Le Bolchévik nº 214 |
Décembre 2015 |
La bourgeoisie se sert des attentats criminels pour renforcer la répression
A bas l’état d’urgence et les mesures sécuritaires racistes !
Troupes françaises hors du Proche-Orient, hors d’Afrique !
24 novembre Les attaques du 13 novembre à Paris, revendiquées par l’Etat islamique, étaient des actes de terreur de masse criminels qui ont coûté la vie à 130 personnes. Le gouvernement capitaliste de Hollande a immédiatement saisi l’opportunité que représentait pour lui la révulsion provoquée par ces crimes pour promouvoir l’« unité nationale » et le chauvinisme, et pour annoncer une batterie inédite de mesures répressives. Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, l’état d’urgence a été déclaré pour une durée de trois mois sur l’ensemble du pays.
Les immigrés et les musulmans, considérés comme une « cinquième colonne » de suspects de terrorisme, servent de boucs émissaires aux crimes et à la misère du capitalisme. Si la « guerre contre le terrorisme » vise en premier lieu les musulmans, fondamentalement elle vise tous ceux que l’Etat pourrait voir comme des opposants au système capitaliste. En dernier ressort c’est la classe ouvrière multiethnique qui est visée, car c’est elle seule qui a le potentiel pour en finir avec cet ordre social capitaliste en pleine putréfaction, grâce à une révolution ouvrière, comme en 1917 en Russie sous la direction du Parti bolchévique.
Les travailleurs du monde entier, et notamment en France, doivent absolument s’opposer à toutes les tentatives des capitalistes pour utiliser des atrocités comme celles du 13 novembre pour renforcer les pouvoirs répressifs de l’Etat ici et à l’étranger. A bas l’état d’urgence ! A bas les bombardements français en Syrie et en Irak ! Troupes françaises, hors du Proche-Orient et hors d’Afrique !
Les bombardements impérialistes sèment la dévastation dans toute la région et conduisent à l’essor de mouvements meurtriers comme l’Etat islamique (EI). Maintenant les bombardiers français s’activent à systématiquement réduire la ville de Rakka en Syrie, avec ses 200 000 habitants, à l’état de décombres. Mais contrairement aux victimes du 13 Novembre, les civils tués là-bas n’auront pas de nom ni de visage dans la presse capitaliste ni non plus celles de l’attentat de Bamako au Mali, à partir du moment qu’il s’est avéré que parmi les 22 tués le 20 novembre ne figurait aucun Français.
Il y a un profond sentiment de peur diffus dans la population en France causé par le fait que, contrairement aux attentats de janvier 2015 visant des Juifs et les journalistes de Charlie Hebdo, n’importe qui était visé le 13 novembre. Valls alimente encore ce sentiment avec un cynisme consommé pour faire accepter des mesures policières inouïes. Reprenant à son compte un mot d’ordre central du fasciste Jean-Marie Le Pen dans les années 1990, il a déclaré au parlement le 19 novembre que « la sécurité est la première des libertés », avant d’ajouter que « c’est pourquoi d’autres libertés pourront être limitées ».
L’état d’urgence menace tout le monde. Comme l’a dit la Ligue des droits de l’homme, « pour les motifs les plus divers et sans contrôle préalable de la justice, soixante-six millions de personnes pourront [...] voir la police entrer chez elles de jour et de nuit ». Des quartiers entiers pourront être placés sous couvre-feu par l’Etat, comme cela a déjà été le cas à Sens pour trois jours, de 22 heures à 6 heures, à partir du 20 novembre. Nous dénonçons l’attitude scandaleuse du PCF qui a voté au parlement le 19 novembre à l’unanimité en faveur de l’état d’urgence ! (Quelques sénateurs communistes se sont abstenus le lendemain au Sénat, mais là non plus aucun n’a voté contre.)
