Le Bolchévik nº 210

Décembre 2014

 

Troupes américaines hors du Liberia !

La crise d’Ebola et le pillage impérialiste de l’Afrique

Cet article est traduit du journal de nos camarades américains, Workers Vanguard (3 octobre).

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29 septembre – L’épidémie de fièvre Ebola la plus grave de l’histoire est en train de ravager la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone en Afrique de l’Ouest. Elle se répand à grande vitesse, le nombre d’infections doublant toutes les deux ou trois semaines. Depuis que l’épidémie s’est déclarée en mars, il y a eu officiellement plus de 6 000 cas à ce jour, causant le décès dans la moitié des cas environ. Ces chiffres sont largement sous-estimés étant donné que beaucoup de zones d’infection sont très reculées et que les déclarations sont loin d’être systématiques. Des foyers d’infection ont également été observés au Nigeria et au Sénégal. Les scientifiques estiment que le nombre de cas pourrait atteindre 1,4 million au début de l’année prochaine et que la maladie pourrait devenir endémique en Afrique occidentale.

Derrière la propagation exponentielle de la fièvre Ebola il y a la misère, la pauvreté et l’arriération chronique, héritage de la domination coloniale et du pillage impérialiste par les puissances capitalistes occidentales. Les pays affectés sont en grande partie ruraux ; la technologie et les infrastructures sont rudimentaires, l’éducation réduite et le système de santé embryonnaire. Le personnel soignant peu nombreux de la région se bat héroïquement, à court d’équipements, d’infrastructures et de médicaments, et avec un accès minimal voire nul à l’électricité et à l’eau potable. Des centaines de soignants, dont beaucoup de volontaires, ont contracté le virus.

Après avoir fait la sourde oreille pendant des mois aux demandes d’aide médicale et de personnel, le Président Obama a annoncé mi-septembre le déploiement de 3 000 militaires américains au Liberia. Derrière le revirement de Washington il y a une sinistre réalité. Présentant la fièvre Ebola comme une menace pour la sécurité mondiale, Obama a dit clairement pourquoi il voulait intervenir militairement : endiguer les « effets secondaires » politiques et économiques que la propagation du virus pourrait avoir dans la région et au-delà. En traitant la fièvre Ebola comme une « priorité de sécurité nationale », il déclare la volonté des Etats-Unis de circonscrire l’épidémie aux Africains et de la tenir à distance des côtes américaines.

Cette promesse profondément cynique de combattre Ebola était assortie d’une somme de 750 millions de dollars pour la mise en place d’un centre de commandement militaire et pour la construction d’infrastructures médicales. Mais les porte-parole de l’armée reconnaissent que les centres de traitement ne seront pas prêts avant plusieurs mois. Pendant ce temps, la plate-forme en cours de mise en place au Sénégal pour former les humanitaires et distribuer les fournitures présuppose qu’il y ait effectivement du personnel à former et que les vivres, l’eau et les matériels nécessaires existent et puissent réellement arriver chez les gens. John Kirby, attaché de presse au Pentagone, a annoncé que les Etats-Unis s’engagent pour une mission militaire de six mois minimum au cours desquels les troupes ne seront « pas mises en contact avec les malades ».

Le contraste est frappant entre les impérialistes américains et les Etats ouvriers déformés cubain et chinois : ces derniers ont généreusement répondu en envoyant une aide dont les populations ont cruellement besoin. Cuba a envoyé 461 médecins, epidémiologistes et autres professionnels de santé. La Chine, dont près de 20 000 ressortissants vivent et travaillent dans les trois pays les plus touchés, a fourni une aide financière de plusieurs millions de dollars et renforcé son personnel médical en Sierra Leone. Ce que les Etats-Unis proposent ce sont des troupes, c’est-à-dire davantage de terreur.

Washington a établi son centre de commandement anti-Ebola au Liberia, son Etat-client africain le plus servile, pour le plus grand soulagement de la présidente du pays, Ellen Johnson Sirleaf. Sirleaf, un laquais des Etats-Unis, est confrontée à des troubles croissants et à une opposition politique grandissante, notamment du fait qu’elle a imposé le couvre-feu dans tout le pays et envoyé l’armée boucler le populeux bidonville de West Point à Monrovia, la capitale. Lorsque les résidents en colère ont essayé de sortir pour se procurer de la nourriture, les soldats leur ont tiré dessus et ils ont tué un garçon âgé de 15 ans. Le Liberia ne s’est pas encore remis d’une guerre civile de 14 ans, qui s’est achevée en 2003, où 250 000 personnes ont été tuées. Le pays, déjà très pauvre, s’était retrouvé en ruines avec une population profondément divisée et lourdement armée.

