de certains climatologues qui refusent de publier le code informatique de leurs modèles représente une brèche supplémentaire dans la rigueur scientifique. Cette pratique avait été révélée par le « Climategate » (le scandale des courriers électroniques de l’université d’East Anglia orchestré par des réactionnaires).
Même les modèles les plus sophistiqués ne proposent qu’une simplification grossière des processus physiques comme la dynamique complexe de la vapeur d’eau. Plus fondamentalement, les prévisions qui en découlent présupposent une réalité sociale statique. Les prédictions du rapport du GIEC de 2007 se basent sur différents « scénarios » de croissance et de développement. Mais bien des événements pourraient modifier radicalement le cours des choses. Ainsi, le Scientific American a publié en janvier 2010 un article intitulé « Une guerre nucléaire limitée, des souffrances dans le monde entier », où l’on fait remarquer en conclusion que dans un conflit opposant par exemple l’Inde et le Pakistan, la fumée provoquée par 100 bombes nucléaires larguées sur des villes et des zones industrielles serait suffisante pour occulter le soleil et affecter l’agriculture dans le monde entier. Ce scénario n’est qu’une aimable plaisanterie comparé à la menace que représente le gigantesque arsenal nucléaire qui est aux mains des impérialistes américains. Un seul sous-marin américain de classe Ohio peut lancer jusqu’à 192 ogives thermonucléaires guidées indépendamment.
Les ravages de l’impérialisme
Quels que soient véritablement les conséquences et le calendrier du réchauffement climatique, une chose est sûre : dans un monde dominé par le capitalisme impérialiste, ce sont essentiellement la classe ouvrière et les pauvres qui subiront les conséquences humaines les plus désastreuses qu’il s’agisse de famines, de la désorganisation de la société ou de maladies. Les pays les moins développés, qui ont des infrastructures insuffisantes et de trop maigres ressources pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques, paieront un très lourd tribut. Le vrai coupable n’est pas tant le changement climatique que le système capitaliste mondial, qui impose aux pays semi-coloniaux des conditions inhumaines et prive leurs populations des moyens de défense les plus élémentaires, et pas seulement en temps de catastrophes.
L’impérialisme moderne, caractérisé par l’exportation de capitaux, s’est développé à la fin du XIXe siècle ; les frontières des Etats-nations s’avéraient trop étroites et confinées pour satisfaire les besoins des capitalistes en nouveaux marchés et en main-d’uvre bon marché. Par le fer et par le sang, les pays avancés ont au fond partagé le monde en sphères d’exploitation en concurrence les unes avec les autres. Lénine a décrit ce processus dans l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), un classique du marxisme. Chaque classe capitaliste cherchant à défendre ses intérêts aux dépens de ses rivales, les impérialistes se sont embarqués dans une série de conquêtes et de guerres coloniales, dont la Première Guerre mondiale et la Deuxième ont été les points culminants.
Les classes capitalistes d’Amérique du Nord, d’Europe et du Japon exploitent non seulement leur propre classe ouvrière mais aussi les masses opprimées d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, bloquant ainsi tout développement économique et social pour l’immense majorité de l’humanité. Les écologistes citent l’exemple du Sahel en Afrique sub-saharienne comme preuve de l’ampleur des conséquences du réchauffement climatique. Cette région, qui s’étend de l’océan Atlantique au Soudan, connaît depuis plus de quarante ans des sécheresses et des précipitations irrégulières. Il est vrai que la désertification rapide du Sahel, majoritairement peuplé d’éleveurs nomades et de paysans, a exacerbé la concurrence pour la terre entre les nombreux groupes ethniques de la région. Mais le fait que le Sahel s’enfonce dans la pauvreté, la famine et la misère est au fond un phénomène créé par l’homme : c’est une conséquence de la domination impérialiste.
En Afrique, une petite partie seulement des terres sont actuellement arables. Pour développer l’agriculture africaine, il faut construire des systèmes d’irrigation, assécher les marais et assainir les régions insalubres. Mais de telles mesures resteront impensables tant que le continent sera pris dans l’étau du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Le colonialisme a conduit l’Afrique dans une impasse en la forçant à spécialiser son agriculture dans les produits tropicaux destinés à l’exportation afin de pouvoir rembourser une dette usuraire (dette d’ailleurs accumulée dans une large mesure pour importer massivement des produits alimentaires). La destruction de l’Etat ouvrier bureaucratiquement déformé soviétique en 1991-1992 a considérablement aggravé la dévastation du continent africain. L’Union soviétique constituait en effet le principal contrepoids à l’impérialisme américain et elle fournissait une aide importante à divers régimes du tiers-monde.
Tant que durera le capitalisme, il continuera à provoquer des famines à grande échelle et autres fléaux, comme les épidémies de maladies évitables causées par le manque d’infrastructures sociales de base (égouts, alimentation en eau potable, etc.). Même si le réchauffement climatique produit par l’homme était stoppé d’une façon ou d’une autre sous le capitalisme, les déprédations impérialistes continueraient sans relâche. Ceci a notamment comme conséquence que des milliards de personnes resteraient vulnérables aux changements climatiques « naturels », aux fluctuations régionales des cycles saisonniers, aux « événements météorologiques extrêmes » comme les ouragans et autres catastrophes naturelles. Le tremblement de terre qui a touché Haïti en janvier 2010 en est l’illustration : le nombre de victimes environ 250 000 personnes est le résultat de l’oppression impérialiste à laquelle est soumis depuis plus d’un siècle ce pays extrêmement pauvre, une oppression qui l’a laissé complètement à la merci des effets du séisme. A Port-au-Prince, les bâtiments mal construits se sont tout simplement écroulés ; aujourd’hui environ 1 500 000 Haïtiens vivent toujours sous des tentes de fortune.
La lutte pour le renversement révolutionnaire de l’ordre capitaliste décadent est une question de survie pour l’humanité. Une petite preuve de la supériorité d’une économie collectivisée sur le système capitaliste de production pour le profit est la façon dont Cuba, un Etat ouvrier déformé, a su protéger sa population d’ouragans dévastateurs. Quatre ouragans ont frappé Haïti en 2008, faisant 800 morts. Deux de ces tempêtes ont également traversé Cuba, entraînant la mort de quatre personnes. Malgré la mauvaise gestion bureaucratique de l’économie et la relative pauvreté du pays aggravée par plus de quarante ans d’embargo économique américain , Cuba est connue pour l’efficacité avec laquelle sont évacués ses habitants lors de catastrophes naturelles de ce genre : le gouvernement diffuse rapidement des prévisions météorologiques, il éduque et mobilise la population et organise l’hébergement d’urgence, les moyens de transport, l’approvisionnement en produits alimentaires ainsi que l’assistance médicale.