Toute personne pourra être assignée à résidence, c’est-à-dire coincée chez elle ou en tout autre lieu déterminé par les flics, du moment qu’il existera aux yeux de ceux-ci « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ». Une fois assigné à résidence, vous devez pointer plusieurs fois par jour au commissariat. N’importe quel individu se trouve à la merci de l’arbitraire policier sachant de plus que les flics pourront maintenant officiellement garder leur flingue après le service et que le gouvernement veut instaurer pour eux une « présomption de légitime défense » qui leur assurera une totale impunité en cas de « bavure ».
Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici !
Avec l’état d’urgence les lieux publics peuvent être fermés sur simple ordre administratif, comme cela a déjà été le cas au lendemain du 13 novembre pour les écoles, les musées et les centres sportifs en Ile-de-France. Le droit de manifester est encore davantage limité par l’arbitraire policier et n’importe quelle « association de fait », d’ordre religieux, national, social ou politique, peut être arbitrairement dissoute par le gouvernement. En quelques jours, dans le cadre de la constitution démocratique, les libertés peuvent être foulées au pied.
Car fondamentalement, l’Etat français est là pour défendre non la veuve et l’orphelin, ou les fêtards parisiens du vendredi soir, mais un système anarchique de production pour le profit. Dans ce système capitaliste quelques individus possèdent en privé usines, etc., où doivent trimer les travailleurs pour avoir à peine de quoi survivre avec leur famille. Aux yeux des capitalistes, la démocratie bourgeoise n’est que la meilleure manière de maintenir la « paix sociale » en temps normal, mais ils sont prêts à bafouer tous les droits des gens sans hésitation pour sauver leurs profits et l’asservissement des travailleurs.
Le gouvernement, qui déjà avait déchu de leur nationalité française six personnes depuis 2014 (contre zéro pendant le quinquennat Sarkozy), veut encore accélérer la cadence. Hollande a déclaré devant les parlementaires réunis à Versailles que « nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français, [ ] dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité ». Autrement dit, Hollande ouvre la voie à la première remise en cause du « droit du sol » depuis plus de vingt ans. Que veut dire avoir porté « atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » ? Avoir refusé de chanter la Marseillaise ? Avoir dénigré un allié stratégique de la France comme l’Etat d’Israël ? Avoir déchiré la chemise d’une figure symbolique du pays comme un responsable d’Air France ?
Hollande veut de plus pouvoir « interdire à un binational de revenir sur notre territoire, s’il représente un risque terroriste ». En d’autres termes, il veut bannir des citoyens français, une mesure qui est même en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle stipule : « Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’Etat dont il est le ressortissant. » La classe ouvrière doit lutter pour les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici y compris pour les citoyens français !
De même, nous protestons contre les mesures que tous les gouvernements européens, tirant eux aussi parti des attentats du 13 novembre, prennent et vont prendre à l’encontre du flot de réfugiés qui sont entrés dans l’Union européenne, cette forteresse raciste, en passant par les Balkans (voir à ce sujet notre article sur la Grèce page 9). Sous couvert de la chasse aux « terroristes syriens » ils vont en fin de compte s’en prendre à tous les réfugiés. A bas l’Union européenne !
La « guerre au terrorisme » vise la classe ouvrière
L’aéroport de Roissy, qui représente la plus grosse concentration de travailleurs de tout le pays, et qui est aussi très intégré racialement, est une cible de choix de ces campagnes « antiterroristes ». En 2006, des dizaines de travailleurs s’étaient déjà vu retirer leur badge donnant accès à l’aéroport et avaient perdu leur emploi du jour au lendemain (voir notre article sur Air France en dernière page). Nous condamnons par avance l’offensive que l’Etat va mener contre les travailleurs musulmans à Roissy suite non seulement au 13 Novembre, mais aussi à l’attaque criminelle contre un avion civil russe à Charm-el-Cheikh.
Les flics ont déjà opéré le 18 novembre des perquisitions (infructueuses) dans les vestiaires des travailleurs de FedEx et d’Air France Cargo à la recherche « d’éléments en lien avec des phénomènes de radicalisation ». Le motif de ces opérations est transparent : terroriser les ouvriers et les diviser, en pleine chasse aux sorcières déchaînée par la direction suite à l’affaire des chemises, et alors qu’elle menace 2 900 salariés de licenciement. Flics et patrons, bas les pattes devant les travailleurs d’Air France !