Et voici maintenant l’intervention de l’armée américaine, saluée par Médecins sans frontières (MSF) qui est en première ligne pour les traitements sur le terrain. L’armée américaine a sur les mains le sang d’innombrables millions de personnes dans le monde ; de faire croire qu’elle puisse apporter un secours « humanitaire », c’est mentir effrontément. L’actuelle mission des Etats-Unis en Afrique de l’Ouest rappelle qu’ils ont une histoire de déprédations déguisées en opérations de « secours » et de « maintien de la paix », depuis l’occupation de la Somalie en 1992-1993 lors d’une crise de famine jusqu’à l’intervention de 2003 au Liberia. En faisant son annonce, Obama a fait référence au tremblement de terre de 2010 en Haïti à la suite duquel des dizaines de milliers de soldats américains avaient été dépêchés sur cette île dévastée des Caraïbes. Œuvrant aux côtés des troupes de « maintien de la paix » de l’ONU pour bloquer les efforts d’assistance et réprimer les troubles sociaux, ils avaient pour rôle principal d’empêcher les Haïtiens au désespoir de fuir vers les Etats-Unis. Tant au Liberia qu’en Haïti, du personnel militaire et policier de l’ONU reste sur place par milliers pour faire régner l’« ordre » impérialiste.

Le cauchemar de la fièvre Ebola

La fièvre Ebola est une fièvre hémorragique extrêmement létale causée par un groupe de virus de forme filaire, des filovirus. Lorsque la souche Ebola-Zaïre a frappé pour la première fois le Zaïre en 1976, elle a tué près de 90 % de ses victimes, souvent en l’espace de quelques jours. Il y a eu depuis une vingtaine d’épidémies en Afrique centrale et occidentale. Le virus est très contagieux ; il se propage par le contact avec le sang, la salive, l’urine et autres fluides corporels. Les premiers symptômes ressemblent à ceux de la grippe ; ils sont similaires à ceux de la malaria, de la dengue et d’autres maladies tropicales. Au fur et à mesure que la maladie s’aggrave, l’hémorragie aboutit à une défaillance multiple des organes.

Bien qu’elle soit apparue il y a près de 40 ans, la fièvre Ebola n’était pas considérée comme rentable par les géants de l’industrie pharmaceutique assoiffés de profits. En l’absence de médicaments ou de vaccins à l’efficacité prouvée, le seul moyen d’augmenter le taux de survie est de procéder à des traitements palliatifs immédiats. Une mise en quarantaine sécurisée et stérile doit être associée à des soins médicaux cohérents notamment avec réhydratation et contrôle des infections secondaires. Concernant la crise actuelle, des mesures simples auraient pu contenir la maladie (mise à l’isolement des patients, traçage des personnes ayant été en contact avec eux, éducation de la population), mais elles n’ont pas été appliquées. Si la fièvre Ebola avait frappé dans le monde capitaliste avancé, tout aurait été mis en œuvre et il n’aurait pas été difficile de contenir le virus. Deux missionnaires américains infectés en juillet – un événement qui a réveillé les médias de leur torpeur – ont survécu après avoir reçu un traitement et des médicaments expérimentaux aux Etats-Unis. Ce traitement n’a pas été accordé à Olivet Buck, un médecin sierra-léonais à qui l’évacuation vers l’Allemagne a été refusée et qui est mort.

Les néo-colonies de l’impérialisme sont dévastées et complètement démunies ; il faudrait là-bas des soins de haut niveau ; autant faire saigner une pierre. Avant l’épidémie, le Liberia avait un médecin pour 70 000 habitants, la Sierra Leone un pour 45 000 et la Guinée un pour 10 000. Seul un petit pourcentage de la population a accès à des services de propreté. Bien qu’il y ait de grands fleuves dans la région, les infrastructures de traitement des eaux manquent et une grande partie de la population n’a pas accès à l’eau potable. La plupart des gens survivent avec moins d’un dollar par jour et la moitié de la population est analphabète.

