Le Bolchévik nº 209

Septembre 2014

 

Débats à la fête de LO sur la montée du Front national

Il y a un an, suite à l’assassinat de Clément Méric par des fascistes à Paris, Lutte ouvrière (LO) avait de façon inhabituelle mis en garde contre le danger que représentait cette racaille. LO trouvait alors « bien normal » de protester dans la rue après ce meurtre et ajoutait :

« S’unir pour se défendre collectivement, y compris physiquement en constituant des groupes de défense communs ou un service d’ordre, en cas de menaces ou d’agressions par l’extrême droite de militants, de locaux ou d’activités publiques de n’importe quelle organisation ouvrière ou de gauche, malgré la profondeur de nos divergences politiques, se posera peut-être très rapidement. Les militants d’extrême droite sont des ennemis mortels pour les travailleurs et nous devrons peut-être demain nous battre, matraque à la main, pour défendre notre droit à faire grève, à nous organiser ou tout simplement à nous exprimer. »

Lutte de classe, juillet-août 2013

Depuis un an les attaques des fascistes se sont considérablement multipliées contre les homosexuels, les jeunes à la peau foncée, les militants de gauche. Les victoires électorales des fascistes du Front national (FN) encouragent cette racaille à agir de plus en plus ouvertement. Mais plus avancent les fascistes, plus LO recule. Loin de battre le rappel pour organiser la classe ouvrière contre ces attaques physiques, les cadres de Lutte ouvrière ont consacré une bonne partie de leur temps à leur fête de Pentecôte cette année à dissuader leurs militants de prendre part à des manifestations ou à des actions antifascistes. Ils les ont au contraire incité à aller discuter patiemment avec les gens assez arriérés ou carrément racistes pour voter Le Pen aux élections.

Ils ont ainsi envoyé l’un de leurs principaux porte-parole, Jean-Pierre Mercier, animer un forum le 7 juin sur le thème du Front national. Mercier est ex-bureaucrate syndical à l’usine PSA d’Aulnay, qui vient de fermer, et ex-conseiller municipal de Marc Everbecq à la mairie PCF de Bagnolet, dont la gestion a été telle que même le PCF a été obligé de se séparer d’Everbecq pour les élections de cette année. Mercier est aujourd’hui bureaucrate syndical à PSA-Poissy.

Depuis son débat en tête à tête à la télévision en avril dernier avec Marine Le Pen (voir le Bolchévik, juin), Mercier passe sans doute pour une autorité dans LO concernant le FN. Il a donc minimisé la montée du FN en prétendant que ce dernier ne se renforçait « que électoralement » et il a enjoint les militants présents à ne pas traiter de raciste un collègue pro-FN « mais discuter à fond ses idées, se battre pied à pied pour le regagner au camp des travailleurs ». Mercier est revenu à la charge le lendemain dans un forum sur l’automobile, disant en réponse à un de nos camarades qu’il faut aller discuter avec son voisin de palier s’il vote FN (LO a reproduit cette intervention… de bas étage dans sa revue théorique Lutte de classe, juillet-août). Il a précisé : « Il faut comprendre que ce ne sont pas des manifestations qui feront barrage à Marine Le Pen. Tout va se jouer dans les entreprises. »

Il faut combattre la progression du FN parmi les ouvriers les plus arriérés politiquement. Mais pour cela il faut d’abord reconnaître que c’est la politique des réformistes eux-mêmes, à commencer par les bureaucrates syndicaux et le PCF (mais aussi LO et le NPA qui les couvrent), qui renforce l’influence des fascistes parmi les ouvriers : le soutien des PCF, NPA, LO et compagnie à l’Union européenne (UE) permet à Le Pen de se présenter faussement comme la seule opposante à l’UE et par extension aux attaques anti-ouvrières menées sous couvert de « directives de Bruxelles ».

Les militants de LO et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) font maintenant partie intégrante de la bureaucratie syndicale à l’échelon inférieur, ce qui fait rejaillir sur eux les trahisons procapitalistes des appareils de la CGT et de la CFDT. Cela permet ainsi à Le Pen de se profiler démagogiquement en seule vraie porte-parole des ouvriers quand elle lance ses virulentes attaques contre les syndicats eux-mêmes. Car le fascisme, c’est d’abord et avant tout un programme de mobilisation de la petite bourgeoisie enragée et des chômeurs pour détruire le mouvement ouvrier organisé, notamment les syndicats, quand l’approfondissement de la crise économique n’offre plus d’issue aux capitalistes dans un cadre parlementaire et de collaboration de classes.

De même, le soutien des réformistes à Hollande il y a deux ans (vote Hollande pour PCF, PG et NPA, refus de trancher entre abstention et vote Hollande pour LO) permet au FN de se prétendre la seule alternative véritable au « système UMPS » (pour faire complet le prédécesseur du NPA, la LCR, avait aussi voté Chirac en 2002 contre Le Pen). Et la participation de LO aux campagnes contre les femmes voilées contribue à donner un vernis de légitimité au programme d’exclusion raciale notamment de la population d’origine maghrébine ou africaine par les fascistes, sous couvert de lutte pour la « laïcité républicaine » et contre la réaction islamique anti-femmes.