Spéculation et protectionnisme
Même si beaucoup de militants radicaux écologistes se considèrent anticapitalistes, toutes les variantes de l’écologisme sont des expressions de l’idéologie bourgeoise elles proposent des correctifs sans remettre en question la pénurie et la société de classe. Les « solutions » au réchauffement climatique préconisées par de nombreux écologistes se basent sur le marché et elles ont la faveur des gouvernements capitalistes un peu partout dans le monde. Leur pièce maîtresse est le système dit « de plafonnement et d’échange » (plafonnement des émissions et échange des droits d’émission), qui est appliqué aujourd’hui dans toutes les économies européennes. Ce programme fixe une limite généreuse à la quantité de gaz à effet de serre que les entreprises sont autorisées à émettre (« plafonnement »). Celles d’entre elles dont les émissions dépassent cette limite doivent acheter des crédits à celles qui émettent moins que leur niveau autorisé (« échange »). En fin de compte, c’est la classe ouvrière qui fait les frais de ce système, en premier lieu du fait des coûts plus élevés de l’énergie et des carburants. De même, si l’on instaurait une taxe carbone destinée à refléter le « coût social » des émissions sous forme de « prix », ce serait la classe ouvrière qui en supporterait le coût.
Les entreprises peuvent également éviter de réduire leurs émissions si elles investissent dans des mécanismes de « compensation » : des projets mis en place ailleurs, souvent dans des pays pauvres, et qui sont censés réduire la quantité de gaz à effet de serre présente dans l’atmosphère. Dans le cadre de l’un de ces projets, des familles rurales pauvres en Inde ont reçu des pompes à pédale pour irriguer leurs terres. Un autre projet encourage les Kenyans à utiliser des générateurs qui marchent au fumier. Des programmes de plantation d’arbres au Guatemala, en Equateur et en Ouganda ont perturbé les systèmes locaux d’approvisionnement en eau, obligeant ainsi des milliers de paysans à quitter leur terre sans avoir jamais reçu la compensation promise pour s’occuper des arbres. Les écologistes occidentaux peuvent peut-être « compenser » leur sentiment de culpabilité libérale de vivre une vie confortable en soutenant de tels programmes, mais dans le tiers-monde, le résultat final n’est autre qu’une paupérisation accrue des masses.
Le système « de plafonnement et d’échange » est devenu un nouveau terrain de spéculation. Certains fabricants de produits chimiques, comme la société DuPont, ont accru leur production d’un certain réfrigérant, le HFC-23 (un gaz à fort effet de serre), dans le but d’en incinérer un sous-produit de fabrication et de toucher ainsi une grosse somme en « compensation ». Le « marché carbone » promet aussi de devenir un nouveau terrain de jeu gigantesque pour les spéculateurs, les virtuoses du capital-risque et les banques d’affaires un peu comme celui des créances hypothécaires qui a précipité l’implosion de l’économie mondiale. Plus de 130 milliards de dollars se sont échangés sur le marché mondial du carbone en 2009.
L’écologisme va aussi de pair avec le chauvinisme, ce qu’illustre le soutien des écologistes aux mesures de protectionnisme commercial. Si les principaux acteurs de la conférence de Copenhague étaient arrivés à un accord, cela aurait certainement eu comme conséquence un regain de protectionnisme. Comme l’a fait remarquer Michael Levi dans Foreign Affairs (septembre-octobre 2009) : « En dehors des sanctions commerciales et autres pénalités désagréables, le monde a peu d’options efficaces pour faire appliquer les engagements pris pour réduire les émissions. » En effet, la législation environnementale a longtemps servi de couverture pour imposer des droits de douane, une pratique bien établie dans les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Historiquement, le protectionnisme a provoqué en représaille des guerres commerciales, qui ont une fâcheuse tendance à se transformer en guerres tout court.
Le président de la Commission européenne a menacé en 2009 d’imposer une taxe sur les produits en provenance des Etats-Unis et d’autres pays non signataires du protocole de Kyoto, ceci afin de protéger les entreprises européennes. Aux Etats-Unis, la version du projet de loi présenté par le Parti démocrate à la Chambre des représentants pour instaurer un système « de compensation et d’échange » inclut une disposition qui prévoit une taxe sur les importations en provenance des pays qui n’auraient pas réduit leurs émissions d’ici 2020. L’industrie sidérurgique américaine appelle déjà à des sanctions contre les producteurs d’acier chinois si la Chine ne s’engage pas à réduire ses émissions de carbone. Emboîtant le pas aux aciéristes américains, les bureaucrates chauvins et anticommunistes du syndicat des ouvriers de la sidérurgie United Steelworkers ont porté plainte contre la Chine pour violation des règles de l’OMC parce qu’elle subventionne les exportations de panneaux solaires, d’éoliennes et autres équipements d’« énergie propre ». Le protectionnisme donne de la crédibilité à l’idée mensongère que dans chaque pays les travailleurs sont liés à leurs exploiteurs par des « intérêts nationaux » communs ; c’est du poison pour la solidarité internationale de la classe ouvrière.
Le protectionnisme visant les importations d’éthanol de canne à sucre en provenance du Brésil et d’autres pays fait aussi partie intégrante du plan du gouvernement Obama pour l’« indépendance énergétique » des Etats-Unis. En qualifiant la dépendance des Etats-Unis envers le pétrole du Proche-Orient de talon d’Achille de l’Amérique, Obama n’a laissé planer aucun doute sur le fait que l’« indépendance énergétique » est un cri de ralliement pour accroître la capacité de l’impérialisme américain à réaliser ses ambitions militaires et économiques dans le monde entier, grâce à la diversification de ses ressources énergétiques et une meilleure maîtrise de celles-ci.
Ce n’est pas par hasard que des groupes comme Greenpeace reprennent à leur compte le slogan de l’« indépendance énergétique ». Les principales organisations politiques écologistes, les partis « verts », sont des partis capitalistes de deuxième ordre hostiles au prolétariat. Aux Etats-Unis, les Verts jouent un rôle de groupe de pression libéral sur le Parti démocrate. Ce parti compte dans ses rangs des apôtres de l’écologisme comme Al Gore qui, à l’époque où il était vice-président sous Bill Clinton, a contribué à la mise en uvre des sanctions pour affamer les Irakiens, ainsi qu’au bombardement de la Serbie. En Allemagne, les Verts ont participé à une coalition gouvernementale capitaliste avec le Parti social-démocrate de 1998 à 2005. Durant cette période, les écologistes allemands ont fait écho sur le thème de la « lutte contre la surpopulation » aux discours de l’extrême droite et à son racisme anti-immigrés. Joschka Fischer, ministre vert des Affaires étrangères, a déployé l’armée allemande en dehors des frontières (pour la première fois depuis le Troisième Reich de Hitler) pour participer aux guerres menées par les Etats-Unis contre la Serbie et l’Afghanistan.
La montée du capitalisme vert
L’écologisme n’est en aucune manière hostile à la production pour le profit. Comme le fait remarquer l’auteur d’un article du New York Times (21 avril 2010) intitulé « 40 ans après, la Journée de la Terre est une affaire de gros sous » : « L’hostilité aux entreprises était telle, au moment de la première édition de la Journée de la Terre en 1970, que les organisateurs n’avaient accepté aucune subvention de la part des grandes entreprises et qu’ils proposaient des séminaires pour “tenir tête aux chefs d’entreprise et de gouvernement dans les débats”. Quarante ans plus tard, la Journée de la Terre est devenue un événement marketing branché pour vendre tout un éventail de biens et de services, comme des fournitures de bureau, des yaourts grecs et des produits éco-dentaires. »
La rhétorique « écolo » n’a jamais été aussi présente qu’aujourd’hui dans les conseils d’administration des entreprises. En 2009, une légion de grandes entreprises avaient quitté la chambre de commerce américaine pour protester contre son déni total du réchauffement climatique. Cette attitude reflétait des intérêts divergents au sein de la bourgeoisie américaine. Plusieurs grandes entreprises ont décidé d’adopter une politique de « neutralité carbone », comme le géant de l’Internet Google, qui se flatte de construire des centres de données « éco-énergétiques » et d’investir dans des installations solaires et des parcs éoliens.