De même une campagne a déjà commencé pour dénoncer le fait que la RATP ait embauché de nombreux jeunes des quartiers pour conduire les bus qui desservent les banlieues ; comme par hasard, cette campagne a fait surface à la veille du 18 novembre, jour de grève avec des piquets devant les dépôts de bus. Scandaleusement, la CFDT a joint sa voix à cette campagne. Il en va de l’unité de la classe ouvrière face aux capitalistes, il en va de son intérêt matériel immédiat, de mobiliser les travailleurs pour défendre tous leurs collègues contre la suspicion raciste que tout salafiste, tout musulman, toute personne à la peau foncée serait un terroriste en puissance. Courageusement les traminots (notamment ceux d’Aubervilliers, qui ont perdu un collègue qui assistait au concert du Bataclan) ont maintenu leur grève.
Ce n’est pas un hasard si la campagne sécuritaire vise particulièrement les transports publics. Ce sont des secteurs stratégiques de l’économie, qui ont une main-d’uvre relativement jeune et multiethnique, et où le taux de syndicalisation est plus élevé que la moyenne. La chasse aux sorcières contre les musulmans vise directement, derrière, les syndicats eux-mêmes.
Déjà depuis les attentats de janvier 2015, c’est l’escalade. Au nom de la « guerre contre le terrorisme », les patrons du privé et du public cherchent à se débarrasser des militants de gauche et des syndicalistes (voir « Bas les pattes devant le délégué SUD Karim Khatabi ! “Opération Charlie” chez Bombardier contre un militant syndical », le Bolchévik n° 211, mars 2015). Un autre exemple qui fait froid dans le dos : le directeur de l’IUT de Saint-Denis a introduit en cachette des tapis de prière dans l’établissement pour monter une cabale contre deux enseignants, Rachid Zouhhad et Hamid Belakhdar, et obtenir leur licenciement. Par chance cette fois-ci le directeur s’est fait pincer et c’est lui qui a été suspendu.
Toutes ces attaques anti-ouvrières et racistes vont s’aggraver après les attentats du 13 novembre, mais elles ne sont qu’un avant-goût de la répression que ce gouvernement (ou le suivant) cherchera à mettre en uvre contre des actions de grève déterminées.
La grève des traminots de la RATP du 18 novembre est une première indication encourageante que les travailleurs ne vont pas accepter sans broncher les nouvelles attaques du gouvernement et des patrons, en dépit de tous les bureaucrates syndicaux qui ont immédiatement adhéré à l’union nationale derrière le gouvernement. Des musulmans français qui avaient refusé de dire « je suis Charlie » accepteront encore moins cette fois-ci de se faire soupçonner et culpabiliser pour des crimes qui les révulsent profondément.
De nombreux habitants de Saint-Denis ont ainsi protesté non seulement contre les djihadistes meurtriers mais aussi contre la transformation de cette ville ouvrière en scène de guerre le 18 novembre pour terroriser des milliers d’habitants. Les flics se sont vantés d’avoir tiré 5 000 projectiles dans un appartement, rendant tout l’immeuble inhabitable ! L’un des habitants rapportait à l’Humanité (19 novembre) : « Tout ça, c’est encore pour diviser la France en deux. Dis-le, qu’à Saint-Denis, ici, les gens vivent ensemble. Que Saint-Denis, c’est une mosaïque, et que ça fait un super beau tableau. »
Mais la France est divisée entre ouvriers et capitalistes. Ce que ferait un parti ouvrier révolutionnaire, ce serait de lutter pour unifier la classe ouvrière, avec derrière elle les opprimés et les victimes des capitalistes, dans une lutte pour la révolution socialiste. Nous luttons pour construire un tel parti se faisant le tribun de tous les opprimés, un parti d’avant-garde sur le modèle du Parti bolchévique de Lénine et Trotsky.
