Le Bolchévik nº 214

Décembre 2015

 

Vigipirate : Trente ans de terrorisme sécuritaire raciste gouvernemental

« Le dispositif va durer aussi longtemps que nécessaire. Votre génération doit s’habituer à vivre avec ce danger. »

Soit encore : tu grandiras, vivras et mourras avec. Ainsi s’exprimait le Premier ministre Manuel Valls à propos de Vigipirate en réponse à un lycéen, deux semaines après les attentats terroristes criminels de début janvier 2015 contre un magasin juif et contre la rédaction de Charlie Hebdo. Valls reconnaissait ainsi que l’objectif de Vigipirate, dont les effectifs étaient alors portés à 10 000 personnes (comme à nouveau depuis le 13 novembre), est d’instiller la peur ainsi que le message mensonger que l’armée et la police seraient partout pour nous défendre contre la « menace terroriste ». Avant les attentats du 13 novembre il y avait toujours 7 000 soldats et gendarmes patrouillant le pays dans le cadre de Vigipirate et du dispositif annexe « Sentinelle » : un tel déploiement militaire en métropole n’avait jamais été mis en place depuis la guerre d’Algérie, et il dure depuis maintenant presque un an. A bas Vigipirate et Sentinelle !

Le plan Vigipirate a été créé (sous un autre nom) en 1978, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Le plan intégrait dès le début la dimension de l’immigration contre laquelle la bourgeoisie française multipliait les attaques (expulsions, contrôles, etc.) à une époque où pour la première fois se développait un chômage de masse chronique. Giscard avait eu des liens avec l’OAS (une organisation terroriste pour l’« Algérie française » qui avait assassiné au moins 2 000 personnes), et le plan réactivait les concepts de « guerre révolutionnaire » et de « contre-subversion » de l’armée française pendant les guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie. Il vise à désigner les immigrés et leurs familles comme une « cinquième colonne » et à mobiliser le reste de la population contre cet « ennemi intérieur potentiel » (sur la guerre révolutionnaire, voir « La surveillance de l’Etat français » dans le Bolchévik n° 207, mars 2014).

Dans les années 1980, il y eut de puissantes grèves dans l’industrie dans lesquelles les ouvriers immigrés, originaires notamment d’Afrique du Nord, jouèrent un rôle central. Il y eut aussi des mobilisations des enfants de ces ouvriers pour dénoncer la terreur raciste dont ils étaient victimes et la situation désespérée dans laquelle ils se trouvaient. Aussi la bourgeoisie avait bien des raisons de douter du patriotisme de cette couche de la population française lorsque Mitterrand se lança dans la plus importante opération militaire de l’impérialisme français depuis la guerre d’Algérie, l’attaque de l’Irak de Saddam Hussein en 1991 sous la direction des Etats-Unis : des milliers de soldats français furent alors envoyés combattre ce pays arabe musulman.

Des milliers de gendarmes et de CRS furent aussi déployés en France dans les aéroports, les stations de métro et les gares pendant quatre mois. La fouille des sacs fut instituée aux entrées des grands magasins, les caméras vidéo rendues obligatoires dans toutes les centrales nucléaires, etc.

Nous avions immédiatement dénoncé ce plan (voir le Bolchévik n° 109, mars 1991), et nous n’avons cessé de le faire depuis sa réactivation en 1995 (devenue permanente depuis 1996 !)

La « guerre contre le terrorisme » est une guerre sans fin au nom de laquelle la répression est renforcée par l’Etat et tout désaccord potentiellement criminalisé. Alain Bauer, conseiller sécurité de Sarkozy et pote de Valls, l’a cyniquement reconnu à la télévision en 2013 en caractérisant Vigipirate d’« outil de communication politique » ; il ajoutait que ce n’est « pas un outil de sécurité publique, pardonnez-moi de le rappeler […] Vigipirate n’a jamais réussi à arrêter qui que ce soit » (C dans l’air, novembre 2013). En fin de compte c’est la classe ouvrière qui est menacée par toutes ces mesures.

Vigipirate et la surveillance des lieux fréquentés par des Juifs

Aujourd’hui sur les milliers de soldats qui patrouillent les villes et les lieux publics, un nombre significatif d’entre eux sont affectés devant des écoles juives et des synagogues. Si Vigipirate, Sentinelle et la « guerre contre le terrorisme » visent en premier lieu les musulmans, la population juive paie aussi son tribut à la campagne de peur de l’Etat ; les enfants juifs de tous âges sont obligés de passer devant des soldats équipés de fusils mitrailleurs pour aller à l’école dans ce pays. Nétanyahou pourrait donner un bon point à la Cinquième République de Hollande qui enseigne aux enfants juifs depuis la maternelle qu’ils doivent craindre leurs voisins musulmans.

Les Juifs n’ont aucune raison de croire que Sentinelle est là pour les protéger. Tout d’abord, l’intégrisme islamique et le racisme antijuif, qui croissent aujourd’hui dans les banlieues, sont des sous-produits réactionnaires de la politique de chômage massif et des provocations racistes et pro-sionistes du gouvernement lui-même (voir notre article sur le provocateur antijuif Dieudonné dans le Bolchévik n° 207, mars 2014).