Lord Browne, ex-directeur général de British Petroleum (BP), avait contribué au milieu des années 1990 à lancer cette mode en faisant passer l’amélioration des rendements pour des réductions d’émissions et en faisant tout un battage là-dessus à coups de communiqués de presse. Aux Etats-Unis, les homologues de Browne injectaient des millions de dollars dans les caisses de la « Global Climate Coalition », l’un des groupes industriels les plus ouvertement opposés à la réduction des émissions. Browne au contraire flairait les subventions et les avantages fiscaux qui allaient découler du consensus occidental naissant selon lequel les émissions de carbone étaient un problème. Il rebaptisa son entreprise « Beyond Petroleum », créa un nouveau logo « écolo » et entreprit de faire du producteur régional qu’était BP une compagnie pétrolière mondiale engagée aussi dans les énergies « alternatives ». Pendant ce temps, BP réduisait les coûts en utilisant des matériaux de construction bon marché et rognait sur les dispositifs de sécurité des plates-formes pétrolières, préparant ainsi le terrain pour de nombreux « accidents », comme l’explosion d’avril 2010 qui causa la mort de onze travailleurs et le déversement de millions de barils de pétrole dans le golfe du Mexique (voir « Désastre dans le golfe : la course au profit capitaliste tue », Workers Vanguard n° 961, 2 juillet 2010).
Même si les écologistes libéraux et les réformistes de l’ISO montrent BP du doigt parce que ce dernier cherche à « écoblanchir » son exploitation des combustibles fossiles, le fait est que Browne a été l’un des instigateurs du mouvement pour le « passage au vert ». L’attention médiatique qui a entouré le calculateur de consommation énergétique que BP avait posté en 2005 sur son site internet a contribué à populariser l’idée que chaque individu devait réduire son « empreinte carbone ». L’année suivante, Al Gore prescrivait dans son documentaire Une vérité qui dérange l’abandon de certaines habitudes de vie prétendument gaspilleuses : les gens devaient consommer moins, utiliser moins d’eau chaude, remplacer leurs ampoules à incandescence par des lampes fluo-compactes et gonfler correctement leurs pneus de voiture. L’Economist de Londres (31 mai 2007), porte-parole du capital financier, faisait remarquer sarcastiquement que « les choix économiques individuels ne feront pas l’ombre d’une différence pour l’avenir de la planète. On ne sauvera pas les ours polaires en éteignant les lumières. » Les sermons d’Al Gore sur la réduction de la consommation ne l’empêchent pas de profiter de sa somptueuse villa de Nashville ou de son jet privé.
« Faire plus avec moins » n’est pas franchement une option pour les ouvriers au chômage dans les friches industrielles de Detroit, ou pour les populations qui vivent entassées dans les bidonvilles de Calcutta. Les entreprises qui deviennent « neutres en carbone » n’amélioreront pas les conditions de travail sur les chaînes de montage, où les ouvriers risquent de perdre un membre ou même la vie parce que les patrons décident d’augmenter les cadences pour extraire un maximum de profit. Le recours à des sources d’énergie « alternatives » ne réduira pas les niveaux de pollution dans les quartiers pauvres et ouvriers. Les entreprises qui produisent de l’énergie, en revanche, s’en mettront plein les poches.
Toute tentative d’utiliser de façon rationnelle les ressources de la planète et d’éviter la dégradation à grande échelle de l’environnement se heurte nécessairement à l’anarchie de la production sous le capitalisme, un système qui repose sur la propriété privée des moyens de production (les usines, la technologie, la terre, etc.). Même si les usines individuellement peuvent être bien organisées, il n’y a pas de planification économique à l’échelle mondiale. Les décisions d’investissement, y compris pour la recherche et le développement, sont avant tout motivées par le profit.
Friedrich Engels, qui a fondé avec Karl Marx le socialisme moderne et scientifique, écrivait dans son essai inachevé de 1876 « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme » :
« Pourvu que individuellement le fabricant ou le négociant vende la marchandise produite ou achetée avec le petit profit d’usage, il est satisfait et ne se préoccupe pas de ce qu’il advient ensuite de la marchandise et de son acheteur. Il en va de même des effets naturels de ces actions. Les planteurs espagnols à Cuba qui incendièrent les forêts sur les pentes et trouvèrent dans la cendre assez d’engrais pour une génération d’arbres à café extrêmement rentables, que leur importait que, par la suite, les averses tropicales emportent la couche de terre superficielle désormais sans protection, ne laissant derrière elle que les rochers nus ? Vis-à-vis de la nature comme de la société, on ne considère principalement, dans le mode de production actuel, que le résultat le plus proche, le plus tangible. »
Pourquoi la question de l’environnement suscite-t-elle alors des inquiétudes de la part de nombreux porte-parole de la bourgeoisie ? D’abord parce qu’un capitaliste individuel va s’inquiéter s’il est démontré que la pollution industrielle affecte sa propre santé et pas seulement celle de ses esclaves salariés. Plus généralement, un nombre croissant de représentants politiques des capitalistes s’alarment face à la menace de perturbations économiques et sociales que fait peser le réchauffement climatique. Un article du New York Times (9 août 2009) intitulé « Le changement climatique considéré comme une menace pour la sécurité américaine » citait plusieurs experts militaires et spécialistes du renseignement qui évoquaient la possibilité, dans les prochaines décennies, « d’intervenir militairement pour faire face aux effets de tempêtes violentes, de sécheresses, de migrations de masse et d’épidémies ». Le Pentagone élabore déjà des plans pour sécuriser ses installations situées au niveau de la mer et fortifier les frontières pour empêcher l’entrée de réfugiés. Les discours du gouvernement sur la sauvegarde des intérêts américains sont une recette pour de nouvelles interventions impérialistes comme l’occupation d’Haïti, sous couvert de « porter secours aux victimes de la catastrophe » après le séisme de janvier 2010.