La région affiche des taux de mortalité maternelle et infantile parmi les plus élevés de la planète ; les enfants meurent régulièrement de malnutrition et de maladies faciles à soigner telles que la pneumonie et la diarrhée. Les hôpitaux et les centres de traitement sont aujourd’hui débordés ; croulant sous les patients, ils sont devenus des pièges mortels. La santé publique s’est effondrée encore davantage : la malaria et autres maladies ne sont plus soignées et les femmes enceintes accouchent dans la rue.

La pauvreté a directement contribué à l’épidémie de fièvre Ebola en Afrique de l’Ouest. N’ayant pas accès à une alimentation saine, les villageois dépendent des produits de la chasse comme les chimpanzés, les singes et les antilopes de forêt qui peuvent être porteurs du virus. On pense que ces animaux attrapent le virus à partir de chauves-souris frugivores, qui semblent être le réservoir naturel du virus Ebola. Les épisodes précédents de fièvre Ebola étaient apparus dans des villages reculés et il y avait peu de chances de propagation ; ils se sont déroulés avec relativement peu de victimes. Ceux qui avaient attrapé le virus et avaient survécu ne le portaient plus. Dans l’épisode actuel en revanche, la maladie est hors de contrôle ; elle se propage dans des centres urbains populeux, et au-delà des frontières.

Les maladies et les infections ne disparaîtront jamais complètement. C’est un aspect de la nature que pour survivre, les microbes mutent et évoluent pour trouver une niche écologique chez les hommes et autres animaux. Mais il n’y a rien de « naturel » dans la crise actuelle d’Ebola, pas plus que dans la propagation du sida qui continue de dévaster avec un taux de mortalité disproportionné l’Afrique sub-saharienne. Les conditions qui ont mené à la propagation de ces maladies résultent de siècles de traite esclavagiste, de domination coloniale et de pillage impérialiste qui ont bloqué le développement économique et ravagé le tissu social du continent.

Le cœur des ténèbres : la domination coloniale en Afrique

La traite atlantique des esclaves, qui a largement posé les fondations du capitalisme européen et américain, a dévasté de larges pans de l’Afrique entre le XVIe et le XIXe siècle. De vastes régions furent dépeuplées par la capture de quelque 12 millions d’Africains et leur déportation par le tristement célèbre Passage du milieu vers les Amériques.

A la fin du XIXe siècle, la rapide expansion du commerce mondial attisa la concurrence entre les puissances capitalistes européennes pour établir des sphères d’influence afin de contrôler les territoires, les marchés et les sources de main-d’œuvre bon marché et de matières premières – c’était l’aube de l’impérialisme capitaliste. Détruisant les sociétés agraires et nomades d’Afrique, les Britanniques essayèrent de créer un empire est-africain reliant Le Cap au Caire par le rail et le télégraphe ; les Français cherchèrent à les empêcher en créant une ceinture coloniale d’Est en Ouest à travers l’Afrique centrale, et les Italiens et les Allemands mirent la main sur ce qui restait. De son côté, le monstrueux roi Léopold II de Belgique instaura un régime de terreur sur le Congo qui tua quelque huit millions d’Africains. Les Dinka du Soudan du Sud appellent cette période « le temps où le monde a été abîmé ».

Dans son livre The Race to Fashoda [La course vers Fachoda] (1987), David Levering Lewis décrit comment la ruée coloniale a poussé le continent « dans le chaos institutionnel, les paniques collectives, la maladie et la famine ». Là où les communautés étaient géographiquement stables, certains Africains avaient développé un niveau de résistance à certaines maladies tropicales telles que la malaria. Les déplacements de population à grande échelle contribuèrent à éliminer cette résistance. A la fin du XIXe siècle, les raids, les migrations et les pertes agricoles résultant de la pénétration européenne permirent à la mouche tsé-tsé de s’implanter dans une grande partie du bassin du Congo ; des peuples entiers furent décimés par la maladie du sommeil. Peu après l’arrivée des colons britanniques dans l’actuel Ouganda, il y eut une série d’épidémies de gonorrhée et de syphilis, suivies par la peste et la variole.