En l’absence d’un tel parti, les campagnes racistes et pro-sionistes, les opérations militaires meurtrières à l’étranger de l’impérialisme français continueront de pousser de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes arriérés soit dans les bras des fascistes, soit dans la réaction religieuse et le racisme antijuif. A Marseille une femme a été agressée le 16 novembre parce qu’elle portait un voile, et un peu plus tard le même jour un enseignant parce qu’il était juif.
Hollande pave la voie aux fascistes
La réaction de Hollande aux propositions répressives et racistes des Républicains et des fascistes du FN a été d’adopter pratiquement toutes leurs demandes. Il n’y a guère que sur l’internement dans des camps de concentration des 10 000 personnes ayant une « fiche S » que Hollande est resté pour le moment évasif.
Ceci dit, le gouvernement envisage bel et bien l’assignation à résidence des « fiches S », une sorte d’internement « soft ». Mais Jean-Jacques Urvoas, l’un des potentiels ministres de l’Intérieur du PS, a expliqué à la télévision que les « fiches S » ne sont que le haut de l’iceberg d’un énorme fichier de 400 000 personnes, qui contient aussi par exemple des « fiches T » (débiteur envers le Trésor, c’est-à-dire que vous n’avez pas payé tous vos impôts).
Qu’est-ce qu’il y a d’autre dans ce fichier ? Et dans les fichiers secrets dont personne ne parle ? Des « fiches A » où seraient consignés les milliers de travailleurs d’Air France qui manifestaient le jour de l’arrachage de chemise ? Des « fiches R » pour les Roms ? Des « fiches J » ? Sous la Troisième République, les flics entretenaient et mettaient soigneusement à jour le fichier des Juifs étrangers, qui permit les rafles de Juifs par les flics de Vichy pendant la Deuxième Guerre mondiale (voir nos articles « Leçons de l’affaire Snowden » et « La surveillance de l’Etat français » dans le Bolchévik n° 207, mars 2014).
Tous les sondages prédisaient déjà un score éclatant au FN lors des élections régionales de décembre. Son affiche pour l’Ile-de-France appelle à « Choisissez votre banlieue » en montrant une même femme barbouillée de tricolore et, alternativement, revêtue d’un niqab un appel à peine dissimulé à l’agression raciste contre les femmes voilées mais c’est la gauche qui a pavé la voie à ce genre de campagne en soutenant l’interdiction du foulard islamique à l’école (pour le PS, Lutte ouvrière et une partie du PCF) et ensuite l’interdiction du niqab dans tous les lieux publics.
La frénésie sécuritaire de Hollande aujourd’hui ne fait que légitimer le programme de Marine Le Pen, qui peine à cacher sa jubilation. Un chef du FN déclarait ainsi au Monde (18 novembre) que « ça ne peut être que positif pour nous. Nous avons un président de la République socialiste qui préconise des solutions portées par le Front national, cela montre que le FN n’est pas un parti antirépublicain. »
La progression parlementaire du FN s’accompagne d’une recrudescence des coups de main fascistes dans la rue. Ils ont déjà depuis le 13 novembre multiplié les attaques contre des mosquées ou des boucheries halal. A Cambrai dans le Nord, un homme d’origine turque s’est fait tirer dessus pour la couleur de sa peau, pendant qu’à Reims des fascistes ont déployé une banderole devant la cathédrale contre l’« islamisation » du pays, tout en faisant des saluts nazis (l’Humanité, 18 novembre). A Pontivy (Bretagne), 150 fascistes ont paradé dans la ville le 14 novembre lors d’une manifestation anti-immigrés, attaquant un passant d’origine maghrébine et incendiant les cheveux d’une jeune femme.