Ceux qui à gauche ne croient plus à une révolution socialiste prolétarienne n’ont plus rien d’autre à proposer que leurs propres scénarios catastrophe avec des stratégies réformistes impuissantes. Dans la New Left Review (janvier-février 2010), Mike Davis écarte la possibilité d’une « révolution mondiale », qualifiée de « scénario complètement irréaliste ». Il se résigne ainsi à accepter l’inévitabilité d’une catastrophe écologique imminente : « Au lieu de galvaniser l’innovation héroïque et la coopération internationale, les turbulences environnementales et socio-économiques croissantes risquent simplement de pousser encore plus les classes supérieures à se claquemurer frénétiquement pour s’isoler du reste de l’humanité [ ]. L’objectif serait de créer de vertes oasis de richesse permanente, entourées de murs, au milieu d’une planète dévastée. »
John Bellamy Foster, une vedette de l’« éco-socialisme », déploie tous ses efforts pour transformer Karl Marx en un proto-écologiste et pour vider le marxisme de son contenu révolutionnaire. Dans un article publié dans la Monthly Review (janvier 2010), il parle d’un « nouveau prolétariat environnemental » composé de petits paysans, d’habitants des bidonvilles sans travail et d’autres couches de la population du tiers-monde « directement exposées et qui seront les premières touchées par les catastrophes imminentes ». Ce « prolétariat » est présenté comme « le principal agent historique et l’initiateur d’une nouvelle ère de révolutions écologiques ». Cette notion prend clairement ses racines dans la « nouvelle gauche » des années 1960. Celle-ci rejetait l’idée que la classe ouvrière, dans les pays avancés comme dans le monde néocolonial, est la seule à pouvoir renverser l’ordre capitaliste et collectiviser les moyens de production. Après la disparition de la nouvelle gauche, de nombreux militants radicaux se sont réconciliés avec l’impérialisme et ont adhéré à l’une ou l’autre variante de la politique écologiste.
Il existe bel et bien un prolétariat dans les régions dont parle Bellamy : les mineurs de platine en Afrique du Sud, les ouvriers des chaînes de montage de l’industrie automobile en Inde et dans les usines aéronautiques au Brésil. Comme dans les pays capitalistes avancés, ce qui manque ce sont des partis ouvriers révolutionnaires, capables de mobiliser cette puissance sociale en se mettant à la tête des masses dépossédées des villes et des campagnes pour les mener vers une révolution socialiste.
Un « changement de système » procapitaliste
De son côté, l’ISO critique certaines des panacées écologistes, comme la réduction de l’« empreinte carbone » des individus, tout en se joignant aux libéraux et aux verts pour appeler les gouvernements capitalistes à imposer des pratiques respectueuses de l’environnement. Dans un article intitulé « Quand la Terre devient une serre » (International Socialist Review, mars-avril 2009), l’ISO propose « un plan d’action gouvernemental sur l’environnement » qui consiste principalement à conseiller au gouvernement Obama d’investir dans des énergies non fossiles. L’ISO est contre le nucléaire et elle tient le « capitalisme de libre échange non réglementé » (souligné par nous) pour responsable de la destruction de l’environnement ; elle fait ainsi écho aux préjugés petit-bourgeois qui caractérisent le mouvement écologiste. Ces positions n’ont rien de surprenant : depuis quelques années, l’ISO présente des candidats sur les listes des verts.
Lorsque l’ISO affirme, dans « Quand la Terre devient une serre », que « seul un avenir socialiste permettra d’espérer un avenir durable pour la planète », ce n’est que de la poudre aux yeux pour faire passer la conclusion opérationnelle de l’article : « Beaucoup de gens espèrent encore en Obama et en la possibilité que les attentes en termes de changements puissent être canalisées dans un mouvement qui ferait pression sur lui pour qu’il aille significativement au-delà de ses promesses de campagne. » De façon similaire, le PSL (Party for Socialism and Liberation) déclarait dans un article du 25 mai 2008 consacré à un projet de loi sur l’environnement du Congrès américain : « Sans mouvement radical de masse pour stopper le réchauffement climatique, les politiciens n’offriront que des demi-mesures qui garantiront que les profits continueront à s’amonceler dans les poches des pollueurs. »
Les réformistes ont eu le « mouvement » qu’ils voulaient devant les bâtiments où se tenaient les négociations de l’ONU sur le climat à Copenhague en décembre 2009. Des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés derrière le mot d’ordre « Changeons le système, pas le climat ! » et autres revendications similaires. Ce slogan, claironné par l’Action pour la justice climatique (AJC), l’ISO et d’autres groupes, peut vouloir dire beaucoup de choses différentes. Pour l’AJC (un réseau international de groupes écologistes), le « changement » recherché consiste à limiter la croissance économique et à « garder les combustibles fossiles dans le sol ». Les écologistes de tout poil soutiennent depuis longtemps que l’humanité dépasse ou devrait bientôt dépasser les « capacités » de la Terre. Selon ce point de vue, il y a trop d’habitants sur la planète et ceux-ci possèdent trop de choses. Invariablement, les propositions des écologistes pour limiter la consommation et réduire la production concordent avec les mesures d’austérité capitaliste qui visent la classe ouvrière et les pauvres, que ce soit dans les centres industriels ou dans les pays retardataires.
Pour l’essentiel, le bilan de la mobilisation à Copenhague a été d’implorer les impérialistes « démocratiques » d’accélérer les négociations sur la réduction des émissions, comme l’illustraient des pancartes comme « Bla, bla, bla. Il faut agir maintenant », « Il n’y a pas de planète B », ou encore « Le monde veut un vrai accord ». Surtout, beaucoup plaçaient leurs espoirs dans Barack Obama, commandant en chef de l’impérialisme américain, dont les sermons sur les problèmes que pose le réchauffement climatique pour les êtres humains coïncident avec une intensification de l’occupation américaine meurtrière de l’Afghanistan, une projection de puissance militaire aux quatre coins du monde et la multiplication des attaques contre les droits démocratiques aux Etats-Unis même, au nom de la « guerre contre le terrorisme ».
A l’approche de la conférence de Copenhague, l’ISO (qui avait applaudi l’accession d’Obama à la Maison Blanche) a publié un article débile dans le Socialist Worker (2 juillet 2009) sur le projet de loi du gouvernement sur le « cap and trade » : « Si tout ce qu’il entend c’est le bruit des dollars des entreprises qui se déversent dans les caisses du Parti démocrate, il est clair que la Terre, les êtres humains, les animaux et les plantes viendront en deuxième, très loin derrière les considérations de profit des entreprises ». Ce que raconte l’ISO, tout comme le PSL et le reste de la gauche réformiste, est une fable : il serait possible de modifier les priorités fondamentales de la classe capitaliste dans le sens des intérêts des exploités et des opprimés en faisant suffisamment pression sur l’aile libérale de la bourgeoisie, représentée aux Etats-Unis par le Parti démocrate. Que les réformistes se réclament sans arrêt du socialisme ou pas, leur action politique a pour effet d’« éduquer les masses dans l’idée de l’inébranlabilité de l’Etat bourgeois », selon la caractérisation tranchante de Trotsky dans les Leçons d’Octobre (1924).
Malthus et la croissance démographique
Pratiquement tous les écologistes, à un degré ou à un autre, voient dans la croissance démographique la principale cause de la dégradation de l’environnement. C’est l’opinion qu’exprime Robert Engelman, du Worldwatch Institute, dans un numéro spécial de Scientific American publié en juin 2009 : « A l’ère du changement climatique et des crises économiques, les limites malthusiennes sont de retour, et elles nous prennent douloureusement en étau. Alors que jadis une population plus nombreuse signifiait plus d’ingéniosité, plus de talent et plus d’innovation, aujourd’hui cela semble signifier moins pour chacun » (souligné dans l’original).
