Le Bolchévik nº 211

Mars 2015

 

A bas l’Union européenne capitaliste-impérialiste !

Victoire électorale de Syriza : la Grèce de Charybde en Scylla

25 février – Cela fait moins d’un mois que le nouveau gouvernement capitaliste grec dirigé par Syriza est au pouvoir : après avoir fait de tonitruantes déclarations qu’il allait vraiment mettre en œuvre certaines de ses promesses électorales malgré l’opposition de l’Union européenne (UE) impérialiste, Syriza a capitulé sans condition devant les diktats de celle-ci. Il a demandé une extension de six mois de la tutelle de la troïka (maintenant désignée sous l’euphémisme des « institutions » : la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et la Commission européenne) et il en a obtenu une de quatre mois, déclarant son accord pour tout simplement jeter à la poubelle ses promesses de s’attaquer à l’austérité. L’augmentation du SMIC est repoussée aux calendes grecques, les privatisations vont se poursuivre comme prévu, et si le gouvernement donne quelques miettes aux pauvres qui meurent de faim il faudra compenser dans le budget avec des coupes ailleurs, autrement dit plonger quelqu’un d’autre dans la famine.

Nous publions ci-après des extraits d’un rapport de nos camarades du Groupe trotskyste de Grèce (TOE) daté du 10 février, ainsi que leur déclaration pour les élections du 25 janvier (voir page 30). Nos camarades ont appelé à ne pas voter pour Syriza et à donner un soutien électoral critique au KKE (Parti communiste de Grèce).

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Syriza a remporté haut la main les élections du 25 janvier, avec 36 % des voix. Il y a de vraies illusions dans ce parti parmi de larges secteurs de la classe ouvrière et des opprimés, malgré le fait que Syriza n’a pas cessé de mettre de l’eau dans son vin depuis deux ans (notamment dans les semaines qui ont précédé les élections), et cela sur à peu près tous les sujets où son programme pouvait apparaître comme un tant soit peu à gauche. Le fait qu’un parti autre que le PASOK [Mouvement socialiste panhellénique, un parti bourgeois] ou Nouvelle Démocratie [de droite] ait remporté les élections pour la première fois depuis 40 ans est vu comme un coup porté aux « oligarques » grecs et à leur système de clientélisme et de corruption. C’est aussi une cause de fierté nationale : la Grèce a tenu tête aux impérialistes, et en particulier à l’Allemagne, et elle a élu un parti que la troïka ne voulait pas voir arriver au pouvoir.

Alors que la Grèce donnait soi-disant un grand coup de barre à gauche, il est significatif (et très inquiétant) que les fascistes d’Aube dorée soient arrivés troisièmes des élections – et ceci malgré le fait que la direction d’Aube dorée est en prison et qu’ils n’ont pas réellement pu faire campagne. Il est significatif également que le KKE ait légèrement augmenté son score en pourcentage par rapport aux législatives de juin 2012. Ceci indique que le KKE a une base électorale solide parmi ceux qui, à gauche, s’opposent à l’UE.

En 2012 Syriza rejetait, soi-disant, le mémorandum d’austérité de la troïka ; puis il a voulu n’annuler qu’une partie de la dette grecque, et maintenant il propose un simple accord de rééchelonnement. Ses promesses de mettre fin à l’austérité et de réaffirmer la souveraineté nationale grecque sonnent en pratique de plus en plus creux.

Toutefois, Syriza a toujours un discours anti-austérité, et beaucoup de gens considèrent qu’il tient tête à ceux qui traitent la Grèce comme une colonie de l’Allemagne ; cette vision des choses a pour le moment beaucoup plus de résonance dans la population que la propagande impérialiste qui essaie d’effrayer les Grecs pour qu’ils acquiescent à la poursuite de l’austérité de peur d’un « grexit » [la sortie de la Grèce de la zone euro]. La cote de popularité du gouvernement dépassait les 70 % au début de la semaine. Et Syriza est vraiment devenu un parti bourgeois de gouvernement : une partie de la bourgeoisie lui exprime maintenant ouvertement son soutien, et cela se reflète dans le changement de ligne éditoriale de plusieurs grands journaux bourgeois. En fait, il est dur de trouver aujourd’hui des journaux bourgeois qui ne soient pas favorables au gouvernement. Du coup il est difficile pour nous de comprendre ce qui se passe réellement derrière toute la propagande. Reste à voir si ce soutien de la bourgeoisie survivra à ce qui adviendra dans les négociations avec les impérialistes sur la dette grecque.

Sans un minimum de miettes à distribuer aux travailleurs et aux pauvres, Syriza aura du mal à remplir sa tâche, qui est de préserver le capitalisme grec en endiguant les luttes de classe et les luttes sociales. C’est de cela qu’il s’agit en réalité quand Syriza en appelle aux impérialistes pour qu’ils fassent preuve d’un peu d’« humanitarisme ».

Comme Syriza n’a pas ce genre de miettes à sa disposition, il a fait du populisme nationaliste en Grèce le pilier idéologique de son gouvernement capitaliste de « salut national ». Ayant raté de deux sièges la majorité absolue au parlement, Syriza a entrepris comme prévu de constituer un gouvernement de coalition avec les Grecs indépendants (ANEL), un parti violemment anti-immigrés et nationaliste qui sur l’échiquier politique grec n’est qu’à un pas à gauche d’Aube dorée.