Il faut stopper la racaille fasciste avant qu’elle ne soit trop encouragée par la vague de délire raciste activée par le gouvernement. C’est la classe ouvrière multiethnique qui est visée par les fascistes. Elle doit être mobilisée et prendre la tête de la lutte pour faire rentrer dans son trou cette vermine tant qu’il en est encore temps (et non demander au gouvernement pyromane de Hollande d’éteindre les affiches incendiaires du FN, comme l’a demandé le PCF). Aujourd’hui la bourgeoisie a tout lieu d’être satisfaite de la politique anti-ouvrière du gouvernement, mais si la classe ouvrière relève la tête et menace l’ordre capitaliste, la bourgeoisie n’hésitera pas à lâcher ses chiens fascistes pour essayer d’écraser le mouvement ouvrier (voir aussi notre article sur la Grèce).
A bas les bombardements impérialistes en Syrie ! Troupes françaises, hors du Proche-Orient !
Le 13 Novembre était un crime indicible. Mais il rappelle que dans les rues en Syrie, en Irak et ailleurs de telles horreurs appartiennent au quotidien, et qu’elles sont perpétrées tant par les impérialistes que par des dictateurs locaux, des fanatiques islamistes ou autres réactionnaires, dont les crimes pâlissent en comparaison de ceux des impérialistes comme par exemple les centaines de milliers de personnes massacrées pendant la guerre d’Algérie, l’une des innombrables guerres coloniales de la France. Ce sont les machinations impérialistes qui ont dévasté le Proche-Orient et créé la base matérielle pour l’émergence d’un mouvement aussi réactionnaire que l’Etat islamique.
Pendant plusieurs années, les services secrets de Hollande ont fourni des armes aux djihadistes syriens (ce n’était pas une première : dans les années 1980 c’est en Afghanistan que les Frankenstein impérialistes armaient les djihadistes pour lutter contre l’Union soviétique). En 2013, Hollande avait même failli convaincre l’impérialisme américain de lancer des bombardements dévastateurs sur la ville de Damas. Maintenant ce sont ses anciens protégés islamistes (qui ont entre-temps fait allégeance à l’Etat islamique) que Hollande se met à massacrer.
Les bombardements français de début octobre contre la Syrie visaient nommément un djihadiste français, un certain Salim Benghalem. Nous ignorons si cette tentative d’assassinat a été couronnée de succès, ni combien il y a eu de « victimes collatérales » parmi les civils mais nous savons que le gouvernement français ment effrontément en prétendant que contrairement aux frappes américaines les frappes françaises seraient « chirurgicales » à 100 %. Et chacune d’entre elles pousse un peu plus des populations désespérées dans les bras de l’Etat islamique et autres assassins, et ce sont les gens ordinaires de Paris, de Bamako ou de Beyrouth qui en paient le prix.
Le cynisme meurtrier de l’impérialisme français n’a rien de nouveau. Aujourd’hui il bombarde Rakka, mais hier c’était Damas ou le Djebel druze : en 1920-1921, la France avait envoyé jusqu’à 70 000 soldats pour occuper la Syrie et le Liban. Cette occupation coloniale fut particulièrement cruelle. L’Humanité rapportait par exemple le 17 novembre 1925 que le bombardement de Damas qui venait de se produire avait fait plus de 1 400 morts, dont 336 femmes et enfants. L’indépendance de ces pays ne fut arrachée aux Français qu’au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, et en dépit d’une nouvelle campagne de bombardements sur Damas en mai 1945, avec cette fois-ci le PS et le PCF au gouvernement (voir notre article « L’histoire sanglante du mandat colonial français au Levant », le Bolchévik n° 206, décembre 2013).
En 1925 l’Humanité était encore un journal révolutionnaire : elle rapportait avec joie les cas de fraternisation entre troupes coloniales et insurgés druzes et syriens. Aujourd’hui, au contraire, le PCF se réjouit du tournant militaire français. Ce qu’il cherche c’est à obtenir un mandat de l’ONU et une nouvelle « coalition internationale » pour mener les opérations en Syrie et éviter l’éclatement de la Syrie en zones d’occupation et d’influence. En réalité, le PCF espère que l’impérialisme français, grâce à sa voix à l’ONU et à celles de ses satrapes de la Françafrique, et grâce à sa participation à la coalition gagnante, puisse jouer au Levant un rôle plus important que ne lui accorderait son poids économique déclinant.