C’est poser le problème à l’envers. Il est vrai que la population mondiale est passée de 3 milliards d’individus en 1960 à 6,5 milliards en 2005, et qu’elle devrait atteindre les 7 milliards en 2011. La croissance démographique accélérée amplifie les problèmes inhérents au mode de production capitaliste que sont la pauvreté, la famine et la dégradation de l’environnement, mais cette croissance n’est pas la cause de ces maux. Par exemple, selon le Programme alimentaire mondial des Nations Unies, la production alimentaire est aujourd’hui plus d’une fois et demie supérieure à la quantité nécessaire pour fournir à chaque habitant de la planète une alimentation saine et équilibrée. Mais les capitalistes manipulent le marché alimentaire mondial pour accumuler autant de profits que possible, pas pour nourrir ceux qui ont faim.
L’argument que les masses paupérisées seraient responsables de la pénurie est resté associé au nom de Thomas Malthus. Dans son Essai sur le principe de population, un pamphlet publié en 1798, ce pasteur de l’Eglise anglicane affirmait que l’accroissement incontrôlé de la population suit une progression géométrique, tandis que les moyens de subsistance augmentent selon une progression arithmétique. En combinant ces deux affirmations, on obtient le « principe de population » de Malthus, qui en tirait la conclusion que la croissance de l’humanité dépasserait celle des ressources de la planète, provoquant ainsi misère et vices en tous genres.
Avec cet argument, les malthusiens exonèrent l’ordre social existant, celui d’une société divisée en classes, de sa responsabilité dans la misère des masses. La théorie de Malthus faisait partie intégrante de la contre-offensive idéologique contre la Révolution française. Non seulement l’aristocratie féodale dans toute l’Europe mais aussi la bourgeoisie anglaise craignaient que leurs propres « classes inférieures » n’adhèrent aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Le malthusianisme était une tentative de démontrer l’inévitabilité des privations pour les masses laborieuses, de manière à les dissuader de s’engager dans des luttes sociales pour améliorer leur sort.
Marx et Engels ont impitoyablement démoli la théorie de Malthus, considérée par Engels comme « la plus brutale déclaration de guerre de la bourgeoisie au prolétariat » (la Situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845). Malthus présentait comme des vérités éternelles les rapports d’exploitation spécifiques qui existaient à l’époque entre travailleurs salariés et capitalistes, ainsi que les antagonismes entre l’aristocratie foncière et la bourgeoisie urbaine. Marx a montré que la pauvreté de la classe ouvrière provient de l’appropriation par les capitalistes qui possèdent les moyens de production de la plus-value extorquée aux travailleurs salariés (le prolétariat). Afin d’en finir avec la misère et les privations pour les masses laborieuses, il faudra l’expropriation des moyens de production par le prolétariat et un développement qualitatif des forces productives, qui sera rendu possible dans le cadre d’une économie collectivisée. La révolution technologique du XIXe siècle en Europe a été en elle-même une réfutation spectaculaire du malthusianisme parce qu’elle a démontré qu’une augmentation qualitative des moyens de subsistance était possible.
Les marxistes ne sont en aucun cas indifférents aux problèmes que pose une forte croissance démographique. Mais nous savons que seule une société capable d’élever le niveau de vie des habitants du monde entier pourra créer les conditions nécessaires pour une diminution naturelle des taux de reproduction. Dans les pays capitalistes avancés qui ont connu une augmentation du niveau de vie de leur population, le taux de fécondité (le nombre moyen d’enfants qu’aura chaque femme pendant toute la période où elle aura été en âge de procréer) a en général diminué, parfois de façon spectaculaire. Avec l’avènement de l’industrialisation, le taux de fécondité a chuté d’abord en France puis en Grande-Bretagne, et ensuite dans la plupart des pays d’Europe et aux Etats-Unis. Déjà dans les années 1970, 24 pays avaient un taux de fécondité inférieur ou égal à 2,1 le niveau où la population reste stable.
Mais ce genre de progrès est limité dans un monde dominé par l’impérialisme, où des milliards de personnes vivent dans des conditions épouvantables. L’oppression impérialiste renforce aussi l’obscurantisme religieux réactionnaire et une oppression brutale des femmes dans le monde entier. Pendant la guerre froide antisoviétique, par exemple, les Etats-Unis ont consciemment soutenu les forces fondamentalistes islamiques comme rempart contre à la fois le « communisme impie » et le nationalisme laïque. John Foster Dulles avait ainsi déclaré en 1950, trois ans avant de devenir ministre des Affaires étrangères : « Les religions de l’Orient sont profondément enracinées et elles ont de nombreuses valeurs précieuses. On ne peut pas réconcilier leurs croyances spirituelles avec l’athéisme et le matérialisme communistes. Cela crée un lien commun entre nous. »
De la même façon, les bourgeoisies des pays du tiers-monde utilisent la religion et la superstition pour consolider leur pouvoir. Le gouvernement indien, par exemple, attise le chauvinisme hindou. Avec son opposition moyenâgeuse à l’avortement et la contraception, l’Eglise catholique (qui a de l’emprise sur plus d’un milliard de personnes), elle aussi, contribue considérablement à la croissance démographique. Les Etats-Unis, quant à eux, occupent la première place parmi les pays capitalistes avancés pour ce qui est de la prévalence des croyances religieuses.