Les quelques services médicaux fournis par les colonialistes avaient pour objectif de protéger la vie des Européens, en particulier des soldats. La « contribution » des impérialistes aux épidémies africaines s’est poursuivie au XXe siècle. Dans son livre The Origins of AIDS (2011), Jaques Pépin, professeur de microbiologie et de maladies infectieuses, note que, pour protéger les colons européens des maladies tropicales, les Belges et les Français faisaient notamment usage de seringues non stériles pour injecter médicaments et vaccins aux populations locales. Les équipements contaminés ont probablement contribué à la propagation du VIH et d’autres maladies mortelles.

Lewis observe : « Après l’effondrement et le chaos produits par les intrus, sont venus le travail forcé et un asservissement économique complet. Ainsi a été créée une Afrique dont les Européens pouvaient considérer qu’elle avait autant besoin de l’aide des Européens que le proclamait l’évangile du fardeau de l’homme blanc. » Les puissances coloniales tracèrent des frontières arbitraires qui divisaient des peuples d’une même tribu pendant qu’elles aggloméraient de force dans un même Etat des peuples historiquement ennemis. Lorsque les impérialistes britanniques se vantèrent que le soleil ne se couchait jamais sur leur empire, Ernest Jones (dirigeant du mouvement chartiste, un mouvement prolétarien radical du milieu du XIXe siècle) ajouta très justement : « mais le sang n’y sèche jamais ». Avec leur politique de diviser pour mieux asservir, les puissances coloniales fomentèrent des divisions ethniques, religieuses et régionales, semant les graines des guerres civiles post-indépendance qui ensanglantent encore de nombreuses régions du continent.

On dresse un portrait de l’Afrique comme s’il s’agissait d’une zone barbare, en proie aux maladies, pour tout justifier, depuis l’intervention impérialiste jusqu’à l’exclusion raciste des migrants. Newsweek (29 août) a sorti un article de première page sur la fièvre Ebola avec l’image d’un chimpanzé, ravivant la notion raciste d’un continent de sauvages semblables à des singes. Le titre de l’article « La contrebande de viande de brousse est la porte d’entrée d’Ebola vers l’Amérique » propage le mensonge que les Africains font du trafic de viande contaminée par le virus Ebola. Cette histoire sans fondement n’avait d’autre but que d’exacerber la panique et accroître la peur de l’imminence d’une épidémie aux Etats-Unis.

Asservissement impérialiste et dirigeants fantoches

Les trois pays ouest-africains où sévit actuellement la fièvre Ebola ont d’abondantes ressources et pourtant ils sont classés parmi les plus pauvres du monde. La Guinée, ancienne colonie française, est le premier exportateur mondial de bauxite, le minerai dont est extrait l’aluminium, et elle possède également de grandes quantités d’or, de diamants, d’uranium et de pétrole offshore. La Sierra Leone, ancienne colonie britannique, et le Liberia possèdent de substantielles réserves de caoutchouc, de minerai de fer et de diamants. Quasiment toutes les matières premières sont ramassées par des géants industriels étrangers.

Après la Deuxième Guerre mondiale, les impérialistes britanniques et français mirent fin au gouvernement direct, préférant l’esclavage néocolonial avec des contremaîtres locaux. Les cliques tribalistes au pouvoir, brutales et corrompues, usent du fouet contre leur population pour le compte de leurs maîtres impérialistes américains et européens, dont elles dépendent pour leur protection. Leurs régimes renforcent les divisions ethniques et encouragent des pratiques sociales arriérées qui sont parfois horribles. Par exemple Jomo Kenyatta, président nationaliste kenyan, défendait l’excision dont il disait qu’elle fait partie de la « culture africaine ».

Pendant la guerre froide, la principale préoccupation des impérialistes en Afrique était de réduire l’influence de l’Union soviétique. Pour contrer l’aide économique et militaire soviétique aux mouvements nationalistes et aux dirigeants nationalistes bourgeois tels qu’Ahmed Sékou Touré en Guinée et Kwame Nkrumah au Ghana, les Etats-Unis et leurs alliés ont soutenu quantité de despotes sanguinaires comme Mobutu au Zaïre, tout en finançant et en armant des rébellions réactionnaires, par exemple en Angola et au Mozambique. La CIA traitait des agents depuis son siège à Monrovia, elle corrompait des gouvernements et organisait des coups d’Etat dans tout le continent. Suite à la destruction de l’Etat ouvrier dégénéré soviétique, Washington a rompu le cordon économique. Le Fonds monétaire international a exigé le remboursement de la dette à des conditions de famine, ce qui a davantage encore détruit les économies chancelantes de ces sociétés.