La Syrie elle-même est une création artificielle de l’impérialisme français, résultat du dépeçage par les impérialistes de l’empire ottoman après la Première Guerre mondiale (accords franco-britanniques de Sykes-Picot en 1916). La frontière entre la Syrie et la Turquie a été tracée au gré de marchandages de l’impérialisme français (qui occupait la Syrie) avec le gouvernement kémaliste turc, avec des populations kurdes des deux côtés de la frontière (la province du Hatay, cédée à la Turquie en 1939, a quant à elle une importante population arabe). Celle avec l’Irak a été le fruit d’une négociation en 1919 entre l’impérialisme français et l’impérialisme britannique.
Depuis cent ans ce sont les impérialistes, ces quelques puissances gorgées de capital qui se partagent et se repartagent le monde à coups de guerres mondiales, qui sont fondamentalement la cause des souffrances terribles des peuples de la région. Toute victoire impérialiste à l’étranger ramène sur le plan domestique de nouvelles misères pour les masses travailleuses et les opprimés. Inversement, tout revers des forces militaires impérialistes est dans l’intérêt de la classe ouvrière internationale. Nous n’avons aucun côté dans la guerre civile syrienne, qui est réactionnaire des deux côtés. Mais nous avons bien un côté contre les impérialistes français, américains et autres.
Alors que les impérialistes intensifient leurs opérations militaires contre l’Etat islamique au Proche-Orient, nous réitérons que nous avons un côté militaire avec l’EI lorsqu’il vise les impérialistes et les forces qui agissent comme leurs supplétifs c’est-à-dire le gouvernement irakien, les milices chiites et les forces nationalistes kurdes en Syrie et en Irak. En même temps, nous sommes des opposants farouches de tout ce que représentent les assassins réactionnaires de l’EI. Nous exigeons le retrait des impérialistes de toute la région, et tout particulièrement de l’impérialisme français qui a des troupes et des bases au Liban, en Jordanie, en Irak et à Abu Dhabi, sans compter l’énorme base militaire de Djibouti.
Nous sommes opposés tout d’abord aux impérialistes, mais nous nous opposons aussi aux autres puissances capitalistes impliquées dans la guerre civile syrienne, y compris l’Iran, la Russie, l’Arabie saoudite et la Turquie, et nous exigeons également leur retrait.
La « gauche de la gauche » au service de l’impérialisme français
Le PCF n’a pas seulement soutenu l’action française au Proche-Orient. Il a aussi pris parti pour l’unité nationale avec sa propre bourgeoisie et le gouvernement de celle-ci, appelant à « la résistance du peuple français dans son unité et sa diversité » et à une « authentique unité nationale populaire » (déclaration du 17 novembre).
Les pleurnicheries du PCF sur les mesures liberticides du gouvernement sonnent creux dans ce contexte, c’est le moins qu’on puisse dire. De même pour le populiste bourgeois Jean-Luc Mélenchon, qui de son côté a salué la « remise en cause de la politique budgétaire » que représente l’annonce de l’embauche de milliers de flics, soldats, juges et matons supplémentaires (le Monde, 18 novembre).
C’est sur la question des Kurdes que la soi-disant opposition au gouvernement de la part de la « gauche de la gauche » se révèle le mieux pour ce qu’elle est : complètement frauduleuse. Le NPA a beau faire des proclamations ronflantes qu’il ne se joindra pas à l’unité nationale, il a ainsi déclaré : « Ces bombardements [de l’aviation française en Syrie] sont censés combattre l’Etat islamique, les terroristes djihadistes, en fait, avec l’intervention et les bombardements russes, ils protègent le régime du principal responsable du martyr du peuple syrien, le dictateur Assad » (déclaration du 14 novembre).