Comme nous l’avions fait remarquer dans « En défense de la science et de la technologie : un échange sur les éco-radicaux et les négationnistes du VIH » (Workers Vanguard n° 843, 4 mars 2005) :
« La société communiste reposera sur un ensemble de valeurs sociales complètement différentes de celles qui existent aujourd’hui. La libération des femmes de la domination patriarcale signifiera l’accès complet et sans entrave au contrôle des naissances et à la contraception. Le communisme élèvera au plus haut le niveau de vie de tous. En mettant fin à la pénurie, à la pauvreté et au besoin, le communisme éliminera aussi la cause principale de la prévalence de la religion et de la superstition, avec l’arriération qui en découle assignant aux femmes le rôle de produire la prochaine génération de travailleurs à exploiter. »
Sous le communisme, les êtres humains auront une meilleure maîtrise de leur environnement naturel et social. La division entre ville et campagne, ainsi que la dépendance économique envers la famille, auront été surmontées. L’époque où les gens étaient obligés de faire plus d’enfants afin d’avoir suffisamment de main-d’uvre pour travailler leur terre ou pour s’occuper d’eux quand ils seraient vieux sera révolue depuis longtemps. Engels écrivait en 1881 dans une lettre à Karl Kautsky :
« Il existe certes cette possibilité abstraite, que le nombre des hommes s’accroisse tant qu’on doive mettre une limite à son accroissement. Mais si, un jour, la société communiste se voyait contrainte à planifier la production des hommes de la même façon qu’elle aura déjà réglé la production des objets, c’est elle, et elle seule, qui le réalisera sans difficultés. »
Capitalisme, technologie et production d’énergie
Horrifiés par la dégradation de l’environnement provoquée par les grandes entreprises, les éco-radicaux « anticapitalistes » tirent souvent un trait d’égalité entre capitalisme et technologie. D’après cette conception, capitalisme devient synonyme de consommation, y compris celle des biens de première nécessité. Les partisans de « l’écologie profonde » et autres primitivistes du même acabit poussent l’écologisme à sa conclusion logique : ils sont contre l’industrie et la civilisation, au motif que ce qui reste de la nature doit être protégé de l’homme. Dans la pratique, une telle perspective ne peut se réaliser qu’avec la mort de plusieurs milliards de personnes. Dans la Question agraire et les « critiques de Marx » (1901), Lénine polémiquait ainsi contre Sergueï Boulgakov, un « marxiste légal » néo-malthusien russe :
« Il n’y a pas eu derrière nous d’âge d’or, et l’homme primitif était tout à fait accablé par les difficultés de l’existence, par les difficultés de la lutte contre la nature. L’emploi des machines et des procédés perfectionnés du travail a énormément facilité à l’homme cette lutte en général et la production des vivres en particulier. Ce qui a augmenté, ce n’est pas la difficulté de produire des vivres, mais la difficulté pour l’ouvrier de se procurer des vivres ; cette difficulté a augmenté parce que le développement capitaliste a haussé la rente foncière et le prix de la terre, a concentré l’agriculture entre les mains des gros et petits capitalistes, a concentré plus encore les machines, les outils, l’argent, sans lesquels une bonne production est impossible. »
Au début de son développement, le capitalisme a donné naissance à la science moderne et à la révolution industrielle, qui a été déclenchée par la découverte que l’on pouvait utiliser le charbon dans des machines à vapeur. La puissance motrice de la vapeur, combinée à la technologie des machines, allait bientôt révolutionner la production, et les ouvriers salariés travaillant collectivement dans de grandes usines allaient remplacer les artisans. En même temps, la propriété des moyens de production devenait de plus en plus une entrave au développement des forces productives.
L’accroissement de la production nécessitait l’augmentation des ressources énergétiques d’abord le charbon puis, de plus en plus, le pétrole. Aujourd’hui, quatre des six entreprises les plus rentables au monde sont des compagnies pétrolières, le pétrole fournissant à lui seul plus d’un tiers de l’énergie mondiale. A l’échelle de la planète, ce sont des milliers de milliards de dollars qui sont investis dans des infrastructures utilisées pour la production ou le raffinage du pétrole et du gaz. D’autres dérivés du pétrole comme l’asphalte, le caoutchouc ou le plastique occupent aussi une place vitale dans les économies industrielles.
Les magnats capitalistes et leurs gouvernements ne sont pas prêts à simplement passer par pertes et profits leurs investissements historiques dans les combustibles fossiles. Un gouvernement ouvrier ne le serait pas non plus. Une économie planifiée et collectivisée mènerait des recherches scientifiques pour développer des sources d’énergie plus sûres et plus efficaces, mais il est bien possible qu’elle ait à tourner au charbon et aux hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) pour un certain temps encore. Comme nous le faisions remarquer dans « La mode de l’écologie et l’énergie nucléaire » (Young Spartacus n° 55, juin 1977) : « Les marxistes ne sont pas insensibles aux aspects environnementaux des progrès techniques. Mais cette inquiétude est tempérée par le fait que nous sommes déterminés à éradiquer scientifiquement la pénurie et la misère de l’humanité. La révolution prolétarienne victorieuse utilisera la science et la technique pour créer les bases matérielles nécessaires au dépassement de la “condition humaine” synonyme de guerre, de pauvreté et de pénurie qui est la marque des sociétés de classes. »
Léon Trotsky, qui a dirigé avec Lénine la révolution d’Octobre 1917, décrivait ainsi la contradiction inhérente au progrès technologique sous le capitalisme :
« La technique et la science ont leur propre logique, la logique de la connaissance de la nature et de son asservissement aux intérêts de l’homme. Mais la technique et la science ne se développent pas dans le vide, elles le font dans une société humaine divisée en classes. La classe dirigeante, la classe possédante domine la technique et, à travers elle, elle domine la nature. La technique en elle-même ne peut être appelée militariste ou pacifiste. Dans une société où la classe dirigeante est militariste, la technique est au service du militarisme. »
« Radio, science, technique et société », mars 1926
Nous défendons les avancées de la science et de la technologie réalisées sous le capitalisme, et nous savons qu’une société socialiste s’appuiera sur ces progrès. Aujourd’hui, l’application de cette technologie est étroitement liée à la recherche du profit par la bourgeoisie. Même les technologies les mieux comprises sont mises en uvre de façon dangereuse et avec un coût social élevé, intentionnellement ou non. La catastrophe survenue en avril 2010 dans le golfe du Mexique, où onze ouvriers ont perdu la vie, prouve bien que le secteur de l’énergie est l’un des plus dangereux pour les travailleurs, parce que les procédures de sécurité passent à la trappe. Bien qu’aucune activité d’extraction ne soit requise pour la production d’énergie solaire et éolienne, ces industries à petite échelle coûtent pourtant elles aussi des vies. Partout dans l’industrie, nous luttons pour le contrôle syndical sur les conditions de travail et, en cas de danger spécifique, pour des actions ouvrières pour arrêter la production. Tout cela requiert des efforts concertés pour syndiquer les travailleurs des entreprises et des sous-traitants qui de plus en plus recourent à une main-d’uvre non syndiquée.
Nous sommes des marxistes révolutionnaires. Conseiller la bourgeoisie sur la meilleure façon de satisfaire ses besoins énergétiques ne nous intéresse pas. Nous nous préoccuperons de trouver le meilleur moyen de fournir de l’énergie sur la planète quand le prolétariat international sera au pouvoir. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourra décider en toute connaissance de cause d’utiliser telle source d’énergie plutôt que telle autre. Nous sommes conscients que tous les types de production d’énergie présentent des inconvénients. Le charbon par exemple, selon sa qualité, peut contenir plus de 90 % de carbone pur. Et son pouvoir calorifique est également moins élevé que celui du gaz naturel (méthane). A quantité d’énergie égale, brûler du charbon plutôt que du gaz produit de ce fait davantage de dioxyde de carbone. Mais argumenter aujourd’hui, dans une société où le profit règne en maître, que telle ou telle source d’énergie est plus sûre ou plus raisonnable qu’une autre, c’est courir au désastre. Quelques exemples :
Les écologistes ont en général toujours été hostiles à l’énergie nucléaire, même si aujourd’hui certains considèrent qu’elle pourrait devenir une alternative à l’utilisation des combustibles fossiles, notamment avec l’arrivée des réacteurs rapides intégraux (IFR, une variante de réacteur à neutrons rapides), qui créent moins de déchets et pour lesquels le risque de fusion du cur est moindre. Nous nous opposons aux campagnes écologistes contre le nucléaire, sans pour autant soutenir les politiques et les activités des propriétaires de réacteurs ou des agences gouvernementales qui les contrôlent. Il est vrai que la planète contient une quantité limitée d’uranium, mais si de nouveaux réacteurs surgénérateurs, comme les IFR, étaient employés, ils n’utiliseraient qu’1 % de l’uranium consommé actuellement par les réacteurs à eau pressurisée. Il existe aussi la possibilité de développer un jour des technologies qui permettront d’exploiter la fusion nucléaire à des fins de production d’énergie.