Mais surtout, ce genre de gesticulation a en bonne partie pour but d’escamoter le véritable passé de la bourgeoisie française par rapport à « ses » Juifs, depuis l’Affaire Dreyfus jusqu’à la promotion de Maurice Papon au rang de ministre dans les années 1970 sous Giscard. Papon, haut fonctionnaire de l’Etat français sous Pétain, avait organisé la déportation de 1 700 hommes, femmes et enfants juifs du Bordelais vers les camps de la mort nazis.

Papon avait ensuite poursuivi sa carrière de haut fonctionnaire en se spécialisant notamment dans le crime anti-arabe en tant que préfet de Constantine puis préfet de police de Paris pendant la guerre d’Algérie. A ce dernier titre il avait la haute main sur le massacre par les flics de 150, peut-être 200 Algériens à Paris le 17 octobre 1961 – le massacre terroriste le plus sanglant commis à ce jour dans la capitale depuis la Deuxième Guerre mondiale, un crime dont l’ampleur continue d’être niée par le gouvernement ; les flics jetaient les Algériens dans la Seine, parfois encore vivants.

Pour des gens comme Papon ou Cazeneuve la cible importe peu, il s’agit toujours de défendre la « sécurité de l’Etat » contre ceux que la classe capitaliste considère comme un problème pour son ordre ou pour son profit. Les Juifs, tout comme les Arabes, ne seront définitivement en sécurité dans ce pays que lorsque la classe ouvrière aura renversé la bourgeoisie !

L’éducation prioritaire, une « victime collatérale » de Vigipirate

La campagne de peur du gouvernement est incessante et insidieuse, et la mise en œuvre de Vigipirate a de multiples répercussions sur nombre d’aspects de la vie des opprimés. Ainsi, fin janvier 2015, la ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem annonçait que les sorties scolaires pouvaient reprendre après leur interdiction suite aux attentats. Toutefois, Vallaud-Belkacem précisait que pour l’Ile-de-France chaque académie et chaque directeur d’école étaient laissés libres de décider si les sorties pouvaient reprendre ou non, la décision finale restant entre les mains du rectorat. Seulement, l’académie de Créteil déclarait à la rentrée de septembre 2015 que « les voyages peuvent être maintenus dans la mesure où ils sont effectués en car » et que « l’utilisation collective des transports en commun est fortement déconseillée ». Mais, comme ne doivent pas manquer de le savoir le rectorat de Créteil et le gouvernement, il n’y a pratiquement plus de bus municipaux disponibles pour ce genre de sorties étant donné les coupes budgétaires imposées par le gouvernement.

L’académie de Créteil comprend les départements de Seine-Saint-Denis (93), Val-de-Marne (94) et Seine-et-Marne (77). Cette académie a le plus grand nombre d’écoles classées REP et REP+ (réseaux d’éducation prioritaire) dans tout le pays, mais ces enfants ne bénéficieront donc pas des tarifs avantageux réservés à l’éducation prioritaire dans les musées, théâtres, etc. Sous prétexte de Vigipirate « alerte attentat », Hollande ne veut pas voir d’enfants de sans-dents au Louvre ou au Palais de la Découverte ; il exige qu’ils restent coincés dans leur ghetto.

Ces diktats administratifs sont absurdes et totalement racistes : jusqu’aux attentats du 13 novembre les enfants habitant Paris, ainsi que les jeunes venus de l’étranger, pouvaient continuer à faire des visites culturelles malgré « Vigipirate attentat », mais les petits Parisiens devaient par contre utiliser les transports publics de la RATP, étant donné qu’en mars 2015 la mairie PS-PCF-Verts de Paris a supprimé les cars scolaires dans le budget municipal ! Aujourd’hui ce sont tous les enfants, de Paris comme de banlieue, qui sont privés de sortie jusqu’au 29 novembre au moins, et les premiers affichages sont apparus devant des écoles du 93 annonçant l’interdiction de toute sortie jusque fin février au moins.

Il faut s’opposer à Vigipirate et à l’arsenal législatif « antiterroriste ». En même temps, il faut être conscient que ce genre de mesures est inhérent à la « démocratie » bourgeoise. Comme nous l’écrivions lors de la révolte des banlieues de 2005, où Chirac et de Villepin avaient décrété l’état d’urgence, une mesure remontant à la guerre d’Algérie et qui donnait des pouvoirs additionnels à l’arbitraire policier (le Bolchévik n° 174, décembre 2005) :

« La terreur raciste des flics, le recours aux lois d’exception dès qu’il y a des troubles, tout cela est inhérent au système capitaliste. Les formes les plus démocratiques de gouvernement dans la société capitaliste sont simplement celles où la brutalité de la domination capitaliste est le mieux masquée, le mieux couverte d’un voile d’hypocrisie parlementaire. Le rôle des révolutionnaires est de déchirer ce voile pour chercher à faire pénétrer dans la conscience des masses travailleuses et opprimées que la seule issue est une lutte pour le renversement de tout ce système capitaliste pourri par une révolution ouvrière. Nous luttons pour construire un parti bolchévique, c’est-à-dire un parti ouvrier multiethnique d’avant-garde du même type que celui de Lénine, pour diriger une telle révolution à la victoire, comme en octobre 1917 en Russie. »