L’emprise des Etats-Unis sur le Liberia débuta à la constitution du pays au début du XIXe siècle, lorsque des Noirs affranchis y furent conduits pour créer la république du Liberia. Les colons noirs américains et leurs descendants (les Américano-Libériens) dominent depuis lors la population indigène. Dans les années 1920, la compagnie du caoutchouc Firestone prit le contrôle effectif du pays et le dirigea comme une plantation d’esclaves.

Ces dernières décennies, le diamant et le bois ont financé des seigneurs de guerre comme Charles Taylor, renversé de la présidence libérienne à la fin de la guerre civile. Ellen Johnson Sirleaf soutenait initialement Taylor mais elle s’est retournée contre lui avant d’être élue présidente en 2005 avec la promesse d’en finir avec la corruption et de reconstruire le pays. Sirleaf est le seul chef d’Etat africain à avoir offert son territoire aux Etats-Unis pour y installer le siège de leur Africa Command (Africom), qui opère à partir de l’Allemagne. Elle a reçu le prix Nobel de la paix en 2011 après avoir livré plus du tiers du territoire libérien à des entreprises privées opérant dans le bois, les mines et l’agroalimentaire.

Les Etats-Unis ont accru leur présence militaire en Afrique sous Obama ; ils ont pris la tête du bombardement de la Libye par l’OTAN en 2011 et mené de multiples opérations des forces spéciales, ou des bombardements en Somalie. Les impérialistes s’inquiètent notamment de l’influence grandissante de la Chine, qui est maintenant le principal partenaire commercial de l’Afrique. Dans le cadre d’un échange contre du pétrole et des ressources minérales qui sont nécessaires à ses industries nationalisées, la Chine a construit des hôpitaux, des écoles et autres infrastructures dans beaucoup de pays africains. Le contraste est frappant avec l’héritage laissé par les puissances impérialistes : extrême pauvreté, arriération sociale, guerres tribales et ethniques.

La criminalité capitaliste

La réaction des gouvernements ouest-africains à l’épidémie d’Ebola a été le déni, l’indifférence et un camouflage criminel de l’ampleur de la maladie. Un coordinateur de MSF qualifiait la réaction initiale de « pure improvisation ». Il ajoutait : « il n’y a personne pour prendre des responsabilités, absolument personne, depuis le début de la crise ». Alpha Condé, le président guinéen, disait au cours d’une réunion avec des responsables de l’Organisation mondiale de la santé en avril : « Pour le moment, la situation est bien maîtrisée et nous touchons du bois pour qu’il n’y ait pas de nouveaux cas ». Beaucoup de responsables gouvernementaux au Liberia ont tout simplement fui le pays.

La maladie se propageant hors de contrôle, les gouvernements ont brutalement imposé le cordon sanitaire, une pratique moyenâgeuse en usage lors de la grande peste de 1348 en Europe. Comme l’illustre le récent couvre-feu national de trois jours en Sierra Leone, des foules de gens affamés et terrifiés face à l’armée se retrouvent piégés dans l’horreur.

Pendant ce temps, les travailleurs de la santé locaux sont sur la ligne de front ; ils poursuivent le combat avec abnégation malgré un système sanitaire délabré ; ils sont abandonnés par leur famille terrorisée et rejetés par leurs voisins. Beaucoup d’entre eux sont tourmentés d’avoir à refuser des patients aux portes des centres de traitement pendant que des corps suppurent dans la rue. Le New York Times (10 août) décrivait ainsi la situation à Conakry, capitale de la Guinée :

« La salle de traitement à l’hôpital de Donka était mal éclairée et ne comportait pas d’évier. Il y avait quelques seaux de solution chlorée et il était impossible au personnel de se laver les mains entre deux patients […]. Les gants manquent dans les hôpitaux ; au marché ils se vendent 50 cents la paire, une somme énorme pour des gens qui souvent vivent avec moins d’un dollar par jour. Dans les maisons où des familles soignaient des patients, il manquait même les seaux en plastique pour mettre l’eau et la javel pour se laver les mains et désinfecter les draps. »

A la mi-août un seul carton de gants avait été livré depuis avril dans une clinique de la ville de Dolo à l’est de Monrovia. Située près de la plantation d’hévéas de Firestone, la ville est sous couvre-feu – une « prison » Ebola selon les ouvriers de Firestone qui y habitent. Les travailleurs ont fait grève à plusieurs reprises pour exiger de meilleures conditions de travail, des équipements de protection et leur salaire, beaucoup n’ayant pas été payés depuis des semaines.