Il ne s’agit pas de nier les risques que les réacteurs nucléaires représentent en termes de sécurité : ces risques sont bien réels et demeurent sans solution, en particulier la question de l’élimination des déchets. Mais une grande quantité de déchets nucléaires provient en réalité de l’usage militaire du nucléaire. Le gigantesque arsenal nucléaire aux mains des Etats-Unis et des autres puissances impérialistes représente un danger bien plus grand pour l’humanité qu’une fuite accidentelle dans une centrale nucléaire ou lors du transport ou du stockage des déchets. Les Etats-Unis sont le seul pays à avoir fait usage de l’arme atomique, quand en août 1945 ils ont incinéré plusieurs centaines de milliers de personnes dans les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, au Japon.
Il faut défendre l’Etat ouvrier chinois !
L’expérience de l’Union soviétique a démontré la supériorité d’une économie planifiée. La Révolution russe de 1917, dirigée par les bolchéviks, a brisé la domination capitaliste et a instauré des formes de propriété prolétariennes, ouvrant ainsi la voie à une amélioration qualitative du niveau de vie des masses laborieuses, à un degré inatteignable dans les pays qui restaient enchaînés par la domination impérialiste. En URSS, tout le monde avait accès à un logement, aux soins médicaux, à l’éducation et à un emploi. Même isolée, et malgré sa dégénérescence sous le règne de la bureaucratie stalinienne à partir de 1923-1924, l’Union soviétique connut une transformation fondamentale ; de société arriérée, avec une écrasante majorité de paysans, elle devint une puissance industrielle moderne. Alors qu’en 1925 l’Union soviétique était le onzième producteur mondial d’énergie électrique, elle occupait en 1935 la troisième place, derrière l’Allemagne et les Etats-Unis. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Soviétiques furent en mesure de déplacer et de reconstruire les industries détruites par l’invasion nazie.
Mais la bureaucratie stalinienne a sapé les fondements mêmes de l’Etat ouvrier soviétique avec son dogme profondément antimarxiste du « socialisme dans un seul pays ». Le socialisme, autrement dit le premier stade d’une société communiste sans classes, doit reposer sur l’abondance matérielle. Pour cela, des révolutions socialistes doivent avoir lieu dans le monde entier, y compris dans les pays industrialisés avancés. Les staliniens étaient opposés à la perspective d’une révolution prolétarienne mondiale et recherchaient au contraire un accommodement avec l’impérialisme. Après des décennies de trahisons staliniennes et de pressions impérialistes incessantes, l’Union soviétique a succombé face aux forces de la restauration capitaliste en 1991-1992, une défaite historique pour les travailleurs et les opprimés du monde entier.
Par la suite, la Chine est devenue la principale cible des efforts des impérialistes pour fomenter une contre-révolution capitaliste. Pour détruire l’Etat ouvrier né de la Révolution chinoise de 1949, les impérialistes ont fait monter d’un cran leurs pressions contre Pékin, tout en menant une politique de subversion économique et politique à l’intérieur du pays, par exemple en soutenant des forces contre-révolutionnaires comme le mouvement pour l’« indépendance du Tibet » derrière le dalaï-lama.
Contrairement à l’Etat ouvrier soviétique des premières années, l’Etat ouvrier chinois était dès son origine déformé sous le régime de la bureaucratie stalinienne nationaliste du Parti communiste. Aujourd’hui, il est urgent de lutter pour défendre la Chine et les autres Etats ouvriers déformés qui restent (Corée du Nord, Vietnam, Cuba [et Laos]) contre l’impérialisme et la contre-révolution capitaliste. Notre défense de la Chine, comme celle de la Corée du Nord, implique que nous soutenons les efforts de ces pays pour développer des bombes nucléaires et les systèmes d’armes (avions, missiles, sous-marins) associés. En tant que trotskystes, nous luttons simultanément pour une révolution politique prolétarienne qui chassera les bureaucraties staliniennes et remettra le pouvoir aux mains de conseils ouvriers et paysans (soviets) déterminés à lutter pour la révolution prolétarienne mondiale.
C’est dans ce cadre que nous abordons la question de la dégradation de l’environnement et des autres problèmes sociaux aujourd’hui en Chine. Beaucoup d’écologistes se joignent aux impérialistes pour pointer sur la Chine un doigt accusateur, parce qu’elle est devenue le premier pays émetteur de gaz à effet de serre, devant les Etats-Unis. Pékin a pour le moment réussi à résister aux efforts des impérialistes qui voudraient lui imposer un calendrier de réduction des émissions, en faisant remarquer par la même occasion que l’Occident reproche à la Chine une augmentation d’émissions qui est due à la fabrication, financée par des capitaux occidentaux, de biens destinés à être exportés en Occident.
70 % de l’énergie consommée aujourd’hui en Chine provient de la combustion du charbon. Le charbon est notamment utilisé pour le chauffage domestique dans les régions rurales, pas seulement dans les centrales électriques. La Chine utilise le charbon parce que c’est ce qu’elle possède. Et c’est la raison pour laquelle les impérialistes américains insistent autant sur la nécessité pour la Chine de limiter ses émissions (en même temps qu’ils s’autorisent à ne pas contrôler les leurs). Une diminution de la production et de l’utilisation du charbon nuirait gravement à l’économie chinoise. En même temps, la forte demande de charbon a contribué à la prolifération de mines privées extrêmement dangereuses, dont les patrons paient les inspecteurs du gouvernement pour qu’ils ferment les yeux. C’est là une des principales causes des catastrophes qui se produisent régulièrement dans les mines chinoises.
Malgré les incursions capitalistes découlant des « réformes de marché », le cur de l’économie de la Chine repose toujours sur la propriété collectivisée, et ceci illustre ce qu’il est possible de faire quand le principe directeur n’est pas de générer des profits. Tandis que le monde capitaliste est enlisé dans la récession, la Chine connaît une croissance économique phénoménale, due dans une large mesure à un programme de relance massive grâce aux banques et aux industries d’Etat (voir « Chine : Luttes ouvrières dans l’“économie socialiste de marché” », Workers Vanguard n° 964 et 965, 10 et 24 septembre 2010).
Pendant la même période, la Chine a annoncé son intention de réduire considérablement le taux de croissance de ses émissions de dioxyde de carbone d’ici 2020. Le gouvernement prévoit de dépenser pour cela 5 000 milliards de yuans (environ 700 milliards d’euros) ces dix prochaines années pour développer des sources d’énergie plus propres, comme l’éolien et le solaire, ainsi que des voitures électriques et hybrides. La Chine est déjà « le premier constructeur mondial de centrales au charbon plus efficaces et moins polluantes, grâce à sa maîtrise de cette technologie et à la réduction des coûts » (New York Times, 11 mai 2009). La Chine a achevé il y a quelques années la construction d’une ligne de chemin de fer reliant le Qinghai au Tibet, la plus longue voie ferrée du monde à de telles altitudes et la première à rejoindre le Tibet. Selon un article du magazine Science (27 avril 2007), ce projet pourrait passer à la postérité comme un « miracle écologique », grâce notamment à un réseau de tunnels construits pour éviter de perturber les migrations saisonnières des animaux et grâce au contournement des marais et à l’isolation des voies de façon à éviter de déstabiliser le pergélisol.