Autrement dit, pour combattre la montée du FN c’est un programme à l’opposé de celui des réformistes qu’il faut mettre en avant : opposition lutte de classe à l’UE et l’euro sur la base de l’internationalisme prolétarien et d’une perspective pour les Etats-Unis socialistes d’Europe, lutte dans les syndicats contre la collaboration de classe des bureaucrates syndicaux avec les patrons, refus de toute alliance électorale ou autre avec des représentants ou des partis de la bourgeoisie, mobilisation de la classe ouvrière contre les campagnes racistes du gouvernement (qu’elles visent les Roms, les jeunes de banlieue, les femmes voilées ou même les islamistes réactionnaires), propagande ouverte pour la perspective de la révolution socialiste (la dictature du prolétariat) pour en finir avec la dictature de la bourgeoisie.

Lors de la fête de LO l’un de nos camarades de Rouen est intervenu dans le débat sur le FN pour relever l’absence de LO des mobilisations contre les exactions fascistes récentes dans cette ville (voir en page 2 notre tract sur une agression contre des jeunes communistes) et pour présenter la seule perspective pour stopper cette vermine avant qu’il ne soit trop tard : mobiliser la classe ouvrière organisée, centrée sur les syndicats, à la tête de toutes les victimes potentielles des fascistes – immigrés, jeunes de banlieue, Juifs, homosexuels, etc.

Mercier a longuement répondu à notre intervention et à celle d’un militant bordiguiste pour prendre la défense… des électeurs du FN ! Personne n’avait dit qu’un simple électeur du FN c’est pareil qu’un fasciste encarté, mais Mercier a déclaré :

« Le travailleur autour de vous quand vous bossez dans vos entreprises, le copain de boulot qui a voté Front national, parce qu’il y en a qui ont voté Front national ! [interjection : « c’est pas des copains ! »] Je me permets de te répondre. Le camarade dit que c’est pas des copains, erreur grave, erreur grave ! Ce ne sont pas des militants FN, ce ne sont pas encore des militants FN. Ce sont des électeurs, ils se sont fait avoir par le discours de Le Pen, ils se sont fait trahir par la gauche au gouvernement. »

Au fond la politique de LO, c’est que la lutte économique va ressouder l’unité avec les « copains » pro-FN et faire disparaître comme par enchantement le problème des fascistes. LO s’adapte ainsi aux couches les plus arriérées du prolétariat alors que ce dont a besoin celui-ci, c’est de forger une avant-garde communiste. Ils espèrent tout au plus qu’un nouveau Juin 36 ou Mai 68 permettra de « gagner le plus de terrain possible pour les acculer [les patrons] le plus loin possible » (Mercier au débat sur l’automobile ; voir Lutte de classe, juillet-août). Mais une crise révolutionnaire, si le prolétariat ne prend pas le dessus et renverse le capitalisme, ne ferait que pousser les capitalistes « acculés » à se tourner vers les fascistes pour briser les reins de la classe ouvrière.

Derrière l’argument de discuter avec les « copains » de travail, Mercier défendait la ligne de débattre avec les militants et même les dirigeants fascistes, comme il l’a fait lui-même le 10 avril sur France 2 avec Marine Le Pen. Le fait même de débattre avec Marine Le Pen est un hommage rendu par LO à la stratégie de « dédiabolisation » des fascistes, en dépit du fait que Marine Le Pen elle-même ait revendiqué sans complexe « tout l’héritage du FN » lors du congrès du parti en 2011 : ce genre de « débat » conforte les ouvriers arriérés dans l’illusion que le FN est un parti parlementaire et républicain comme un autre.

« Tout l’héritage du FN », c’est Vichy, l’Algérie française, le meurtre de Brahim Bouarram en marge du cortège du FN le Premier Mai 1995, ou la même année celui d’Ibrahim Ali, un jeune Marseillais d’origine comorienne, par des colleurs d’affiches du Front national. « Discuter » avec les fascistes, c’est démobiliser la seule riposte qui vaille, celle de la masse des ouvriers et des opprimés dans la rue pour les stopper. Mercier a ajouté :

« Quand on voit les journalistes en face de Le Pen, bien sûr qu’ils ont pas de perspectives, c’est pas eux qui peuvent lui rentrer dedans. Il faut qu’il y ait des militants politiques justement. Tu dis qu’il faut pas aller débattre avec les fascistes, mais bon dieu dans les années 1930 les communistes allemands allaient dans les meetings du parti nazi pour défendre leurs idées, pour pas laisser un poil de terrain ! »

Indépendamment du fait qu’ils se seraient fait tabasser en règle, Mercier se revendiquait ainsi de la politique catastrophique du Parti communiste allemand (KPD) de Thälmann. Alors en proie à une ligne gauchiste impulsée par Staline à Moscou, le KPD refusait catégoriquement de lutter pour un front unique ouvrier avec le SPD social-démocrate (qualifié par le KPD de « social-fasciste ») pour stopper les nazis dans la rue.

On connaît le résultat, avec la prise du pouvoir par Hitler en janvier 1933, pratiquement sans coup férir. Des camps de concentration furent immédiatement ouverts et les communistes y furent jetés en masse. Mais le KPD et la Troisième Internationale stalinisée tout entière refusèrent de porter la moindre critique à leur politique vis-à-vis des fascistes. Pour Trotsky, c’était la preuve que l’Internationale communiste était finie pour la révolution, et il s’attela dès lors à la tâche titanesque de construire une nouvelle internationale révolutionnaire, la Quatrième Internationale. C’est bien notre perspective à nous les trotskystes. En se revendiquant de la politique des staliniens en Allemagne au début des années 1930, Mercier ne pouvait mieux déclarer que Lutte ouvrière n’a rien à voir avec le trotskysme. On pourrait se réjouir de cette clarification et mise au point, mais cela montre que LO est un obstacle à la mobilisation urgente de la classe ouvrière ici contre la peste brune.