La méfiance et la haine envers les responsables gouvernementaux sont telles que beaucoup de gens croient qu’Ebola est le fruit d’une conspiration, ou simplement ils nient son existence. Des populations paniquées font porter la responsabilité de la propagation du virus sur les travailleurs de la santé ou elles les accusent de prélever des organes. Une équipe de huit personnes qui essayaient de sensibiliser des villageois sur la prévention a été tuée à la mi-septembre par une bande en Guinée.

Face à l’effondrement du système de santé rudimentaire qui existait, la superstition remplit le vide. Beaucoup de gens pensent qu’Ebola est un sort qu’on leur a jeté ou qu’il résulte d’un acte de sorcellerie, et ils se tournent vers les « guérisseurs traditionnels ». Une guérisseuse en Sierra Leone a contracté le virus Ebola de ceux qui étaient venus chercher son aide, et elle en est morte. Lors des funérailles les gens ont lavé son corps à la main pour préparer l’enterrement, ce qui est un rite courant. Ils ont été infectés à leur tour, ce qui a provoqué une explosive réaction en chaîne de nouveaux décès, de funérailles et d’infections.

A ce jour, les géants pharmaceutiques n’ont rien fait pour développer un vaccin pour une maladie qui affecte en grande part des Africains noirs pauvres. Mais comme Ebola menace de se propager au-delà des limites africaines, les sociétés pharmaceutiques ont dépoussiéré leurs projets de développement d’un vaccin et elles accélèrent les recherches en vue de la commercialisation. Le marché le plus probable serait l’armée américaine qui consomme énormément de vaccins.

La crise d’Ebola illustre une nouvelle fois la criminalité et l’irrationalité de l’ordre capitaliste. L’Organisation mondiale de la santé a vu son budget réduit suite à la crise financière mondiale, ce qui l’a menée à dissoudre son département de réaction aux épidémies et pandémies et à ne garder qu’un seul expert technique des maladies hémorragiques. Dans le même temps, la bourgeoisie américaine déverse des milliards pour écarter le spectre du « bioterrorisme ». Comme l’écrivait le journaliste Arthur Allen dans Vaccines : The Controversial Story of Medicine’s Greatest Lifesaver (2008) : « Aucun prix n’était trop élevé du moment que la chose contenait le mot magique “terrorisme”. Le Congrès était prêt à autoriser 1,9 milliard de dollars pour construire et entretenir un stock de vaccins contre la variole, et 1,4 milliard pour créer et stocker un nouveau vaccin contre l’anthrax. »

Les conditions inhumaines que le capitalisme impose à ses esclaves semi-coloniaux montrent de la manière la plus directe la nécessité de la révolution socialiste dans le monde. Il y a des concentrations prolétariennes importantes en Afrique – la puissante classe ouvrière industrielle d’Afrique du Sud et d’Egypte, les ouvriers du pétrole au Nigeria et les ouvriers des ports et des chemins de fer au Kenya par exemple – ayant la puissance sociale pour diriger tous les pauvres et opprimés dans une lutte révolutionnaire. Dans cette perspective il faut lutter pour balayer la domination du capitalisme dans les métropoles impérialistes ; les ouvriers noirs des Etats-Unis, descendants des esclaves africains, y joueront un rôle exceptionnellement important.

Dès le milieu du XIXe siècle, Karl Marx et Friedrich Engels avaient reconnu que l’avènement de la science et de l’industrie modernes créaient le potentiel pour éliminer la faim et les privations qui déforment et entravent la vie des masses partout dans le monde. Mais cela ne peut pas se réaliser dans un système de production pour le profit. Ce n’est qu’en renversant le système capitaliste et en créant une économie collectivisée et planifiée à l’échelle mondiale que les bases seront jetées pour une expansion qualitative de la recherche scientifique et du développement technologique pour répondre aux besoins humains, venant finalement à bout de la pénurie matérielle.