Il y a cependant de véritables problèmes environnementaux en Chine. Les grandes villes étouffent dans un brouillard toxique. Du fait des rejets massifs de déchets industriels, un tiers des rivières du pays et une grande partie de ses lacs sont impropres à tout usage industriel ou agricole. Et plusieurs millions de Chinois n’ont pas accès à l’eau potable. Même s’il existe une législation visant à limiter la pollution, les bureaucrates corrompus et vénaux n’appliquent pas scrupuleusement les lois. En plus des luttes des paysans et des ouvriers contre les difficultés économiques, il y a de nombreuses manifestations en lien avec des problèmes de pollution ; il y en a eu environ 50 000 rien qu’en 2005. En août 2009, des centaines d’habitants de la province du Shaanxi, dans le Nord-Ouest de la Chine, ont attaqué une fonderie tenue pour responsable de l’intoxication de plus de 600 enfants. En juillet 2009, plus d’un millier de personnes ont jeté des pierres contre la police et ont bloqué des routes dans le Sud de la Chine pour protester contre la pollution causée par une usine appartenant à l’un des plus grands producteurs privés d’aluminium.
Malgré ses avancées historiques, la Chine reste marquée par un héritage d’arriération rurale. Sous le régime stalinien, la mauvaise gestion de l’économie collectivisée, combinée aux effets des « réformes de marché » en place depuis trente ans, a créé des inégalités croissantes et toute une série de problèmes sociaux non résolus. Une révolution politique prolétarienne mettrait en place un régime de démocratie ouvrière basé sur des conseils d’ouvriers et de paysans (soviets) qui décideraient de la stratégie économique et autres questions clés non par oukase bureaucratique mais par un débat ouvert. Les usines seraient dirigées non par des agents d’une bureaucratie intéressée mais par des conseils d’usine où les syndicats, affranchis du contrôle bureaucratique, auraient leur place.
Mais la démocratie ouvrière même la plus aboutie ne peut pas se substituer au niveau technologique (et au temps) nécessaire pour surmonter l’opposition entre la ville et la campagne et d’autres traits retardataires persistants de la société chinoise. Un Etat ouvrier chinois dirigé par un parti léniniste-trotskyste se donnerait pour mission de lutter pour la révolution prolétarienne dans toute l’Asie, et particulièrement dans les pays capitalistes avancés. Une révolution politique prolétarienne en Chine aurait un énorme impact sur la conscience des travailleurs dans le monde entier, et elle constituerait un formidable encouragement pour la lutte de classe en particulier pour la conception que l’objectif fondamental des travailleurs doit être la révolution socialiste.
Pour une économie collectivisée et planifiée à l’échelle mondiale, dans le cadre du pouvoir ouvrier !
Contrairement aux idéologues écologistes qui déifient une nature « vierge », nous savons que depuis les premiers jours de son apparition sur Terre, l’homme a laissé son empreinte sur le monde naturel, ce qui a ensuite influencé le développement de la civilisation. L’homme a défriché de vastes étendues de terres pour l’agriculture, il a exploité des usines rejetant de la fumée et il a fait exploser des bombes atomiques ; au fil des ans, l’intervention humaine a accéléré des processus naturels et créé aussi des complications supplémentaires. Dans « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme », Engels énumère plusieurs conséquences fortuites des tentatives de manipulation de la nature faites par différentes populations à diverses époques, avant d’ajouter : « Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. »
Pour avoir la moindre chance de développer les forces de production et d’utiliser les ressources de la planète, le tout rationnellement (ceci inclut relever les défis du changement climatique), il faut se débarrasser du capitalisme décadent actuel. Il faut une planification consciente et à grande échelle, ce qui est absolument incompatible avec la recherche du profit, la concurrence, l’anarchie du marché, les crises de surproduction, la division du monde en Etats-nations et les rivalités interimpérialistes. Il faudra une série de révolutions prolétariennes pour instaurer une économie socialiste planifiée internationalement, qui libérera les capacités productives de l’humanité et éliminera la pénurie une condition préalable à la disparition des classes et au dépérissement de l’Etat dans une société communiste.
Une fédération internationale d’Etats ouvriers s’attacherait à combler le vaste fossé qui sépare le « premier monde » du « tiers-monde », en mobilisant les ressources productives du monde entier dans le but d’augmenter fortement le niveau de vie des masses paupérisées d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, dont les besoins fondamentaux (comme un logement décent, un système de santé de qualité, l’éducation ou l’eau potable) ne sont pas assurés aujourd’hui sous la domination impérialiste. Il serait possible de planifier rationnellement l’aménagement des villes, de mettre en place des systèmes de transport de masse étendus et gratuits et de réduire les déchets. Des ressources considérables seraient investies dans le développement de sources d’énergie à faible émission et des mesures seraient mises en place pour limiter les effets du changement climatique en apportant une aide massive à ses victimes (sous forme de nourriture, d’eau potable et de médicaments) ou en déplaçant des villes ou des populations entières qui habitent le long des côtes.
Personne ne peut empêcher les tsunamis de se former ni les plaques tectoniques de dériver. Les marxistes ne prétendent pas non plus résoudre tous les problèmes de l’humanité. Comme le faisait remarquer l’historien marxiste Isaac Deutscher dans « De l’homme socialiste », une conférence donnée en 1966, « nous luttons tout d’abord contre les problèmes qui sont créés par l’homme et que l’homme peut résoudre ». Il ajoutait :
« Trotsky parlait ainsi des trois tragédies dont souffrait l’humanité : la faim, le sexe et la mort. La faim est l’adversaire dont le marxisme et le mouvement ouvrier moderne relèvent le défi [ ]. Oui, le sexe et la mort poursuivront encore l’Homme Socialiste ; mais nous sommes convaincus qu’il sera mieux équipé que nous pour leur faire face. »
Engels écrivait dans Socialisme utopique et socialisme scientifique (1880) en parlant du jour où le prolétariat prendra le pouvoir et accomplira sa mission historique, l’émancipation universelle :
« Le cercle des conditions de vie entourant l’homme, qui jusqu’ici dominait l’homme, passe maintenant sous la domination et le contrôle des hommes, qui pour la première fois, deviennent des maîtres réels et conscients de la nature, parce que et en tant que maîtres de leur propre socialisation. [ ] Ce n’est qu’à partir de ce moment que les hommes feront eux-mêmes leur histoire en pleine conscience ; ce n’est qu’à partir de ce moment que les causes sociales mises par eux en mouvement auront aussi d’une façon prépondérante, et dans une mesure toujours croissante, les effets voulus par eux. »
L’objectif de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste) est de forger les partis ouvriers d’avant-garde qui sont nécessaires pour mener le prolétariat, à la tête de tous les déshérités et les opprimés, dans une lutte victorieuse pour un avenir socialiste.