Cette coalition couronne une collaboration répétée au parlement entre Syriza et l’ANEL depuis plus d’un an. Cette collaboration a commencé avec un front commun lors de la crise économique de 2013 à Chypre, et elle s’est concrétisée dans des campagnes populistes, par exemple contre le projet de privatisation de la compagnie nationale d’électricité, la DEI. Parmi les concessions faites par Syriza à la bourgeoisie et aux forces comme l’ANEL à la veille des élections, on peut citer l’abandon de son opposition à l’OTAN, des appels du pied lancés à des réactionnaires de l’Eglise orthodoxe, l’opposition au droit à l’adoption pour les parents homosexuels, et les assurances données à la police, un corps infesté par les fascistes, qu’elle bénéficierait de davantage de moyens si Syriza était élu. Même un évêque orthodoxe notoirement pro-Aube dorée a récemment déclaré qu’il soutenait Syriza.

La coalition gouvernementale entre populistes bourgeois de gauche et de droite est ainsi soudée non seulement par un discours « anti-austérité » mais aussi par l’adhésion au nationalisme bourgeois réactionnaire. De fait, Syriza a nommé le dirigeant de l’ANEL Panos Kammenos au poste de ministre de la Défense. Kammenos s’est alors empressé de s’envoler pour les îlots d’Imia, au large des côtes turques [contestés par les deux pays], le jour anniversaire du crash meurtrier d’un hélicoptère de la marine grecque en 1996. Cet anniversaire est régulièrement commémoré par les fascistes. Et, chose plus significative encore, ce n’est pas dans une capitale d’Europe de l’Ouest que le chef de Syriza Alexis Tsipras a effectué son premier voyage à l’étranger pour discuter de la crise économique grecque après sa nomination au poste de Premier ministre : il est allé à Chypre, où il s’est plaint des « provocations » turques au large de la côte sud de l’île. Tsipras y a refusé de répondre clairement à la question de savoir s’il faut accorder davantage de droits aux minorités en Thrace.

Syriza est si loin d’être un parti de gauche « radical » qu’avant les élections Marine Le Pen a déclaré qu’elle se réjouirait d’une victoire de Syriza parce que cela renforcerait les forces « eurosceptiques ». Et après les élections, Aube dorée a annoncé qu’elle soutiendrait les mesures de Syriza contre les privatisations, ainsi que tout ce que fera Syriza pour s’opposer aux sanctions contre la Russie. A leur manière, ces déclarations de soutien à Syriza de la part de fascistes confirment combien nous avions raison de dire que son caractère de classe est bourgeois.

Des mesures comme réembaucher les femmes de ménage licenciées du Ministère des Finances et retirer les cars de police anti-émeute du centre d’Athènes ne coûtent presque rien au gouvernement Syriza, mais elles aident beaucoup à renforcer son image de défenseur des opprimés. En même temps le gouvernement continue d’envoyer ses flics contre les immigrés. Syriza va certainement profiter de l’alliance avec l’ANEL pour prétendre qu’il a les mains liées et qu’il ne peut pas faire adopter une législation socialement progressiste sur des questions comme l’immigration ou les droits des homosexuels. L’ANEL a déjà annoncé qu’il voterait contre la législation en préparation pour donner la citoyenneté grecque aux enfants d’immigrés qui sont nés et ont grandi ici.

A l’exception du KKE, la plus grande partie de la gauche s’est félicitée à un degré ou un autre de la victoire de Syriza. La coalition Antarsya a annoncé qu’avec la victoire de Syriza la Grèce avait tourné une page, et elle a promis un tas de mobilisations afin de « lutter pour imposer des mesures dans l’intérêt du peuple, pour refuser les mémorandums [les mesures d’austérité], pour faire le lien entre les luttes et le programme du renversement anticapitaliste dans le contexte d’une opposition de gauche, ouvrière et populaire ». Autrement dit, ils vont lutter pour pousser Syriza à gauche. Et en vrais croyants dans la possibilité d’une démocratie authentique sous le capitalisme, ils s’engagent aussi à lutter dans un front pour débarrasser la police et l’Etat de l’influence d’Aube dorée.

Ce que veut dire ce genre de front, on a pu le voir lors de la première manifestation qui s’est déroulée sous le gouvernement Syriza. Les fascistes organisaient leur rassemblement annuel anti-Turquie le 31 janvier en l’honneur des trois Grecs tués dans le crash d’un hélicoptère sur les îlots d’Imia – avec la participation de fascistes venus d’Allemagne, d’Espagne et d’Italie. La gauche organisait comme d’habitude un contre-rassemblement. Cette année, la gauche s’est rassemblée deux heures avant les fascistes, à un autre endroit et sans la moindre intention de stopper le rassemblement d’Aube dorée. Tout le monde avait envoyé des représentants – le groupe de jeunesse de Syriza, Antarsya, les anarchistes. On a fait grand cas de la faible présence policière et du fait que les flics n’ont pas bronché quand les manifestants ont bombé des graffitis sur les cars de police. Si cette manifestation avait été organisée comme une mobilisation pour stopper les fascistes, on peut être sûr que des centaines de policiers anti-émeute armés jusqu’aux dents auraient été envoyés pour protéger le rassemblement d’Aube dorée.