Cela fait quatre ans que le NPA prétend contre toute vraisemblance que le gouvernement français soutiendrait Assad contre une soi-disant « révolution syrienne » tout en demandant à ce même gouvernement de livrer des armes à celle-ci ! Ils ont prétendu pendant des années ne pas voir que cette « révolution syrienne » était en bonne partie composée de réactionnaires islamistes de la pire espèce. Ils ont fini par s’enticher des nationalistes kurdes au moment même où ceux-ci acceptaient de se faire les « troupes au sol » des bombardements impérialistes américains sur Kobané en 2014. Ce n’était pas une première pour eux : en 2011 le NPA s’était amouraché des rebelles islamistes de Benghazi en Libye alors que ces derniers servaient de troupes au sol à l’OTAN et en particulier aux impérialistes français de Sarkozy et BHL contre le régime nationaliste de Kadhafi.
Quant à LO, aujourd’hui ils se lamentent qu’« il faut s’attendre à la multiplication des contrôles au faciès et à la suspicion généralisée qui fera le lit des pires racistes » (Lutte Ouvrière, 20 novembre), mais il y a moins d’un an ils étaient là avec le reste des laïcards républicains à dire « merci Charlie » l’unité nationale contre les musulmans qui justement fait « le lit des pires racistes ».
La bourgeoisie a parlé, avec approbation en général, d’un tournant sécuritaire ou guerrier de Hollande. En réalité celui-ci ne fait que se placer dans la lignée de ses prédécesseurs à la tête de l’Etat capitaliste français, et en particulier des guerres coloniales et néocoloniales de ses congénères « socialistes » : Léon Blum (Syrie, Indochine ), Guy Mollet (guerre d’Algérie), Mitterrand (guerre d’Algérie aussi, première guerre du Golfe, Rwanda) et Jospin (dévastation de la Serbie en 1999) avec le plus souvent le PCF à sa traîne.
Nous nous opposons à des mesures telles que l’état d’urgence ou Vigipirate, mais nous n’avons aucune illusion que ce genre de mesure n’ait rien à voir avec la « démocratie ». Lénine, le révolutionnaire russe, expliquait ainsi :
« Prenez les lois fondamentales des Etats contemporains, prenez leur administration, prenez la liberté de réunion ou de presse, prenez “l’égalité des citoyens devant la loi”, et vous verrez à chaque pas l’hypocrisie de la démocratie bourgeoise bien connue de tout ouvrier honnête et conscient. Il n’est point d’Etat, même le plus démocratique, qui n’ait dans sa Constitution des biais ou restrictions permettant à la bourgeoisie de lancer la troupe contre les ouvriers, de proclamer la loi martiale, etc., “en cas de violation de l’ordre”, mais, en fait, au cas où la classe exploitée “violait” son état d’asservissement et si elle avait la velléité de ne pas se conduire en esclave. [
]
« Plus la démocratie est développée et plus elle est près, en cas de divergence politique profonde et dangereuse pour la bourgeoisie, du massacre ou de la guerre civile. Cette “loi” de la démocratie bourgeoise, le savant M. Kautsky aurait pu l’observer à l’occasion de l’affaire Dreyfus dans la France républicaine [
]. »
la Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky
Bien entendu, nous défendons pied à pied les acquis démocratiques. Mais fondamentalement, comme tout ce que peut arracher la classe ouvrière à la bourgeoisie par ses luttes, ces acquis sont réversibles, et la bourgeoisie les détruira pour préserver sa propre domination de classe y compris en ayant recours aux pires barbares fascistes. Alors que le système mondial capitaliste ne cesse d’agoniser et de produire de nouvelles excroissances barbares, il faut lutter pour construire un parti ouvrier révolutionnaire qui puisse en finir avec le capitalisme en putréfaction avant que celui-ci n’en finisse avec l’humanité elle-même. La Révolution russe de 1917 était la seule qui ait réussi et qui avait pendant des dizaines d’années servi de phare éclairant la voie vers l’avenir pour les travailleurs et les opprimés du monde. Sans le Parti bolchévique cette révolution n’aurait pas pu vaincre. Nous luttons pour construire un parti qui soit ainsi trempé dans les leçons de cette victoire et des luttes de la classe ouvrière depuis 1917. Pour une Quatrième Internationale reforgée !